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vendredi 4 novembre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (10) : PROSPER ENFANTIN

    L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

PROSPER ENFANTIN

L’ETAT DES LIEUX ET LE PLAN D'ACTION

 

A propos de cette question qu’Enfantin traite au début de son ouvrage, j’ai déterminé deux articulations principales :

            . les principes de base de sa pensée concernant l’Algérie et les modifications à apporter.

            . les caractéristiques du plan général d’action et les reformes à envisager.

 

 LES PRINCIPES DE BASE DE LA PENSEE DE PROSPER ENFANTIN A PROPOS DE L’ALGERIE


Pour Prosper enfantin, comme d’ailleurs pour Tocqueville et Lamartine, ne se pose plus le problème de savoir si les français doivent rester ou non en Algérie, c’est désormais un fait accompli, il reste alors à faire que cette occupation soit moralement admissible.

 

Le moins qu’on puisse dire est que les conditions existantes en Algérie sont aux antipodes de ce qu’Enfantin souhaite : il n’y voit qu’une dictature militaire, une colonisation hésitante et balbutiante quand elle n’est pas sauvage et une politique de violence prônant le refoulement des tribus.

 

A cet égard, il va de soi qu’Enfantin ne pouvait que fustiger la politique de violence de Bugeaud : A Bugeaud écrivant : « Là où nous ne régnons pas, règne l'anarchie”, il répliquait: « Mais là où nous régnons, que règne-t-il donc ? La mort que nous avons donnée, la misère que nous avons faite, la terreur de nos armes et la terreur, plus grande peut-être, des vengeances d'Abd-el-Kader. » … « On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu. »

 

Selon Enfantin, pour modifier les mentalités, il faudra trois conditions préalables :

 

 Il faut, en premier lieu, pratiquer en Algérie une politique diamétralement opposée à celle de l’armée qui ne sait que détruire et de refouler les tribus hostiles, « On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu »ce qui ne peut qu’attiser la haine des autochtones vis-à-vis de l’envahisseur : « il faut, tout en nous montrant à eux forts et redoutables par la guerre, nous montrer aussi forts et bienfaisants par la culture, par le travail. » Désormais, le but de toute politique sera de tenter de créer les conditions pour rendre acceptable la présence française aux autochtones algériens.

 

En conséquence, la disparition du régime militaire doit être une condition impérativement nécessaire pour que cet objectif soit réalisable :

« Qu'on justifie la nécessité du gouvernement militaire en Algérie, tant que nous n'avons dû y faire  ou n'y avons fait que la guerre, à la bonne heure !  Mais dès que notre domination, préparée par les moyens destructifs de la guerre, pourra être confirmée, garantie, assurée par les travaux productifs de la colonisation, dès qu'il s'agira sérieusement de faire de l'industrie agricole ou commerciale; d'établir des villages de colons, des ports de marchands; de fonder des familles;  de diriger ensuite les mœurs et les coutumes civiles de ces Africains, que les militaires n'ont abordés que pour les détruire, les refouler au désert ou les forcer de demander grâce. "

 

En second lieu, Enfantin voudrait que l’Algérie puisse  être un champ idéal pour une expérimentation de ses doctrines en créant un modèle économique et social inédit, adapté à la fois aux tribus algériennes et aux colons européens.  Ce nouveau modèle, commun aux deux peuples, ne pourra cependant pas être mis en place dans l’immédiat en Algérie car la disproportion entre l’effectif des colons et celui des autochtones est patent en faveur des seconds. Pour qu’il puisse se réaliser et que, dans l’avenir, on puisse créer une  structure sociale unitaire adaptée aux deux civilisations, il convient de rééquilibrer les effectifs des colons et des autochtones.

 Pour cela il sera d’abord nécessaire de  transférer en Algérie une importante population de colons représentant les diverses facettes de notre civilisation : « C'est ce transport d'une population civile considérable, d'une population agricole, commerçante et industrielle, et des arts et des sciences qu'une semblable population apporte ou attire nécessairement, c'est cette transplantation d'une population mâle et femelle, formant familles, villages et villes, que j'appelle la colonisation de l'Algérie. »

 La troisième idée de Prosper enfantin découle de la précédente : il faut créer les conditions permettant de passer de la politique de refoulement et d’extermination, comme l’évoque Lamartine, à la mise en place d’un système de coexistence pouvant être adapté aux deux fractions de la population. Pour cela, il faut rechercher ce qui peut les unir et rejeter ce qu’ils ne peuvent appliquer :

« Toute société qui doit se former du contact ou de la fusion de deux races, de deux peuples dont la civilisation est différente, de deux peuples dont l'un est vainqueur, l'autre vaincu, exige .. une législation spéciale ; le peuple vaincu ne pourrait recevoir immédiatement les formes sociales de la nation victorieuse, et le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout à fait neuves, les usages et les lois de la métropole.

 "Notre politique n'est plus absolue, elle transige et concilie ; elle fait une part équitable des besoins du vaincu aussi bien que des exigences du vainqueur elle doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis. » … « j'ose dire qu'elle doit avoir pour but une association avec le vaincu, qui lui soit, en définitive, aussi avantageuse qu'au vainqueur. » 

 Prosper Enfantin ajoute à ce propos une idée révolutionnaire à son époque   qui, si elle était admise sur notre terre, établirait entre tous les peuples, une tolérance qui pourrait favoriser une paix universelle :

 « La  France n'a pas tout à enseigner en Algérie, elle a quelque chose à apprendre des Arabes, au moins pour l'Algérie. Il y a de belles et bonnes choses dans le gouvernement et l'administration des tribus. 

 

En ce sens, Enfantin est, comme tous les socialistes utopiques, un visionnaire tablant sur une capacité altruiste de l’être humain qui n’est hélas pas partagée par tous.

 C’est à partir de ces trois idées de base et de la nécessité d’établir une coexistence entre les autochtones qu’Enfantin va établir un plan des réformes à envisager.

LES REFORMES A ENVISAGER POUR RENDRE MORALEMENT ADMISSIBLE LA PRESENCE DE LA FRANCE EN ALGERIE

 Dans son livre, ce plan de réformes est simplement évoqué sous forme de questions sans qu’Enfantin ne donne de solutions immédiates, cela se comprend aisément puisque son objectif, révélé par le titre de son ouvrage, est de traiter du problème de la colonisation. Il est néanmoins intéressant d’évoquer ce plan général d’actions  parce qu’il établit le cadre dans lequel il examinera le problème de l’organisation agraire en Algérie.

Cet ensemble de questions est résumé dans la citation suivante :

 « Notre gouvernement de l'Algérie doit avoir sans cesse devant les yeux deux problèmes à résoudre, qui peuvent être énoncés de cette manière :

1° Dans quel sens faut-il modifier les institutions, les mœurs et les usages des indigènes, pour les faire entrer progressivement en société avec la population européenne ? 


2° Comment modifier les institutions civiles, militaires, administratives, religieuses, de la population européenne, comment modifier même ses usages de culture, d'habitation de vêtement, de nourriture, en un mot son hygiène, pour les approprier le plus vite possible au nouveau sol, au nouveau climat, aux nouvelles relations humaines que la France rencontre en Algérie ? ».

 

Prosper Enfantin émet ensuite quelques remarques complémentaires en ce qui concerne l’organisation politique afin de susciter la réflexion de ses lecteurs.

 

 « le gouvernement d'Algérie ne peut être le même que celui de la France, et ne saurait être non plus celui que des tribus arabes se donneraient, si nous n'étions pas les maîtres du pays. Personne ne pense même qu'il suffise de gouverner les colons d'Algérie comme s'ils étaient en France et qu'il soit possible de gouverner les indigènes comme si nous étions nous-mêmes Africains et musulmans. »

 

 « le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout-à-fait neuves, les usages et les lois de la métropole. »..« il doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis. 

 

Ces préalables mis au point, Prosper Enfantin aborde le problème principal de son livre : comment élaborer en Algérie un système de propriété des terres et d’organisation agraire qui puisse être commun à la fois aux deux peuples, « arabe » et français et ainsi assurer entre eux la coexistence pacifique souhaitée.


A SUIVRE

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