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samedi 28 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (33)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA BATAILLE D’HASTINGS

Les grandes batailles sont rares à l’époque médiévale, elles sont, en effet, particulièrement coûteuses en hommes. C’est ainsi que les trois grandes batailles de la guerre de cent ans, Crécy, Poitiers et Azincourt ont décimé l’ost français. Tout est plutôt fait pour éviter les batailles rangées, la stratégie dominante à cette époque, était d’assiéger les forteresses ennemies afin de les détruire ou de les réutiliser comme base d’appui pour de futurs coups de main. 

La tapisserie de Bayeux, même si elle décrit de manière imparfaite et partisane la bataille d’Hastings, est un témoignage intéressant de la manière dont les hommes de la première partie du Moyen-âge  concevaient leur stratégie de combat. 

Pour connaître l’ordre de bataille mise en place par Guillaume, il convient de se référer au texte de Guillaume de Poitiers : 

Le duc « s'avança dans un ordre avantageux, faisant porter en avant la bannière que lui avait envoyée (le pape), il plaça en tête des gens de pied armés de flèches…, et au second rang d'autres gens de pied, dont il était plus sûr, et qui portaient des cuirasses: le dernier rang fut composé des bataillons de chevaliers, au milieu desquels il se plaça avec son inébranlable force, pour donner de là ses ordres de tous côtés, de la voix et du geste. »


Cette phase préliminaire de la bataille n’est pas mentionnée sur la tapisserie de Bayeux. Les vignettes ci-dessus ne montrent que la phase initiale de la bataille, on aperçoit les cavaliers normands s’avançant vers l’armée anglaise, les uns brandissent déjà leurs javelots tandis qu’en avant, les archers commencent lancer des salves de flèches sur les soldats d’Harold. Les deux premiers archers (A)  sont vêtus comme de simples paysans sans protection particulière ; les deux suivants, par contre, sont mieux protégés l’un est revêtu d’une cotte de mailles (B),  tandis que l’autre semble porter une armure faite de plaques recouvrant ses jambes (C). A l’exception de ce dernier dont le carquois est tenu par une lanière entourant le cou, les autres portent leurs carquois à la taille, position qui ne favorisait guère la rapidité des tirs. 

Cette partie de la tapisserie explicite clairement la stratégie de Guillaume : 
   . Dans un premier temps, les archers s’avancent en maintenant toutefois une bonne distance entre eux et l’ennemi et  ils le harcèlent par des bordées de flèches. 
   . Ensuite, la cavalerie s’élancera, lançant d’abord leurs javelots puis combattant au corps à corps. 
A suivre 

dimanche 22 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (32)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE. 

ISTE NUNTIAT HAROLDUM REGE DE EXERCITU WILELMI DUCIS (celui-ci renseigne le roi Harold sur l’armée du duc Guillaume)

Comme Guillaume, Harold a besoin de connaître la position de l’armée normande pour préparer sa stratégie. C’est pourquoi, lui aussi, envoie des éclaireurs qui, sur cette scène, viennent lui rendre compte de leur mission. Harold (2) tend la main vers son messager, indiquant, par ce geste, qu’il le questionne. L’un des deux éclaireurs (A)  tend le bras vers l’arrière montrant la direction par laquelle l’armée normande s’avance ; l’autre (B), observe l’horizon afin de renseigner le roi le plus précisément possible sur les mouvements d’approche des normands.  Les deux hommes sont situés sur une butte comme le montre les formes sinueuses représentant le sol.

La technique de découpage des scènes est bien visible ici, chacune d'entre elles est individualisée par le dessin d'arbres stylisés (E).


La scène suivante montre la harangue de Guillaume à ses troupes avant le combat alors que les deux armées sont, à ce moment, face à face.

 HIC WILLELM DUX ALLOQVITUR SUIS MILITIBUS UT PREPARARENT SE VI RILITER ET SAPIENTER AD PRELIUM CONTRA ANGLORUM EXERCITU (ici, le duc Guillaume exhorte ses soldats à se préparer courageusement et sagement au combat contre l’armée anglaise)

Cette scène est, à première vue, assez curieuse puisqu’elle représente Guillaume (4) semblant parler dans le vide alors que les cavaliers (C) lui tournent le dos et s’apprêtent à avancer. Un seul d'entre eux (D) tourne son regard vers le duc. En fait, le dessin ne montre pas Guillaume effectuant son discours mais plutôt la fin de celui-ci : le duc lève la main, semblant dire : c’est le moment d’attaquer ! Guillaume porte un casque et une cotte de mailles mais ne possède pas d’armes offensives, à l’exception de son bâton de commandement qui peut, d'ailleurs aussi, servir de moyen de défense. 

Pour connaître la teneur du discours de Guillaume, il faut se référer à la chronique de Guillaume de Poitiers  qui n’en cite toutefois que la partie qui lui fut rapportée : 

«  C'est maintenant, leur dit-il, que vos bras doivent prouver de quelle force vous êtes doués, quel courage vous anime. Il ne s'agit plus seulement de vivre en maîtres, mais d'échapper vivants d'un péril imminent. Si vous combattez comme des hommes, vous obtiendrez la victoire, de l'honneur et des richesses. Autrement vous serez égorgés promptement, ou captifs, vous servirez de jouets aux plus cruels ennemis. 

De plus, vous serez couverts d'une ignominie éternelle. Aucun chemin ne s'ouvre à la retraite; d'un côté, des armes et un pays ennemi et inconnu ferment le passage ; de l'autre, la mer et des armes encore s'opposent à la fuite. 

Il ne convient pas à des hommes de se laisser effrayer par le grand nombre. Les Anglais ont souvent succombé sous le fer ennemi; souvent vaincus, ils sont tombés sous le joug étranger, et jamais ils ne se sont illustrés par de glorieux faits d'armes. Le courage d'un petit nombre de guerriers peut facilement abattre un grand nombre d'hommes inhabiles dans les combats, surtout lorsque la cause de la justice est protégée par le secours du Ciel. Osez seulement, que rien ne puisse vous faire reculer, et bientôt le triomphe réjouira vos cœurs.»

Ce discours s’articule selon quatre grandes idées : 
   .  En premier lieu, Guillaume montre que, pour ses hommes, le choix est simple ou vaincre ou être tués ou captifs. 
   . Selon lui, il n’y a aucune autre échappatoire, l’armée normande est établie en pays ennemi et est environnée de deux dangers, tous les deux aussi périlleux l’un que l’autre : d’un côté, l’armée anglaise et de l’autre côté, la mer et la flotte d’Harold. 
   . Pourtant, proclame-t-il, la victoire est probable à la fois à cause de la supposée faiblesse militaire des anglais et, surtout, par le fait que Dieu bénit leur combat. 
   . Enfin, le duc promet à ses hommes, s’ils sont vainqueurs,  de grandes richesses puisqu’ils se partageront le pays. 

Selon moi, ce texte montre clairement que l’expédition normande en Angleterre fut essentiellement une guerre de conquête sous le prétexte avoué de la revendication du droit de Guillaume à régner sur le pays. 

Prochains articles : LA BATAILLE D’HASTINGS

vendredi 13 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (31)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

L’ARMÉE DE GUILLAUME SE MET EN MARCHE

HIC MILITES EXIERUNT  DE HENSTENGA ET VENERUNT AD PRELIUM CONTRA HAROLDUM REX : (ici, les soldats sortirent d’Hastings et allèrent au combat contre le roi Harold.)

Le départ de l’armée de Guillaume n’est représenté que par une courte scène où l’on voit un soldat à pied d’œuvre (A) s’apprêtant à monter sur le cheval que lui a amené un serviteur (B). Ce soldat vient de sortir de la forteresse de Hastings comme le montre la porte ouverte de la tour-porche du château. Il est vêtu d’un haubert lui couvrant le corps ainsi que les avant-bras. Cette cotte de mailles s’arrête à ses genoux,  ses jambes sont protégées par des chausses de mailles. Il porte un camail sur la tête ainsi qu’un casque à nasal. 

Son armement se compose d’une épée et d’un javelot à oriflamme, il est sans doute complété par un bouclier. 

Une longue bande de la tapisserie de Bayeux montre le départ de l’armée et sa mise en ordre de marche. Pour des nécessités de place, j’ai dû scinder cette longue bande en deux parties.


Les premiers cavaliers constituant l’arrière garde (C) sont encore à l’arrêt, attendant que ceux qui les précèdent se soient ébranlés. En avant du corps principal, se trouve Guillaume (D) et son demi-frère Odon (E). Ils sont reconnaissables au fait qu’ils portent des massues et  ne disposent ni d’épée ni de boucliers. En ce qui concerne Guillaume, cette massue doit lui servir autant d’arme que de bâton de commandement. Odon, en tant qu’évêque, n’a pas le droit de porter une épée et de faire couler le sang, par contre, il peut toujours assommer un éventuel adversaire ; hormis cette particularité, Odon est habillé en combattant, portant cotte de mailles et casque à nasal. 

Guillaume et Odon sont suivis de deux cavaliers portant les oriflammes : l’un tient l’étendard ducal (F)  portant la croix que le pape avait envoyé au duc, l’autre brandit une bannière (G) représentant un oiseau (colombe ?) entouré d’un demi-cercle de flammes (armes de Robert de Mortain ?). 

Le corps d’armée principal est précédé d’une avant-garde représentée sur la tapisserie de Bayeux par deux cavaliers. (H)

 Afin de préparer sa stratégie d’approche, le duc a envoyé un certain nombre d’éclaireurs battre la campagne afin d’obtenir des informations sur les mouvements de l’ennemi ; l’un d’entre eux, appelé Vital (J), vient justement au rapport et, interrogé par Guillaume, lui donne la position de l’armée d’Harold. 

HIC WVILLELM DUX INTERROGAT VITAL SIVIDISSET HAROLDI EXERCITU ici le duc Guillaume demande à Vital s’il a vu l’armée  d’Harold

En regardant la tapisserie de Bayeux, on a l’impression  que l’armée normande se déploie sans encombre dans un ordre parfait ; ce n’est probablement pas le cas, comme le montre Guillaume de Poitiers dans sa chronique. 

En premier lieu, l’armée qui s’ébranle d’Hastings ne représente qu’une faible partie des effectifs totaux dont dispose Guillaume, en effet, « ce jour-là la plus grande partie de ses compagnons étaient allés fourrager » et étaient donc dispersés dans la campagne,  « Le duc aussitôt ordonna à tous ceux qui se trouvaient dans le camp de prendre les armes. » 

Ensuite et surtout, l’initiative de l’offensive n’est pas le fait de Guillaume ; c’est, en effet, Harold qui, le premier, met en branle son armée : « Le roi furieux se hâtait d'autant plus qu'il avait appris que les Normands avaient dévasté les environs de leur camp. Il voulait tâcher de les surprendre au dépourvu, en fondant sur eux pendant la nuit ou à l'improviste ».  Guillaume de Poitiers nous indique aussi comment le duc fut prévenu de l’attaque imminente de l’armée anglaise : ce  sont, écrit le chroniqueur,  « des chevaliers très-éprouvés, envoyés à la découverte par le duc, qui revinrent promptement annoncer l'arrivée de l'ennemi. », il est probable que ces chevaliers normands sont ceux qui avaient dévasté les alentours du camp d’Harold.

Ainsi Guillaume de POITIERS nous livre une version bien différente que celle suggérée par la tapisserie de Bayeux : selon son récit,  le départ de l’armée normande se fit précipitamment, dans l’improvisation et avec de faibles effectifs. On peut d’ailleurs remarquer l’absence dans cette armée en mouvement,  des hommes à pieds et des archers qui participeront à la bataille. 

Selon moi, la réalité se situe probablement entre les deux versions : le duc en effet ne se mit pas immédiatement en mouvement ; comme l’indique le chroniqueur, il prit le temps d’assister à la messe et ne semble guère inquiet, sûr de disposer de la bienveillance de Dieu : « assistant avec la plus grande dévotion au mystère de la -messe, (il) fortifia son corps et son âme de la communion du corps et du sang du Seigneur. Il suspendit humblement à son cou des reliques.. Le duc avait avec lui deux évêques, qui l'avaient accompagné de Normandie, Eudes, évêque de Bayeux, et Geoffroi Constantin, un nombreux clergé, et plusieurs moines. Cette assemblée se disposa à combattre par ses prières. Tout autre que le duc eût été épouvanté en voyant sa cuirasse se retourner à gauche pendant qu'il la mettait; mais il en rit comme d'un hasard, et ne s'en effraya pas comme d'un funeste pronostic. »

Prochain article : LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE.