REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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vendredi 31 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (122) : L'ÉTAT D'ESPRIT DES HABITANTS DES ETATS FRANCS DE TERRE SAINTE

Suite de l'article précédent

Dans JACQUES DE VITRY (Historia orientalis et occidentalis)

Jacques de Vitry ( vers 1160-70 ; 1240 ) est beaucoup plus négatif dans son jugement des francs de Terre Sainte que Foucher de Chartres comme en témoigne le long extrait ci-dessous dans lequel il abreuve d'injures les habitants de Terre Sainte qui se sont mal conduits dès le moment où ils ont occupé le pays. . J'ai noté ces insultes ainsi que les comportements déviants en gras.

" Toutefois ceux qui, dès le moment de la délivrance de la Terre-Sainte, ont le mieux connu la situation de ce pays...affirment... qu'aucune race d'hommes...ne lui ont nui autant que ses propres habitants, hommes criminels et empestés, scélérats et impies, sacrilèges, voleurs et ravisseurs, homicides, parricides, parjures, adultères et traîtres, corsaires ou pirates, coureurs de rues, ivrognes, mauvais bouffons, joueurs, mimes et histrions, ces moines apostats, ces religieuses devenues femmes publiques, et ces femmes encore qui abandonnaient leurs maris pour s'attacher à leurs amants, et ces hommes qui fuyaient leurs propres femmes et en épousaient d'autres ensuite.

Des hommes également abominables et habitants de l'Occident traversaient la mer Méditerranée, et se réfugiaient dans la Terre-Sainte... ils souillaient cette terre de vices et de crimes innombrables, et se livraient avec d'autant plus d'audace à leurs méchantes habitudes, que, se trouvant plus éloignés de leurs connaissances et de leurs parents, ils péchaient sans pudeur, ne craignant point le Seigneur et n'ayant aucun respect pour les hommes.

La facilité qu'ils trouvaient à s'évader, l'impunité de tous les crimes et leur extrême impiété relâchaient encore plus tous les liens de la société; aussitôt que ces hommes avaient commis quelque crime, ou bien ils s'enfuyaient auprès de leurs voisins les Sarrasins et reniaient le Christ, ou bien ils se retiraient sur les galères et les navires et passaient de là dans les îles, ou bien ils parcouraient les maisons des Ordres réguliers qu'ils trouvaient de tous côtés sur leur chemin et y obtenaient l'impunité, par l'effet d'un pernicieux privilège qui garantissait dans ces retraites la liberté de ces impies.

Quelques-uns, hommes de sang... après avoir été dans leur pays saisis [à cause] de leurs méfaits, et condamnés à une mutilation de membres ou à être pendus, obtenaient à force de prières, et plus souvent encore à prix d'argent, de faire convertir leur peine en un exil perpétuel dans la Terre-Sainte. Ces hommes, qui n'étaient point touchés de repentance, devenus habitants de la Terre-Sainte, faisaient payer aux pèlerins leurs logements à des prix excessifs, trompaient les gens imprudents et les étrangers, leur attrapaient de l'argent par toutes sortes d'entreprises illégales, et soutenaient ainsi leur misérable existence du produit des dépouilles de leurs hôtes. Dans l'espoir d'un gain plus considérable, ils offraient aussi des retraites chez eux aux sicaires et aux voleurs, à ceux qui jouaient aux jeux de hasard et aux femmes de mauvaise vie; et quant aux riches et aux puissants, afin de s'assurer leur protection et d'être soutenus par eux dans leurs iniquités, ils leur donnaient un revenu annuel... Ceux qui achetaient à grand prix la direction et le commandement des maisons de prostitution et de jeu extorquaient de fortes sommes d'argent aux femmes de mauvaise vie et aux joueurs.

D'autres hommes, que dominaient la vanité, l'inconstance ou la légèreté de leur esprit,partaient en pèlerins pour aller visiter les lieux saints, et s'y rendaient bien moins par un sentiment de dévotion que par curiosité, par l'attrait de nouveauté que leur inspiraient des pays inconnus, voulant voir eux-mêmes, non sans braver de très-grandes fatigues, les merveilles qu'ils avaient entendu raconter sur les pays de l'Orient. [ces]  hommes légers et curieux tournent en vanité tout ce que le Seigneur a daigné faire en témoignage de sa puissance ...."

Ainsi, si l'on en croit Jacques de Vitry, les Etats de Terre Sainte seraient quasiment peuplés de bandits et de voyous qui ne respectent rien et ne pensent qu'à assouvir leurs plus bas instincts, établissant le règne de la luxure, de l'impiété, de la violence et de l'apostasie. Tous se laissent entraîner à cette atmosphère y compris les membre des ordres religieux.

Selon Jacques de Vitry, cet état d'esprit et cette dégradation morale de la société s'expliquent par deux facteurs :
     . Ceux qui arrivent en Terre Sainte sont pour beaucoup des criminels qui ont échappé aux sanctions de la justice dans leur pays en s'exilant de gré ou de force en dans les Etats francs. Comme ils ne modifient pas leurs comportements, ils y transfèrent leur mauvais instincts, exploitant les pèlerins, créant des maisons de jeux et de prostitution.
     . A cela s'ajoute le fait que l'impunité est générale. Les bandits corrompent les puissants en achetant leur silence et leur complicité ;  il y a aussi toujours la possibilité pour eux de s'expatrier dans les îles et même dans les pays musulmans. Enfin, ils peuvent être accueillis dans les monastères et bénéficier du droit d'asile.

Si on extrapole ces informations, on peut supposer que cette permissivité gangrène toute la société établissant partout le règne du non-droit.

Que penser de ces témoignages presque totalement antinomiques :  société idéale évoquant presque le paradis terrestre pour Foucher de Chartes ou société pervertie par une ambiance de violence sauvage et de perversité que l'on qualifierait actuellement de "mafieuse" ?

Certes, l'œuvre de Jacques de Vitry est dans son ensemble très négative et pessimiste dans sa description du monde qui l'entoure, ce qui peut conduire à tempérer ses propos, pourtant, il me semble que ces deux chroniqueurs décrivent les deux faces de la même réalité :

     . Les croisades et expéditions militaires ont conduit indubitablement à l'enrichissement de ceux qui y ont participé. Chaque ville conquise fut systématiquement pillée et leurs habitants massacrés avec même la pratique de la profanation des morts à qui l'on ouvre le ventre pour récupérer les pièces d'or qu'ils auraient pu avaler. La soif éhontée de richesses a été une des motivations essentielles de nombre d'habitants des Etats francs Rappelons, à cet égard, la discussion qui eut lieu lors de la quatrième expédition d'Egypte entre ceux qui voulait prendre Le Caire d'assaut  afin de la piller et le roi qui ne voulait imposer qu'un lourd tribut : le pillage enrichirait tous les participants alors que le tribut ne profiterait qu'au roi. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre cette phrase de Foucher de Chartres, "Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches"

    . Les francs se sont trouvés dans un pays dont ils purent se partager les terres et biens au détriment des autochtones : de nos jours, on appellerait cela du colonialisme. Celui qui n'était qu'un pauvre métayer dispose maintenant d'une grande ferme. On comprend que dans ces conditions, les poulains n'ont aucune envie de rentrer en Occident. (1)

    . La présence en Terre Sainte d'individus aux comportements déviants n'a rien d'étonnant : quand, lors d'une confession, le prêtre apprend que quelqu'un a commis un grave délit, il lui inflige de lourdes pénitences dont le pèlerinage  sur les lieux saints ( ce fut par exemple le cas de Louis VII lors de la deuxième croisade). Quand ils ont terminé leur pèlerinage, certains peuvent rester au vue de l'atmosphère délétère régnante.

    . S'ajoute la venue de nombreux aventuriers qui n'ont plus rien à espérer en Occident et qui viennent en Terre Sainte par appétit de conquête et de puissance, ce sont eux qui influèrent sur l'avenir de la Terre Sainte en faisant passer leurs intérêts personnels avant toute chose.  L'échec de la deuxième croisade, comme celui des expéditions d'Egypte en sont une preuve évidente. Parmi ces aventuriers, le plus avide et le plus détestable fut Renaud de Châtillon qui, par son goût éhonté du pillage, sera responsable de la bataille de Hattin qui conduisit à la quasi-disparition du royaume de Jérusalem .

    . Enfin, il convient de rappeler que la première croisade a été ponctué de massacres et de pillages pendant lesquels les croisés ont montré sauvagerie et férocité, ce qui correspond assez à la description effectuée par Jacques de Vitry.

1- On peut aussi mentionner dans cette perspective et  bien que Foucher de Chartres ne le cite pas, l'enrichissement des cités portuaires italiennes qui transportent dans un sens les pèlerins et qui reviennent les cales remplies des produits d'Orient qu'ils revendront à toute l'Europe. Ces marchands italiens feront systématiquement passer leurs intérêts au détriment de la pérennité des Etats francs. 

jeudi 30 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (121) : L'ÉTAT D'ESPRIT DES HABITANTS DES ETATS FRANCS DE TERRE SAINTE

Les chroniqueurs médiévaux ne décrivent pas seulement les hauts faits d'armes des francs de Terre Sainte, ils traitent aussi de domaines variés comme l'histoire, la botanique et la zoologie ainsi que la géographie du monde qui les entourent. Ils abordent également les traits dominant des mentalités et modes de vie  des habitants des Etats francs, ceux que l'on appelle communément les " poulains" (de même que le poulain est le petit de la jument, les "poulains" de Terre Sainte sont les enfants nés en Palestine des chevaliers restés sur place après la croisade)

De larges extraits des œuvres de Foucher de Chartes, de Jacques de Vitry et de Guillaume de Tyr permettent de se faire une idée précise quoique contrastée des mentalites de l'époque.

FOUCHER DE CHARTRES (Historia Hierosolymitana, vers 1127),

Dans son chapitre LVII, Foucher de Chartres présente un aspect plutôt sympathique et positif de la population qui habite la Terre sainte comme le montre le texte qui suit :

" Qu'on ne s'étonne pas de voir des prodiges paraître dans le ciel, puisque Dieu en opère également sur la terre... il transforme et arrange tout comme il lui plaît.

Considérez et réfléchissez en vous-même de quelle manière, en notre temps, Dieu a transformé l'Occident en Orient ;  nous qui avons été des Occidentaux, nous sommes devenus des Orientaux celui qui était Romain ou Franc est devenu ici Galiléen ou habitant de la Palestine celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié les lieux de notre naissance ; déjà ils sont inconnus à plusieurs de nous, ou du moins ils n'en entendent plus parler. Tels d'entre nous possèdent déjà en ce pays des maisons et des serviteurs qui lui appartiennent comme par droit héréditaire; tel autre a épousé une femme qui n'est point sa compatriote, une Syrienne ou Arménienne, ou même une Sarrasine qui a reçu la grâce du baptême

... l'un cultive des vignes, l'autre des champs; ils parlent diverses langues, et sont déjà tous parvenus à s'entendre. Les idiomes les plus différents sont maintenant communs à l'une et à l'autre nation, et la confiance rapproche les races les plus éloignées. Il a été écrit en effet, « le lion et le boeuf mangent au même râtelier." Celui qui était étranger est maintenant indigène, Ie pélerin est devenu habitant; de jour en jour nos parents et nos proches nous viennent rejoindre ici, abandonnant les biens qu'ils possédaient en Occident. Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches ceux qui n'avaient que peu d'écus possèdent ici un nombre infini de byzantins [une monnaie] ceux qui n'avaient qu'une métairie, Dieu leur donne ici une ville. Pourquoi retournerait-il en Occident celui qui trouve l'Orient si favorable?

Dieu ne veut pas que ceux qui, portant leur croix, se sont dévoués à le suivre tombent ici dans l'indigence. C'est là, vous le voyez bien, un miracle immense, et que le monde entier doit admirer. Qui a jamais entendu dire rien de pareil ? Dieu veut nous enrichir tous et nous attirer a lui comme des amis chers à son cœur..."

Il s'est produit selon Foucher de Chartres, une véritable mutation des "poulains" par rapport aux croisés qui, pour la plupart rentraient chez eux une fois la croisade terminée :
     . D'abord, ils se sentent chez eux, ils sont nés en Palestine, c'est là que sont leurs véritables racines et non en Occident d'où proviennent leurs ancêtres.
     . Certains de ces "poulains" ont épousé des femmes chrétiennes autochtones ce qui renforce encore leur sentiment d'appartenance à la Terre Sainte. Bien entendu, ces mariages ne se font qu'entre chrétiens, il n'existe pas de lien réel avec la population musulmane ni de cohésion sociale entre la société des chrétiens et celle des musulmans.
    . Ils étaient séparés en Occident par les langues de leurs pays d'origine et par le fait des antagonismes entre leurs souverains. En Terre Sainte, tout cela dût être oublié : il se créa une sorte de sabir mélangeant toutes les langues et permettant à chacun de se comprendre. quant aux rivalités nationales, elles ne pouvaient que s'étioler aux fur et à mesure que disparaissaient les liens avec l'Occident.
   . Leurs familles étaient pauvres en Occident, eux sont riches : ils possèdent les terres et les biens qu'ils ont acquis par droit de conquête et qui leur permettre de vivre quasiment dans l'opulence. Ils se sont aussi affranchis de toutes les sujétions imposées aux pauvres en Occident.

Selon Foucher de Chartres, tous ces bienfaits émanent de Dieu qui voulut récompenser les enfants de ceux qui avaient obéi à ses desseins en quittant tout pour venir en croisade. On a l'impression que se crée en Terre Sainte un succédané de Paradis Terrestre et même que l'on revient aux modes de vie antérieurs à la Tour de Babel où tous parlaient la même langue et vivaient dans l'harmonie.

mercredi 29 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (120) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LE SCEAU DU MAÎTRE DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL.

Il est parfaitement révélateur de la fonction hospitalière de l'ordre comme le montre bien le sceau de Caste de Murols, un des plus ancien sceau conservé ( avec celui de Raymond Du Puy mais qui est peu lisible)

D'un côté, est représenté un personnage agenouillé, les mains jointes, devant une croix à double traverse. De part et d'autre de la croix, se trouvent les deux lettres grecques l'Α et l'Ω  qui se réfèrent à l'Apocalypse (22:13) : "Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin" .

Cette représentation est très différente de celles qu'utilisaient les templiers sur leurs sceaux qui portait à l'avers deux chevaliers sur un seul cheval. Sur le sceau de Caste de Murols, c'est un plutôt un moine en prière qui est représenté.

L'inscription se suit de l'avers au revers
CASTUS CUSTOS ... HOSPITALIS + IERUSALEM
Caste gardien.... de l'Hôpital de Jérusalem

Sur ce sceau n'apparaît pas le qualificatif de "Magister" au profit du terme "custos" : celui qui garde l'hôpital tel que la règle l'a établi en veillant à son observance.

Le revers du sceau de Caste de Murols étant assez peu lisible, j'ai représenté ci-dessous  le revers du sceau de Geoffroy du Donjon datant de 1193, ainsi que celui de Guillaume, patriarche de Jerusalem, ce qui permettra d'utiles comparaisons.


Les deux sceaux des maîtres de l'Hôpital figurent la même scène :
      . Au dessus, se trouve la représentation d'un bâtiment surmonté d'une coupole centrale et de deux coupoles latérales. La coupole centrale semble surmontée de la croix de l'inscription.
     . de la coupole centrale pend une lampe.
     . En dessous, se trouve un corps qui semble couvert d'un drap ou même enveloppé dans un suaire. Il est allongé sur un lit.
     . De part et d'autre du lit, se trouvent une croix à droite et à gauche, un encensoir tenu par des chaînes que l'on semble agiter.

La présence de ce personnage allongé sur un lit a donné lieu à de nombreuses conjectures : est-ce un malade, un mort où le Christ au Sépulcre ?

Pour répondre à cette question, il peut être utile de comparer les sceaux des maîtres de l'hôpital à celui du patriarche de Jérusalem. Sur ce dernier est manifestement représenté le Saint-Sépulcre : on y aperçoit  une double arcade sous laquelle pendent deux lampes ; en dessous se trouve un sarcophage dans lequel git le corps de Jésus. Deux personnages complètent le décor sans que l'on puisse clairement les distinguer (Ange ou saintes femmes ?)

A première vue, ces décors sont similaires pourtant, il apparait entre eux d'importantes différences :
   . Le Christ est dans un sarcophage alors que le personnage du sceau est allongé sur un lit.
   . Le sceau du patriarche représente l'intérieur du Saint-Sépulcre et fait partie du décor alors que le sceau hospitalier place le Saint Sépulcre au dessus du lit, comme si on en voyait l'extérieur vu de loin, ce qui est conforme d'ailleurs à la topographie puisque le quartier occupé par l'hôpital jouxte au sud le Saint-Sépulcre.

De ce qui précède, on peut en conclure que le personnage couché sur le lit n'est pas le Christ et donc que la scène représente plutôt ce qui se passe à l'hôpital. Dans cette perspective, est-ce un malade ou un mort ?
Au vu de la présence de l'encensoir, il s'agit très probablement d'un mort allongé sur un lit de parade et enveloppé dans son suaire à qui on rend un dernier hommage.

Ce point de vue permet de formuler deux idées connexes :
     . En premier lieu, il permet de rappeler que les Hospitaliers sont des moines dont la mission est certes de soigner les malades mais aussi de permettre à leur 'âme de marcher vers son salut.
     . Le sceau des maîtres de l'hôpital revêt, selon moi, aussi un sens symbolique puisqu'il semble établir une corrélation entre le corps du Christ mort avant sa résurrection et le corps du mort à l'hôpital en attente également de sa résurrection.

Cette analyse renforce, si besoin est, l'idée que l'ordre de l'Hôpital reste avant tout un ordre charitable voué au soin des passants, des pauvres, des malades et des âmes.

Il convient enfin de remarquer ces sceaux magistéraux se perpétueront pendant tout le Moyen-Âge, même quand l'ordre sera devenu à part égal un ordre hospitalier et militaire et même quand l'hôpital quitta Jérusalem après la reconquête de Saladin survenue en 1187.

lundi 27 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (119) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

EN GUISE DE CONCLUSION SUR LA PLACE DES HOSPITALIERS DANS LES ETATS LATINS D'ORIENT AVANT 1187

La lecture des chroniques contemporaines de l'époque des états latins à partir desquelles j'ai effectué mes recherches m'ont permis de déterminer quatre conclusions certes hypothétiques mais assez précises.

Pour moi, les Hospitaliers ont privilégié jusqu'au moins 1179 leur rôle primitif de moines-chevaliers chargés de l'hospitalité envers les pèlerins, les pauvres et les malades : il leur fallait héberger et nourrir quotidiennement un grand nombre de personnes tant ceux qui étaient hébergés à l'Hôpital que les pauvres passants. Tout cela coûtait très cher et les Hospitaliers avaient besoin de toujours plus d'argent ; c'est sans doute pour cela qu'ils obtinrent de nombreux privilèges de la part de la papauté : ainsi, la bulle de confimation d'Anastase IV de 1154 laisse entendre que ces privilèges sont concédés en contrepartie du fait que les Hospitaliers s'occupent des malades et des pauvres

De même, ils sont des religieux qui suivent la règle de saint Augustin adaptée par Raymond Du Puy, c'est pour cela qu'ils se sont adjoints des prêtres chargés d'effectuer le service divin que la règle leur impose.

La participation à la guerre des moines-chevaliers était, pour moi, assez limitée, les forces militaires de l'ordre devant être essentiellement formées de chevaliers et piétons enrôlés pour le temps de la guerre. Seule la structure de commandement devait être composée de chevaliers profès. Si, en 1179, le pape Alexandre III réglementa les cas où la guerre était licite, ce fut surtout du fait que les expéditions d'Egypte avaient mobilisé toutes les ressources financières de l'ordre et s'étaient effectuées au détriment du service des pauvres et des malades. Cette bulle va aussi clarifier la situation des moines-chevaliers puisque le pape autorise les Hospitaliers à faire la guerre si les Etats Francs sont menacés et si est déployé l'étendard de la Sainte Croix. Cette autorisation va permettre une première mutation militaire de l'ordre et explique pourquoi les chevaliers moines participèrent en tant que tels à la bataille de Hattin. la seconde mutation se produira au début du 13eme siècle par les statuts de MARGAT.

Enfin, les hospitaliers eurent un rôle militaire essentiel par la garde des forteresses qui leur furent concédées et qu'ils s'appliqueront à rendre inexpugnables pour qu'elles deviennent à  la fois  des points d'ancrage de la domination franque et aussi d'appui en cas d'expéditions offensives : elles bloquaient l'avance des armées ennemies qui ne pouvaient plus avancer sans risquer d'être pris à revers par la garnison du château. Elle permettaient aussi de tenir la position jusqu'à l'arrivée de l'ost franc. Il est probable qu'à ce moment, la garnison participait aux combats menés par celui-ci. Cela est d'ailleurs autorisé par la bulle d'Alexandre III.

La primordialité du rôle hospitalier de l'ordre que j'ai indiquée plus haut, est en particulier montrée par les sceaux des maîtres de l'ordre.

À suivre...


dimanche 26 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (118) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE. (Suite)

LES RELATIONS AVEC LA HIÉRARCHIE DE L'ÉGLISE SÉCULIÈRE.
Avec la hiérarchie de l'église séculière, les relations sont exécrables, les Hospitaliers (tout comme d'ailleurs les Templiers)  forment  aussi un "Etat dans l'Etat" au niveau religieux, ce qui crée des conflits incessants avec le patriarche de Jérusalem et les évêques de Terre Sainte.

Ces conflits ont pour origine la bulle de Pascal II PIE POSTULATIO VOLUNTATIS  (1113). qui place l'ordre sous le statut de l'immédiateté : l'ordre ne dépend plus que du Saint Siège Apostolique : tous les droits, biens et possessions de l'hôpital, passés, présents et à venir bénéficient de la sauvegarde, juridiction et protection papale. L'Hôpital n'a de compte à rendre qu'au pape et non à la hiérarchie de l'église séculière de Terre Sainte.

A chaque élection d'un nouveau pape, les hospitaliers s'empressent de se faire confirmer leurs privilèges anciens et en sollicitent de nouveaux, c'est ainsi qu'ils obtiennent toujours plus de droits qui vont tous dans le même sens : augmenter l'indépendance de l'ordre.

En voici quelques manifestations :
     - sur les terres inhabitées qui leur sont concédées, les Hospitaliers ont le droit de faire construire églises  et cimetières pour desservir les villages qu'il y établissent et qui seront soumis uniquement à l'ordre. L'évêque sera tenu de consacrer gratuitement l'église et n'y aura aucun droit de regard.
     - ces terres, comme toutes celles qui dépendent de l'ordre, jouissent du privilège d'exemption : aucun seigneur laïc ne peut leur imposer un impôt ou une charge (par exemple pour la réparation de murailles de ville), ni même leur infliger une amende, la justice appartenant à l'ordre.
    - De même, la dîme est perçue par l'ordre lui-même sur toutes les terres qui dépendent de lui. A ces dîmes, s'ajoutent celles de certains diocèses  que leurs évêques ont concédé à l'ordre. L'Hôpital a aussi le droit d'organiser des quêtes dans les diocèses.
    - l'ordre a obtenu le droit de disposer de prêtres qui sont membres à part entière de l'Hôpital. Ils sont recrutés par l'ordre qui leur octroie l'investiture, l'évêque devant ensuite les ordonner sans pouvoir rien dire sur leur nomination. Les prêtres de l'Ordre sont soumis à la seule juridiction de l'Hôpital.
    - l'élection du maître de l'ordre doit se faire sans aucune interférence ni des laïcs ni des membres de l'église séculière.
    - la manifestation la plus tangible de cette indépendance de l'hôpital est que les biens de l'Ordre échappant à la juridiction des évêques (sauf à celui de Rome) , ils échappent aussi à  l'interdit si dans une région l'évêque inflige cette sentence : leurs églises des hospitaliers de la région pourront continuer à faire célébrer des messes, les sacrements y seront dispensés ainsi que les rites présidant aux enterrements ; les seules limites apportées par les Papes sont au nombre de trois : le culte devra se faire à porte fermée, sans sonnerie de cloches et il sera interdit d'accepter des excommuniés.  En outre, si un hospitalier arrive dans une zone soumise à l'interdit , il pourra faire ouvrir l'église une fois par an et y célébrer l'office.

Dans de telles conditions, l'église séculière, patriarche en tête, ne pouvait que s'irriter des privilèges de l'ordre comme en témoigne le long réquisitoire que Guillaume de Tyr écrivit en dénonçant à la fois ces privilèges mais aussi les pratiques quotidiennes qui en découlaient.

Ce texte peut être décomposé en trois parties :
D'abord Guillaume de Tyr dénonce les exemptions et droits divers octroyés par les papes :
 " Raimond, maître des Hospitaliers, qui d’abord avait passé pour un homme rempli de religion et de crainte de Dieu, assisté de ses frères animés du même esprit que lui, en vint à susciter toutes sortes de tracasseries au seigneur patriarche, ainsi qu’aux autres prélats des églises, au sujet de la juridiction paroissiale et des redevances de dîmes.

Ceux que leurs évêques avaient excommuniés, ou interdits nominativement et rejetés de l’Église, eu punition de leurs crimes, étaient accueillis au hasard et sans choix par les frères Hospitaliers, et admis par eux à célébrer les offices divins. S’ils étaient malades, les frères ne leur refusaient ni le viatique ni l’extrême-onction, et ceux qui mouraient recevaient par leurs soins la sépulture. S’il arrivait qu’à raison de quelque énorme péché on mît en interdit toutes les églises, ou les églises d’une ville ou d’un bourg quelconque, aussitôt les frères, faisant sonner toutes les cloches et poussant des vociférations extraordinaires, appelaient au service divin le peuple frappé d’interdiction, afin d’avoir pour eux-mêmes les  revenus casuels dus aux églises-mères,

Quant à leurs prêtres, ceux qu’ils admettaient n’étaient point... présentés par eux à l’évêque du lieu, pour recevoir de lui l’autorisation de célébrer les offices divins dans son diocèse ; ils refusaient en outre formellement de donner la dîme sur leurs biens et sur les revenus qui leur étaient attribués, à quelque titre que ce fût".

Ensuite il va dénoncer un certain nombre des pratiques vexatoire des Hospitaliers vis à vis du patriarche. Rappelons à cet égard que le saint-Sépulcre, placé sous l'obédience du patriarche, jouxtait les bâtiments et églises de l'Hôpital.
  " Devant les portes mêmes de l’église de la Sainte-Résurrection, les frères de l’Hôpital entreprirent, en témoignage de mépris et d’insulte pour cette église, de faire construire des édifices beaucoup plus somptueux et plus élevés que ceux que possède [le Saint Sépulcre] . Bien plus, toutes les fois que le seigneur patriarche voulait parler au peuple... les frères ... faisaient sonner aussitôt les cloches, en si grand nombre... et si longtemps, que le seigneur patriarche n’avait pas assez de force pour élever suffisamment la voix, et que... le peuple ne pouvait l’entendre.

Les frères demeuraient incorrigibles, et souvent même ils menaçaient d’en faire encore beaucoup plus. Ils en vinrent en effet à ce point de témérité, d’audace diabolique et de fureur d’esprit, de prendre un jour les armes, de faire irruption dans l’église agréable à Dieu comme dans la maison d’un obscur particulier, et d’y lancer une grande quantité de flèches, comme dans une caverne de larrons."

Enfin, Guillaume de Tyr pose la question de l'origine de ce qu'il considère comme de grands errements de l'Hôpital ; il met d'abord en cause la papauté qui a accepté les requêtes des hospitaliers sans  réfléchir à leurs conséquences : cela a fait naître chez les hospitaliers un "orgueil odieux à l’Éternel et source de tous les vices" qui explique leurs comportements.

" Ceux qui examinent toutes choses avec attention sont disposés à croire que c’est à l’église romaine qu’il faut attribuer la première cause des maux que je rapporte, quoiqu’elle ait ignoré peut-être, ou du moins n’ait pas assez mûrement considéré l’objet de la demande qui lui était adressée. En affranchissant injustement la maison de l’Hôpital de la juridiction du seigneur patriarche de Jérusalem, ... l’église romaine a fait que les frères n’ont plus conservé aucune crainte de Dieu..."

l’église romaine leur accorda l’émancipation de l’autorité du seigneur patriarche, et aussitôt qu’ils eurent acquis cette dangereuse liberté, ils ne conservèrent plus aucun respect pour les prélats des églises, et refusèrent formellement de servir les dîmes sur tous les biens qui leur étaient dévolus...

... devenus plus récalcitrants à force de richesses, [les hospitaliers] se séparèrent de leur pieuse mère, qui d’abord les avait nourris de son lait comme ses propres enfants ... en sorte que l’Eglise put avec justice répéter à leur sujet cette complainte du prophète Isaïe : « J’ai nourri des enfants, et je les ai élèves, et après cela ils m’ont méprisé »...

Le patriarche fit part au Saint Siège de tous ces sujets de plainte, il effectue même un voyage à Rome pour demander au pape Adrien IV de révoquer la confirmation des privilèges de l'ordre effectuée en 1154 par Anastase IV. Il n'eut pas satisfaction. Il faudra attendre le concile de Latran de 1179 pour que les abus les plus criants soient réformés, rétablissant un meilleur équilibre entre les prétentions de l'Ordre et celles des évêques.

Voici quelques unes de ces dispositions :
     . Défense est faite à l'ordre de recevoir des dîmes ou des églises de la main des laïcs sans le consentement de l'évêque,
     . Défense à l'Ordre d'accueillir des personnes excommuniées ou venant de territoires interdits,
     . En cas d'interdit, les Hospitaliers ( tout comme les templiers) ne pourront célébrer qu'une messe par an et ne pas accepter de sépultures dans leurs cimetières.
     . Les frères affiliés à l'ordre ( chevaliers enrôlés, sergents, servants de l'hôpital....) resteront sous la juridiction des évêques. Pour s'en affranchir, il faudra qu'ils deviennent profès en abandonnant tous leurs biens et en se soumettant complètement à la vie religieuse de l'ordre.

samedi 25 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (117) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE. (Suite)

AVEC LES TEMPLIERS
Avec les templiers, les occasions de querelles ne manquent pas, ils sont d'abord en conflits  permanents sur leurs droits et possessions respectifs; surtout, ils se livrent à une concurrence acharnée au niveau décisionnel : quand un des deux Ordres prend position face à un problème donné, il n'est pas rare que l'autre soit d'un avis diamétralement opposé.

Pour tenter de résoudre ces rivalités de tous ordre, un accord fut trouvé en février 1179 entre les maîtres des deux ordres, Roger Des Moulins et Eudes de saint Armand, que le Pape Alexandre III confirma ; le principe, comme souvent à cette époque,  fut la mise en œuvre d'arbitrages entre les parties : en cas de conflit, trois frères de chacun des deux ordres sont choisis pour le régler, ils peuvent s'adjoindre deux autres frères de l'ordre si nécessaire et même faire intervenir un médiateur extérieur. En cas de désaccord persistant, l'arbitrage des maîtres des deux ordres était requis. La confirmation papale porte cette mention : " les deux maisons quoique séparées par leur profession, ne doivent faire qu'une grâce à leur amour réciproque l'une pour l'autre" 

Cet accord mit-il fin aux dissensions entre les Templiers et les Hospitaliers ? Probablement pas : on retrouve en particulier  leur antagonisme dans les prises de position lors des problèmes dynastiques survenus après la mort du roi Baudouin V en 1186 : le roi  Baudouin IV avait organisé sa succession et précisé qu'en cas de mort de son neveu Beaudouin V, la régence reviendrait à Raymond III de Tripoli pendant dix ans, or il y avait un prétendant immédiat au trône, Guy de Lusignan, époux de Sibylle, sœur de Baudouin IV et mère de Baudouin V. Les Hospitaliers prirent le parti de Raymond de Tripoli, les Templiers celui de Guy de Lusignan. Les Templiers firent couronner Guy ; mis devant le fait accompli et furieux d'avoir été joué, le maître de l'Hôpital, Roger Des Moulins refusa de rendre la clé qu'il possédait du trésor royal !

À suivre...

vendredi 24 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (116) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE.

C'est le dernier volet de ces articles sur les Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem dans lesquels j'ai tenté de décrire la vie et les caractéristiques de l'ordre sous les successeurs de Raymond du Puy. Selon ce que j'ai pu en apprendre, elles sont convenables avec les princes laïcs, mauvaises avec les ordres militaires concurrents, principalement avec les templiers et  exécrables avec l'église séculière de Terre sainte.

AVEC LES PRINCES LAÏCS.
Les relations de l'ordre de l'Hôpital et plus généralement des ordres militaires avec les autorités séculières sont globalement convenables même si les ordres militaires ont tendance à se muer de plus en plus en "Etat dans l'Etat" du fait des biens et possessions qu'ils contrôlent : ils possèdent de vastes domaines ainsi qu'un grand nombre de forteresses et se sont rendus indispensables au titre de la défense des Etats francs, c'est en particulier très net au niveau du comté de Tripoli pour les Hospitaliers.

Leur participation de plus en plus importante à la politique défensive  du royaume conduisit à ce que, de plus en plus aussi, les princes dépendirent des ordres militaires et principalement des Templiers : ils forment l'ossature de l'armée, connaissent parfaitement le terrain et ont une vision claire des tactiques à appliquer. On les consulte lorsque se prépare une expédition militaire et il arrive, si elle ne leur convient pas qu'ils refusent d'y participer ; ce sera en particulier le cas, selon Guillaume de Tyr, pour les expéditions d'Egypte, ce qui conduisit peut-être le roi Amaury à solliciter l'aide des Hospitaliers.

Il en fut de même lors des préparatifs de la bataille de Hattin : face à  l'invasion du royaume par l'armée de Saladin, deux opinions s'affrontèrent : les Templiers voulaient attaquer tout de suite tandis que le comte de Tripoli Raymond III était partisan de se replier sur une position de force pour combattre ; ce fut ce dernier qui l'emporta au conseil. C'est alors que le maître des Templiers, Gerard de Ridefort,  se rendit dans la tente du roi et le convainquit d'une attaque immédiate sous la menace que les Templiers quittent l'ost royal. Le roi suivit l'avis du maître du Temple et  prit la décision d'attaquer ,

Il arrive même que les ordres militaires prennent la décision de ne pas obéir aux princes laïcs au nom de leurs convictions, ce fut en particulier le cas lors de la bataille de la fontaine de Cresson puisque les Templiers aides des Hospitaliers livrèrent bataille contre les turcs  en dépit des injonctions du comte de Tripoli.

En conséquence, les princes sont devenus dépendants des ordres militaires puisque sans leur aide toute guerre est quasiment vouée à l'échec. Cette dépendance est toutefois plus forte pour les Templiers que pour les Hospitaliers car ces derniers sont moins impliqués que les Templiers au niveau des offensives à mener. Les princes disposent néanmoins d'une légère marge de manœuvre puisqu'ils peuvent jouer des rivalités entre Hospitaliers et Templiers.

À suivre...

jeudi 23 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (115) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : LE BILAN

Dans les articles précédents, j'ai tenté de montrer la participation des hospitaliers aux combats qui se livraient en Terre Sainte au moyen de trois exemples : l'abandon de la défense de Paneade-Baniyas, le combat de la fontaine de Cresson et la convention portant sur l'envoi de chevaliers et piétons de l'Ordre lors de la quatrième expédition d'Egypte.

En lisant les chroniques des contemporains, principalement de Guillaume de Tyr, Bernard le Trésorier et Jacques de Vitry qui sont en libre accès sur internet, je n'ai pas trouvé d'autres mentions faisant allusion aux hospitaliers en tant que combattants, hormis les trois exemples cités plus haut.

Le premier, rappelons-le, concernait les événements survenus à Paneade (Baniyas). Le seigneur du lieu, ne pouvant plus assumer seul la défense de la cité tant militairement que financièrement, en avait concédé la moitié aux Hospitaliers. Ceux-ci organisèrent une caravane afin d'équiper la part de la ville qui leur revenait tant en approvisionnement qu'en armes. Elle fut prise en embuscade par les turcs et pillée. Plutôt que de continuer à défendre Paneade, les Hospitaliers préfèrent rendre la part de la ville que le seigneur leur avait concédée. On ne peut pas dire que les Hospitaliers ait eu, dans ces circonstances,  une attitude combattive !

On pourrait me rétorquer que si les Hospitaliers possédaient de nombreuses forteresses, c'est qu'on estimait à juste titre qu'ils avaient la capacité de les garder ; pourtant, on peut penser aussi que la donation de ces forteresses était surtout due au fait que les Hospitaliers disposaient de ressources financières importantes qui leur permettaient de renforcer les défenses de ces forteresses en les rendant quasiment imprenables. Dans cette perspective, la capacité combattante des hospitaliers était moins prise en considération que leur richesse. En outre, avant Hattin, il est probable que les garnisons de ces place-fortes hospitalières comprenaient surtout des soldats stipendiés commandés par quelques frères profès.

Dans le deuxième exemple, celui de la bataille de la fontaine de Cresson, on ne peut pas dire non plus que les hospitaliers ont été le fer de lance du combat : ils n'était qu'une dizaine alors que les templiers étaient 70 et les chevaliers laïcs 40. En outre, on a l'impression, à la lecture de Guillaume de Tyr, que les dix hospitaliers ont rencontré fortuitement l'armée en marche et qu'ils se joints à elle.

Le troisième exemple, celle de la quatrième expédition en Egypte a montré une participation beaucoup plus importante de l'Ordre qui est est engagé en tant que tel dans la guerre, avec non seulement un contingent conséquent de combattants mais aussi avec la détermination de la part du butin qui lui reviendra. Pourtant, il existe ici aussi une ambiguïté quant à la qualité des combattants : sont-il des moines-chevaliers profès ou des chevaliers et piétons enrôlés par l'Ordre et payés pour le temps de la campagne ?

Guillaume de Tyr montre que le maître "emprunta encore des sommes considérables, et les distribua à tous les chevaliers, qu'il allait cherchant de toutes parts pour les attirer à lui", ce qui signifie qu'il s'adressa à des chevaliers extérieurs à l'Ordre et rétribués. Par voie de conséquence, on peut en déduire que les 1000 chevaliers et piétons enrôlés formaient probablement l'essentiel  de l'armée de l’Hôpital. Cette armée était néanmoins placée sous l'autorité militaire des dignitaires de l'Ordre qui avait constitué une structure de commandement. Dans ce cas, et si mon hypothèse est la bonne, il ne semble pas que l'expédition ait compté beaucoup de moines-chevaliers.

Ainsi, les trois exemples cités semblent montrer que les Hospitaliers en tant que tels ne participèrent  que de manière limitée aux guerres tant offensives que défensives ; par contre, l'Ordre avaient un rôle essentiel dans la défense  des Etats francs par la garde des forteresses qu'ils rendirent inexpugnables et à partir desquelles il était possible de lancer des incursions limitées dans les vastes marches-frontières qui leur furent concédées par les princes laïcs.

L'expédition d'Egypte eut cependant d'importantes conséquences pour l'Ordre comme le montre M Delaville Le Roux.

En premier lieu, après l'échec de l'expédition, il se développa des violentes critiques contre le maître Gilbert d'Assailly, non pas sur le principe de la guerre, mais sur les dépenses occasionnées par celle-ci et surtout par le fait que le Maître ait agi de sa propre initiative sans consulter le chapitre : les emprunts effectués pour financer la guerre avaient tant obéré les finances de l'Ordre qu'il se trouva chargé de dettes pour longtemps. L'Ordre appauvri ne pouvait plus s'occuper de ce qui était sa mission essentielle, apporter secours aux pauvres et aux malades.  Devant de telles critique, Gilbert d'Assailly décida de résigner sa charge.

La deuxième conséquence survint quelques années plus tard sous la forme de la bulle " PIAM ADMODIUM " du 2 août 1179 du pape Alexandre III. Celle-ci va définir avec précision les conditions dans lesquelles les Hospitaliers peuvent faire la guerre : il faut que l'étendard de la Sainte Croix soit déployé pour la défense  du royaume ou le siège d'une place occupée par les infidèles. Le pape enjoint aussi aux hospitaliers de ne pas délaisser le soin des malades et des pauvres au profit du métier des armes.

Cette bulle a le mérite de définir clairement la place des hospitaliers dans les guerres des Etats francs de Terre sainte :
     . Interdiction de participer à une guerre offensive.
     . Seule la guerre défensive et la défense des forteresses est acceptable.
Cette mise en application de la bulle papale permet de comprendre l'importance du rôle des Hospitaliers dans la bataille de Hattin au cours de laquelle se joua l'avenir du royaume de Jérusalem.

mercredi 22 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (114) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

LA CINQUIÈME EXPÉDITION

LE DÉROULEMENT DE L'EXPÉDITION
Conscient de l'échec de la quatrième expédition, et surtout vue la gravité du péril d'être pris en tenaille par les possession de Nur-Ad-Din, Amaury fit appel à l'Occident demandant le renfort d'une nouvelle croisade. Il n'obtint aucun résultat. En conséquence, il dût se résoudre à honorer l'alliance signée en 1167  avec l'empereur byzantin, Manuel Comnène. Celui-ci accepta contre partage de la moitié du butin  qui serait prélevé en Egypte.

L'objectif de cette nouvelle expédition fut Damiette, une ville située non loin de l'embouchure d'un des bras du Nil. Une fois conquise, la ville pourvait devenir un point de départ pour la conquête de l'Egypte.

La flotte impériale, dit Guillaume de Tyr, comportait 150 galères, 60 bateaux destinés au transport des chevaux et 12 dromons contenant le ravitaillement ainsi que les armes et les machines de guerre. Elle arriva à Tyr puis gagna Acre en septembre 1169.

" Le 10 octobre, le Roi ayant mis ordre aux affaires de son royaume, et laissant derrière lui une force suffisante pour le défendre en son absence contre les entreprises et les incursions de Noradin, qui séjournait en ce moment dans les environs de Damas, rassembla toute l'armée...auprès de la ville d'Ascalon" . Le 27 octobre,  l'armée franque arrive à Damiette et dresse le camp en attendant l'arrivée de la flotte grecque que la tempête a retardée. Lorsqu'elle arrive, elle s'amarre a l'embouchure du bras du Nil en aval de la cité.

La ville située sur la rive occidentale du fleuve avait construit un grosse tour fortifiée sur la rive opposée du cours du Nil et barré le fleuve par une grosse chaine en sorte qu'il était impossible aux navires chrétiens de remonter le Nil. A l'inverse, Damiette pouvait être approvisionnée par le Nil et recevoir des renforts militaires.

" Notre flotte ayant pris position, les Chrétiens traversèrent les vergers situés entre leur camp et la place, et dressèrent leurs tentes plus près de la ville, sur un terrain d'où il leur était permis d'arriver jusqu'aux murailles.

On choisit des ouvriers, et ils construisirent à grands frais et avec beaucoup de travail une tour d'une hauteur étonnante, puisqu'elle avait sept étages, du haut de laquelle on pouvait voir toute la ville. On fit faire encore d'autres machines de diverses espèces, les unes pour lancer contre les murs d'énormes blocs de pierre capables de les ébranler ; d'autres, pour y renfermer des fossoyeurs qui pussent s'y cacher comme dans des cavernes, afin d'aller miner les murailles de la ville, et s'avancer ensuite sous des passages souterrains pour achever de les renverser.

Lorsque toutes ces machines furent terminées, on aplanit le terrain, et on les plaça le long des murailles : ceux qui étaient dans la tour attaquaient sans relâche les assiégés avec des flèches et des pierres qu'ils lançaient à la main, et en employant toutes les armes dont ils pouvaient se servir dans leur fureur et dans l'étroit espace qui les renfermait. Ceux qui faisaient le service des machines à projectiles lançaient de gros blocs de pierre et s'efforçaient de renverser les murailles et les maisons attenantes."

Les assiégés répliquent coup sur coup aux attaques de l'armée greco-franque : ils " firent élever une tour pareille à celle des nôtres; ils la remplirent d'hommes armés, afin de tenter une résistance et des efforts semblables à. ceux que faisaient les nôtres ; d'autres instruments de guerre fusent dressés en face des instruments du même genre, et ils cherchèrent, avec la plus grande sollicitude et par tous les moyens possibles, à briser toutes nos machines"

Guillaume de Tyr va dans les paragraphes qui suivent, montrer que les chrétiens se mirent à commettre de nombreuses erreurs
     - alors qu'il aurait fallu se dépêcher d'attaquer, les assaillants se montrèrent " timides et comme glacés : les uns disent que ce fut par suite d'une trahison,  d'autres, uniquement par négligence et incurie" ; à cela devait s'ajouter un désaccord croissant entre les grecs et les latins. Ces retards firent que Damiette reçut les renforts qui lui permirent de résister.
      - "on donna l'ordre de conduire la tour mobile vers les murailles, sur un terrain en pente et presque impraticable. Il y avait de ce même côté de la ville beaucoup de points où les murailles étaient plus basses, et contre lesquels on pouvait se diriger plus facilement pour livrer assaut et pour en prendre possession ; et cependant on dressa la tour en face du point le plus solide et le mieux fortifié, ...là même, cette machine ne pouvait faire aucun mal aux assiégés..."

A ces difficultés s'en ajoutèrent trois autres :
     . La famine dans le camp des grecs. Ils en sont réduits à manger la sève des palmiers, des noisettes, des raisins secs, des châtaignes. Les francs, par contre, possédaient des vivres en abondance, ils refusèrent de s'en démunir pour aider les grecs.
     . Des pluies abondantes inondèrent les deux camps.
     . Enfin, les défenseurs de Damiette tentèrent d'incendier la flotte en lançant un bateau en flammes sur celle-ci. Quelques navires furent incendiés mais les chrétiens réussirent à déplacer la majorité des bateaux en les mettant à l'abri.

Le siège s'éternisait, il dura plus d'un mois et demi et, dans chacune des deux armées, des voix se faisaient entendre contre sa poursuite. Alors que les grecs se préparaient à essayer un dernier assaut, ils apprirent qu'Amaury avait mené des négociations secrètes avec les turcs pour signer la paix sans les en avertir ; cette décision unilatérale fut évidemment très mal prise par les grecs qui rendirent Amaury responsable de l'échec.

Tandis que la flotte grecque se hâtait de rentrer à cause des conditions maritimes mauvaises en cette saison, l'armée franque regagna Ascalon dans le courant du mois de décembre 1169

LA PLACE DES HOSPITALIERS DANS LA CINQUIÈME EXPÉDITION
M Delaville Le Roux indique que le roi Amaury renouvela avec Gilbert d'Assailly la convention d'octobre 1148 qui avait été établie juste avant la quatrième expédition. Cette convention fut signée le 20 août 1169 et préluda à la cinquième expédition. Elle ne mentionne pas de conquêtes à effectuer ni de rentes à constituer sur les villes égyptiennes. Elle précise seulement que Bilbeis est acquis à l'ordre une fois sa conquête effectuée avec une rente de 150.000 besants.

Dans quel but cette nouvelle convention fut-elle établie ? S'agit-il d'un renouvellement de l'acte antérieur ?  , une reconnaissance de dettes en quelque sorte ? Fut-elle le prélude à une nouvelle participation à l'expédition qui se préparait ? L'acte est muet sur ce point en sorte que l'on ignore si les hospitaliers participèrent à l'expédition : deux hypothèses peuvent être émises :
    . Les hospitaliers, déjà endetté, n'avaient aucune envie de débourser à nouveau des sommes importantes pour une hypothétique victoire,
    . Il se peut aussi qu'ils aient participé à l'expedition en espérant qu'ils pourraient récupérer leur mise.

A remarquer qu'en 1176, les hospitaliers firent confirmer par Baudouin IV le don de Belbeis avec une rente augmentée de 30.000 besants à une époque où il n'était plus question de l'invasion de l'Egypte.

mardi 21 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (113) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

EPILOGUE DE LA QUATRIÈME EXPÉDITION EN EGYPTE
elle fut, comme les précédentes,  un échec à tous les points de vue :
     . La cupidité et la sauvagerie des francs conduisirent l'Egypte, pourtant alliée du roi, à se jeter dans les bras de Šīrkūh. Celui-ci arriva en vainqueur au Caire. Sawar tenta une nouvelle fois de louvoyer pour obtenir le départ des turcs ;  excédés de sa duplicité,  l'entourage de Šīrkūh, sur ordre du calife Al-Adil, le firent assassiner le 13 janvier 1169 et Šīrkūh fut nommé vizir par le calife. A la mort de Šīrkūh, son neveu Salah-Ad-Din (Saladin) lui succéda.
     . Désormais les Etats francs étaient encerclés par les possessions de Nur-Ad-Din qui contrôlait Alep, Damas, et l'Egypte.
     . Aux moments où le roi était occupé en Égypte, Nur-Ad-Din en avait profité pour attaquer les possessions orientales des Etats francs,  ces offensives de diversion permirent à l'atabeg  à s'emparer de l'outre-Oronte ainsi que de quelques places stratégiques qui fragilisèrent la ligne de défense des Etats francs.

A cela s'ajouta la condamnation sans appel tant au niveau moral, religieux et "géopolitique" qu'effectua Guillaume de Tyr pour qui cette expédition fut si injuste qu'il imputa son échec au fait que Dieu lui-même se détourna des francs. Il montre parfaitement que le roi aurait tout intérêt à posséder des liens amicaux avec l'Égypte, que la situation est devenue désormais dramatique et que cela est dû uniquement à la rapacité des francs. J'ai souligné de gras les mots très durs que le chroniqueur emploie à propos des francs et du roi.

"  Ô aveugle cupidité des hommes, le plus grand de tous les crimes! ô coupables entraînements d'une âme avide et insatiable! De quelle situation... nous fûmes jetés dans un état rempli de trouble et d'anxiété par cette soif immodérée de richesses !

 Toutes les productions de l'Egypte et ses immenses trésors étaient à notre disposition; notre royaume était parfaitement en sûreté de ce côté ; nous n'avions vers le midi nul ennemi à redouter. Ceux qui voulaient se confier à la mer trouvaient les routes assurées : nos Chrétiens pouvaient aborder en sûreté sur le territoire d'Egypte pour leurs affaires de commerce, et les traiter à des conditions avantageuses. De leur côté les Égyptiens nous apportaient des richesses étrangères et toutes sortes de marchandises inconnues dans notre pays, et lorsqu'ils y venaient leurs voyages nous étaient à la fois utiles et honorables. En outre, les sommes considérables qu'ils dépensaient tous les ans chez nous tournaient au profit du trésor royal, ainsi que des fortunes particulières, et contribuaient à leur accroissement.

Maintenant au contraire tout est changé; les choses ont pris la plus mauvaise face, et notre harpe ne fait plus entendre que des sons douloureux. De quelque côté que je me tourne, je ne vois que des sujets de crainte et de méfiance. La mer nous refuse une paisible navigation ; tous les pays qui nous environnent obéissent à nos ennemis, tous les royaumes voisins sont armés pour notre ruine. La cupidité d'un seul homme a attiré tous ces maux sur nous; son avidité, source de tous les vices, a couvert d'un voile épais le ciel serein que nous devions à la bonté du Seigneur."

lundi 20 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (112) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

TROISIÈME PHASE : LE DÉROULEMENT DE LA CAMPAGNE : LA PRISE DE BILBEIS
Il convient de rappeler d'abord que l'expédition des francs se déroule dans un pays allié ayant fait allégeance au roi de Jérusalem, ce qui rend encore plus horrible les forfaits qui s'y sont perpétrés. Le déroulement de la campagne est décrit avec beaucoup de précisions par Guillaume de Tyr.

" Le Roi cependant s'étant armé, et ayant fait tous ses préparatifs de guerre et rassemblé les forces du royaume, descendit de nouveau en Egypte, la cinquième année de son règne, au mois d'octobre (1168)   

Après avoir marché pendant dix jours environ à travers le désert qui précède ce pays, il arriva à Péluse, [ Bilbeis]  l'investit aussitôt de toutes parts, s'en empara de vive force en trois jours ... et y introduisit sans retard toutes ses troupes le treizième jour de novembre. 

Aussitôt après la prise de la ville, la plupart des habitants furent passés au fil de l'épée, sans aucun égard pour l'âge ni le sexe ; et ceux qu'un hasard quelconque fit échappera ce massacre, et que l'on put découvrir ensuite, perdirent leur liberté... et furent soumis à une misérable servitude. 

... les bataillons chrétiens, s'élançant en désordre et pèle-mêle, pénétrèrent dans les retraites les plus cachées; ils ouvraient dans les maisons toutes les portes secrètes, et, cherchant de tous côtés ceux qui semblaient avoir échappé aux dangers de la mort, ils les chargeaient de fers et les traînaient ignominieusement au supplice. Ceux qui se montraient dans toute la vigueur de l'âge mûr ou bien armés étaient frappés par le glaive, à peine témoignait-on quelque pitié pour les vieillards ou les enfants, et les gens du menu peuple ne rencontraient pas plus d'indulgence. Tout ce qui pouvait exciter la cupidité tomba entre les mains des assiégeants, et les objets les plus précieux, les plus riches dépouilles, furent distribués par le sort entre les vainqueurs."

Ce texte présente  une sévère condamnation par Guillaume de Tyr des actes perpétrés par les francs qui pour lui révèlent l'ignominie de leur comportement, le massacre des habitants n'était pas effectué parce qu'ils étaient des infidèles ou des ennemis mais uniquement pour s'emparer de leurs biens  : tuer pour mieux piller était la motivation principale des francs lorsqu'ils prirent Bilbeis. Ce type de comportement n'était cependant pas nouveau : de tels massacres avait été perpétrés lors de la première croisade et en particulier lors de la prise de Jérusalem. Les croisés étaient ainsi : férocité, brutalité et  sauvagerie s'alliaient avec la rapacité, la cupidité et le goût du pillage.

QUATRIÈME PHASE : LA MARCHE DES FRANCS VERS LE CAIRE ET LES TRACTATIONS AVEC LE VIZIR
Sawar quand il apprit ces tristes nouvelles crut bon, une nouvelle fois, de louvoyer entre ses deux ennemis en menant de pair deux stratégies parallèles :
     . Il proposa à Amaury qui venait de quitter Bilbeis pour se rendre au Caire, d'augmenter le tribut pour "apaiser sa colère" ; le vizir "ayant enfin découvert l'excessive cupidité du Roi, l'accabla de ses promesses, et s'engagea à lui donner des sommes considérables, telles que le royaume entier eût à peine suffi à les acquitter quand on aurait épuisé même toutes ses ressources. On assure, en effet, qu'il promit de livrer deux millions de pièces d'or, à condition que le Roi ... remmènerait ses troupes dans ses États. "
     . Il envoya des députés à Nur-Ad-Din pour lui demander des secours,

Nur-Ad-Din accepta la demande de Sawar car il se rendait compte que le roi de Jérusalem pourrait réussir à s'emparer de l'Egypte, ce qui augmenterait considérablement sa puissance et ferait tomber un pays musulman sous la férule des infidèles. Il organisa une expédition sous le commandement de Šīrkūh

Quant à Amaury, il poursuivait sa route vers le Caire sans se hâter , " il s'avança avec une telle lenteur qu'il faisait à peine en dix jours la marche d'une seule journée" . Guillaume de Tyr attribue cette lenteur aux tractations secrètes qui avaient lieu entre le roi et le vizir :
      . le vizir promettait au roi toujours plus d'argent pour obtenir la retraite des troupes,
      . Amaury ne songeait " que d'arracher le plus d'argent possible au [vizir], aimant mieux vendre sa retraite au poids de l'or que de livrer la ville au pillage des gens du peuple, comme il l'avait fait déjà pour la ville de " Bilbeis.

En " faisant de telles offres le vizir savait bien qu'il ne pourrait jamais les acquitter" ; son but principal était "d'empêcher que le Roi n'arrivât trop vite au Caire, et que, trouvant cette place sans munitions et hors d'état de se défendre, il ne parvînt à s'en emparer dès les premières attaques" , grâce à ce délai,  il s'empressa de mettre la ville en défense, montra aux habitants que la seule issue était de combattre s'ils ne voulaient pas être massacrés comme ceux de Bilbeis, en outre, en retardant le roi, il gagnait du temps de manière à permettre à Šīrkūh d'arriver.

Le roi arriva finalement au Caire et il installa ses machines de guerre afin de livrer l'assaut. Le vizir et les siens,  " en même temps qu'ils promettaient beaucoup d'argent, .. demandaient des délais pour s'acquitter, disant que les sommes étaient beaucoup trop considérables pour qu'on pût les trouver sur un seul point, et qu'ils avaient besoin d'un plus long terme pour suffire à leurs engagements. Ayant donné cependant cent mille pièces d'or sans aucun retard, le [vizir] obtint [la levée du siège] (1)

CINQUIÈME PHASE : LES DISCUSSIONS ENTRE FRANCS SUR LES PROPOSITIONS DU VIZIR

" Le Roi leva alors le siège, se retira à un mille de la place environ" ...C'est alors que s'éleva entre croisés une nouvelle discussion concernant le sort à appliquer à la ville du Caire :  la piller ou se contenter du tribut, les féodaux voulaient la piller, le roi préférait plutôt le tribut

Guillaume de Tyr présente les deux alternatives du débat qui eut lieu :
 " ... lorsque les villes sont prises de force, les armées remportent toujours de bien plus riches dépouilles que lorsqu'elles sont livrées aux rois et aux princes à la suite d'un traité quelconque et sous des conditions déterminées, qui ne sont avantageuses qu'aux seigneurs mêmes.
     . Dans le premier cas, au milieu de la confusion qu'entraînent toujours ces scènes tumultueuses de destruction, tout ce que chacun rencontre, de quelque manière que ce soit, appartient au premier occupant, en vertu du droit de la guerre, et accroît la petite fortune de chaque vainqueur ;
     . mais dans le second cas, les rois seuls profitent des stipulations favorables, et tout ce qui leur est alloué revient de droit à leur fisc.

La plupart des participants à l'expédition étaient évidemment enclins à l'attaque de la ville afin de la livrer au pillage qui leur permettrait de conserver pour eux-mêmes le produit de leur larcin, cependant le roi imposa son point de vue,  l'armée franque resta sur ses positions et l'on continua à négocier sur la valeur du tribut.

Encore une fois la cupidité des seigneurs comme du celle du roi était clairement établie, ils combattaient uniquement pour les avantages matériels qu'ils pouvaient en tirer. (2)

SIXIÈME PHASE : LA RETRAITE

Sawar, délivré de l'imminence de l'assaut franc sur Le Caire, n'eut plus qu'à faire des promesses de plus en plus mirifiques au roi pour le faire patienter en attendant l'arrivée de l'armée de Šīrkūh.

Quand les francs apprirent l'arrivée de l'armée turque, le roi décida de se replier vers Bilbeis, " Là, ayant pris des vivres pour la route, et laissant derrière lui une force suffisante de chevaliers et de gens de pied pour défendre la ville, le Roi partit le 25 décembre, et marcha vers le désert à la rencontre de[ Šīrkūh ] s'était déjà assez avancé dans cette solitude, lorsque les éclaireurs qui connaissaient bien les localités, et en qui il fallait bien avoir confiance, vinrent lui annoncer que   [ Šīrkūh ] avait déjà passé avec toutes ses troupes.

" Les forces des ennemis étant doublées, il n'y avait plus de sûreté à demeurer plus longtemps dans le pays ; tout retard accroissait le péril. Il paraissait imprudent d'aller combattre les ennemis, et d'ailleurs le [vizir] ne voulait plus accomplir ses engagements; nous n'avions aucun moyen de l'y contraindre, et il était évident qu'il n'avait cherché tant de prétextes et de retards que dans l'intention d'attendre l'arrivée des Turcs, pour nous forcer alors à la retraite."

Dans cette situation il n'y avait plus rien d'autre à faire que de quitter l'Egypte : l'armée évacua Bilbeis et le roi regagna son État.

1- Parallèlement à l'attaque terrestre, Amaury avait enjoint à la flotte franque de gagner l'Egypte, celle-ci aborda une des embouchures du Nil, prit Tanis que l'on pilla puis tentèrent de remonter le fleuve. Ils y furent empêchés par les égyptiens qui fermaient le passage, puis le roi ordonna le repli de sa flotte vers ses ports d'origine lorsqu'il apprit l'arrivée de l'armée turque.

2- Cette différence de point de vue entre le roi et les féodaux  a été aussi évoquée par un auteur arabe IBN AL ATIR qui relate un dialogue qui eut lieu avant ou pendant l'expédition  :

" Les Francs invitèrent leur roi Amaury à faire la conquête de l’Égypte ; [le roi], malgré les représentations des officiers les plus élevés en grade et réputés pour leur prudence, leur tint le discours suivant : Mon avis, leur déclara-t-il, est de ne point nous engager dans cette affaire, l’Égypte est notre vache à lait, le tribut qu’elle nous fournit sert à nous donner des forces pour résister à Nūr ad-Dīn. Si nous y allons avec l’intention d’en prendre possession le souverain, l’armée, les habitants des villes et ceux des campagnes refuseront de nous céder le pays et la crainte que nous leur inspirerons les jettera dans les bras de Nūr ad-Dīn. Et si celui-ci accepte.... cela aboutira à la perte des Francs et à leur expulsion à brève échéance de Syrie ! »

Les membres du Conseil, répliquèrent à Amaury : « L’Égypte n’a personne ni pour la protéger ni pour la garder et avant que Nūr ad-Dīn apprenne nos projets, et qu’il ait le temps d’équiper une armée et de l’envoyer contre nous, le pays sera entre nos mains. »

dimanche 19 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (111) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

LA QUATRIÈME  EXPÉDITION (1168-1169)

Elle est pour moi la plus intéressante pour deux raisons :
   - d'abord parce qu'elle est symptomatique des mentalités des francs mettant systématiquement en avant leur goût du pillage et un appétit d'enrichissement porté à son paroxysme,
   - ensuite parce que Guillaume de Tyr est un contemporain de cette expédition, participant aux ambassades qui furent organisées au préalable,
    - enfin par le fait que cet auteur n'hésite pas à dénoncer l'esprit de lucre des francs qu'il condamne avec fermeté.

Le récit de Guillaume de Tyr est si intéressant à la fois pour l'étude des mentalités y compris celle du maître des hospitaliers, qu'il mérite que j'en cite de larges extraits :

PREMIÈRE PHASE : LA PROPOSITION D'ALLIANCE DE L'EMPEREUR BYZANTIN
" Dans le cours de l'été (1168) [les députés de l'empereur de Constantinople Manuel Comnène]... arrivèrent à Tyr; ils allèrent aussitôt trouver secrètement le seigneur Roi..., lui exposèrent l'objet de leur voyage, et lui présentèrent les écrits qu'ils avaient reçus de l'Empereur ... Voici quel était, en abrégé, le motif de leur mission. Le seigneur Empereur avait reconnu que le royaume d'Egypte, infiniment puissant jusqu'alors et jouissant d'immenses richesses, était tombé entre les mains de gens faibles et efféminés, et que les peuples voisins avaient une parfaite connaissance de l'impéritie, de la faiblesse et de l'incapacité du seigneur de ce pays et de tous ses princes. Comme il paraissait impossible que les choses demeurassent plus longtemps dans cette situation, plutôt que de voir passer la souveraineté et le gouvernement de ce royaume entre les mains des nations étrangères ( les émirats de Nur-Al-Din) , l'Empereur avait pensé ...qu'il lui serait facile, avec le secours du seigneur Roi, de soumettre ce pays à sa juridiction.

on arrêta une convention qui fut approuvée des deux parties puis le Roi me (Guillaume de Tyr parle ici de lui-même)  donna l'ordre ... d'aller, en qualité de conseiller du Roi et de tout le royaume, porter au seigneur Empereur les lettres qui me furent remises, et de ratifier le traité  ...  en la forme qui fut déterminée par avance.

Le seigneur Empereur nous accueillit honorablement, et nous traita avec bonté dans sa clémence impériale ; nous lui exposâmes soigneusement le motif de notre voyage et de notre mission auprès de lui, ainsi que la teneur des traités que nous avions à lui présenter ; il reçut ces nouvelles avec joie et approuva gracieusement tout ce qui avait été réglé à l'avance.

Après avoir reçu les lettres impériales qui contenaient en entier toutes les clauses du traité, ayant ainsi heureusement accompli notre mission,  nous nous remîmes en route vers le commencement d'octobre, pour retourner dans le royaume" .

 Ainsi l'empereur Manuel propose au roi de Jérusalem d'organiser une expédition commune pour la conquête de l'Egypte. Amaury a accepté cette alliance mais elle l'ennuie car l'empereur exigera de placer l'Egypte sous son autorité ainsi qu'un partage de l'Égypte et du butin. C'est pourquoi le roi va précipitamment organiser un conseil afin de recueillir l'avis des féodaux sur l'envoi immédiat d'une nouvelle expédition en Egypte. Ce conseil sera tenu avant même le retour des ambassadeurs porteurs du traité d'alliance.

DEUXIÈME PHASE : LES DISCUSSIONS DES FRANCS SUR L'INTERVENTION EN EGYPTE
Lors de ces discussions, deux opinions contraire se firent jour :
     . Pour les uns, ils assuraient savoir avec certitude " que Savar, le [vizir] d'Egypte, expédiait fréquemment des messages à Noradin ( Nur-Ad-Din) , et implorait secrètement son assistance, lui faisant dire qu'il se repentait d'avoir conclu un traité avec le Roi, et qu'il avait le projet d'y renoncer; qu'il éprouvait de la répugnance à se trouver engagé dans une alliance avec un peuple ennemi, et que s'il pouvait compter avec certitude sur les secours de Noradin, il s'empresserait de rompre son traité et de se séparer du Roi.
     . Il y a des personnes qui disent (aussi ) que tous ces bruits n'étaient qu'une fausse invention, que le [vizir] Savar était innocent, qu'il observait de bonne foi son traité et en remplissait les conditions, et que ce fut à la fois une œuvre impie et injuste d'aller lui faire de nouveau la guerre"  et que la traîtrise dénoncée de Sawar n'était qu'un prétexte sans fondement.

Dès ce moment, Guillaume de Tyr prend partie en écrivant que Dieu ne pouvant accepter ces faux arguments "retira sa protection aux nôtres, rendit leurs efforts inutiles, et ne voulut point accorder le succès à des tentatives qui n'étaient point fondées sur la justice. "

Ainsi, la quatrième expédition d'Égypte avait des buts uniquement matériel sans aucune connotation religieuse, Guillaume de Tyr utilise des mots très forts pour dénoncer les comportements des francs ( impie, injuste, faux arguments). De cette prise de position, on peu en conclure que Sawar respectait ses engagements même s'il avait du mal à réunir les sommes nécessaires au paiement du tribut (100.000 dinars par an !)

La quatrième expédition d'Egypte fut donc réalisée dans la précipitation avant que les byzantins ne puissent intervenir et exiger la souveraineté sur l'Egypte et avant que Nur-Ad-Din ne réagisse et envoie un nouveau corps expéditionnaire. On se servit d'un faux prétexte pour justifier l’invasion un pays officiellement allié du royaume.

LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA QUATRIÈME EXPÉDITION.
M Delaville le Roux mentionne un traité entre le roi Amaury et Gilbert d'Assailly daté du 11 octobre 1168, au moment du départ de l'armée rassemblée à Ascalon :
     . L'ordre s'engage à mettre à la disposition du roi 500 chevaliers et 500 turcopoles,
     . En échange, le roi concède de nombreux avantages à l'ordre :
          - la ville de Bilbeis lui sera cédée en toute propriété une fois conquise,
          - le roi assure à l'ordre un revenu de 50.000 besants Cette somme sera prélevée sur les revenus d'un territoire mis à la disposition de l'ordre ainsi que sur les revenus de dix villes d'Égypte ; parmi ces dix villes citons  Forstat, Tanis, Damiette, Alexandrie ... Dans chaque cité, l'ordre devra disposer de la meilleure maison après, cependant, que le roi se soit servi.
         - l'ordre recevra une part du butin ainsi que des tributs et indemnités payés par le vaincu après prélèvement de la moitié allouée au roi.  Il pourra percevoir la dîme sur toutes les terres conquises...

Ainsi, même au niveau des Hospitaliers, l'esprit de lucre et de puissance domine. Comme souvent, on se partage les dépouilles avant même de les avoir conquises ! Ce partage ne fut cependant pas le fait unique des hospitaliers, il est probable que chaque seigneur se vit aussi attribuer un bien sur la conquête à venir.

Guillaume de Tyr donne une image sombre du maître de l’Hôpital :
"Gerbert, surnommé Assalu [Gilbert d'Assailly] maître de la maison de l'Hôpital, établie à Jérusalem, fut, à ce qu'on dit aussi, le principal moteur de ces funestes résolutions (d'attaquer l'Égypte)

C'était un homme d'un grand courage, et généreux jusqu'à la prodigalité, mais léger et d'un esprit très-mobile : après avoir dépensé tous les trésors de sa maison, il emprunta encore des sommes considérables, et les distribua à tous les chevaliers, qu'il allait cherchant de toutes parts pour les attirer à lui ; la maison de l'Hôpital se trouva, par sa conduite, chargée d'une si grande masse de dettes qu'il n'y avait aucun espoir qu'elle pût jamais s'en affranchir. "

Cette partie du texte permet de répondre à l'interrogation de savoir si les moines hospitaliers en tant que tels participèrent à l'expédition ; la réponse est donné ici par Guillaume de Tyr qui indique clairement que le maître de l'ordre alla chercher des chevaliers de toute part pour les attirer à lui : selon moi et au vu de cette phrase, ces chevaliers ne sont pas des membres profès de l'ordre mais des combattants enrôlés pour le temps de la campagne. Les hospitaliers proprement dit se chargeant néanmoins du commandement et de l'intendance.

" On dit qu'il ne fit toutes ces énormes dépenses que dans l'espoir qu'après la conquête et la soumission de l'Egypte, la ville de Bilbéis, anciennement appelée Péluse,(1) et tout son territoire, reviendraient à sa maison et lui appartiendraient à perpétuité, en vertu d'une convention conclue antérieurement avec le Roi."

Ces dépenses excessives et le fait que le chapitre n'ait pas été consulté  firent que Gilbert d'Assailly fut si critiqué après l'échec de l'expédition qu'il décida de renoncer à la charge de maître de l'ordre.


1- Guillaume de Tyr indique dans son texte que la ville concédée à l'ordre de l'Hôpital est "Peluse anciennement appelée Bilbeis," ce qui semble faire penser qu'il s'agit de la même ville, en fait, ce sont deux villes différentes, et le don, selon les historiens consultés, concerne Bilbeis.

vendredi 17 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (110) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

LA TROISIÈME EXPÉDITION (1167)
La deuxième expédition avait permis au roi de Jérusalem  comme à l'émir turc de constater à quel point l'Egypte était riche et faible : pour les deux protagonistes, la conquête du pays devrait être facile.

Šīrkūh réussit à convaincre le calife abbasside de Bagdad qu'une nouvelle expédition permettrait de chasser les chiites de l'Egypte et de rétablir l'unité religieuse autour du sunnisme  Nur-Ad-Din, d'abord hésitant se rallia à l'avis du calife et donna l'autorisation à Šīrkūh de lancer une nouvelle offensive. L'armée turque se mît en chemin en janvier 1167 et suivit la  longue route intérieure des caravanes.

Quand il apprit cette nouvelle offensive turque, Amaury décida, avec l'appui des principaux seigneurs réunis en conseil à  Naplouse, d'organiser une nouvelle expédition en Égypte afin d'empêcher Šīrkūh de s'en emparer. L'expédition partit d'Ascalon à la fin du mois de janvier 1167.

Lorsque Sawar apprit que l'Egypte allait être menacée par les deux armées convergeant vers son pays et qui étaient ennemies l'une de l'autre, il prit conscience que l'Egypte ne disposait pas de troupes capables de mener de front deux offensives, en conséquence, il décida, comme il en avait pris l'habitude,  de se concilier l'un d'entre eux pour mieux combattre l'autre. Il fit le choix du  roi de Jérusalem qui venait d'arriver en Egypte et offrit son alliance à Amaury.

Le détail des tractations  est clairement donnée par Guillaume de Tyr :

Le vizir " résolut donc, de concert avec les Chrétiens, de renouveler les anciens traités, d'établir sur des bases inviolables une convention de paix, et d'alliance perpétuelle entre le seigneur Roi et le calife [fatimide du Caire], d'augmenter la somme des tributs et de les constituer en revenu fixe et déterminé, qui serait payé annuellement au seigneur Roi sur les trésors du calife. Ceux qui intervinrent pour régler ces conventions ... décidèrent qu'il serait alloué au seigneur Roi une somme de quatre cent mille pièces d'or : la moitié fut payée sur-le-champ, et l'on promit que les deux cent mille pièces restantes seraient payées sans la moindre difficulté aux époques déterminées, sous la condition expresse que le seigneur Roi s'engagerait de sa propre main..., à ne point sortir du royaume d'Egypte avant que Syracon (Šīrkūh )et son armée fussent entièrement détruits ou expulsés de toutes les parties du territoire."

On peut s'étonner d'une alliance qui parut impie et de contre-nature à beaucoup de musulmans ; pourtant elle était pour le vizir un moindre mal : si Šīrkūh l'emportait, il savait qu'il resterait dans le pays ; par contre Sawar pouvait penser qu'Amaury regagnerait le royaume sitôt l'armée turque vaincue,  étant toujours sous la menace de contre-offensives de Nur-Ad-Din sur le nord du royaume : mieux valait accepter un protectorat lointain, même assorti d'un tribut, plutôt qu'une occupation militaire.


L'armée d'Amaury à laquelle se joignit l'armée égyptienne passa Bilbeis et campa à Forstat ( la première ville sur le site du Caire située sur la rive orientale)

L'armée de Šīrkūh arriva quelque temps plus tard, l'émir décida de contourner Le Caire par le sud, puis il traversa le Nil (2),  remonta vers le nord puis installa son camp à Guizeh sur la rive occidentale du fleuve(3). Les deux armées se trouvaient face à face de part et d'autre du Nil, il y restèrent plus d'un mois selon Guillaume de Tyr.

Afin de livrer bataille, les francs décidèrent de construire un pont de bateaux pour traverser le Nil mais dès que le pont fut à portée des archers turcs, ils lancèrent des bordées de flèches qui empêchèrent tout avancement des travaux.

Si on suit ce qu'écrit Guillaume de Tyr, Amaury envoya alors un détachement par bateau jusqu'à un lieu où se trouve une île au centre du Nil (4?) permettant de traverser le fleuve. L'île était occupée par les turcs, ils y venaient effectuer une razzia mais on peut penser aussi que  Šīrkūh pensait traverser le fleuve à et endroit  pour prendre à revers l'armée Franco-égyptienne, le combat s'engagea, les francs furent vainqueurs et purent passer sur la rive occidentale du fleuve.

Dans cette perspective, menacé par un ennemi supérieur en nombre, il ne restait d'autre choix à  Šīrkūh  que de refluer vers la moyenne Egypte. Poursuivi par l'armée d'Amaury, il dût livrer le combat à Al-Babayn en mars 1167 (5?)

La bataille fut indécise, chacun pût se croire vainqueur ; cependant, à l'issue de la bataille, les deux armées furent si éprouvées qu'elle durent se replier : l'armée d'Amaury et de Sawar regagna Forstat (1) . Quant-à l'armée turque, elle se porta vers Alexandrie, cité dont le gouverneur, par haine du traité d'alliance entre Sawar et Amaury, avait pris le parti de Šīrkūh.

Les francs décidèrent de se porter vers Alexandrie pour assiéger la ville. La cité, défendue par Saladin le neveu de Šīrkūh ( Šīrkūh avait quitté Alexandrie pour la Moyenne Egypte) résista mais bientôt les habitants d'Alexandrie commencèrent à maugréer contre le blocus effectué par les francs aidés par une flotte italienne, qui empêchait tout approvisionnement et tout commerce.

Le siège d'Alexandrie se termina comme celui de Bilbeis en 1164 : un traité fut signé entre l'émir turc et le roi de Jérusalem  : les deux armées s'engagèrent à évacuer l'Egypte : le 20 août 1167, l'armée franque était de retour à Ascalon, l'armée turque arriva en Syrie en septembre.

Ainsi la troisième expédition permit à Sawar de préserver son poste de Vizir ; pourtant, l'Egypte avait perdu une grande partie de son indépendance, la manifestation la plus tangible en était la présence d'une garnison franque au Caire chargée de faire respecter les traités et de percevoir le tribut.

jeudi 16 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (109) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

LA DEUXIEME EXPÉDITION DU ROI AMAURY EN EGYPTE (1164)
Amaury qui espérait s'emparer de l'Egypte accepta l'offre de Sawar ( voir article précédent ) , l'armée franque partie début juillet 1164, arrive à Peluse au début du mois d'août 1164. A cette nouvelle, Šīrkūh sentant sa position à Fostat peu sûre (site originel du Caire) décide de rejoindre son neveu Saladin avec toute son armée à Bilbeis

C'est alors que se produisit le second siège de Bilbeis, Amaury et l'armée chrétienne encerclent la ville où se trouve Šīrkūh, Saladin et le corps expéditionnaire turc. Le siège dura trois mois jusque octobre 1164. A cette date, Amaury offrit de faire la paix avec Šīrkūh, la clause principale était que les deux armées quitteraient simultanément l'Egypte. Cet armistice fut accepté par l'émir turc.

La raison de cette proposition de paix s'explique par les graves événements qui se sont déroulés dans les Etats Francs :
     . en août 1164, les armées turques se sont emparées d'HARRENC (ou Harim, principauté d'Antioche) et ont remporté la victoire contre les francs ( le prince d'Antioche et le comte de Tripoli ont été fait prisonniers)
     . En octobre 1164, Nur-Ad-Din attaque le nord du royaume de Jérusalem et conquiert Baniyas (BELINAS)
Amaury a donc hâte de retrouver son royaume en proie à la menace d'une invasion imminente.

 Šīrkūh commençant à manquer d'approvisionnements et n'étant pas informé des succès de Nur-Ad-Din en Syrie, accepta la proposition de paix. Les deux armées quittèrent l'Égypte et en novembre 1164, Amaury fut de retour dans son royaume.

Ainsi, à l'issue de cette seconde expédition, le grand vainqueur est Sawar qui a réussi à reconquérir son poste de vizir et à chasser d'Egypte les deux protagonistes qui menaçaient son pouvoir, l'émir turc Šīrkūh et le roi Amaury.

mercredi 15 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (108) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE. (Suite)

Je me contenterai de les rappeler ici pour mémoire afin de me cantonner à la quatrième expédition pour laquelle est spécifiée explicitement la participation de l'ordre de l'hôpital. Le récit de ces expéditions est assez facile à effectuer, elles sont en effet décrites avec beaucoup de détails par Guillaume de Tyr.

L'EXPÉDITION PRELIMINAIRE DE 1161
Une expédition préliminaire d'Amaury vers l'Egypte eut lieu en 1161 ; elle avait été en quelque sorte préparée par la prise de Gaza en 1150 et d'Ascalon en 1153. Le roi Baudouin III en 1161 avait en effet envoyé une armée conduite par son frère attaquer l'Egypte. L'armée franque longea la côte jusque Al-Arish ; devant la menace, l'Égypte fatimide négocia : elle promit un tribut annuel de 160.000 dinars contre l'arrêt de l'expédition.

Amaury, devenu roi à la mort de son frère Baudouin III,  estima que la situation égyptienne était favorable à une nouvelle expédition : en effet, une série de révolutions de palais s'était produite pour la conquête du pouvoir viziral , la dernière ayant conduit à la déposition par Dirgām en septembre 1163 de Sawar, devenu vizir quelques mois plus tôt. Dirgām fit massacrer tous ses concurrents potentiels en sorte que la structure gouvernementale et militaire de l'Egypte était largement désorganisée au moment de l'offensive d'Amaury

LA PREMIERE EXPÉDITION D'AMAURY EN TANT QUE ROI EN 1163
Le non-paiement du tribut promis en 1161 fut le prétexte saisi par Amaury pour organiser cette nouvelle expédition,  la première de son règne ; parti d'Ascalon et Gaza début septembre 1163, l'armée franque longea la côte, passa à  Al-Arish puis Peluse puis s'engagea par la route longeant le bras pelusique du Nil vers Bilbeis, la dernière ville fortifiée sur la route du Caire : s'emparer de Bilbeis était donc s'ouvrir le chemin d'accès vers le Caire.

" le Vizir qui se nommait Dargan  (Dirgām) (1) marcha à sa rencontre avec une innombrable multitude de combattants, et ne craignit pas de livrer bataille au Roi dans les déserts voisins des frontières de l'Egypte. Cependant, ne pouvant soutenir le choc des nôtres, il perdit beaucoup de monde sur le champ de bataille et quelques prisonniers, et prenant alors la fuite, il fut contraint de se retirer avec ce qui lui restait de troupes, et s'enferma dans une ville voisine, appelée Bilbéis chez les Égyptiens"

Amaury décida d'assiéger Bilbeis afin de s'emparer de cette ville et d'en faire une base de départ vers Le Caire mais les égyptiens décidèrent de rompre les digues du Nil afin d'inonder le pays. Amaury n'eut alors d'autre choix que de lever le siège de Bilbeis et à prendre le chemin du retour. A l'automne 1163, l'armée franque était de retour dans le royaume.

LES ÉVÉNEMENTS D'EGYPTE
Entre la première  expédition d'Amaury en tant que roi de 1163 et la deuxième de 1164, se déroule une compétition acharnée entre l'ancien Vizir, Sawar et le nouveau Dirgām, Sawar se réfugie à la cour de Damas, demande secours à Nur-Ed-Din, promet de lui livrer un tiers des ressources de l'Égypte ainsi que la partie Nord-est du delta du Nil et de lui rembourser ses frais de campagne pour prix de son aide. Nur-Ad-Din qui vient de subir une grande défaite au pied du Krack des chevaliers en mai 1163, n'est guère enclin à envoyer une expédition en Égypte, pourtant il se laisse convaincre et envoie un corps expéditionnaire en Égypte sous la conduite de l'émir Šīrkūh.

Dirgām se sentant perdu " adressa au seigneur roi de Jérusalem des députés porteurs de paroles de paix, et le supplia... de lui prêter secours contre les ennemis dont il était menacé. Il offrit de payer un tribut, non seulement tel que celui dont il était convenu antérieurement avec le seigneur roi Baudouin, mais même beaucoup plus considérable, laissant au Roi la faculté d'en fixer le montant, promettant en outre une soumission éternelle, dont les conditions seraient déterminées par un traité d'alliance "

Sawar et le corps expéditionnaire turc arrive le 1er mai 1164 au pied du Caire. Apres trois semaines de siège, la ville est conquise par Šīrkūh,  Sawar est rétabli par le calife Al-Adil dans sa dignité de vizir. Comme il en était convenu,  Šīrkūh demande au Vizir d'honorer les promesses faites à Damas et, en attendant, envoie son neveu Saladin s'emparer de Bilbeis qui lui avait été dévolu par le traité de Damas et percevoir les impôts au nom de Nur-Ad-Din

" Savar craignit bientôt d'avoir aggravé sa condition..., en introduisant un tel hôte dans le pays, et redoutant de le trouver semblable à la souris enfermée dans l'armoire, ou au serpent réchauffé dans le sein... [et] se hâta d'expédier des députés en Syrie, auprès du seigneur roi de Jérusalem, et les chargea de lui porter des paroles de paix, d'exécuter sans le moindre retard les conventions qui avaient été arrêtées antérieurement entre le seigneur Roi et Dargan, et même, s'il était nécessaire, d'offrir encore déplus grands avantages " il offrit une contribution de mille dinars par jours de campagne ainsi que le fourrage.

À suivre..

1- Selon M Elisseeiff dans son livre sur Nur-Al-Din, L’armée fatimide était commandée non par le Vizir mais par son frere  Nāṣir ad-Dīn Fāris al-Muslimīn

lundi 13 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (107) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE.

A l'avènement du roi Amaury en 1163, la situation du Proche-Orient musulman s'était considérablement modifiée à deux points de vue :
     . Au nord-est des Etats francs s'était constituée une puissance redoutable pour les chrétiens avec l'union des émirats d'Alep et de Damas en 1154 sous la domination de l'atabeg Nur-Al-Din. Cette puissance menaçait directement la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli ainsi que la Galilée.
     . Au sud par contre, le califat fatimide du Caire s'était considérablement affaibli : le calife était un enfant et la cour califale voyait se dérouler une lutte féroce entre les postulants au titre de Vizir (celui qui dirige effectivement l'Egypte).

Entre ces deux puissances, le roi s'estimait pris en étau : s'il se produisait une attaque coordonnée des turcs de Damas-Alep et des Fatimides d'Egypte, le roi de Jérusalem n'aurait pas les moyens de lutter sur deux fronts, il lui fallait donc abattre un de ces deux ennemis pour empêcher toute alliance entre eux. Le choix du roi se porta sur l'Égypte qui semblait plus facile à vaincre vues ses divisions intestines.

Considéré après coup, ce choix fut une grave erreur à trois points de vue au moins :
     . Une alliance offensive  entre l'Égypte et les émirs turcs était inenvisageable à cette époque :  d'abord  parce qu'il existait une animosité profonde entre les turcs sunnites et les Fatimides chi'ites, ensuite et surtout par le fait que l'Égypte de l'époque, empêtrée dans ses querelles internes, n'avait pas les moyens de participer à une offensive contre les francs.
     .  A cette époque, l'Egypte fatimide n'était guère dangereuse pour les chrétiens, par contre l'union de Damas et Alep sous l'égide du même souverain l'était beaucoup plus, c'est contre Nur-Al-Din qu'il aurait fallu lutter en priorité.
    . L'attaque de l'Egypte présentait de grands risques stratégiques : si l'armée franque se trouvait en Égypte, Nur-al-Din aurait les coudées franches face aux Etats francs septentrionaux et en particulier face à la principauté d'Antioche. C'est ce qui se produisit, entre 1164 et 1167, l'atabeg lance plusieurs offensives pendant les expéditions d'Amaury en Égypte, s'empare d'Harrenc,  fait perdre à la principauté d'Antioche tout l'Outre-Oronte, prend Banyas en Galilée et obtient le partage du territoire de Tibériade jusqu'alors aux mains des francs.
     . Enfin, même si turcs et Fatimides se détestent, la solidarité entre musulmans conduisit l'Egypte à  demander secours à Nur-Ad-Din qui envoya un corps expéditionnaire en Égypte. Cela amena l'installation durable des turcs en Égypte. En ce sens, les expéditions en Égypte eurent les mêmes effet que l'attaque de Damas par la seconde croisade : la seconde croisade amena à l'unification de Damas et Alep sous l'égide de Nur-Al-Din, les expéditions d'Égypte aboutirent à l'unification des Etats de Damas, Alep et de l'Egypte sous la souveraineté de Saladin.

Ces risques sont exprimés par les historiens mais qu'en était-il des contemporains de l'événement ? Quels sont les facteurs qui influencèrent le roi de Jérusalem ? Il suffit de lire Guillaume de Tyr pour les trouver :
     . le premier facteur est le jeu dangereux du vizir de l'époque appelé Savar par Guillaume de Tyr avec des volte-face fréquentes entre Amaury et Nur-Ad-Din, recherchant l'appui de l'un contre l'autre et changeant d'allié selon les circonstances.
     . Cependant, pour moi, la principale motivation est l'appât du gain : l'Égypte est riche et le roi pourra lever dans ce pays des tributs exorbitants soit pour prix de son aide à Savar, soit comme indemnités imposés par le vainqueur. Si on consulte Guillaume de Tyr, on constate que les questions d'argent vont dominer ces campagnes. En extrapolant, on peut supposer que grâce  à cette manne financière, le roi pense pouvoir créer une grande armée capable de se retourner efficacement contre Nur-Al-Din.
     . Pour les croisés, il existe aussi un autre appât : il sera possible de se partager l'Égypte afin de permettre aux seigneurs présents de se constituer des fiefs pourvus d'importants revenus (ce fait est en particulier attesté pour les Hospitaliers) : ainsi, à ce niveau, l'histoire se répète :  comme pour la principauté de Damas, on se partage les terres d'Egypte avant même qu'elles ne soient conquises !
    . Enfin, on peut mentionner une motivation qui servira de prétexte et d'alibi, la protection des chrétiens coptes d'Egypte.

dimanche 12 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (106) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES HOSPITALIERS DANS LA DEFENSE DU ROYAUME

LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON (suite)

LE RECIT DE BERNARD LE TRÉSORIER
" Un des fils de Saladin qui était nouvellement à Damas.... manda au comte de Tripoli que le lendemain il le laissât entrer aux terres des Chrétiens en passant sur sa terre [ la Galilée] pour faire une course ( un raid) . 

Quand le comte ouït ceci, il fut très-fort dolent, et pensa que, s'il refusait le fils de Saladin, il avait à craindre de perdre l'aide et le conseil de son père, et que s'il lui octroyait sa demande, il en aurait grande honte et grand blâme parmi la chrétienté; mais après il pensa qu'il en garantirait si bien les Chrétiens qu'ils n'y perdraient rien, et que le fils de Saladin ne lui en saurait mauvais gré. Alors il manda au fils de Saladin qu['il lui donnait l'autorisation]  de passer à travers sa terre et d'entrer au pays des Chrétiens, à condition qu'il passerait le fleuve au soleil levant et le repasserait avant le soleil couchant, et que pendant ce temps à ceux qui seraient [dans les] villes et [les] maisons,  rien ne prendraient et ne feraient aucun dommage. Ainsi le promit le fils de Saladin;

Ce premier extrait est la suite logique des événements qui se sont déroulés auparavant : au nom de leur trêve devenue une quasi-alliance, les turcs demandent à Raymond III l'autorisation de faire une incursion en Galilée pour effectuer un raid d'attaque et de pillage. Raymond III accepte la demande à la condition que l'armée turque ne pille ni les villages ni les maisons de Galilée et se contente de razzier la campagne.

On peut s'étonner de cet accord qui constitue une véritable trahison, certes il était fréquent que des trêves et des alliances existent entre les princes chrétiens et les princes turcs ;  loin de se livrer continuellement à la croisade pour les uns et au djihâd pour les autres, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est généralement pacifique avec de courtes périodes de guerre et de longues périodes de trêves. Mais en ce qui concerne l'anecdote ci-dessous et, si on en croit Bernard le Trésorier, on est passé à une autre dimension : un prince chrétien, pour se venger d'un autre prince chrétien,  accepte que l'armée turque vienne piller les campagnes chrétiennes ! Raymond III manifeste certes une hésitation mais ce n'est pas celle du croisé, c'est la peur du blâme que sa trahison de la cause chrétienne pourrait lui occasionner

" le lendemain de grand matin [le fils de Saladin] passa le fleuve, vint par devant Tibériade et entra aux terres des Chrétiens. Le comte de Tripoli fit fermer les portes de Tibériade afin que ceux qui étaient dedans ne sortissent pas, de peur qu'il ne leur arrivât dommage... et partout où il savait que les Turcs devaient aller il manda que personne ne sortît ni des villes ni des maisons, car ... ceux qui se tiendraient cois n'auraient rien à craindre, mais s'ils sortaient dans les champs, on les prendrait et on les tuerait tous; puis il envoya au château de Saphet où étaient les chevaliers du roi pour leur mander qu'ils ne se missent pas en route le lendemain."

Ce deuxième extrait montre que  Raymond III  applique les clauses de l'accord  : il laisse entrer l'armée turque et enjoint aux habitants des villes et des villages de ne pas sortir en les prévenant que s'ils désobéissaient, ce serait à leurs risques et périls ;  il prévient aussi les  Templiers de Safed et de Caco de rester dans leur forteresses. Il va de soi que les templiers ne pouvaient l'accepter ni au nom de leur engagement monastique ni en tant que partisan du roi Guy.

" Quand le maître du Temple sut que les Sarrasins devaient entrer le lendemain dans le pays, il envoya son courrier à un couvent du Temple qui était à quatre milles de là, dans une ville nommée Caco  leur manda que, sitôt qu'ils verraient cette lettre, ils montassent à cheval et vinssent à lui, car le lendemain matin les Sarrasins devaient entrer dans le pays.

Sitôt que le couvent eut reçu l'ordre du maître, ils montèrent à cheval vinrent à lui .... puis le lendemain matin se mirent en marche et allèrent à Nazareth. Les chevaliers de la garnison de Saphet étaient quatre-vingt-dix, tant du Temple que de l'Hôpital; ils prirent à Nazareth quarante chevaliers qui y étaient en garnison pour le roi; ils partirent de Nazareth, et firent... sept milles vers Tibériade, et trouvèrent les Sarrasins à une fontaine qui a nom la fontaine du Cresson [près de Saphorie] , car ils étaient déjà retournés jusqu'au pont pour repasser le fleuve et rentrer dans leur pays

Ce troisième extrait témoigne que le maître des templiers Gerard de Ridefort, était resté Galilée après la réunion qui avait tenté de réconcilier le comte de Tripoli et le roi de Jérusalem. Ne pouvant accepter ce qu'il considérait comme une traîtrise, Il rassembla à la hâte 90 chevaliers  " tant du Temple que de l'Hôpital "  auxquels s'adjoignent 40 chevaliers de Nazareth ayant prêté allégeance au roi Gui de Lusignan.

La présence d'Hospitaliers en tant que chevaliers combattant est donc ici clairement mentionnée. A la tête des hospitaliers se trouve le maître de l'ordre Roger des Moulins comme il est spécifié ensuite. A ces 130 chevaliers s'ajoutait la présence de sergents et d'écuyers à leur service.

Comme on peut le lire ci-dessous, les chrétiens furent défaits ;  les têtes des morts furent mises sur les piques et les prisonniers emmenés en captivité.

"Là fut tué le maître de l'Hôpital [Roger des Moulins] et aussi tous les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, hors seulement le maître du Temple [ Gérard de Ridefort] qui s'en échappa  et les quarante chevaliers qui étaient en garnison pour le roi à Nazareth furent tous tués. Quand les écuyers du Temple et de l'Hôpital virent que leurs maîtres étaient aux mains avec les Sarrasins, ils se mirent en fuite avec tout le bagage"

Quand le fils de Saladin eut occis et déconfit nos Chrétiens à l'aide de ses Turcs, il mit les têtes des chevaliers du Temple et de l'Hôpital et les fit attacher sur les fers des lances des Turcs. Ils emmenèrent les prisonniers liés, et passèrent de cette manière devant Tibériade. Quand ceux de Tibériade virent que les Chrétiens avaient été déconfits, et que les Turcs en emportaient les têtes sur leurs lances et emmenaient les autres pris et liés honteusement, ils eurent une très-grande douleur. Ainsi le fils de Saladin passa le fleuve au soleil levant, et le repassa au soleil couchant. Il tint bien au comte de Tripoli ses conventions, car il ne fit, ni en château, ni en maison, ni en ville, aucun dommage, mais seulement à ceux qu'il trouva aux champs."

Cette bataille fut un vendredi, l'an de l'incarnation de notre Seigneur 1190, le jour de la fête de saint Jacques et saint Philippe, le premier jour de mai"

Ce texte est, selon moi, intéressant à trois points de vue :
     . Il montre bien que la force principale des États francs est celle des ordres de chevaliers, dès qu'il se produit une attaque, ils sont capables de se mobiliser et d'agir rapidement.
     . Il montre aussi que les ordres du Temple et de l'Hôpital agissent à leur guise comme s'ils étaient un État dans l'Etat, prenant les décisions eux-mêmes sans tenir compte de l'avis des princes laïcs.
     .  Il établit clairement la présence de chevaliers hospitaliers combattant.

Pourtant il convient de relativiser ces renseignements car ce texte possède de nombreuses erreurs et invraisemblances que l'on peut constater à la lecture du récit de la bataille de la fontaine de Cresson effectué par Jacques de Vitry. (1)
     . Il se pose d'abord la date de cette bataille : 1190 pour Bernard le trésorier, 1er mai 1187 pour Jacques de Vitry. Cette dernière date doit être retenue car dans le texte de Jacques de Vitry la chronologie est donnée.
     . De même, les deux textes divergent au niveau du nom du prince turc initiateur de l'attaque : le fils de Saladin, Al-Afdal, pour Bernard le Trésorier, Saladin lui-même pour Jacques de Vitry. Les deux sont possibles puisque Al-Afdal était effectivement à Damas depuis août 1186, cependant, n'étant  âgé que de 18 ans, il ne pouvait être qu'un lieutenant de son père. Jacques de Vitry indique que Saladin "envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli", c'est peut être cette avant-garde que commandait Al-Afdal.
    . Une autre invraisemblance du texte de Bernard le Trésorier est l'indication que ce raid ne dura qu'une seule journée : Jacques de Vitry indique que ce raid alla jusque la banlieue d'Acre à 47 km de Tibériade : les cavaliers turcs aurait donc effectué presque 100 km et livré bataille en une seule journée !

En ce qui concerne la participation à la guerre des chevaliers hospitaliers, la lecture des deux chroniques donne une impression différente :
     . pour Bernard le Trésorier les chevaliers qui partirent de Saphet étaient quatre-vingt-dix, "tant du Temple que de l'Hôpital", ce qui suggère un partage égal de chevaliers  entre les deux ordres.
     . Jacques de Vitry est beaucoup plus précis " le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir," : cette phrase permet d'imaginer que les templiers de Saphet rencontrèrent sur leur chemin Roger des Moulins accompagné de 10 frères chevaliers et l'amenèrent au combat.

La disparité entre les deux textes  est frappante : on a l'impression dans le texte de Bernard le Trésorier les Templiers et les Hospitaliers combattent à part égale avec les templiers, tandis que la chronique de Jacques de Vitry semble affirmer que les Templiers allaient seuls au combat et qu'ils rencontrèrent presque par inadvertance quelques chevaliers Hospitaliers formant escorte au maître et leur proposèrent de se joindre à eux pour repousser l'envahisseur.

Pour ma part, je serais enclin à suivre Jacques de Vitry et à penser que, dans ce cas comme dans le cas de Paneade, le rôle des frères chevaliers doit être largement minimisé et que les forces engagées par l'hôpital lors des guerres proviennent surtout de chevaliers et fantassins stipendiés.

(1) voici le texte de Jacques de Vitry
En conséquence, prenant son principal prétexte de ce que le seigneur de Mont-Réal et de toute la terre située au-delà du Jourdain avait rompu la trêve qui nous liait avec les Sarrasins du voisinage, en leur enlevant un riche butin, il leva une multitude de combattants, cavaliers aussi bien qu'hommes de pied, dans toutes les contrées soumises à son pouvoir, en Egypte, en Arabie, à Damas, à Alep et en Mésopotamie. On dit qu'il rassembla et conduisit à sa suite cinquante mille hommes de cavalerie, sans parler des fantassins. Il envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli (lequel était en trêve avec les Sarrasins), c'est-à-dire les pays de Tibériade et de Nazareth, et se rendirent jusque vers la banlieue de la ville d'Accon, afin de provoquer les nôtres, selon leur usage, dans l'espoir que ceux-ci se lanceraient imprudemment et en désordre à leur poursuite, et pourraient ainsi être mis à mort, ou faits prisonniers. Cette funeste combinaison des impies ne manqua pas en effet de se réaliser. Le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir, furent enveloppés par les ennemis auprès du casal de Robert. Quoiqu'ils n'eussent à leur suite que cent vingt chevaliers, ils résistèrent vigoureusement aux dix mille Sarrasins, leur tuèrent beaucoup de monde, mais furent enfin eux-mêmes presque tous tués ou faits prisonniers. Le maître du Temple s'échappa avec un petit nombre d'hommes; le maître de l'Hôpital périt; et ce fut le premier du mois de mai que les ennemis remportèrent sur les nôtres cette sanglante victoire.