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samedi 9 avril 2022

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (22) : LE SYSTEME BUGEAUD

LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847 

LE BILAN CHIFFRÉ DE LA COLONISATION DE L’ALGÉRIE EN 1847

UNE RÉUSSITE APPARENTE

On dispose, à cet égard, d’informations partielles concernant la période antérieure à 1851, date où le premier recensement de la population a été effectué en Algérie. Les chiffres cités ci-dessous sont tirés d’une revue appelée HISTOIRE STATISTIQUE DE LA COLONISATION ET POPULATION DE L’ALGÉRIE écrite par M Bourdin en 1853.


Le premier tableau révèle l’évolution de la population civile européenne en Algérie. Il donne deux informations : 

 . D’abord, on constate la proportion élevée d’étrangers par rapport aux français. Une autre étude du même auteur montre que beaucoup de ces étrangers proviennent du pourtour de la Méditerranée. Cette caractéristique s’explique, comme je l’ai écrit plus haut, du fait des restrictions apportées par le gouvernement français à l’émigration des français vers l’Algérie alors que la colonisation des étrangers et en particulier, des espagnols (les Mahonnais du nom de Port Mahon de Minorque) s’effectue hors de toute réglementation. 

   . La population d’origine française manifeste cependant une rapide évolution à partir de 1840, comme le montre la courbe ci-contre. Cette progression est due, selon moi, à trois facteurs : la libéralisation de l’obtention de passeports pour l’Algérie, la propagande vantant la colonisation de l’Algérie et la politique de sécurisation et d’incitation à la colonisation menée par Bugeaud. Pour la première fois depuis 1833, le nombre de colons français dépasse celui des étrangers en 1847.

Par rapport à la population globale de l’Algérie, les colons européens ne sont cependant qu’une infime minorité comme le montre le tableau 2 tiré du recensement de 1851 et cité par M Bourdin.

 Les chiffres doivent être relativisés en ce qui concerne les populations des tribus algériennes : autant il était  facile d’effectuer un comptage des français et des autochtones vivant en ville, autant il fut difficile de déterminer la population des tribus. 

Pour tenter de le faire, l’administration française utilisa trois méthodes : 
     . Là où ce fut possible, en particulier dans les tribus soumises, on put effectuer un comptage nominatif,
     . Au niveau des tribus nomades et des douars, on se contenta d’une estimation en comptant  le nombre de tentes ou de maisons et on multiplia le nombre obtenu par 5.
     . Enfin, on se basa sur des estimations globales à partir des impressions constatées.

Il va de soi que les chiffres de la population des tribus ne sont qu’une approximation relative, cependant leur part en pourcentage doit correspondre à la réalité.

Le chiffre donné concernant les « indigènes des villes » , selon l’appellation utilisée par M Bourdin, correspondent à trois composantes : des musulmans (84329), des « nègres » (3488), des juifs (21048). La population des deux premiers groupes eut tendance à diminuer, seul le nombre de juifs augmenta fortement.

En ce qui concerne la répartition par sexe au 31 décembre 1851 de l’ensemble de la population européenne (tableau 3) , M Bourdin témoigne d’une nette disproportion entre le nombre des hommes et celui des femmes, cette particularité se manifeste dans tous les territoires de peuplement récent par l’immigration ; elle s’explique par le fait que les hommes qui partent de préférence sont ceux n'ayant pas d’attaches particulières les retenant dans leur pays d'origine qui tentent leur chance et espèrent échapper à la misère et même faire fortune en s’expatriant ; par contre, l’Etat encouragea plutôt l’immigration de familles, seul moyen pour lui de voir se fixer une population stable. 

 Pour évaluer la manière dont a été mise en œuvre la politique de colonisation, on peut trouver d’intéressants renseignements statistiques dans le DICTIONNAIRE DE LA LÉGISLATION ALGÉRIENNE (Gallica) collationnés par P de Menerville.

Cet ouvrage cite, en effet, les caractéristiques de tous les villages et villes de colonisation ayant été créés de 1840 à 1847. Les renseignements sont certes parfois incomplets mais, selon moi, ils donnent une image fidèle de la politique de colonisation. 

Ces villages et villes de colonisation sont répartis sur le tableau 4 selon les trois provinces que comporte l’Algérie : 

Sur ces 63 créations, seules 3 avaient été créées avant l’arrivée de Bugeaud, on peut mesurer ainsi l’importance de la politique coloniale menée par le maréchal. 53% de ces colonies sont installées dans la province d’Alger, ce qui est normal étant donné l’ancienneté de la présence des français à Alger. 

La superficie mentionnée dans le tableau est cependant minimale car, pour 10 villages ou villes, la superficie concédée n’est pas indiquée. On est, à cet égard, très loin des 12000 ha prévus par Guyot dans le plan initial ! 

Comme le montre le tableau 5, une écrasante majorité de ces colonies sont à vocation essentiellement agricole (81%) ; à l’inverse, il convient de souligner le faible nombre des colonies militaires et de vétérans alors que leur création était, selon le gouverneur général,  un objectif crucial pour la survie de la colonisation. Le projet de colonies militaires se heurta à tant de résistance de la part des députés lors du vote du budget, que Bugeaud se sentît obligé de démissionner en 1847. 

On peut aussi remarquer le faible nombre des « colonies indigènes », les deux citées sont concédées à des tribus ralliées à la France pour qui fut appliquée la politique de cantonnement. Ces deux villages étaient ceinturés de colonies agricoles européennes, sans doute afin de mieux les contrôler. Quant aux 4 villages maritimes, ils ont tous vocation à s’adonner à la pêche.

En ce qui concerne la localisation de l’implantation des villages, on n’en trouve mention que pour 13 d’entre eux : 6 sont établis sur des terres abandonnées puis confisquées ayant appartenu à des tribus et fui la domination française, 7 sont créés à proximité immédiate des camps militaires. 

Une étude spécifique peut être menée sur 24 villages agricoles de la province d’Alger pour lesquels on possède des renseignements complets tant au niveau du nombre des familles (1513)  à accueillir que de la quantité de terres qui leur est allouée (15804 ha) : en moyenne chaque famille reçoit 10,44 ha. Ce chiffre est à comparer à celui de la moyenne de la taille des exploitations agricoles métropolitaines ayant une superficie inférieure à 12 ha : cette moyenne est de 4,17 ha en 1815 selon les chiffres de M  Robuchon. Ainsi les lots alloués aux familles en Algérie ont une superficie moyenne double que celle de la moyenne française. 

L’ENVERS DU DÉCOR MONTRÉ PAR LA STATISTIQUE 

Une première statistique tirée du livre de M Bourdin montre d’abord la faible proportion des  colons établis dans les villages de colonisation mis en place à l’époque Bugeaud (mentionnés dans le tableau n°6 sur le vocable « population rurale agricole ») : ils ne sont que 10% des européens ; si on se souvient que l’objectif du gouverneur général était de confier aux villages coloniaux une grande partie de la défense du pays, on ne peut alors que constater l’échec de son projet. 

Le tableau 7 montre un autre élément d’échec : l’augmentation de la population européenne constatée  n’est, en fait, qu’une apparence devant être nuancée par les chiffres donnés par M Bourdin concernant la natalité et la mortalité en 1847 de la population civile européenne.

Alors que, selon M Bourdin, la moyenne des naissances s’établit en métropole à 27 pour 1000, elle est beaucoup plus élevée en Algérie, avec une moyenne de 41 pour 1000 ; cette caractéristique s’explique sans peine : les européens émigrant en Algérie sont des personnes jeunes et en âge de procréer.

Par contre, la mortalité est beaucoup plus élevée en Algérie qu’en métropole (27 décès pour 1000 en métropole en 1849 au plus fort de l’épidémie de choléra) alors qu’en Algérie, il est de 49 pour 1000.  Il en résulte que le solde naissance/décès est négatif. La population européenne en Algérie diminuerait donc s’il n’y avait pas d’émigration. 

Le tableau 7 caractérise la population européenne globale de l’Algérie et non la population des villages de colonisation ; à leur propos, M Bourdin ne donne qu’une statistique incomplète mais elle est significative de la situation effroyable de ces villages. 

C’est ce que montre le tableau 8 : en 18 mois : alors que la natalité sur 1 an est beaucoup  plus faible que celle de la population européenne totale vivant en Algérie, (27 pour 1000), la mortalité y est presque trois fois plus forte. (141 pour 1000). À ce déficit de la balance démographique s’ajoute le fait que les départs des villages coloniaux sont plus importants que les arrivées. De ce double mouvement résulte une baisse importante de la population des villages coloniaux qui diminue de plus de 2000 en 18 mois.

L’explication de cette hécatombe humaine n’est pas difficile à expliquer : les colonies agricoles sont installées dans des contrées où sévissent l’insécurité et la pestilence elle-même due à la quasi absence  de politique d’assainissement des terres distribuées aux colons : la dureté des conditions naturelles auquel s’ajoutent la nécessité d’un travail excessif ainsi que les famines conduisent à un terrible constat d’échec des colonies agricoles. Cette situation dramatique est corroborée par les récits des voyageurs dont je donnerai de nombreux extraits postérieurement. 

Une dernière statistique contenue dans le tableau 9 concerne la mortalité dans l’armée : chaque année meurent en moyenne 7133 soldats, soit 8,8% de l’effectif moyen. Cette mortalité ne résulte cependant pas de la dureté des combats, seuls 3,6% des soldats sont tués à la guerre ; la quasi-totalité des décès surviennent du fait des conditions dans lesquelles les soldats vivent et travaillent : les épidémies dues à la pestilence des lieux où sont installés les fortins et où les soldats sont astreints aux travaux d’équipement, sont la principale cause de mortalité dans l’armée.