REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

vendredi 8 avril 2016

LIBERTÉ (23) ET CROYANCE

Suite de l’article précédent

Dans sa "critique de la raison pure", Kant associe aux mots croyance celui de foi. Cela pose une question d'importance : la foi est-elle compatible avec la liberté ontologique que j'ai estimée totale au niveau de ces croyances. Encore faut-il s'entendre sur le sens que l'on peut donner au mot "foi"

Au sens strict du terme, la foi ne s'applique qu'au domaine religieux et en particulier aux religions révélées, il ne s'emploie pas au niveau des croyances forgées par la raison comme l'athéisme, le déisme, le panthéisme..., la foi échappe par sa définition même à toute rationalité. Dans ces conditions, il peut exister quatre possibilités :

     -" je mets ma vie en accord avec mes convictions religieuses et j'obéis fidèlement à ses préceptes, cela me permettra le salut, la notion de foi m'est étrangère.

     - ma croyance est une conséquence de l'étude rationnelle que j'ai effectuée à partir des acquis avec un raisonnement du type " cette croyance est en accord total avec mon être, je crois en tout ce qu'elle enseigne, j'ai foi en elle et j'organiserai ma vie en fonction de ses commandements"

     - elle peut être aussi une révélation avec un événement fortuit par lequel l'être se sent brusquement irradié par l'amour de Dieu et y trouve la réponse à ses interrogations concernant ses croyances. Cet événement peut prendre de nombreuses formes, apparitions, intense émotion, conséquence d'un vœu... Parmi tous les exemples, on peut citer la phrase que l'empereur Constantin aurait dit avant la bataille du pont Milvius : « Dieu des chrétiens, si tu me donnes la victoire, je croirai en toi. »

     - enfin elle peut être une valeur préexistante à l'homme comme l'enseigne le calvinisme avec la prédestination : Dieu a décidé de toute éternité qui serait sauvé et qui ne le serait pas. Selon cette conception, la foi est immanente en ceux qui serons sauvés et dont Dieu favorisera toutes les entreprises ; par contre, les autres, pourront mener une vie vertueuse, ils seront néanmoins damnés.

Dans les deux premiers cas, la liberté de l'homme face à la foi est  totale ; dans le troisième, elle est partielle, enfin, dans le quatrième  cas, elle  n'existe théoriquement pas, pourtant il est permis de penser que, même dans ces religions à prédestination,, les croyants peuvent retourner l'argumentation : " tout me réussis dans la vie, c'est que Dieu m'a prédestiné au salut "

Ainsi, de ce qui précède, on peut constater que la méthode d’introspection et la liberté qui en est la conséquence, non seulement peut s'appliquer à tous les domaines mais aussi de la croyance et même de la foi

Dans cette perspective, il se pose une question fondamentale que j'ai plusieurs fois évoquée : comment s'opère le tri des valeurs et quelle méthode de classement va-t-on utiliser dans le «tiroir de l’être » ;  pourquoi les uns sont des saints tandis que d'autres deviendront des assassins ? Au-delà en effet de l'idée de liberté, il se pose la question du bien et du mal, Il ne s'agit pas ici de considérer le bien et le mal dans la société mais de le faire au niveau de l'être ontologique. ce sera le troisième volet de cette série d'articles sur la liberté.

jeudi 7 avril 2016

LIBERTÉ (22) ET CROYANCE

Suite de l’article précédent

Ainsi, selon Kant, il existe deux domaines distincts qui vont largement influer sur notre liberté :

   - Celui qui émane de la raison et  mène au raisonnement scientifique ; dans ce domaine, on ne dispose que d'une marge étroite de liberté, encore que les sciences sont souvent composées de faits avérés, démontrés et indéniables ( par exemple, la terre tourne autour du soleil), d'hypothèses invérifiables ou en cours de vérification (par exemple, le big-bang), de conceptions qui dépassent l'intellect humain (la notion d'expansion infinie de l'univers ), de constats inexpliqués, de controverses ... Ces trois dernières caractéristiques peuvent permettre à l'homme de prendre position en toute liberté, c’est ainsi le cas en ce qui concerne le réchauffement climatique : pour les uns, il s'agit d'un phénomène naturel pour lequel l'homme a peu de part, pour les autres, il a une cause en grande partie humaine. Ainsi, la liberté de choix ne s'applique que dans les secteurs hypothétiques quasiment métaphysiques dans laquelle la raison s'égare sans fondements réels.

   - A l'inverse, au niveau du domaine de la croyance, on jouit d'une liberté totale avec un choix qui s'effectue à partir du niveau des acquis dont on a conservé le souvenir. certains vont inclure in-extenso ces acquis dans les valeurs à laquelle on adhère ; les uns affirment par exemple la conception suivante :  " je suis chrétien parce que mes parents m'ont donné une éducation chrétienne, j'ai suivi les cours de catéchisme et allais à la messe tous les dimanches, je crois en Dieu et en Jésus Christ en tant que fils de Dieu," ; d'autres diront de la même manière  : " je suis musulman parce que mes parents m'ont donné une éducation musulmane, j'ai suivi les cours de l'école coranique, je vais à la mosquée tous les vendredis, je crois qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que Mahomet est son prophète"

D’autres encore vont également tenter d'appliquer à leurs acquis la méthodologie de la raison même si, selon Kant, ils ne reposent pas sur des fondements solides, Ainsi apparaissent diverses interprétations souvent antinomiques qui correspondent à la liberté de chacun. En voici quelques exemples :
   . "Dieu existe au nom du principe de causalité : tout effet ayant une cause, il faut bien qu'il y ait à un moment donné un démiurge qui a créé le monde, (1)
   . " Je ne crois pas en Dieu parce que le principe de causalité tout comme celui de finitude sont des concepts humains et non des postulats applicables à l'univers. Je crois que l'univers est régi par d'autres règles que l'homme ne peut pas appréhender dans le monde clos qui est le sien. D'ailleurs comme l'écrit Schopenhauer, le principe de causalité conduit à un non-sens d'abord parce que l'on ne pourra jamais accéder à la cause primitive, ensuite, parce si on trouve une cause première, on remet en cause le principe même de causalité,
   . Je suis émerveillé par la beauté et l'harmonie de l'univers, il ne peut y avoir qu'un Dieu pour avoir créé une telle splendeur,
   . Nous ressentons la beauté du monde sans être sûr que cette beauté existe en soi, nous ne disposons que des moyens de nos sens pour en juger, notre vue est limitée par le fait que nous ne percevons que trois couleurs fondamentales, notre perception des sons est également limitée. Notre émerveillement face au monde n'est que le fait de nos propres limitations et n'a rien à voir avec une création faite pour nous et à notre mesure par un Dieu.
   . Ce monde que certains ressentent comme merveilleux n'est que le fruit de la sélection naturelle et de la loi du plus fort"

De toutes ces assertions contradictoires qu'il est impossible de vérifier puisque dépassant toute rationalité objective, chacun choisit celles qui lui semblent le plus adapté à  son " ego", sa conscience qui pense. C'est en ce sens que l'homme jouit de la totale liberté quand il décide de privilégier telle ou telle croyance convenant le mieux à la constitution de son « casier de l'être ».

A suivre…

(1) c'est en particulier le cas par exemple de Voltaire qui justifie son déisme par l'emploi de sa raison seule

" Quand je vois une montre dont l’aiguille marque les heures, je conclus qu’un être intelligent a arrangé les ressorts de cette machine, afin que l’aiguille marquât les heures. Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus et nourris neuf mois dans la matrice; que les yeux sont donnés pour voir, les mains pour prendre, etc. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose, sinon qu’il est probable qu’un être intelligent et supérieur a préparé et façonné la matière avec habileté; mais je ne peux conclure de cela seul que cet être ait fait la matière avec rien, et qu’il soit infini en tous sens. J’ai beau chercher dans mon esprit la connexion de ces idées: « Il est probable que je suis l’ouvrage d’un être plus puissant que moi, donc cet être existe de toute éternité, donc il a créé tout, donc il est infini, etc. » Je ne vois pas la chaîne qui mène droit à cette conclusion; je vois seulement qu’il y a quelque chose de plus puissant que moi, et rien de plus."

mardi 5 avril 2016

LIBERTÉ (21) ET CROYANCE

Il s'agit du deuxième volet de mon étude sur la liberté : tout ce que j'ai écrit dans les articles à propos du thème "liberté et connaissance de soi" se réfère au choix de valeurs effectué par le crible de l'outil-raison ; il se pose alors la question de savoir si cette méthode peut s'appliquer au système des croyances ? 

Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'abord de distinguer entre raison et croyance : Emmanuel Kant traite, entre autre, de ce thème dans la " critique de la raison pure", il est possible de donner un résumé simplifié de ses grandes théories :

   - La méthodologie de la raison est utilisable pour la connaissance d'un phénomène objectivement décelable par l'expérimentation pour qui il est possible d'appliquer les "concepts à priori" (causalité, quantité, qualité...) afin d'élaborer une loi générale ; par contre, la croyance ne repose sur aucun objet physique, elle dépasse ce stade pour accéder à ce qui est au-delà de la physique, la métaphysique transcendantale qui comporte, selon Kant, Dieu, le monde et l'âme. cette différenciation  fait qu'il  existe une barrière infranchissable entre raison et croyance.

     - la raison humaine tend à dépasser cette barrière en établissant des théories métaphysiques d'autant plus générales qu'elles sont sans fondement objectifs. La démarche métaphysique s'effectue à l'inverse de celle que l'on peut appliquer au niveau du monde sensible par l'outil-raison. Dans celui-ci, on part de l'expérience pour établir des lois générales ;  par contre dans la métaphysique, on crée ex-nihilo  une théorie générale et on tente ensuite de rechercher si elle pourrait posséder des fondements. (Dialectique transcendantale)  En ce sens, Kant est aux antipodes de la pensée de Descartes qui part de la notion d'idées claires, distinctes et universelles pour conclure à l'existence de Dieu en tant que démiurge de ces idées claires.

     - la philosophie transcendantale ne porte donc pas sur des objets de connaissance, elle n'est pas une science, ne produit pas de connaissances objectives et n'accroît pas notre savoir.

     - pour adhérer à de tels systèmes transcendantaux, il faut accomplir une double démarche, celle de la foi qui permet de croire à ces systèmes sans fondements objectifs et celle de la liberté qui permet de choisir entre ces systèmes celui qui parait le mieux correspondre à soi.

dimanche 3 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (21)

CONCLUSION SUR LA LIBERTÉ PAR LA CONNAISSANCE DE SOI

De ce qui précède, on peut conclure que la liberté ontologique ne peut s'obtenir que par la connaissance de soi et par l'introspection qui permet seule cette connaissance afin d'accéder aux "  bons casiers " selon la métaphore qui m'a servi de fil conducteur. La voie royale est celle qui mène au "casier de l'être" mais pour y accéder, un long chemin est nécessaire car il faut d'abord de détourner du "casier du paraître " en évitant les divers embranchements qui conduisent aux " casiers des alibis et faux-semblants". Une fois que ce tri est terminé, l'être humain est libre puisqu'il sait pourquoi il agit.

Pour accomplir ce voyage en soi, il n'est besoin que d'un véhicule : la raison et le raisonnement logique seront au volant,  le courage  servira de carburant et la volonté de pilote. Dans notre société, c'est le carburant qui manque : peu de gens ont le courage d'aller jusqu'au bout d'eux-mêmes, ils préfèrent tirer à eux le manteau des apparences, ce qui leur permet de refuser cette évidence de leur esclavage de fait.

La  connaissance de soi ne mène pas nécessairement à la sagesse comme l'indique Platon : l'être en soi constituant ses valeurs indépendamment des notions de bien et de mal ; par contre elle mène à la liberté en soi.

Enfin, chaque événement extérieur modifie l'être et même peut le remettre totalement en cause, la démarche est donc sans cesse à renouveler Cependant, quand on est habitué, on retrouve facilement le chemin.

samedi 2 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (20)

LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

CHOIX DES VALEURS DE L'ÊTRE ET CIRCONSTANCES.(suite)

Un autre exemple dramatique est celui qui a été révélé il y a quelques années  par des témoignages concernant une guerre récente : un jeune appelé du contingent affecté à une zone de guérilla se voit intimer l'ordre de faire faire à un prisonnier rebelle la "corvée de bois", cela veut dire qu'il doit emmener le prisonnier dans la périphérie du camp pour le tuer. Ce jeune appelé qui n'a jamais tué personne, se trouve face à un terrible cas de conscience quant-au choix qu'il devra faire.

Plusieurs solutions peuvent s'offrir à lui, toutes aussi dramatiques les unes que les autres :
     . Il peut d'abord tuer l'homme pour accomplir l'ordre donné en sachant que les remords le poursuivront  toute sa vie.
     . Il peut aussi refuser d'obéir l'ordre en risquant de sévères sanctions et même la mort de la part de la hiérarchie militaire,
     . Il peut également laisser échapper le rebelle au risque de le voir revenir et tuer ses compagnons d'armes ou des innocents.
     . Il peut enfin décider de déserter pour témoigner de l'inhumanité de la guerre.

Cette situation inédite pour ce soldat va créer une véritable "TEMPETE SOUS UN CRÂNE", il n'a que quelques minutes pour se décider : doit-il choisir le respect absolu de la vie des autres ? L'obéissance aveugle aux ordres qui établit son irresponsabilité ? La mise en pratique de la loi du plus fort et du talion avec un raisonnement du type :  " tu es mon ennemi, je suis le plus fort, donc je te tue" ? Il peut être aussi si choqué par l'ordre reçu que s'annihilent en lui toutes les valeurs qui constituent son "être en soi" et qu'il va agir en automate sans être conscient de ce qu'il fait.

Quelle que soit sa décision immédiate, elle aura des répercussions sur son être avec un bouleversement complet des "valeurs en soi"  qui le caractérisaient ; il fera le tri de celles-ci en mettant en avant des valeurs qui n'étaient peut-être pas celles qui existaient en lui ;  pour reprendre la métaphore de la bifurcation du chemin,  deux voies s'offriront à lui : deviendra-t-il colombe pour qui la compassion envers l'autre, la paix et la compréhension seront les valeurs dominantes ou sera-t-il faucon uniquement préoccupé d'appétit de puissance et d'esprit de domination ? Les deux cas ont existé dans la réalité. 

Le dernier exemple est celui d'une personne qui apprend qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre, une telle situation conduira à un autre type de cas de conscience :
     - doit-elle décider de profiter intensément du temps qui reste en faisant ce qui lui plait sans absolument aucune entrave y compris, si nécessaire,  en faisant sciemment le mal au risque de faire souffrir les autres ?
     - doit-elle au contraire faire la paix avec elle-même en se réconciliant avec ses ennemis , en détachant peu à peu de tous les liens qui l'asservissaient à une civilisation matérialiste et en vivant le plus intensément possible les derniers moments qui restent ?

Comme pour le cas précédent, ce cas de conscience implique une remise en ordre des "valeurs en soi" qui constituent l'être.

Heureusement, le chemin de la vie ne conduit que rarement à de tels cas de conscience : la plupart du temps à chaque bifurcation, on se contente de suivre le chemin qui est conforme aux "valeurs en soi" si, toutefois, on est capable de dépasser les casiers du paraître et des faux-semblants pour accéder aux valeurs de l'être.

vendredi 1 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (19)


LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

CHOIX DES VALEURS DE L'ÊTRE ET CIRCONSTANCES.

Dans la perspective que je viens de définir dans les articles précédents, si la liberté en soi de l'homme est totale et qu'il nait sans aucun a-priori (ce que pensent aussi les théoriciens chrétiens), il convient de se poser la question de la méthode par laquelle le choix et le tri des valeurs s'opère.

Pour moi,  ce choix s'opère toute la vie en fonction des circonstances et de l'impact des événements sur "l'être en soi"  Pour employer une métaphore, le cours de la vie ressemble au cheminement sur un long d'une route semée d'une multitude de bifurcations ; que l'on prenne à ces bifurcations une route ou une autre relève de la liberté de l'être et du libre choix en sachant au bout du compte que ces routes ne mènent nulle part sinon à la mort.

La plupart du temps, prendre une route plutôt qu'une autre peut s'effectuer sans dommages particuliers ni conséquence sur "l'être en soi" car il ne remet pas en cause les valeurs qu'il a choisi comme règle de vie. Cependant il existe des bifurcations qui bouleversent complètement l’ordre de se valeurs et je voudrais en donner trois exemples :

Le premier exemple, la TEMPETE SOUS UN CRÂNE est littéraire et provient des "Misérables" de Victor Hugo " première  partie, VII, 3) :  Jean Valjean, ancien forçat évadé est devenu monsieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, un homme respectable et apprécié de tous. Il apprend que le policier Javert vient d'arrêter un certain Champmathieu  qu'il prend pour Jean Valjean. Le véritable Jean Valjean se trouve face à une dramatique remise en cause de l'ordre de ses valeurs que Victor Hugo décrit en ces termes :

" Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m'avoir deviné, qui m'avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté  ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean !

 Et tout cela s'est fait sans moi ! Et je n'y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu'est-ce qu'il y a de malheureux dans ceci ? ...C'est la providence qui a tout fait! ... Ai-je le droit de déranger ce qu'elle arrange ?..  De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas.

Comment ! Je ne suis pas content ! Mais qu'est-ce qu'il me faut donc ? Le but auquel j'aspire depuis tant d'années, le songe de mes nuits, l'objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l'atteins ! C'est Dieu qui le veut. Je n'ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j'ai commencé, pour que je fasse le bien,... C'est décidé, laissons aller les choses ! Laissons faire le bon Dieu ! ... Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu'on pourrait appeler son propre abîme. – Allons, dit-il, n'y pensons plus. Voilà une résolution prise ! – Mais il ne sentit aucune joie.

… Au bout de peu d'instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c'était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu'il eût voulu taire, écoutant ce qu'il n'eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense !

Il se confessa à lui-même que tout ce qu'il venait d'arranger dans son esprit était monstrueux, que "laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu", c'était tout simplement horrible... c'était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

... Être un juste ! est-ce que ce n'était... ce qu'il avait toujours voulu, Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! Mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu'on appelle le bagne !

... Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! C’était là. le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n'entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s'il rentrait dans l'infamie aux yeux des hommes !

– Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! Faisons notre devoir ! Sauvons cet homme !
Il prononça ces paroles à haute voix, sans s'apercevoir qu'il parlait tout haut."

Dans ce cas de conscience, deux chemins possibles se présentent devant Jean Valjean :
     - celui de l'injustice et de l'égoïsme qui consiste à ne rien faire en laissant condamner un innocent.
     - celui de la justice qui sacrifie tout à la vérité avec tous les risques que cela comporte.
Jean Valjean choisira la seconde solution.