REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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jeudi 25 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (5)

   LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (3)

COMMENT LES FRANÇAIS METROPOLITAINS REAGIRENT-ILS FACE AUX VIOLENCES DE L’ARMEE EN ALGERIE ?

 

Répondre à cette question, au vu des documents que j’ai trouvés, peut s’effectuer à deux niveaux :

     . En utilisant quelques courriers significatifs échangés entre le gouvernement et l’autorité militaire

     . En tentant de mesurer l’état d’esprit de l’opinion publique par le biais des articles de presse qui pouvait l’influencer.

 

 LES TENTATIVES DU GOUVERNEMENT DE MORALISATION DES PRATIQUES DE L’ARMÉE D’ALGÉRIE.

L’exécutif se rendait bien compte que l’armée en Algérie, profitant de l’interrègne et de la faiblesse du gouvernement de Louis Philippe, agissait en toute indépendance et appliquait ses propres principes usant de la force sans tenir compte des règles élémentaires de justice et d’équité devant la loi régissant la société métropolitaine. La plupart du temps, il était mis devant le fait accompli, ne disposant pratiquement d’aucune marge de manœuvre.

A chaque fois qu’il était informé des agissements des militaires, il n’avait d’autre choix que d’y répondre par un envoi de lettres de reproches voilés aux militaires concernés. Cet échange de lettres  est révélateur du fossé séparant la position entre d’une part, les autorités parisiennes, soucieuses de préserver l’Etat de droit et, d’autre part, le commandement de l’armée d’Afrique

Ainsi, le président du Conseil, Casimir Perrier  écrivit au duc de Rovigo, commandant en chef des armées en Algérie en décembre 1831, « Quant aux populations d’Alger, le principe (…) doit être, après leur avoir fait sentir notre force, de ne rien négliger pour nous les concilier par la justice et par les sentiments de leur propre intérêt. » 

Plus tard, le ministre de la guerre et président du conseil, le maréchal Soult écrivit le 14 janvier 1832   à Savary, duc de Rovigo commandant en chef de l’armée d’Afrique, pour lui faire part de sa préoccupation concernant l’inobservance de la loi par les tribunaux militaires :

« C’est avec peine, que je remarque fréquemment des erreurs qui sembleraient liées à l’ignorance de la loi et de la jurisprudence des tribunaux militaires… Je tiens beaucoup à l’exact accomplissement des devoirs qui sont imposés par la législation militaire. » 

Dans une lettre 21 janvier 1832 adressée à nouveau au duc de Rovigo, le maréchal Soult spécifie précisément ce que doit être la politique de la France dans la Régence : 

« Quant aux Arabes et aux Turcs, faîtes en sorte d’entretenir avec eux de bons rapports en conservant néanmoins un langage ferme pour leur en imposer et en agissant à leur égard suivant les règles de la plus stricte équité et jamais d’une manière contraire aux lois ni à ce qu’une bonne politique peut avouer. »

Le 27 mars 1932,  le duc de Rovigo répond ainsi au ministre de la guerre

L’établissement d’un pouvoir civil est un projet bien conçu dans l’intérêt des progrès de la civilisation, mais l’expérience que l’on fait journellement de l’application de ce principe prouve que le pouvoir civil lui-même doit être subordonné à l’action militaire qui le protège, autrement, on ira toujours de collision en collision et la confiance que l’on voudrait prendre dans la consolidation de notre puissance sur ce pays-ci ne s’établira pas. » 

Le 18 octobre 1932, le duc de Rovigo réitère ses observations  au ministre de la guerre :

« Mon opinion, est que les Maures ont déjà assez d’avantages sur nous dans l’état présent des choses, sans leur offrir encore la garantie de nos lois… Accorder aux Maures la faveur des formes protectrices de nos lois, en harmonie avec la civilisation de la France, ce serait leur mettre dans les mains une arme qu’ils ne manqueraient pas de tourner contre nous. » 

Lorsque Savary fait exécuter en février 1833 deux cheiks qu’il avait invités pour négocier avec eux en garantissant leur sécurité, le maréchal exprime clairement sa colère :

« Il n’y a pas ici d’exécution sans jugement mais ce qui a précédé la traduction devant le conseil de guerre peut certainement être considéré comme la violation d’un sauf-conduit … (de tels moyens) tendraient à détruire dans le pays toute la confiance dans nos promesses et le gouvernement ne pourrait approuver un tel usage de votre pouvoir discrétionnaire »

 Ces admonestations ne serviront à rien, la violence et les massacres ne cesseront pas et s’amplifieront même sous l’égide de Bugeaud

On aurait pu penser que le gouvernement ne se serait pas contenté de ces simples réprimandes face à la politique de violence et de représailles initiés par le commandement militaire et aurait agi pour les faire cesser ; ce ne fut pas le cas à une exception toutefois : le 1er décembre 1831, Casimir-Perier créa deux pouvoirs indépendants, celui de l’intendant civil relevant du président du conseil en charge des territoires pacifiés  et celui du commandant de l’armée sous l’obédience du ministre de la guerre. Ce système  fut  abandonné au bout de quatre mois, tant les positions entre l’intendant civil et le commandant militaire étaient antagonistes : l’intendant civil se plaignait que les règles de l’état de droit étaient sans cesse bafouées tandis que les autorités militaires reprochaient à l’intendant civil d’entraver leurs actions. Le poste d’intendant civil fut certes maintenu mais il fut subordonné au pouvoir militaire.

lundi 15 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (4)

  LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (2)

LA POLITIQUE DE L’ARMÉE EN ALGÉRIE

 LA POURSUITE DE LA CONQUETE

Sans tenir compte de l’opinion publique ni même probablement du gouvernement, les généraux en charge du corps expéditionnaire envoyé en Algérie  étendent la conquête à d’autres villes qu’Alger et s’emparent des principales villes côtières des « échelles du levant » : ORAN en 1831, BONE (ANNABA) en 1932, BOUGIE, ARZEW, MOSTAGANEM en 1833. À cette époque, la conquête française ressemble à celle des presides espagnols, en formant une chaîne discontinue de possessions allant de la frontière tunisienne à la frontière marocaine. De même, ils s’emparent du Sahel d’Alger, une petite région de collines au sol fertile et bien cultivée.

 

LA CONSTITUTION DE L’ARMEE D’AFRIQUE

Afin de tenter une réponse  aux critiques de ceux qui stigmatisent le fait que l’on sacrifie la vie des français pour une conquête ressentie comme inutile et pour des raisons budgétaires, le gouvernement décida de diminuer l’effectif des soldats envoyés en Algérie. Ainsi, alors que l’armée envoyée à Alger lors de la conquête comportait 37.000 hommes, il fut prévu, dans le budget de 1831,  de réduire les effectifs à 9000 hommes.

 Les militaires en poste à Alger firent part de leur préoccupation quant à ce projet : il leur fallait en effet contrôler les zones conquises pour les pacifier, effectuer de nouvelles conquêtes afin de mieux les protéger, subjuguer les tribus de l’arrière-pays pour faire cesser leurs raids. En outre, il fallait aussi tenir compte de la forte mortalité sévissant parmi les soldats à la fois du fait des attaques venues des hauts-plateaux et de la forte mortalité survenue dans les garnisons en poste dans les fortins établis dans les zones malsaines.

Afin de pallier aux doléances de l’armée à propos de la faiblesse des effectifs et pour l’adapter aux conditions climatiques, géographiques et aux méthodes de combats sévissant dans le pays, l’armée d’Afrique se dota très tôt d’auxiliaires autochtones. Ces corps d’auxiliaires furent très utiles à la fois par leur connaissance du pays et de la langue des habitants.

 Le 1er octobre 1830, le général Clauzel (général en chef de la conquête du 2 septembre 1830 au mois de février 1831, il reviendra en Algérie en tant que gouverneur général en juillet 1835 jusque 1837) décide de créer deux bataillons de 100 autochtones. Les premiers volontaires furent des kabyles de la tribu des Zouaoas, ce qui donna son nom aux zouaves. Le nom est resté bien que, très vite, les zouaves ne comprirent que des français. Ils sont appelés aussi les « chasseurs d’Afrique. » La loi de 1831 cautionna cette décision. Des cavaliers zouaves forment la première unité montée de l’armée d’Afrique. Trois régiments zouaves de cavalerie sont organisés en 1832, 

 De même sont incorporés les compagnies turques à la solde du Dey au fur et à mesure de l’extension de la conquête, ils sont qualifiés du terme génériques d’ « arcos ».ils se différencient en tirailleurs et en spahis à cheval. En 1834, les spahis comprennent 218 cavaliers.

 Enfin, le 9 mars 1831, le gouvernement décida de rétablir la légion étrangère qui avait été supprimée deux mois plus tôt avec création de sept bataillons de 895 légionnaires chacun, cela représente  une force de 4965 légionnaires. Au début, les sept bataillons furent composés selon leur nationalité (3 d’allemands et de suisses, un d’espagnols, un d’italiens, un de belges et d'hollandais et un de polonais) mais très vite, on abandonna cette répartition pour mettre en place le principe de la fusion. Les légionnaires seront formés en France mais ils ne pourront pas intervenir en Métropole, le champ d’action étant limité aux théâtres d’opérations extérieures. 

Ainsi, se constitua l’armée d’Afrique avec association de soldats français et d’unités auxiliaires. Ces dernières étant toutes commandées par des officiers français, ce qui évidemment favorisait la cohésion de cette armée.

LES CONDITIONS DIFFICILES DES COMBATS ET L’INSTAURATION DE LA TERREUR

Les combats que livre l’armée d’Afrique, à cette époque, relèvent plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes du fait de la pression continuelle des tribus qui crée un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

Un peu partout et surtout dans la zone occupée d’Alger, les français se heurtent à trois difficultés majeures :

     . La première résulte de la configuration du relief : les plaines littorales
où se trouvent les villes conquises, sont étroites et sans lien réel les unes avec les autres, sauf par la voie maritime ; très vite, en allant vers le sud, les altitudes s’élèvent et rapidement, on se trouve sur des plateaux dominés par des massifs montagneux culminant à plus de 1500m de haut. Cet arrière-pays forme une barrière continue, difficile d’accès, seules les vallées  encaissées des oueds permettent d’y circuler malaisément.

Dans la région d’Alger, la circulation vers le sud pourrait sembler plus aisée du fait de la présence d’une plaine entre le littoral et les crêtes de l’Atlas de Blida ; en réalité, ce n’est pas le cas, car la plaine, appelée MITIDJA, n’est qu’un vaste marécage malsain infesté de moustiques en sorte que si on y installait un fort de protection, la garnison était vite décimée par la pestilence

     . La deuxième difficulté résidait dans la présence sur les hauts plateaux de tribus belliqueuses soucieuses de chasser les étrangers de leur pays à la fois pour des raisons idéologiques et de fierté collective mais aussi et surtout parce qu’elles considèrent que les terres usurpées par les français sont à elles : beaucoup ont dû, en effet, les abandonner pour échapper à la domination des envahisseurs, les privant ainsi d’espaces qui leur étaient utiles (la Mitidja était, par exemple, une zone de pacage d’été).

     . La troisième raison est la différence entre les techniques militaires des français et celles des tribus :

          . Les tribus  combattent au moyen d’une cavalerie légère extrêmement mobile et possédant l’avantage notoire de connaitre parfaitement le terrain. Leurs attaques sur les terres occupées par les français prennent la forme de raids rapides qui surprennent les postes français et les premiers colons installés. Ils pillent et tuent tant qu’ils le peuvent et  se retirent dès que l’adversaire réagit et organise sa défense.

         . Habitués aux combats en Europe,  les expéditions punitives organisées par les français sont composées de colonnes lourdement armées, disposant de pièces d’artillerie et se mouvant lentement dans un pays qu’ils ne connaissent pas : ils sont à la merci d’embuscades, en particulier dans les gorges des vallées encaissées et de raids aussi soudains de meurtriers.

 En conséquence, pour faire cesser ces raids sur les territoires que les français estiment leur appartenir et dompter ces tribus, l’armée pratiqua une politique de terreur, Cette politique relevait plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes, du fait de la pression continuelle des tribus qui créaient un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

 LA TERREUR

Cette politique de terreur est parfaitement illustrée par le massacre de la tribu des Ouffia en 1832 cité dans un livre de Christian Pierre, l’Afrique française paru  en 1848 :

 «  Un cheik, des confins du Sahara et ennemi personnel du bey Hadj-Ahmed (bey de Constantine sous le Dey, ayant fait allégeance à la France, il conserva son poste),   dont il convoitait le pouvoir, envoya, dans le courant de mars, une députation, au duc de Rovigo (Anne Jean Marie René Savary général d’Empire, commandant en chef de l’armée algérienne de 1831 à 1833 pour l'engager à faire une expédition contre Constantine, et lui promettre, le concours des nombreuses tribus rangées sous son autorité. Ces ambassadeurs n'obtinrent du duc de Rovigo qu'une réponse évasive, mais ils partiront comblés de présents. A quelques lieues d'Alger, des maraudeurs les dépouillèrent sur le territoire de la petite tribu d'El-Ouffla, qui campait près de Maison-Carrée, sous notre protection.

Le général en chef, informé de cet accident, ne prit point, la peine d'en rechercher les circonstances, mais, se livra au contraire, à une précipitation de jugement qu'aucune véritable nécessité ne justifiait,... En vertu de ses instructions, un corps de troupe du 1er chasseur d'Afrique et du 2e bataillon de la légion étrangère …, sortit d'Alger pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit, au point du jour, la tribu, endormie sous ses tentes, et égorgea tous les malheureux El-Oufflas, sans qu'un seul chercha même à se défendre, Tout ce qui vivait fut voué à la mort; ou ne fit aucune distinction d'âge ni de sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances, et l'une d'elles servit, dit-on, à un horrible festin. Tout le bétail enlevé sur ce champ de désolation fui vendu au consul de Danemark ; le reste du butin, sanglantes dépouilles d'un  effroyable carnage, fut exposé au marché de la porte Rab-Ayoun , on y voyait avec horreur des bracelets de femme encore attachés à des poignets coupés, et des boucles d'oreilles pendant à des lambeaux de chair, Le produit de cette vente fut partagé entre les égorgeurs.

Un ordre du jour du 8 avril, consacrant une telle infamie, proclama la haute satisfaction du général pour l'ardeur et l'intelligence que les troupes avaient montrées, Le soir, sa police ordonna aux Maures d'Alger d'illuminer leurs boutiques et de les tenir ouvertes plus tard que de coutume.

Pour combler la mesure de ces excès, le cheikh des El-Ouffîas n'échappa aux fureurs de l'extermination que pour (être jugé), il fut traduit devant un conseil de guerre, jugé et exécuté, bien qu'on eut déjà acquis la certitude que ce n'étaient pas les El Ouffias qui avaient dévalisé les prétendus ambassadeurs du désert.

Mais acquitter le chef, c'était déclarer la peuplade innocente, et condamner moralement ceux qui en avaient ordonné le massacre, »

Le même auteur cite le massacre perpétré  à Bône par le capitaine Youssef (pseudonyme donné par ses troupes à Joseph Venturi qui deviendra plus tard général)

« Des Arabes d'une tribu inconnue, vinrent, sous les murs de la ville, s'emparer quelques bœufs. Le capitaine Youssef décida que les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharézas; le même soir, il partit avec les Turcs, (ARCOS soldats du Dey ralliés à la France) s'embusquer de nuit dans les environs de cette tribu, et, lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards, Une réflexion bien triste suivit cette victoire, lorsqu'on apprit que celte même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône , approvisionnait notre marché, et qui, la veille, jouissait encore de la confiance de Youssef lui-même. Le retour des Turcs fit une funeste impression sur les habitants de la ville, lorsqu'on aperçut une tête d'Arabe sur le drapeau français.

   Ainsi, il s’instaure en Algérie un cycle infernal de la violence. Outrés par la férocité des expéditions de représailles françaises, les tribus organisent des coups de main de plus en plus meurtriers et de plus en plus violents. Cela donne lieu à de nouvelles ripostes des français de plus en plus sanglantes : ils brûlent les douars et massacrent les habitants en n’épargnant personne même les innocents, les femmes et les enfants et repartent en ne laissant derrière eux que ruines et désolations.

  De telles horreurs ne pouvaient pas rester impunies : les expéditions punitives de l’armée française étaient suivies de nouvelles razzias des tribus, établissant ainsi une ère de saccages et de férocité ne paraissant pas devoir finir et qui caractérisa presque toute la période de la Monarchie de Juillet

 Bien peu se rendait clairement compte que ce règne de terreur  ne pouvait mener à rien sauf à des massacres réciproques, très peu de tribus firent leur soumission, les autres furent animées d’un esprit de vengeance de plus en plus fort.


mercredi 10 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (3)

 LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834

La capitulation et la Prise d'Alger surviennent le 5 juillet 1830 et sont connues à Paris le 9 juillet. Fort de ce succès militaire, le roi Charles X, à une époque de crise entre les ultras-royalistes et les libéraux, décide de reprendre la main en publiant six  ordonnances dont quatre évoquent un coup d'Etat. (dissolution de la chambre à majorité libérale qui vient d'être élue et modification du suffrage censitaire, musèlement de la presse). Cette publication met le feu aux poudres, le peuple se soulève (les trois Glorieuses des 26-27 et 28 juillet) mais, il se voit imposer par la bourgeoisie un nouveau régime, celui dit de la monarchie de Juillet du roi Louis-Philippe.

 A cette époque, le gouvernement de Louis Philippe est pris au dépourvu par cette occupation militaire  d’Alger et de son immédiate banlieue. Il constate, dès son arrivée aux affaires, que la prise d’Alger était seulement le fruit d’une improvisation destinée à redorer le blason de la monarchie de Charles X : elle n’avait été ni planifiée, ni pensée en tant que projet d’avenir. Dans ces conditions, il lui fallut improviser à la fois en tenant compte de l’opinion publique, du vote des chambres et de l’action de l’armée bien décidée à étendre la conquête.

L’ÉTAT DE L’OPINION PUBLIQUE CONCERNANT LA PART CONQUISE DE L’ALGERIE

 L’opinion publique est partagée en trois camps antagonistes :  

   . Certains prônent non seulement le maintien sous l’obédience française de la région d’Alger et des zones conquises mais aussi l’extension de la conquête vers le sud. Dans un livre pamphlet paru en 1835, un auditeur au conseil d’état, Agenor de Gasparin,  indique, pour les rétorquer, leurs arguments :

         . En colonisant Alger, nous ouvrirons un large débouché à nos produits, échangés avec ceux d'un pays fertile, et transportés par notre marine marchande, qui recevra de ce commerce une nouvelle activité.

         . Nous ouvrirons un lieu de déportation à nos condamnés, et un débouché à la lie de notre population surabondante. 

         . Nous aurons une école pratique où notre armée viendra s'instruire (à une époque où l’Europe est globalement en paix), Nous fortifierons notre puissance militaire, et acquerrons sur la Méditerranée la prépondérance.

        . Par Alger, nous nous assurons des communications importantes et un vaste commerce d'entrepôt. 

        . Nous obéirons à des motifs plus élevés encore, en accomplissant sur le continent africain une grande mission civilisatrice. 

        . Il ne faut pas nous  laisser décourager par la stérilité des premiers efforts, car elle résulte essentiellement des fautes commises par les administrateurs de la colonie. 

        . L'Angleterre nous conteste le droit de garder Alger, dit-on. Notre retraite serait donc une lâcheté, car elle aurait l'air d'être le résultat de ses menaces.

   .  D’autres  voudraient abandonner les terres conquises en Algérie. Comme je l’ai mentionné en prologue, la conquête coloniale est mal vue à l'époque, on se souvient certes encore du cuisant souvenir de la perte de la plupart de nos colonies après le traité de Paris de 1763 consécutivement à la guerre de sept ans, mais la majeure partie des arguments contre la conquête sont plus prosaïques et pratiques : en voici quelques-uns signalés par Agenor de Gasparin :

          . La colonisation coûte cher et nécessite la présence d'importantes troupes de pacification. Les populations autochtones, en effet, sont hostiles et prêtes à bouter l’ennemi hors de leurs frontières : cela ne mérite pas les sacrifices d’hommes et d’argent nécessaires pour maintenir la présence français.

         . La colonie ne rapporte rien, comment des colons pourraient cultiver dans l’état de guérilla perpétuelle ? En outre, les terres fertiles sont peu nombreuses, le sol étant occupé par de nombreux marécages infestés de moustiques qu’il convient de drainer au prix d’efforts financiers considérables.

         . La terre algérienne ne permet pas de cultiver des produits complémentaires à ceux de la métropole comme la canne à sucre et le tabac.

         . Il est illusoire d’imaginer qu’à partir des zones conquises, on puisse développer le commerce d’entrepôts et de transit avec l’Afrique : les plaines littorales sont, en effet, bordées de barres montagneuses et de hauts plateaux peu commodes à franchir. En outre, les sites des ports sont médiocres (à l’exception toutefois de celui d’Oran conquis en 1832)

      . Quelques-uns veulent maintenir la présence française à la zone déjà conquise ; pour  le reste, il suffirait de s’entendre avec les chefs locaux à qui on confierait le pouvoir sous la suzeraineté de la France. L’avenir montrera que cette position  est  intenable du fait du caractère belliqueux des tribus de l’arrière-pays, qui veulent chasser les français de leurs positions et de la configuration géographique du pays. 

  Cette division de l’opinion publique rejaillit bien évidemment lors des débats, généralement houleux à la chambre, en particulier lors du vote du budget du ministère de la défense et du coût prévisionnels du maintien d'une armée importante.

vendredi 5 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (2)

  PROLOGUE (2)

L'ETAT DE LA REGENCE ET LE RÉGIME DES TERRES EN  ALGERIE AVANT LA CONQUÊTE FRANÇAISE

Cette parenthèse dans ma description de la conquête de l’Algérie par la France de la Monarchie de Juillet est nécessaire si on veut comprendre les méthodes employées par les français pour effectuer la spoliation des terres et biens des autochtones. 

 

LA REGENCE

Il convient de rappeler d’abord que depuis 1520, date où Kayr Ad Din Barberousse a rendu hommage au sultan Selim 1er, l’Algérie est devenue une province ottomane, cependant, un peu avant la conquête française, les liens s’étaient distendus avec la Sublime Porte : le Dey d’Alger, était devenu pratiquement indépendant même si était maintenue une suzeraineté plus théorique que réelle du Dey au sultan d’Istanbul. Trois beys vassaux du Dey, disposent du

pouvoir régional, ils sont établis à Medea, Oran et Constantine.


Comme le montre la carte, les zones dominées directement par le Dey sont divisés en deux parties reliées par une étroite bande de terres contournant la Kabylie, pays traditionnellement rebelle à toute incursion étrangère. 

Outre ces territoires placés directement sous son obédience, le Dey, par délégation du Sultan, possède une souveraineté plus théorique que réelle sur un ensemble de royaumes, de tribus et de confédération de                                                                                 tribus.


 LE PRINCIPE GENERAL DU REGIME DES TERRES

Une première caractéristique du régime des terres existant dans la Régence d’Alger  est constituée par la différence entre terres mortes et terre vives, 

     . Les premières ne produisent rien et ne sont pas exploitées, elles n’appartiennent à aucun humain jusqu’au moment où quelqu’un décide de les vivifier ; alors, la mise en valeur équivaut à un titre de possession même s’il faut le faire reconnaître par le souverain qui, théoriquement, au nom de Dieu, est possesseur de toutes les terres.    

     . Les terres vives ou vivantes sont classées en deux grandes catégories, les terres ARCH et les terres MELK.

 

LES TERRES ARCH

Les terres ARCH étaient mises à disposition des tribus par le souverain, elles sont collectivement la propriété de la tribu, sont incessibles et inaliénables sans que l’on puisse en vendre même une parcelle. Chaque chef de famille de la tribu reçoit la part de terres qu’il est capable de cultiver et qu’il conserve tant qu’il est à même de le faire. Il ne possède pas la terre et n’en est seulement que l’usufruitier. Il peut néanmoins léguer sa part à ses enfants et

même à ses collatéraux aux mêmes conditions. C’est seulement en cas de déshérence que les terres reviennent à la collectivité, Les terres non attribuées sont communes et servent généralement de zone de pâturages pour les troupeaux. Ce système caractérise plutôt l’intérieur des terres steppiques du pays.

 

Une composante particulière de ces terres ARCH est représentée par les terres MAGHZEN. Elles sont concédées à des tribus constituées en colonies militaires, ce qui permet de suppléer au faible effectif des armées du souverain et des beys. Chaque chef de famille recevait un lot de terre, des instruments de travail, un cheval ; en échange, il s'engageait à fournir à toute réquisition, un service militaire organisé sous les ordres d'un caïd. Ces colonies  devaient réprimer les éventuelles rébellions et percevoir les impôts sur les tribus. 


La différence des terres MAGHZEN avec les terres ARCH était que la concession des premières était révocable à tout moment, par contre, elles sont cultivées de la même manière que les terres ARCH. Les terres MAGHZEN étaient en général établies aux endroits stratégiques.

 

LES TERRES MELK 

Les terres MELK appartenaient en pleine propriété à leurs possédants qui pouvaient les vendre ou les diviser à son gré, elles pouvaient être directement cultivées par leur propriétaire ou par des ouvriers agricoles ayant le statut de fermier ou de métayers.

 

Le danger de ce système résidait dans le morcellement lors des héritages d’autant que, selon le droit musulman, les filles avaient un droit égal à celui des garçons lors du partage.

 

Pour pallier à ce danger, deux solutions avaient été mises en place :

 . Le système des HAOUCH, de grandes fermes appartenant à une famille qui cultive le sol collectivement, elles sont vendables même par parcelle mais, dans ce cas, la famille possède un droit de rachat immédiat sur ces cessions.

 . Les terres HABOU. Le HABOU, dit privé, est constitué par un propriétaire qui indique que le dernier dévolutaire de la terre sera une confrérie, une institution charitable ou encore une mosquée dont celles de Médine et de La Mecque. À partir de ce moment, les terres deviennent inaliénables ; elles sont cependant transmises aux héritiers du fondateur jusqu’à extinction de la lignée. les terres deviennent alors la propriété du dernier dévolutaire et sont qualifiées d'HABOU publics. Ce type de propriété terrienne est appelée WAQF

 

LE BEYLIK

La dernière catégorie de terres, le BEYLIK, correspondaient aux terres appartenant en propre au souverain. Ces terres étaient mises en valeur de diverses manières : elles peuvent être cultivées en faire valoir direct par des fermiers qui recevaient 1/5 des récoltes ; elles pouvaient aussi être concédées à titre d’apanage aux princes, aux dignitaires, aux fonctionnaires ou même à des services publics, elles pouvaient être aussi mises en valeur au

moyen de corvées et être aussi concédées a des tribus et en particulier aux tribus MAGHZEN. La plus grande partie des terres du Sahel d’Alger, possession directe du souverain, portait le nom de DAR ES SULTAN.