L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS
PROSPER ENFANTIN
LA TRANSFORMATION DU SYSTEME AGRAIRE ET L’ELABORATION D’UN SYSTEME
ADMISSIBLE A TOUS.
CE QU’IL FAUT CONSERVER DU SYSTÈME AGRICOLE DES TRIBUS ALGERIENNES
Prosper Enfantin effectue, en vue de cet objectif, une synthèse des observations effectuées lors de son
voyage en Algérie ; son interprétation est, selon moi, un peu partiale du
fait que les informations glanées au contact de la réalité algérienne ne
peuvent que plaire à l’auteur puisqu’en tant que saint-simonien, il prône la
propriété collective et abhorre la propriété privée.
. La
première cause est la conséquences des conditions physiques et climatiques
régnant en Algérie : « C'est la grande culture
et l'éducation des bestiaux que le sol et le climat de l'Algérie
favorisent le plus généralement ; l'une et l'autre exigent, dans ce pays,
des déplacements continuels assez considérables, selon les saisons, pour les pâturages, pour les
semailles et pour les moissons; car il faut, dans certains moments, fuir
des lieux malsains, inondés ou desséchés, qui, dans d'autres moments,
sont très-productifs et très-habitables.
Selon Enfantin, les exploitations agricoles individuelles ne peuvent se développer qu’aux abords des villes du fait de l’économie de jardin qui y prédomine et dans les vallées abritées et bien arrosées.
. La seconde cause est le résultat des conceptions
traditionnelles de l’Islam sur la possession des terres : toutes les
terres appartiennent à Dieu et, par délégation, au sultan. Le sultan, à
son tour, a concédé les terres de la Régence au Dey qui, à son tour, les a
concédées au Cheik, le chargeant de la répartition des zones de culture selon
les besoins de chacun.
Deux cas pouvaient alors se
présenter : dans les tribus, les terres étaient distribuées collectivement
à la tribu toute entière ; par contre, dans les zones d’exploitation
individuelle, la terre était concédée à une famille en indivis avec
interdiction de la partager. Dans les deux cas, les allocataires n’ont que
l’usufruit de la terre. Le système est néanmoins souple. En cas d’augmentation
démographique des membres de la tribu ou de la famille,
il est, selon Prosper Enfantin, assez facile d’obtenir du Cheik de nouvelles
concessions de terres.
. Le troisième facteur ayant conduit à la création de la propriété
collective et du nomadisme est la conséquence de la conquête ottomane dont la
politique a toujours été de diviser pour régner, suscitant entre les tribus des
guerres intestines pour mieux les contrôler. Selon Prosper Enfantin,
l’insécurité ambiante explique également
pourquoi les tribus n’avaient pas créé de villages sédentaires : en cas de
danger, il suffit de déplacer les tentes pour se trouver, ailleurs, en sécurité. Il explique aussi que si les pourtours du territoire de la tribu sont
inexploités, c’est le fait des guerres intestines qui les rendent dangereux.
Pour Prosper Enfantin, ce mode de vie
possède deux caractéristiques :
.
l’un positif et à conserver absolument, la propriété collective des terres.
.
l’autre négatif et à faire évoluer, le mode de vie nomade qui empêche tout
progrès et en particulier tout passage de l’élevage à l’agriculture.
. D’abord, une fois la conquête terminée, l’administration civile pourra
garantir aux « arabes » la paix et la sécurité ce qui, ipso facto,
supprimera les guerres entre tribus,
. Ensuite, la France va améliorer considérablement par de grands travaux
la salubrité et la bonification des terres.
« Il
est donc-certain qu'avec un gouvernement régulier, équitable et non
spoliateur, et avec une force publique qui maintiendrait l'ordre et la
paix entre les tribus, les Arabes, qui sont fort intéressés
d'ailleurs, et qui aiment leurs aises, planteraient et bâtiraient. » et pourraient « construire des habitations fixes, sur
la majeure partie des terres de la Régence. »
Prosper Enfantin se rend néanmoins compte que cette mutation de la vie quotidienne des « arabes » se heurtera au poids de la tradition. Pour vaincre les réticences, il imagine une stratégie : il faut d’abord faire en sorte que s’installent sur un territoire bien situé et pourvu d’une source, « le castel du Cheik, le tribunal Cadi, la mosquée et la fontaine », les nomades s’habitueraient à venir dans cette amorce de village, puis, selon Prosper Enfantin, ils s’y installeraient, devenant de ce fait des sédentaires. Ainsi, « le peuple nomade et pasteur sera transformé en peuple agriculteur. ». Prosper Enfantin n’est cependant pas naïf pour imaginer que ce procédé pourra réussir à tout coup, « Non seulement, nous devons encourager les Arabes à bâtir et à planter, mais, dans certaines limites, nous pouvons et devons progressivement les y contraindre. »
. les « arabes »
apporteraient la possession collective des terres
. les européens
introduiraient la paix et la sédentarité.
LA CRITIQUE DE LA PROPRIETE INDIVIDUELLE
. Par le biais des héritages, il
se produit un « morcellement indéfini du
sol » conduisant peu à peu à constituer des propriétés si
minuscules que le paysan est obligé de quitter son exploitation ou de la vendre
pour rejoindre la ville et espérer y trouver du travail. Inéluctablement, il
s’agrégera peu à peu au prolétariat misérable et exploité.
. La faible superficie des exploitations
est un obstacle à la modernisation des cultures, le paysan en est réduit à
pratiquer une agriculture vivrière qui lui laisse peu de surplus négociable.
. Comme il est difficile
d’emprunter sauf à des taux usuraires, les agriculteurs n’ont souvent d’autres
solutions que d’hypothéquer leurs terres, ce qui les conduit rapidement à la
cession de leurs biens.
. Il existe certes de grands
domaines, ils sont aux mains de propriétaires non-résidents considérant la possession foncière seulement comme une source de revenus, la terre est ensuite allouée à des
fermiers qui se contentent de cultiver leurs parcelles sans chercher à
moderniser leurs méthodes de culture.
. Enfin, contrairement au
système arabe de propriété collective qui permet de souder la cellule
familiale, le système de la propriété individuelle des terres conduit à
déconstruire les familles, les enfants étant contraints de quitter très tôt le
foyer paternel pour chercher de quoi subsister.
Selon Prosper Enfantin, il n’existe, dans l'Europe occidentale de son époque, qu’une seule forme de propriété collective qui pourrait convenir à son
dessein : celle de la société anonyme par actions : « Dans ces associations , les intéressés n'ont
aucune action directe sur l'exploitation et l'administration
du capital social, mobilier ou immobilier, ils ne sont
pas propriétaires d'une partie déterminée de ce capital, mais
seulement d'un titre qui leur donne droit à une part des bénéfices généraux de
l'association. ».
Ainsi se définit les grands principes qui, selon Enfantin, pourraient
permettre de créer un système rural
acceptable par les arabes et les français :
. un système de propriété
collective et de travail en commun.
. des communautés
sédentaires associant le travail agricole et la gestion des biens collectifs
selon le système de la société par actions.
Il reste maintenant à l’auteur à confronter ses théories à la réalité algérienne
en ce qui concerne les villages coloniaux existants.