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lundi 14 novembre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (11) : PROSPER ENFANTIN

 L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

PROSPER ENFANTIN

LA TRANSFORMATION DU SYSTEME AGRAIRE ET L’ELABORATION D’UN SYSTEME ADMISSIBLE A TOUS.

 Comme tous les socialismes dits utopiques, Prosper Enfantin n’est pas un révolutionnaire, il base sa pensée sur le constat de ce qui existe afin de déterminer ce qu’il faut conserver et  ce qu’il faut modifier ou abolir. Cela explique qu’il ait traité le sujet en deux parties en étudiant d’abord le système agraire des tribus algériennes puis celui des européens.

 CE QU’IL FAUT CONSERVER DU SYSTÈME AGRICOLE DES TRIBUS ALGERIENNES

Prosper Enfantin effectue, en vue de cet objectif, une synthèse  des observations effectuées lors de son voyage en Algérie ; son interprétation est, selon moi, un peu partiale du fait que les informations glanées au contact de la réalité algérienne ne peuvent que plaire à l’auteur puisqu’en tant que saint-simonien, il prône la propriété collective et abhorre la propriété privée.

 Dans un premier temps, Prosper Enfantin se livre à une analyse des causes qui ont amené les « arabes » à la propriété collective et, par voie de conséquence, au nomadisme :

     . La première cause est la conséquences des conditions physiques et climatiques régnant en Algérie : « C'est la grande culture et l'éducation des bestiaux que le sol et le climat de l'Algérie favorisent le plus généralement ; l'une et l'autre exigent, dans ce pays, des déplacements continuels assez considérables, selon les saisons, pour les pâturages, pour les semailles et pour les moissons; car il faut, dans certains moments, fuir des lieux malsains, inondés ou desséchés, qui, dans d'autres moments, sont très-productifs et très-habitables. 

Selon Enfantin, les exploitations agricoles  individuelles ne peuvent se développer qu’aux abords des villes du fait de l’économie de jardin qui y prédomine et dans les vallées abritées et bien arrosées.

   . La seconde cause est le résultat des conceptions traditionnelles de l’Islam sur la possession des terres : toutes les terres appartiennent à Dieu et, par délégation, au sultan. Le sultan, à son tour, a concédé les terres de la Régence au Dey qui, à son tour, les a concédées au Cheik, le chargeant de la répartition des zones de culture selon les besoins de chacun.

Deux cas pouvaient alors se présenter : dans les tribus, les terres étaient distribuées collectivement à la tribu toute entière ; par contre, dans les zones d’exploitation individuelle, la terre était concédée à une famille en indivis avec interdiction de la partager. Dans les deux cas, les allocataires n’ont que l’usufruit de la terre. Le système est néanmoins souple. En cas d’augmentation démographique des membres de la tribu ou de la famille, il est, selon Prosper Enfantin, assez facile d’obtenir du Cheik de nouvelles concessions de terres.

   . Le troisième facteur ayant conduit à la création de la propriété collective et du nomadisme est la conséquence de la conquête ottomane dont la politique a toujours été de diviser pour régner, suscitant entre les tribus des guerres intestines pour mieux les contrôler. Selon Prosper Enfantin, l’insécurité ambiante  explique également pourquoi les tribus n’avaient pas créé de villages sédentaires : en cas de danger, il suffit de déplacer les tentes pour se trouver, ailleurs, en sécurité. Il explique aussi que si les pourtours du territoire de la tribu sont inexploités, c’est le fait des guerres intestines qui les rendent dangereux.

 Ainsi, les traditions, l’histoire et les contraintes géographiques ont, toutes, obligé les autochtones à pratiquer un mode de vie nomade ayant induit à faire de l’appropriation collective des terres la norme de la vie quotidienne dans la Régence.

Pour Prosper Enfantin, ce mode de vie possède deux caractéristiques :

            . l’un positif et à conserver absolument, la propriété collective des terres.

          . l’autre négatif et à faire évoluer, le mode de vie nomade qui empêche tout progrès et en particulier tout passage de l’élevage à l’agriculture.

 Il va alors émettre un apriori un peu hasardeux qui  servira de base à toute son argumentation : si les « arabes » ont choisi le mode de vie nomade c’est à cause de l’insécurité ; les « arabes » préfèreraient habiter dans des maisons : si la sécurité était garantie, ils quitteraient volontiers leurs tentes et s’installeraient dans les villages.

 La conquête française permettra de leur donner satisfaction au niveau du nomadisme :

     . D’abord, une fois la conquête terminée, l’administration civile pourra garantir aux « arabes » la paix et la sécurité ce qui, ipso facto, supprimera les guerres entre tribus,

     . Ensuite, la France va améliorer considérablement par de grands travaux la salubrité et la bonification des terres.

« Il est donc-certain qu'avec un gouvernement régulier, équitable et non spoliateur, et avec une force publique qui maintiendrait l'ordre et la paix entre les tribus, les Arabes, qui sont fort intéressés d'ailleurs, et qui aiment leurs aises, planteraient et bâtiraient. » et pourraient «  construire des habitations fixes, sur la majeure partie des terres de la Régence. »

 Prosper Enfantin se rend néanmoins compte que cette mutation de la vie quotidienne des « arabes » se heurtera au poids de la tradition. Pour vaincre les réticences, il imagine une stratégie :  il faut d’abord faire en sorte que s’installent sur un territoire bien situé et pourvu d’une source, « le castel du Cheik, le tribunal Cadi, la mosquée et la fontaine », les nomades s’habitueraient à venir dans cette amorce de village, puis, selon Prosper Enfantin, ils s’y installeraient, devenant de ce fait des sédentaires. Ainsi, « le peuple nomade et pasteur sera transformé en peuple agriculteur. ». Prosper Enfantin n’est cependant pas naïf pour imaginer que ce procédé pourra réussir à tout coup, « Non seulement, nous devons encourager les Arabes à bâtir et à planter, mais, dans certaines limites, nous pouvons et devons progressivement les y contraindre. »

 Ainsi, se définit le projet qu’Enfantin voudrait instaurer en Algérie : faire en sorte que, grâce à la paix, les tribus passent du nomadisme à la sédentarité sans toutefois abandonner le mode de possession collectif de la terre qui leur est traditionnel : il se créeraient alors des villages sédentaires pratiquant une agriculture gérée collectivement sans que s’instaure la propriété privée des terres.

 Prosper Enfantin termine cette analyse de ce qu’il faudrait instaurer en Algérie  par une envolée lyrique : « C'est là. le progrès que nous devons faire faire aux Arabes, et certainement c'est l'un des deux motifs providentiels qui peuvent expliquer et légitimer notre occupation de l’Algérie et tout le sang arabe que nous y avons versé

 Ainsi se définit aussi, au niveau des autochtones algériens,  la contribution respective des deux civilisations au nouveau mode de vie qu’Enfantin voudrait mettre en place en Algérie :

            . les « arabes » apporteraient la possession collective des terres

            . les européens introduiraient la paix et la sédentarité.

 Il reste maintenant à déterminer l’apport de la civilisation française afin d’élaborer les conditions d’une cohabitation harmonieuse et constructive entre européens et autochtones  au nom du «  progrès que nous devons faire nous-mêmes, par le contact avec ces populations énergiques ... Conserver les principes communs aux indigènes et aux Européens détruire les principes contraires à l'union et à la prospérité de ces deux populations, introduire et développer les principes avantageux à toutes deux et qui sont déjà en germe chez l'une et chez l'autre : telles sont les lois qui nous sont imposées, la première par la raison, la seconde par la nécessité, la troisième par l'humanité. 

 CE QU’IL FAUT CONSERVER DU SYSTEME DE LA PROPRIETE EUROPEEN

LA CRITIQUE DE LA PROPRIETE INDIVIDUELLE

 Autant, en disciple du socialisme, Prosper  Enfantin  encense le système de propriété collective algérien, autant il critique le système français qui nécessiterait de profondes réformes. Pour lui, le fait que la propriété individuelle en France soit sacrée et inviolable, sauf cas d’expropriation pour utilité publique, est pernicieux à tous les points de vue et surtout au niveau foncier :

     . Par le biais des héritages, il se produit un « morcellement indéfini  du sol » conduisant peu à peu à constituer des propriétés si minuscules que le paysan est obligé de quitter son exploitation ou de la vendre pour rejoindre la ville et espérer y trouver du travail. Inéluctablement, il s’agrégera peu à peu au prolétariat misérable et exploité.

     . La faible superficie des exploitations est un obstacle à la modernisation des cultures, le paysan en est réduit à pratiquer une agriculture vivrière qui lui laisse peu de surplus négociable.

     . Comme il est difficile d’emprunter sauf à des taux usuraires, les agriculteurs n’ont souvent d’autres solutions que d’hypothéquer leurs terres, ce qui les conduit rapidement à la cession de leurs biens.

     . Il existe certes de grands domaines, ils sont aux mains de propriétaires non-résidents considérant la possession foncière seulement comme une source de revenus, la terre est ensuite allouée à des fermiers qui se contentent de cultiver leurs parcelles sans chercher à moderniser leurs méthodes de culture.

     . Enfin, contrairement au système arabe de propriété collective qui permet de souder la cellule familiale, le système de la propriété individuelle des terres conduit à déconstruire les familles, les enfants étant contraints de quitter très tôt le foyer paternel pour chercher de quoi subsister.

 Dans de telles conditions, Prosper Enfantin est amené à rechercher, dans d’autres domaines d’activités, s’il existe,  dans notre société occidentale, d’autres  systèmes basés sur la propriété collective qui, transposés, pourraient servir de modèle à la colonisation agricole de l’Algérie.

 L’ADAPTATION DU SYSTEME DE LA SOCIETE PAR ACTION A L’ORGANISATION AGRAIRE

Selon Prosper Enfantin, il n’existe, dans l'Europe occidentale de son époque, qu’une seule forme de propriété collective qui pourrait convenir à son dessein : celle de la société anonyme par actions : « Dans ces associations , les intéressés n'ont aucune action directe sur l'exploitation et l'administration du capital social, mobilier ou immobilier, ils ne sont pas propriétaires d'une partie déterminée de ce capital, mais seulement d'un titre qui leur donne droit à une part des bénéfices généraux de l'association. ».

 Cependant, ce système qui établit  un regroupement de capitaux ne peut pas convenir tel quel  à la création des villages collectifs en Algérie : en effet, la société par actions établit un fossé quasiment infranchissable entre ceux qui financent et ceux qui travaillent. Enfantin qualifie les premiers de capitalistes et les seconds de prolétaires.

 En conséquence, l’application du système de la société anonyme à l’agriculture conduirait seulement à créer de vastes domaines agricoles avec, d’une part, des capitalistes qui apporteraient le capital et, d’autre part, des fermiers qui tenteraient de survivre sur le lopin individuel qui leur serait alloué.

 Pour éviter ces inconvénients, il faut que les financeurs soient aussi les travailleurs : « des propriétaires travailleurs pourraient bien s'associer et mettre en commun leurs capitaux et leur travail, et se distribuer entre eux le bénéfice général de l'entreprise, en proportion de l'apport de chacun, en capital et en travail ; mais ces associés seraient en même temps les directeurs, administrateurs, employés de l'entreprise, puisque j'ai supposé que ces propriétaires étaient en même temps des travailleurs qui mettaient en œuvre leurs capitaux »

 C’est ce système que Prosper Enfantin souhaite exporter en Algérie ;  il constituerait l’apport de la civilisation française dans son projet de créer des structures agricoles  pouvant convenir à la fois aux autochtones et aux colons  avec des terres possédées collectivement que l’on cultiverait  collectivement, gérées par l’association des travailleurs sans intervention des capitalistes.

 

Ainsi se définit les grands principes qui, selon Enfantin, pourraient permettre de  créer un système rural acceptable par les arabes et les français :

            . un système de propriété collective et de travail en commun.

            . des communautés sédentaires associant le travail agricole et la gestion des biens collectifs selon le système de la société par actions.

 

Il reste maintenant à l’auteur à confronter ses théories à la réalité algérienne en ce qui concerne les villages coloniaux existants.

vendredi 4 novembre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (10) : PROSPER ENFANTIN

    L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

PROSPER ENFANTIN

L’ETAT DES LIEUX ET LE PLAN D'ACTION

 

A propos de cette question qu’Enfantin traite au début de son ouvrage, j’ai déterminé deux articulations principales :

            . les principes de base de sa pensée concernant l’Algérie et les modifications à apporter.

            . les caractéristiques du plan général d’action et les reformes à envisager.

 

 LES PRINCIPES DE BASE DE LA PENSEE DE PROSPER ENFANTIN A PROPOS DE L’ALGERIE


Pour Prosper enfantin, comme d’ailleurs pour Tocqueville et Lamartine, ne se pose plus le problème de savoir si les français doivent rester ou non en Algérie, c’est désormais un fait accompli, il reste alors à faire que cette occupation soit moralement admissible.

 

Le moins qu’on puisse dire est que les conditions existantes en Algérie sont aux antipodes de ce qu’Enfantin souhaite : il n’y voit qu’une dictature militaire, une colonisation hésitante et balbutiante quand elle n’est pas sauvage et une politique de violence prônant le refoulement des tribus.

 

A cet égard, il va de soi qu’Enfantin ne pouvait que fustiger la politique de violence de Bugeaud : A Bugeaud écrivant : « Là où nous ne régnons pas, règne l'anarchie”, il répliquait: « Mais là où nous régnons, que règne-t-il donc ? La mort que nous avons donnée, la misère que nous avons faite, la terreur de nos armes et la terreur, plus grande peut-être, des vengeances d'Abd-el-Kader. » … « On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu. »

 

Selon Enfantin, pour modifier les mentalités, il faudra trois conditions préalables :

 

 Il faut, en premier lieu, pratiquer en Algérie une politique diamétralement opposée à celle de l’armée qui ne sait que détruire et de refouler les tribus hostiles, « On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu »ce qui ne peut qu’attiser la haine des autochtones vis-à-vis de l’envahisseur : « il faut, tout en nous montrant à eux forts et redoutables par la guerre, nous montrer aussi forts et bienfaisants par la culture, par le travail. » Désormais, le but de toute politique sera de tenter de créer les conditions pour rendre acceptable la présence française aux autochtones algériens.

 

En conséquence, la disparition du régime militaire doit être une condition impérativement nécessaire pour que cet objectif soit réalisable :

« Qu'on justifie la nécessité du gouvernement militaire en Algérie, tant que nous n'avons dû y faire  ou n'y avons fait que la guerre, à la bonne heure !  Mais dès que notre domination, préparée par les moyens destructifs de la guerre, pourra être confirmée, garantie, assurée par les travaux productifs de la colonisation, dès qu'il s'agira sérieusement de faire de l'industrie agricole ou commerciale; d'établir des villages de colons, des ports de marchands; de fonder des familles;  de diriger ensuite les mœurs et les coutumes civiles de ces Africains, que les militaires n'ont abordés que pour les détruire, les refouler au désert ou les forcer de demander grâce. "

 

En second lieu, Enfantin voudrait que l’Algérie puisse  être un champ idéal pour une expérimentation de ses doctrines en créant un modèle économique et social inédit, adapté à la fois aux tribus algériennes et aux colons européens.  Ce nouveau modèle, commun aux deux peuples, ne pourra cependant pas être mis en place dans l’immédiat en Algérie car la disproportion entre l’effectif des colons et celui des autochtones est patent en faveur des seconds. Pour qu’il puisse se réaliser et que, dans l’avenir, on puisse créer une  structure sociale unitaire adaptée aux deux civilisations, il convient de rééquilibrer les effectifs des colons et des autochtones.

 Pour cela il sera d’abord nécessaire de  transférer en Algérie une importante population de colons représentant les diverses facettes de notre civilisation : « C'est ce transport d'une population civile considérable, d'une population agricole, commerçante et industrielle, et des arts et des sciences qu'une semblable population apporte ou attire nécessairement, c'est cette transplantation d'une population mâle et femelle, formant familles, villages et villes, que j'appelle la colonisation de l'Algérie. »

 La troisième idée de Prosper enfantin découle de la précédente : il faut créer les conditions permettant de passer de la politique de refoulement et d’extermination, comme l’évoque Lamartine, à la mise en place d’un système de coexistence pouvant être adapté aux deux fractions de la population. Pour cela, il faut rechercher ce qui peut les unir et rejeter ce qu’ils ne peuvent appliquer :

« Toute société qui doit se former du contact ou de la fusion de deux races, de deux peuples dont la civilisation est différente, de deux peuples dont l'un est vainqueur, l'autre vaincu, exige .. une législation spéciale ; le peuple vaincu ne pourrait recevoir immédiatement les formes sociales de la nation victorieuse, et le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout à fait neuves, les usages et les lois de la métropole.

 "Notre politique n'est plus absolue, elle transige et concilie ; elle fait une part équitable des besoins du vaincu aussi bien que des exigences du vainqueur elle doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis. » … « j'ose dire qu'elle doit avoir pour but une association avec le vaincu, qui lui soit, en définitive, aussi avantageuse qu'au vainqueur. » 

 Prosper Enfantin ajoute à ce propos une idée révolutionnaire à son époque   qui, si elle était admise sur notre terre, établirait entre tous les peuples, une tolérance qui pourrait favoriser une paix universelle :

 « La  France n'a pas tout à enseigner en Algérie, elle a quelque chose à apprendre des Arabes, au moins pour l'Algérie. Il y a de belles et bonnes choses dans le gouvernement et l'administration des tribus. 

 

En ce sens, Enfantin est, comme tous les socialistes utopiques, un visionnaire tablant sur une capacité altruiste de l’être humain qui n’est hélas pas partagée par tous.

 C’est à partir de ces trois idées de base et de la nécessité d’établir une coexistence entre les autochtones qu’Enfantin va établir un plan des réformes à envisager.

LES REFORMES A ENVISAGER POUR RENDRE MORALEMENT ADMISSIBLE LA PRESENCE DE LA FRANCE EN ALGERIE

 Dans son livre, ce plan de réformes est simplement évoqué sous forme de questions sans qu’Enfantin ne donne de solutions immédiates, cela se comprend aisément puisque son objectif, révélé par le titre de son ouvrage, est de traiter du problème de la colonisation. Il est néanmoins intéressant d’évoquer ce plan général d’actions  parce qu’il établit le cadre dans lequel il examinera le problème de l’organisation agraire en Algérie.

Cet ensemble de questions est résumé dans la citation suivante :

 « Notre gouvernement de l'Algérie doit avoir sans cesse devant les yeux deux problèmes à résoudre, qui peuvent être énoncés de cette manière :

1° Dans quel sens faut-il modifier les institutions, les mœurs et les usages des indigènes, pour les faire entrer progressivement en société avec la population européenne ? 


2° Comment modifier les institutions civiles, militaires, administratives, religieuses, de la population européenne, comment modifier même ses usages de culture, d'habitation de vêtement, de nourriture, en un mot son hygiène, pour les approprier le plus vite possible au nouveau sol, au nouveau climat, aux nouvelles relations humaines que la France rencontre en Algérie ? ».

 

Prosper Enfantin émet ensuite quelques remarques complémentaires en ce qui concerne l’organisation politique afin de susciter la réflexion de ses lecteurs.

 

 « le gouvernement d'Algérie ne peut être le même que celui de la France, et ne saurait être non plus celui que des tribus arabes se donneraient, si nous n'étions pas les maîtres du pays. Personne ne pense même qu'il suffise de gouverner les colons d'Algérie comme s'ils étaient en France et qu'il soit possible de gouverner les indigènes comme si nous étions nous-mêmes Africains et musulmans. »

 

 « le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout-à-fait neuves, les usages et les lois de la métropole. »..« il doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis. 

 

Ces préalables mis au point, Prosper Enfantin aborde le problème principal de son livre : comment élaborer en Algérie un système de propriété des terres et d’organisation agraire qui puisse être commun à la fois aux deux peuples, « arabe » et français et ainsi assurer entre eux la coexistence pacifique souhaitée.


A SUIVRE