REMARQUE
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mardi 28 décembre 2021

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (12)

 L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (3) 

LA POSSIBLE COEXISTENCE : LA SIGNATURE D’UN TRAITÉ DE PAIX ENTRE LE GÉNÉRAL DESMICHELS ET L’ÉMIR ABD-El-KHADER Février 1834 

C’est, selon moi, le mérite du général Desmichels, nommé  commandant de l’armée d’Oran en 1833, d’avoir compris que la violence ne menait à rien, sauf à la dévastation et à la mort, et d’avoir pris l’initiative de négocier avec les arabes.

 

Dans la région d’Oran, se produisit, en 1832, une aspiration de quelques tribus à s’unir pour combattre et, pour cela, à se donner un chef unique. Ils choisirent, pour les diriger, un homme de grand aura, SIDI EL HADJ MAHI ED DIN,  descendant du prophète par sa fille Fatima, il est désormais qualifié, dans les textes, de khalife. Celui-ci appela immédiatement les tribus à fournir des contingents pour effectuer une offensive sur Oran qui échoua ; cela n’empêcha le khalife  de voir grandir son prestige et d’obtenir le ralliement d’autres tribus. En novembre 1832, MAHI ED DIN déclara, lors d’une réunion des chefs de  tribus, qu’il était trop âgé et qu’il ne se sentait plus apte à assumer ses fonctions, il proposa alors de céder la place à son fils, ABD EL KHADER. Celui-ci fut élu Émir des arabes

 


Au moment de sa prise de fonctions à Oran, le général Desmichels se trouve immédiatement confronté aux desseins de l’émir et, en particulier, à son ambition de s’emparer de la région d’ARZEW- MOSTAGANEM afin de se ménager un accès à la mer et, ainsi, d’encercler  Oran et sa région. A cette époque, MOSTAGANEM était aux mains d’une garnison turque du Dey ayant fait allégeance à la France, Desmichels, n’ayant aucune confiance envers ces turcs, s’empara d’Arzew puis de Mostaganem, ce qui occasionna des raids des « arabes » qui voulaient reprendre la région et amena à la tenue d’expéditions punitives de l’armée française : un nouveau cycle de la terreur se mettait ainsi en place.

 

Le général Desmichels, comprenant que la violence ne mènerait à rien, décida alors de tenter d’user de la négociation pour résoudre le conflit : il écrivit une lettre à Abd-El-Khader allant dans ce sens :

 

« S'il vous convenait que nous eussions ensemble une entrevue, je suis prêt à y consentir, dans l'espérance que nous pourrions, par des traités solennels et sacrés, arrêter l'effusion du sang entre deux peuples qui sont destinés par la Providence à vivre ensemble sous la même domination. »

La dernière partie de ce texte est claire : la paix ne pourrait résulter que par la soumission de l’émir à la domination française. 

Le 4 février 1834, le traité est signé : il comporte deux volets qui furent signés par les deux protagonistes : en voici les dispositions principales :

LES CONDITIONS DES FRANCAIS

     . ART. 1er. — A dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le général commandant les troupes françaises et l'émir ne négligeront rien pour faire régner l'union et l'amitié qui doivent exister entre les deux peuples que Dieu a destiné à vivre sous la même domination (sous-entendu, celle de la France) ; à cet effet, des représentants de l'émir résideront à Oran, Mostaganem et Arzew ; de même que pour prévenir toute collision entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara. (Capitale de l’époque d’Abd-El-Khader la capitale sera ensuite transférée à Tlemcen)
     . ART. 2. — La religion et les usages musulmans seront respectés et protégés. 
     . ART. 3. — Les prisonniers seront immédiatement rendus de part et d'autre. 
     . ART. 4. —La liberté du commerce sera pleine et entière. 

En-dessous, se trouve le sceau de l’émir.

 LES CONDITIONS DES ARABES

     . ART. 1er. — Les Arabes auront la liberté de vendre et d'acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce qui concerne la guerre. 
     . ART. 2. — Le commerce de la Merza (Arzew) sera sous le gouvernement du prince des croyants, comme par le passé et pour toutes les affaires. Les cargaisons ne se feront pas autre part que dans ce port. Quant à Mostaganem et Oran, ils ne recevront que les marchandises nécessaires aux besoins de leurs habitants et personne ne pourra s'y opposer. Ceux qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la Merza. 

En dessous se trouve la signature du commandant de l’armée d’Oran.

Seule la première partie du traité, bilingue, fut transmise au ministre de la guerre qui la cautionna  par une lettre au général Desmichels datée du 14 février 1834. Par contre la deuxième partie, rédigée en arabe, ne fut pas transmise au gouvernement, or c’était cette partie qui était la plus contestable à ses yeux : le ministre de la guerre n’avait donné l’autorisation au général de négocier  qu’à la condition que  l’émir reconnaissent explicitement qu'il acceptait la souveraineté de la France, prêterait hommage au roi, payerait un tribut annuel et n'achèterait qu'en France les armes et les munitions dont il aurait besoin. Le général Desmichels fut désavoué et relevé de son commandement en février 1835. Tant qu’il fut présent à Oran, la paix fut préservée.

Le général Desmichels prouva que négocier avec les tribus arabes était certes ardu et aléatoire mais possible, encore fallait-on que les deux parties fassent des propositions qui puissent être concrétisables.

jeudi 23 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (11)

   L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (2)

L’ANNÉE 1834, L’ORGANISATION DES POUVOIRS

En 1834 sont prises deux décisions importantes qui vont engager l’avenir de la colonie  : l’une sur son organisation  politique et l’autre sur la mise en place d’une justice civile.

LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE L’ORDONNANCE DU 22 JUILLET1834 SUR L’ORGANISATION DES POUVOIRS

1. Le commandement général  et la haute administration des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique (ancienne régence d’Alger)  sont confiés à un gouverneur général. Il exerce son pouvoir sous les ordres de notre ministre, secrétaire d’Etat de la guerre

2. Un officier général commandant les troupes
    Un intendant civil,
    Un procureur général,
    Un intendant militaire, 
    Un directeur des finances
sont chargés des différents services militaires civils et militaires sous les ordres et dans les limites de leurs attributions respectives8 

 3. Le gouverneur général a, près de lui, un conseil composé des fonctionnaires désignés dans l’article précédent.

4. jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, les possessions françaises dans le Nord de l’Afrique seront régies par ordonnance.

5. le gouverneur général prépare en conseil les projets d’ordonnances que réclame la situation du pays  et les transmet à notre ministre, secrétaire d’Etat à la guerre. Dans les cas extraordinaires ou urgents, il peut, provisoirement, par voie d’arrêtés, rendre exécutoires les dispositions contenues dans ce projet.

Cette ordonnance est très importante d’abord parce qu’elle clôt la période d’hésitation et de tergiversations de la période précédente, ensuite parce qu’elle augure le cadre de l’organisation administrative de l’Algérie coloniale française.

En premier lieu, est affirmé à deux reprises le fait que la zone d’occupation de l’armée est possession de la France. Le cadre de la conquête est également défini, il comporte l’ensemble des territoires autrefois sous la suzeraineté du Dey d’Alger qui, en 1830 comprenait :

 . Une zone allant de la frontière marocaine à l’Est d’Alger, elle comportait à la fois les plaines littorales et les hauts plateaux et s’étendait jusqu’à l’Atlas saharien.

 . Une zone allant de Bougie à la frontière tunisienne et s’étalant vers le sud jusque l’Aurès. 

. Entre les deux zones, un étroit couloir  contournant des terres tribales restées autonomes.

Cet objectif de conquête sera réalisé à la fin de la monarchie de juillet.

Une deuxième caractéristique de cette ordonnance réside dans le fait qu’elle unifie les pouvoirs en Algérie et les place sous la direction du gouverneur général qui, à celle époque, sera systématiquement un militaire ; désormais, il n’existera plus de contrepouvoir et surtout de séparation entre les territoires civils et les zones militaires, l’intendant civil étant  subordonné au gouverneur général. Celui-ci contrôlera non seulement l’administration et l’armée mais aussi l’organisation de la justice et des finances : il dirigera donc les possessions algériennes de manière quasiment dictatoriale. 

Il existait certes deux limites théoriques à cette omnipotence du gouverneur :

     . Il était entouré d’un conseil comportant les chefs de service choisis par le gouvernement. Il est probable qu’il devait discuter avec eux des décisions à prendre concernant la colonie

     . Il ne pouvait rédiger que des projets de circulaire, pour qu’une circulaire soit promulguée, il fallait l’accord du ministre de la guerre.

Cette deuxième limite était cependant illusoire puisque, en cas d’urgence, le gouverneur avait le droit de faire appliquer ses projets sans attendre l’aval du ministre du fait des importants délais de transmission et de décision.

Enfin, il convient de remarquer que les décisions concernant la colonie sont effectuées par le gouvernement central sans passer par le parlement, ce qui conforte encore plus l’autocratisme du gouvernement de la colonie délégué au gouverneur général.

ORDONNANCE SUR L’ORGANISATION DE LA JUSTICE

Un autre texte important est promulgué le 30 août 1824 concernant la pratique de la justice, jusqu’alors aux mains des tribunaux militaires, ceux-ci restant néanmoins compétents dans leur domaine réservé.

L’ordonnance crée deux types de tribunaux dans les zones soumises au pouvoir civil : des tribunaux français et des tribunaux indigènes.

Les tribunaux français sont organisés à deux niveaux d’instance :
     . Des tribunaux d’instance à Bône, Oran et Alger comportant deux juges officiellement nommés par le roi mais en fait désignés par le gouverneur général.
   . A Alger, un tribunal supérieur possédant le rôle du tribunal d’assises et un tribunal de commerce dont la compétence s’étend à toutes les zones sous administration civile.

 A chaque niveau sont établis des procureurs (procureur local et procureur général)

Les tribunaux « indigènes » restent composés de leurs  juges traditionnels et rendent une justice basée sur leurs propres traditions. Ils sont nommés par le gouverneur et rétribués par l’Etat. Les peines graves  prononcées par ces tribunaux ne peuvent être exécutées sans le visa du procureur. De même, l’exécution ne peut être infligée que par les autorités françaises.

Les domaines de compétence respectifs des tribunaux français et indigènes sont aussi déterminés par cette loi.

     . Les tribunaux français jugent les affaires entre français,

     . Les tribunaux indigènes jugent les différents entre les autochtones, cependant, si des autochtones font appel de la décision des tribunaux indigènes, cela ne peut être effectué que devant le tribunal supérieur, en ce cas, c’est le code pénal français qui est seul applicable. Il se peut alors qu’un délit punissable par la loi locale ne le soit pas par le code français, en ce cas, l’appelant est acquitté.     

     . En ce qui concerne les affaires entre français et autochtones, elles sont du ressort des seuls tribunaux français ; en ce cas, c’est le code pénal français qui est seul compétent. En cas d’affaire mixte, les tribunaux français doivent s’adjoindre un assesseur autochtone avec voix consultative, chargé de traduire en langue vernaculaire les débats et la sentence.

Au vu de ce qui précède, l’ordonnance du 20 aout présente une caractéristique fondamentale   : elle tend à établir implicitement la supériorité du droit français, seul compétent en cas d’appel et aussi dans les affaires mixtes : ainsi un musulman qui s’estime lésé par un français selon le droit islamique, sera débouté si le juge français ne trouve pas dans le code pénal mention du délit équivalent à celui du droit islamique.

lundi 20 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (10)

  L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (2)

LES DÉBATS À PROPOS DU BUDGET SUR L’ALGÉRIE A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS (29 AVRIL- 3 MAI 1834) SUITE AU RAPPORT DE LA COMISSION. 

Comme tous les ans à cette période, les députés examinaient le projet de budget ; pour 1835, le ministre de la guerre proposa de consacrer  à l’ex régence  la somme de 30 millions pour maintenir en Algérie une armée de 30.000 hommes.

Le débat qui eut lieub est particulièrement intéressant pour quatre raisons :

 . Il se base sur la situation réelle des terres conquises grâce au rapport de la commission parlementaire.

     . Il montre que, grâce aux membres de la commission qui ont pu constater de-visu les crimes et spoliations survenus, ces méfaits que l’on soupçonnait sans preuves, sont désormais avérés, connus et dénoncés par un certain nombre de députés.

     . Il révèle à nouveau, sans doute pour la dernière fois,  l’ampleur  des désaccords entre adversaires et partisans du maintien de la France dans les anciens territoires de la Régence.

     . Il consacre, néanmoins, une nouvelle fois,  la décision du maintien de la France dans les territoires conquis.

Je décrirai ci-dessous, d’abord la position des partisans de l’évacuation des territoires occupés puis  celle des partisans du maintien avant de montrer l’évolution de l’assemblée à ce propos.

LES ADVERSAIRES DE LA COLONISATION

 Le premier orateur est M de Sade, un des participants à l’assemblée de 19 membres, il décrit les méfaits occasionnés dans la région algéroise par l’occupation militaire et est partisan de son évacuation. Il emploie dès le début de son discours’ une formule choc et prémonitoire  : Si vous maintenez l’occupation restreinte, « vous serez obligés d’attaquer pour ne pas être attaqués, vous serez obligé de conquérir si vous ne voulez pas être conquis »

 

Voici ce qu’il dit, au vu de l’expérience acquise lors de sa participation à la commission :

     . Il n’y a aucune fusion possible entre les peuples autochtones, qualifiés par l’orateur d’Arabes, et les français : pour mettre en valeur le pays, il faudra importer des colons de « race » européenne et il faudra se résigner à expulser les naturels, ce qui est synonyme d’extermination.

     . On ne peut pas dire à l’Arabe « plie ta tente et va paître tes troupeaux ailleurs .. chaque tribu possède des territoires d’où elle tire sa subsistance : l’en chasser, c’est le priver de ses moyens d’existenc» il s’en suit une résistance acharnée suivie de représailles ; la conséquence en est que, dans la région d’Oran, les tribus, pour se défendre, se sont groupées autour d’un émir, Abd-El-Khader

     . « À Alger, nous avons abattu 900 maisons sans formalités ni payer d’indemnités, on s’est emparé de 60 mosquées pour le service de l’armée, on en a complètement détruite. Partout où nous avons eu des travaux à entreprendre, on a fouillé les sépultures et dispersé les ossements sans respect pour les Maures ».

     . La conséquence de ces ravages et de la réquisition forcée, fait que la population algéroise a considérablement diminuée, il n’en reste que 20.000 avec adjonction de 4000 européens (surtout venus illégalement). De même, le commerce, après quatre ans d’occupation, est moins important qu’avant. 

     . « Alger était entouré de jardins et d’habitations de plaisance, ressemblant à ceux ceignant Marseille, cela a disparu, les jardins ont été dévastés, les conduites hydrauliques pour l’irrigation sont détruites, les maisons ont été abattues et les charpentes prises pour faire du bois de chauffage et, quand cette ressource a manqué, on a coupé les plantations et les arbres fruitiers, voilà jusqu’à présent, les seuls défrichements que l’on a opéré »

     . On a créé une administration qui a fait venir 400 colons et on a créé deux villages : un de 300 personnes et 30 hectares, un de 100h et 20 hectares. Les pauvres hères qui y habitent sont encore nourris au frais de l’Etat.

     . Il n’y a d’ailleurs que peu de colons véritables, ce sont presque tous des spéculateurs profitant des malheurs des Maures pour leur acheter à vil prix des biens qui leur appartiennent selon le régime de la propriété ancestrale  des terres (on n’en tient évidemment pas compte et on ne cherche même pas à le comprendre)

     « Les musulmans ont fui ces terres qui sont pour eux des terres de désolation, ils vendent leurs terres pour un morceau de pain aux spéculateurs qui accourent dans le pays de tous les ports de la Méditerranée pour y fondre comme une proie qui leur est dévolue ».

 

En ce qui concerne la Mitidja récemment occupée, M de Sade donne les précisions suivantes :

     . Une partie de la plaine est marécageuse, la terre ailleurs est médiocre. La région doit être assainie, sinon elle est inhabitable. Pour cet assainissement, on demande la dépense de deux millions de francs et 3000 travailleurs. On ne trouvera pas d’autochtones pour le faire, il faut espérer qu’on ne songe pas à utiliser l’armée ! en 1832, on a établi des camps mal placés, 1450 soldats sont morts et il fallut en réformer 1500. On ne doit pas non plus songer à employer des prisonniers, ils ne sont ni condamnés à la déportation ni à mourir des miasmes pestilentiels de ces marais.

     . Il faudrait entourer aussi les zones colonisées de fortins car on ne peut labourer qu’à portée du canon. Cela coûtera cher, quand on pense que pour le seul poste de Blida, on demande 2 à 3000 hommes !

     . Dans les plaines de la Mitidja, on a déjà vendu plus de terrains qu’il est possible d’en tirer : sur les 360.000 arpents vendus, il n’y a pas deux tiers qui aient de la valeur, plusieurs acquéreurs apprendront bientôt qu’ils ne possèdent rien du tout.

    . Il est douteux que des denrées tropicales puissent pousser dans le pays.

 

En ce qui concerne la demande des 30 millions pour 30.000 hommes, M de Sade indique que cette somme ne suffira pas : à celle-ci, il faudra ajouter 2,5 millions pour la marine, 1,5 millions de dépenses administratives, 3 millions de travaux, tout cela donne une dépense réelle de 37 millions. Il indique aussi que la commission d’Afrique a produit un plan qui réduirait la dépense à 27 millions pour un effectif de 21.000 soldats.

 

Cette intervention résume parfaitement bien les conclusions de la commission d’Afrique

 

Le deuxième orateur qui se proclame pour le retrait d’Alger, fut André Dupin, le président de la chambre des députés de 1832 à 1839. Il ajoute de nombreuses observations sur l’état lamentable de la conquête française après quatre années de présence de l’armée, en voici quelques extraits :

     . Les Maures avaient de vives préventions contre les chrétiens qui les ont chassés d’Espagne, il fallait les ménager mais ce fut le contraire, les faits sont venus fortifier ces appréhensions ce qui renforça chez les Maures la puissance de leurs souvenirs.

     . L’absence de respect des mosquées, des tombeaux et des propriétés privées  n’est pas seulement le fait des spéculateurs, c’est aussi celui des fonctionnaires civils et militaires qui ont spéculé (Le général Clauzel  reconnaît les faits, et indique qu’il a bien encouragé les achats de terres).

     . Le domaine public de l’ancienne régence ne repose pas sur des actes explicites mais sur la foi testimoniale ; dans leur désir d’avoir des vendeurs de terres, pour se créer un simulacre de titre, on cherchait un habitant qui voulut effrontément s’en dire propriétaire et consentir à la vente.

     . On fait croire aussi aux propriétaires de terres qu’ils étaient bien heureux d’en tirer un prix médiocre parce que tôt ou tard, elles leur seraient enlevées.

 

Ces deux dernières caractéristiques expliquent à la fois le ressentiment des autochtones vis-à-vis des européens mais aussi le saccage du Sahel d’Alger qui, de fertile, est devenue un friche, le désir des spéculateurs étant non de cultiver, mais d’acquérir les plus grands domaines possibles afin de les revendre en faisant du bénéfice.

 

C’est d’ailleurs ce que M Dupin indique explicitement :

     . Le territoire d’Alger appartient désormais à de gros capitalistes.

     . Les spéculateurs marchent à la suite de l’armée pour voir ce qu’ils pourraient s’emparer, ils sont à l’affût d’affaires, achètent des terres à bon marché, servent de prête-nom à des plus puissants, trompent le gouvernement lui vendant de mauvaises denrées et rachetant à bon marché ce qu’ils ont vendu cher.

      . A l’appui de ses allégations, M Dupin cite un exemple évident  de spéculation scandaleuse : on a trouvé, dit-il, dans les magasins beylicaux d’Alger 15500 sacs de blé pesant 80 kg et se vendant au prix moyen de 6 à 7 francs, les spéculateurs les ont achetés  2,70 francs. Après avoir vidé les stocks du gouvernement, il a fallu que l’armée achète du blé pour nourrir les soldats, il lui fut vendu au prix de 17 francs le sac.

 

M Dupin termine son discours en montrant que ces agissements entachent gravement « l’honneur du nom de France »

     . « En arrivant, on a dit : nous vous apportons la civilisation ! La civilisation, c’est la loyauté, le sentiment de la justice, le respect de soi-même et d’autrui. La population maure a de la religion, de l’équité, de la bonne foi, ils savent tenir la parole donnée et ne méritaient pas de recevoir de nous des leçons de barbarie »

    . Nous n’avons apporté que « crimes, assassinat et spoliation »

 

LES PARTISANS DU MAINTIEN

 

Ce constat assez terrifiant n’empêcha pas les partisans du maintien de la France dans l’ex-régence, de montrer que celui-ci est indispensable : ils arguent de trois arguments : 

     . Il y va de l’honneur national, la France serait déconsidérée par l’Europe si elle quittait  ses conquêtes en Afrique du Nord.

     . Si la France quittait l’Algérie, elle perdrait la maîtrise de la Méditerranée occidentale qu’elle a acquise par cette conquête, l’Angleterre en profiterait pour s’en emparer.

     . C’est le devoir de la France de se maintenir à Alger pour y apporter le progrès et la civilisation

 

Ce troisième argument a été en particulier développé  dans le discours d’un orateur que l’on attendrait pas dans l’hémicycle de la chambre des députés, Alphonse de Lamartine, écrivain et homme politique, élu député de Bergues dans le Nord en 1833 : le 3 mai 1834, il prononce un discours que l’on qualifierait aujourd’hui de raciste, proclamant la supériorité de la civilisation européenne sur celle des pays de l’Islam.

 

     . Il proclame d’abord que c’est le devoir de la civilisation européenne d’avoir une politique de colonisation « De grandes colonisations entrent indistinctement dans le système politique que l’époque assigne à la France et à l’Europe ».

     . Renoncer à la conquête serait catastrophique car ce serait l’abandon de la civilisation et le retour à la barbarie islamique : « Remettre les rivages et les villes de l’Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie, la mettre à la garde de ses pirates, nos colons à la protection et à l’humanité de leurs bourreaux. »

     . Abandonner l’idée de la mise en œuvre de la colonisation serait « une pensée antinationale, antisociale et anti humaine que nous devons repousser comme nous repousserions la pensée d’une honte ou d’un crime. »,

     . Ce serait aussi faillir à la grande mission qui est dévolue à la France par la Providence de transmettre notre civilisation aux peuples barbares pour les faire progresser vers le progrès. En ce sens, la conquête de l’ex-régence est une guerre juste ;  « Abdiquerons-nous volontairement ce que la conquête d’Alger nous a donné sur le mahométisme … et que nous perdrions le jour même où le drapeau français s’abaisserait sur le rivage d’Afrique… ce serait renier notre mission et notre gloire, ce serait renier la providence qui nous a fait ses instruments de la conquête la plus juste peut-être qu’une nation ait jamais accomplie »

 

Ce discours préfigure certains discours du 19e siècle sur la supériorité de la race blanche !

 

LA CONCLUSION DES DEBATS


La lecture du « Journal des débats » à propos du vote du budget sur l’Algérie  permet aussi d’apprendre trois informations complémentaires montrant bien l’évolution des mentalités depuis 1830 :

     . L’opinion publique, après avoir subi une intense propagande de la part des groupes de pression (dont Clauzel) favorables au maintien et à la colonisation, s’est convertie à cette idée et pousse le gouvernement à cesser de tergiverser.

     . Le maréchal Soult, président du conseil, indique aux députés que le gouvernement s’est rallié à cette idée : le gouvernement  « n’a jamais entendu abandonner Alger … l’intention du gouvernement était de conserver Alger et de ne jamais l’abandonner »

     . Les députés doivent se résoudre à voter les crédits demandés mais ils demandent au ministre de ne pas financer immédiatement la colonisation et d’affecter les sommes prévues à cet effet, pour assainir la Mitidja afin que les colons puissent s’installer dans des conditions décentes.

 

La lecture des journaux des époques ultérieures me fait penser que ce débat entre les partisans de l’évacuation de l’ex-régence et de sa conservation sera un des derniers de ce type : désormais le maintien de la France dans la colonie ne fera plus l’objet de critiques aussi virulentes que celles que je viens de citer.

jeudi 16 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (9)

 L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES

 1834 est une année charnière pour l’avenir des zones occupées par l’armée en Afrique du Nord à au moins quatre points de vue :

 

     . Elle vit la parution du rapport de la commission parlementaire comportant une description inquiétante de l’état des terres conquises et des propositions concrètes permettant d’y remédier.

     . Elle consacra l’adhésion quasi unanime au maintien de la présence française en Afrique du Nord.

     . Ce fut aussi l’année où furent prises les décisions sur l’organisation des pouvoirs en Algérie, elles se perpétuèrent jusqu’à la fin de la monarchie de juillet et même au-delà.

     . Elle montra enfin qu’il était possible que la coexistence pacifique entre français et tribus puisse exister, que le cycle de la violence et des atrocités pouvait être rompu si, de part et d’autre, on acceptait de négocier.


LE RAPPORT DE LA COMMISSION

La lecture de ce texte est  intéressante car il décrit de façon précise, argumentée et bien documentée, l’état  réel de la colonie et la manière dont il convenait raisonnablement d’envisager la colonisation des terres conquises. L’exemple d’Alger et de sa région est particulièrement révélateur des discussions survenues à ce propos.

La commission effectua un premier constat : la population d’Alger a considérablement diminué après la conquête ; avant celle-ci, elle était de 35.000 à 40.000 habitants, désormais, elle n’en compte plus que 25.000 habitants dont 4.000 européens. Cette diminution de la population autochtone résulte à la fois de l'expulsion des turcs et du départ des « Maures » qui préférèrent quitter la ville plutôt que d’héberger des soldats, il est probable aussi, quoique la commission n’en dise mot, que beaucoup choisirent de partir plutôt que de subir le joug des infidèles.

Cette situation explique, selon le rapport,  que beaucoup d’Européens aient acquis à bas prix des maisons dans la ville et des propriétés établies au milieu des plantations de vigne et d’oliviers dans le Sahel d’Alger. Selon la commission, ce secteur doit être conservé par la France car c’est un milieu favorable aux cultures fruitières et maraîchères ainsi qu’à la production de fourrage permettant d’approvisionner une grande partie de ce dont la ville a besoin. Pour le reste et en particulier pour le blé, il pourra être acheté aux maures qui viennent nombreux vendre leur production sur les marchés. Dans cette région, observe la commission, les propriétés domaniales sont peu étendues, les colons doivent traiter avec les autochtones pour acquérir des terres. Il conviendra, afin de protéger la région, d’établir un camp militaire à DOUERA.

En ce qui concerne la plaine de la Mitidja, les avis furent l’objet de nombreuses discussions entre les membres de la commission. A cette époque, la situation de la plaine de la Mitidja n’a pas évolué depuis la conquête, restant une région marécageuse et malsaine, elle n’est, selon la commission, que partiellement cultivée en blé par des nomades descendus des montagnes au moment où les marécages s’assèchent naturellement.

Au-delà, vers le Sud, se trouve la ville de BLIDA alors aux mains des « arabes », autour de la cité se trouvent de riches plantations d’oranges et d’autres arbres fruitiers.  Finalement, par 9 voix contre 7, il fut décidé d’envisager la colonisation de la Mitidja mais en y mettant de nombreuses réserves, en montrant toutes les difficultés de l’entreprise  et surtout en échelonnant l’occupation sur une longue période.


Pour la commission, la mise en valeur de la Mitidja passait d’abord par la conquête et l’occupation de Blida, située au pied du Tell et verrou de la Mitidja. Cette conquête, indique la commission, présente le risque de voir s'accentuer la haine des tribus envers les français  et de devenir la cause d’un état de guerre permanent : les chefs des tribus des montagnes susciteront le fanatisme religieux et national de leurs membres et organiseront des incursions continuelles dans la plaine.

Afin de surveiller Blida et les incursions des tribus, la commission prône la création de forts autour de la cité, pourvus d’une garnison de 3000h (les deux forts de Joinville et Montpensier ne seront construits qu’en 1838 et la ville ne sera occupée qu’en 1839). De même, la commission propose de créer des camps retranchés à KOLEA et à CAP MATIFOU ainsi que des fortins de liaison pour protéger le SAHEL

Une fois la plaine sécurisée, il sera nécessaire de construire des routes. Alors se posera le problème de  la main d’œuvre, il semble exclus d’employer exclusivement des tâcherons autochtones car ils ne sont pas aptes à le faire ; la rareté des ouvriers qualifiés venus d’Europe, conjuguée au fait que les travaux s’effectueront dans une zone malsaine, ne fera qu'augmenter leurs exigences et coûtera trop cher. On ne peut donc compter que sur l’armée pour cette construction. En outre, les travaux  ne pourront se dérouler que pendant les périodes où les marécages sont asséchés, en été, sans que pourtant, le risque d’exhalations malsaines soit complètement écarté ; ils seront aussi interrompus par des heurts continuels avec les tribus venues planter du blé et faire paitre leurs troupeaux. Tous ces aléas devraient retarder constamment l'issue de l'entreprise.

Une fois la besogne accomplie, on ne disposerait que d’une terre asséchée mais non défrichée et sans habitation. Si on concède cette terre aux colons, ils devront construire des maisons, granges et étables, acquérir du matériel aratoire, posséder un pécule suffisant pour ces dépenses et pour attendre les premières récoltes. Or les candidats à l’émigration ayant un peu d’argent, préféreront s’installer en Amérique du Nord plutôt que de s'installer dans la Mitidja. Seuls les pauvres sans moyens accepteront d’y venir. Pour la commission, ce sera un échec ; le rapport indique que deux tentatives ont été déjà tentées dans le Sahel d’Alger à KOUBA et DELLY-IBRAHIM  pour y implanter des émigrants pauvres, ces deux essais  ont échoué, bien que les maisons aient été construites aux frais de la colonie et que les colons ont été nourris grâce aux magasins de l’armée.

Enfin, la colonisation de la Mitidja n’aurait aucun intérêt car, écrit la commission, elle ne produirait que du blé et des fourrages, ce qui serait certes nécessaire pour les français établis en Algérie mais n’aurait aucune utilité pour la métropole.

Ainsi, la commission propose l’ajournement de la colonisation tant que l’armée n’aura pas construit les forts et le routes et tant que la Mitidja ne sera pas asséchée, ce qui risque de durer longtemps.

Selon moi, le rapport de la commission eut une grande importance :

     . Il révéla la situation exacte des territoires conquis.

     . C’est à la suite de ce rapport, que le gouvernement prit les décisions définitives qui mirent fin à la période d’incertitude régnant alors en France à propos des possessions françaises d’Afrique du Nord que l’on n’appelle pas encore Algérie.