L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS
PROSPER ENFANTIN
L’ETAT DES LIEUX ET LE PLAN D'ACTION
A propos de cette question
qu’Enfantin traite au début de son ouvrage, j’ai déterminé deux articulations
principales :
.
les principes de base de sa pensée concernant l’Algérie et les modifications à
apporter.
. les caractéristiques du plan général d’action et les reformes à envisager.
LES PRINCIPES DE BASE DE LA PENSEE DE PROSPER ENFANTIN A PROPOS DE L’ALGERIE
Pour
Prosper enfantin, comme d’ailleurs pour Tocqueville et Lamartine, ne se pose
plus le problème de savoir si les français doivent rester ou non en Algérie,
c’est désormais un fait accompli, il reste alors à faire que cette occupation soit
moralement admissible.
Le moins qu’on puisse
dire est que les conditions existantes en Algérie sont aux antipodes de ce qu’Enfantin
souhaite : il n’y voit qu’une dictature militaire, une colonisation
hésitante et balbutiante quand elle n’est pas sauvage et une politique de
violence prônant le refoulement des tribus.
A cet égard, il va de soi qu’Enfantin ne pouvait que fustiger la politique de violence de Bugeaud : A Bugeaud écrivant : « Là où nous ne régnons pas, règne l'anarchie”, il répliquait: « Mais là où nous régnons, que règne-t-il donc ? La mort que nous avons donnée, la misère que nous avons faite, la terreur de nos armes et la terreur, plus grande peut-être, des vengeances d'Abd-el-Kader. » … « On ne saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu. »
Selon Enfantin, pour
modifier les mentalités, il faudra trois conditions préalables :
Il faut, en premier lieu, pratiquer en Algérie
une politique diamétralement opposée à celle de l’armée qui ne sait que
détruire et de refouler les tribus hostiles, « On ne
saurait trop le répéter, la conquête a eu presque toujours pour but et pour résultat effectif, dans le passé, la
destruction, la spoliation, l'exploitation du vaincu », ce
qui ne peut qu’attiser la haine des autochtones vis-à-vis de
l’envahisseur : « il faut,
tout en nous montrant à eux forts et redoutables par la guerre, nous
montrer aussi forts et bienfaisants par la culture, par le travail. » Désormais, le but de
toute politique sera de tenter de créer les conditions pour rendre acceptable
la présence française aux autochtones algériens.
En conséquence, la disparition du régime militaire doit
être une condition impérativement nécessaire pour que cet objectif soit
réalisable :
« Qu'on justifie la
nécessité du gouvernement militaire en Algérie, tant que nous n'avons dû y
faire ou n'y avons fait que la guerre, à
la bonne heure ! Mais dès que notre domination, préparée par
les moyens destructifs de la guerre, pourra être confirmée, garantie,
assurée par les travaux productifs de la colonisation, dès qu'il s'agira
sérieusement de faire de l'industrie agricole ou commerciale; d'établir des
villages de colons, des ports de marchands;
de fonder des familles; de diriger ensuite les mœurs et les coutumes
civiles de ces Africains, que les militaires n'ont abordés que pour
les détruire, les refouler au désert ou les forcer de demander grâce. "
En second lieu, Enfantin voudrait que l’Algérie puisse être un champ idéal pour une expérimentation de ses doctrines en créant un modèle économique et social inédit, adapté à la fois aux tribus algériennes et aux colons européens. Ce nouveau modèle, commun aux deux peuples, ne pourra cependant pas être mis en place dans l’immédiat en Algérie car la disproportion entre l’effectif des colons et celui des autochtones est patent en faveur des seconds. Pour qu’il puisse se réaliser et que, dans l’avenir, on puisse créer une structure sociale unitaire adaptée aux deux civilisations, il convient de rééquilibrer les effectifs des colons et des autochtones.
« Toute société qui doit se former du contact ou de la fusion de deux races, de deux peuples dont la civilisation est différente, de deux peuples dont l'un est vainqueur, l'autre vaincu, exige .. une législation spéciale ; le peuple vaincu ne pourrait recevoir immédiatement les formes sociales de la nation victorieuse, et le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout à fait neuves, les usages et les lois de la métropole.
En ce sens, Enfantin
est, comme tous les socialistes utopiques, un visionnaire tablant sur une
capacité altruiste de l’être humain qui n’est hélas pas partagée par tous.
LES
REFORMES A ENVISAGER POUR RENDRE MORALEMENT ADMISSIBLE LA PRESENCE DE LA FRANCE
EN ALGERIE
Cet
ensemble de questions est résumé dans la citation suivante :
1° Dans quel sens faut-il modifier les institutions, les mœurs et les usages des indigènes, pour les faire entrer progressivement en société avec la population européenne ?
2° Comment modifier les institutions civiles, militaires, administratives,
religieuses, de la population européenne, comment modifier même ses usages
de culture, d'habitation de vêtement, de nourriture, en un mot son
hygiène, pour les approprier le plus vite possible au nouveau sol, au
nouveau climat, aux nouvelles relations humaines que la France rencontre
en Algérie ? ».
Prosper Enfantin émet ensuite quelques remarques
complémentaires en ce qui concerne l’organisation politique afin de susciter la
réflexion de ses lecteurs.
« le gouvernement
d'Algérie ne peut être le même que celui de la France, et ne saurait
être non plus celui que des tribus arabes se donneraient, si nous n'étions
pas les maîtres du pays. Personne ne pense même qu'il suffise de gouverner
les colons d'Algérie comme s'ils étaient en France et qu'il soit
possible de gouverner les indigènes comme si nous étions nous-mêmes
Africains et musulmans. »
« le peuple vainqueur ne saurait conserver longtemps, dans des conditions d'existence tout-à-fait neuves, les usages et les lois de la métropole. »..« il doit donc modifier les institutions de la métropole, de manière à pouvoir appliquer ces institutions modifiées aux nouveaux besoins du conquérant et aux anciennes habitudes du peuple conquis.
Ces préalables mis au
point, Prosper Enfantin aborde le problème principal de son livre :
comment élaborer en Algérie un système de propriété des terres et d’organisation
agraire qui puisse être commun à la fois aux deux peuples, « arabe »
et français et ainsi assurer entre eux la coexistence pacifique souhaitée.
A SUIVRE
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