REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

lundi 28 mars 2022

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (21) : LE SYSTEME BUGEAUD

LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847  

LA COLONISATION SELON BUGEAUD

LES PRINCIPES D’ACTION

Au moment de l’arrivée de Bugeaud en Algérie, il convient de rappeler que la situation des terres conquises était préoccupante : la nouvelle guerre entre Abd-El-Khader et les troupes coloniales avait conduit à une grande insécurité, les zones à peu près pacifiées se limitaient aux abords des villes, des forts et des ports conquis. L’échec de l’expérience de colonisation de la Mitidja avait montré que la colonisation était très difficile dès que l’on s’éloignait des villes et des points contrôlés par l’armée. 

Pourtant, en dépit de ces aléas, dès son arrivée, le nouveau gouverneur général mit en place une politique de colonisation de grande envergure caractérisée par quatre grands  principes de base : 

En premier lieu, la colonisation doit faire l’objet d’une politique globale, organisée et planifiée dans l’esprit de la circulaire de 1939 sur l’émigration en Algérie promulguée par le maréchal Soult, ministre de la guerre et président du conseil. Cependant, Bugeaud estimait que la colonisation devait dépendre des besoins de la colonie et non des critères prônés par la métropole qui auraient consisté  à expédier en Algérie ce que l’on considérait à l’époque comme la « lie de la société ». Il pensait aussi que c’était lui, en tant que gouverneur général, qui était le mieux à même de connaître la situation locale et, en conséquence, que c’était lui qui devait avoir la haute main sur la planification de la colonisation algérienne. Cette conception fut mise en application jusqu’à l’ordonnance de 1846. 

Ce qui précède induit une deuxième caractéristique : Bugeaud est absolument contre la colonisation individuelle et contre la colonisation spéculative avec constitution de grands domaines. Deux raisons président à cette position : 
     . la colonisation individuelle est source de faiblesse pour l’individu qui sera isolé face à l’ampleur de la tâche à accomplir et surtout du fait des risques d’incursions des tribus.
     .  la  création de grands domaines n’étant pas source de peuplement important, elle nécessitait la  présence de l’armée pour assurer la sécurité des propriétés des « colons aux gants jaunes » au détriment de la politique de conquête 

En conséquence, Bugeaud privilégia la création de villages de colonisation. 

La troisième caractéristique   de la politique de colonisation voulue par Bugeaud réside dans une juxtaposition des colonies militaires et des colonies civiles. Dès 1830, l'armée s’était vue dotée de diverses tâches en sus des opérations de pacification et de lutte contre les tribus : c’est elle qui se chargeait de construire les infrastructures (ponts, routes), de bonifier et de drainer les marécages, de construire les camps et même de bâtir les villages de colonisation. Cette utilisation de l’armée pour des travaux de génie civil avait été fortement critiquée par certains officiers qui se plaignaient que les soldats deviennent des serfs des colons. 

Ces réticences ne seront plus de mises à l’époque de Bugeaud : non seulement, l’armée restera chargée de créer les infrastructures, mais, en plus, il lui sera demandé de constituer des colonies militaires dans les zones à sécuriser selon le modèle des colonies de vétérans romains et des villages du même type créés par la Russie et l’Autriche. Etablies aux avant-postes des zones récemment dominées, elles étaient pour Bugeaud un maillon essentiel de la pacification. 

La quatrième et dernière caractéristique des conceptions colonisatrice de Bugeaud  concerne la forme à donner à la colonisation civile. Dans cette perspective, il va reprendre, en le systématisant, le modèle mis en place par Clauzel. Outre la mise en valeur des terres, les colons seront organisés en milices capables de défendre leurs villages et de contenir les incursions des tribus. Ce système permettra à l’armée de quitter les postes et camps qu’elle occupe dans les zones à peu près sécurisées  pour se consacrer  aux secteurs à pacifier tant par les razzias que par la création de camps et de colonies militaires. 

LES COLONIES MILITAIRES

Elles doivent être établies, comme je l’ai indiqué préalablement, dans les zones d’insécurité pour devenir les « sentinelles »  de la France et  correspondront soit à des créations ex-nihilo, soit à la mutation d’anciens camps de l’armée. Ceux-ci avaient déjà l’obligation de cultiver 30 hectares de terre et de se constituer un cheptel au moyen des razzias. Les villages seront construits par l’armée aux frais de l’État.

Dans l’esprit de Bugeaud, les colonies militaires comporteront soit des soldats libérés, soit des soldats en fin de service. Ils seront recrutés par engagement de cinq ans et établis sur les terres récemment conquises par l’armée. Afin de les inciter à rester sur place, Bugeaud  décida que ces soldats devaient être mariés, il avait pensé faire venir des femmes provenant des « maisons de repentir », mais, finalement, les colons eurent le droit de rentrer en France pour y trouver une épouse acceptant de s’expatrier. Pendant la durée de l’engagement, les terres seront cultivées collectivement au moyen de trois jours de travail agricole par semaine. Ensuite, les terres seront attribuées individuellement aux colons. Ceux-ci seront astreints à une discipline militaire sous les ordres de leurs officiers et sous-officiers. 

Bugeaud avait prévu la création de 35 colonies militaires sur 10 ans, seules 3 furent constituées : l’hostilité de la chambre des députés à l’attribution de crédits pour l’implantation de ces colonies et la démission de Bugeaud en 1847 qui s’en suivit’ firent que le projet fut abandonné. 

LA COLONISATION CIVILE ET LE PROBLÈME DES TERRES A COLONISER 

Dès avril 1841, quelques mois après son arrivée, Bugeaud mis en place le cadre institutionnel de la colonisation civile. 

Il retint d’abord l’idée de la colonisation à titre gratuit, elle sera réservée à des candidats français qui devront disposer de 1200 à 1500 francs à leur arrivée de manière à pourvoir aux frais de leur installation, à l’acquisition  du matériel agricole et à l’achat de la nourriture nécessaire jusqu’à la première récolte. Le colon recevra un lot « urbain » dans un village préalablement arpenté sur lequel il devra établir un jardin et construire une maison. Comme dans le système Clauzel, on lui attribue, selon les cas, d’un à trois  lots de terres de 4 ha. Ces lots ne sont pas concédés en toute propriété mais par concession provisoire ; la pleine propriété n’interviendra qu’au vu des travaux réalisés dans un délai de 9 ans, tant au niveau de la construction de la maison, du défrichage des terres, de leur culture, que de la plantation d’arbres fruitiers ou autre, à raison de 50 arbres par hectare. Pendant la période de concession provisoire, il est interdit aux colons de louer, de vendre ou d’hypothéquer les terres allouées. 

Afin de mettre en pratique les principes qu’il avait déterminés, Bugeaud demanda au comte Guyot, intendant civil, de préparer un plan d’ensemble de la colonisation pour la région d’Alger. Celui-ci fut rédigé sous forme d’un document manuscrit adressé au ministre en mars 1942. Il comporte trois types de propositions. 

D’abord, Guyot se livre à une étude des implantations possibles de colonies sur le Sahel d’Alger et dans la Mitidja. Selon lui, la répartition des  villages coloniaux  doit être effectuée selon les critères suivants : 
     . Être situés au voisinage d’un camp militaire ou d’un bourg, 
     . Disposer d’eau courante et être établis dans des endroits drainés et fertiles. 
     . Être reliés entre eux par des routes à construire par l'armée.  

Ensuite, l’intendant civil précise la manière dont seront organisés les villages ; ils doivent constituer une agglomération et non être composés de maisons dispersées, il faudra y aménager une fontaine. En ce qui concerne les églises et les postes de gendarmerie, ils seront construits dans les bourgs existants afin que chaque habitant des villages puisse s’y rendre facilement.  Ces villages devront être fortifiés ; plutôt que de construire des murailles qui donneraient aux colons une impression d’étouffement, il sera préférable de creuser des fossés aux limites des villages, de munir les parapets de broussailles et d'ériger plusieurs tours de guet et de défense. Du côté des habitations, on pourrait planter des lignes d’arbres afin de masquer ces fossés afin  que les habitants puissent se croire à la campagne. 

La troisième proposition de Guyot concerna le problème des terres. Le domaine de l’Etat, constitué des biens confisqués en 1830 (le beylik, les terres des dignitaires turcs, des turcs ayant quitté le pays, les terres magzen, les terres Habou arrivés à leur dernier destinataire, puis les terres des confréries et des écoles coraniques, ..) ne suffisant pas à un vaste plan de colonisation, Guyot proposa d’abord que soit effectué un arpentage général sur 90.000 ha des terres qui seul permettrait de vérifier les titres de propriétés,

Il calcula alors que la colonisation prévue  nécessiterait 12.000 ha de terres qu’il proposa de repartit comme suit :
   . Utiliser 6000 ha appartenant au domaine ayant été obtenus par récupération des terres que                « l’émigration des tribus a rendu libre et fait entrer dans le domaine de l’Etat » 
   . Obtenir les 6000 autres par expropriation selon deux méthodes :
          . Par rachat des terres incultes avec paiement d’une rente aux propriétaires avérés,
          . Par récupération des terres pour lesquelles aucun titre de propriété écrit n’existe, ce qui correspond, en particulier, à toutes les terres Arch. 

Ce plan fut présenté à Bugeaud qui ne s’embarrassa pas de scrupules quant à la troisième proposition de son intendant civil : « Partout où il y a de bonnes eaux et des terres fertiles, c’est là qu’il faut placer le colon sans s’informer à qui appartiennent ces terres, il faut les distribuer en toute propriété… » : Ainsi, Bugeaud préconisait, en toute illégalité, d’implanter  les villages sans tenir compte de la propriété des terres ! 

Cette conception n’impliquait cependant pas qu’il fallait chasser de leurs terres ancestrales les tribus ayant fait allégeance à la France : «  Il faut certes favoriser les colons en leur attribuant les meilleures terres sans savoir à qui elles appartiennent, cependant, il ne faut pas réserver toutes les terres aux seuls colons, il ne faut pas refouler les arabes mais les mêler aux européens simplement en resserrant leurs territoires. Leur reconnaître des terres, c’est le moyen pour sédentariser les nomades, cantonner leur espace et récupérer des terres pour la colonisation. ». Cette théorie consiste à délimiter les territoires qui seront occupés par la  tribu et dont on leur reconnaîtra la propriété afin de pourvoir s’emparer du reste. Dans cette perspective, les tribus devront obligatoirement se sédentariser. Une telle politique, appelée plus tard « cantonnement », sera un échec et ne sera mise en place que pour un seul village. 

Il va de soi que le plan Bugeaud concernant la colonisation civile ne pouvait être appliqué qu’une fois obtenue la caution du gouvernement central, celui-ci prit successivement deux ordonnances qui réglèrent définitivement le problème des terres en Algérie.  

LES ORDONNANCES DE 1844 ET 1946 SUR LE PROBLÈME DES TERRES 

En premier lieu, il est rappelé, dans l’ordonnance de 1844, que toutes les transactions effectuées entre français et autochtones ressortent uniquement du droit français : en conséquence, aucun acte de transfert de propriété effectué dans ce cadre, ne peut être mis en cause sous le prétexte que les terres vendues étaient inaliénables selon le droit musulman. 

Une autre modification concerne les rentes inaliénables par lesquels les premiers colons ont acquis  à peu de frais, de vastes domaines dont ils n’avaient que l’usufruit : elles sont déclarées rachetables, ce qui permettra aux usufruitiers de devenir propriétaires. Dans le même ordre d’idée, les terres Habou ne sont plus déclarées inaliénables. 

La principale disposition concerne la vérification des titres de propriété comme le suggérait le rapport de Guyot.

L’ordonnance de 1844 précise que tout prétendu propriétaire de terres incultes ne pouvant présenter des titres de propriété postérieurs à la conquête verra ces terres, ipso facto, incorporées au domaine de l’Etat. Par contre, il n’est théoriquement pas demandé de vérification en ce qui concerne les terres cultivées. Ces procédures seront appliquées tant pour les européens que pour les tribus. Afin d'accélérer les procédures de récupération des terres, celles-ci ne seront plus du ressort des tribunaux mais de l’administration. 

 A ces terres ainsi récupérées s’ajoutent les terres mises sous séquestre définitif pour permettre à l’Etat de constituer un vaste domaine qui sera mis à la disposition de la colonisation. 

À  propos de cette politique, on peut effectuer trois remarques : 
     . Elle va à l’encontre des promesses faites lors de l’acte de capitulation de 1830 dans lequel la France s’engageait à respecter la propriété privée.
     . Elle établit une confusion volontaire entre le droit français et le droit musulman concernant les terres Arch : en droit musulman, toutes les terres appartiennent à Dieu et, par délégation, au souverain qui concède les terres aux tribus contre paiement d’un impôt appelé capitation. Cette disposition n’existant pas en droit français, la France, en tant qu'héritière du souverain musulman, revendiqua la propriété des terres et estima qu’elle pouvait en disposer à sa guise et donc déposséder les tribus de toutes les terres Arch. Ainsi, les terres de parcours, les forêts, les mines purent entrer dans le domaine de l’Etat. 
     . Enfin, en droit français, l’expropriation et l’incorporation de terres au domaine ne peut s’effectuer que pour les  causes d’utilité publique, ce n’est pas le cas en Algérie puisque les terres expropriées seront redistribuées aux colons. Cette contradiction sera résolue en 1851 avec différenciation du « domaine de l’Etat » et du «  domaine privé de l’Etat »

Ainsi Bugeaud reçut, par l’ordonnance de 1844, toute latitude pour s’emparer des terres tribales  afin de les ouvrir à la colonisation. Ce pouvoir considérable fut cependant largement restreint dans l’ordonnance de 1846 qui réserva au gouvernement central l’attribution des terres du domaine, seules les concessions  de moins de 100 ha restèrent du ressort du ministère de la guerre. Cette nouvelle disposition permit, bien évidemment, à certains de se faire concéder de vastes domaines, ce qui allait à l’encontre des théories de Bugeaud qui, déjà déçu de se voir privé des moyens financiers de créer des colonies militaires, décida de quitter l’Algérie en 1847. 


mardi 8 mars 2022

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (20) : LE SYSTEME BUGEAUD

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847 

DEUX FAITS MARQUANTS DE LA POLITIQUE INTÉRIEURE EN ALGÉRIE.


L'ORGANISATION TERRITORIALE


A l’époque de Bugeaud furent prises deux dispositions à ce propos :

     . En 1842, l’Algérie est scindée en trois provinces militaires, Alger, Oran et Constantine,

     . Le système est modifié par l’ordonnance du 15 avril 1845 divisant les trois provinces en trois bandes parallèles : 

           . Les territoires civils où la population européenne est suffisamment abondante pour que soit créée une administration civile.

           . Les territoires mixtes où la population européenne est trop peu nombreuse pour une organisation complète des services civils,

           . Les territoires arabes 

 

 

LES BUREAUX ARABES 

C’est un des apports importants de Bugeaud qui lui permettait de contrôler étroitement les tribus placées sous occupation militaire. 


À propos de ces zones, Bugeaud écrivait : «  il faut nous servir d’hommes qui sont en possession de l’influence sur les tribus, soit par leur naissance, soit par leur courage, soit par leur aptitude à la guerre ou à l’administration …mais il ne suffit pas de faire le bon choix, il faut encore les surveiller, les diriger, s’occuper de leur éducation de manière à les modifier graduellement ; il faut, en même temps,  les entourer de considération afin de maintenir leur dignité et les faire respecter de leurs administrés ». 


Explicitant la pensée du maréchal, le général Rivet écrivait : « le bureau arabe, dans la pensée de Bugeaud, ne devait pas être une autorité proprement dite mais… un état-major chargé des affaires arabes auprès du commandant supérieur ». 

 

L’ordonnance royale du 1er février 1844 officialise le système. Il institue, dans chaque division militaire, sous l’autorité immédiate du général la commandant, une direction des affaires arabes et un bureau de première classe. Des bureaux de deuxième classe sont aussi installés aux points secondaires de la division.

 

Les officiers en charge de ces bureaux sont chargées de tâches variées :

   . Ils servent d’intermédiaires entre l’armée et les tribus, en particulier au niveau des traductions de documents,

   . Ils surveillent les marchés, 

   . Ils rendent compte de tout ce qui se passe et transmettent leur rapport à la direction centrale des affaires arabes d’Alger qui, à son tour, adresse au ministre de la guerre une synthèse des rapports. 

 

Les chefs coutumiers gardent certes un semblant d’autonomie mais ils sont, en réalité, sous l’autorité du commandement militaire via les bureaux arabes . 

 

Cette dépendance se remarque nettement dans la manière dont ils sont recrutés :

     . Les caïds, chefs de tribus, sont nommés par le commandant de province sur proposition de l’Agha et présentation du commandant de division.

     . Les cadis, en charge de la justice, sont nommés de la même manière sous réserve de la présentation d’un certificat d’aptitude.

     . La nomination des Agha, Bachaga, et khalife, chefs des peuples regroupant les tribus, est effectuée par le ministre sur proposition des commandants de province au gouverneur général.


Tous sont normalement choisis pour un an et peuvent être révoqués. 

 

Ces chefs coutumiers possèdent des fonctions semblables et sont chargés: 

   . de conduire  au combat les cavaliers sur réquisition des autorités militaires,

   . d’assurer la tranquillité des routes et la police dans le territoire et sur les marchés, 

   . de percevoir  l’impôt.


En outre, est instaurée une responsabilité collective des tribus pour les délits commis : si le coupable de ce délit n’est pas arrêté dans un délai de 60 jours, c’est toute la tribu qui est mise à l’amende.