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lundi 23 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (21) LE SIÈGE D'ARCHIS

LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : L'AFFAIRE DE LA SAINTE LANCE

La sainte Lance avait été découverte par un provençal dans le sol de la basilique d'Antioche. Remise au comte de Toulouse et à l'évêque du Puy, elle avait redonné confiance aux croisés assiégés par l'armée de l'atabeg de Mossoul,  ce qui leur avait permis la victoire. Depuis, elle était conservée par le comte de Toulouse. Jusqu'au siège d'Archis, il s'était certes posé des questions sur son authenticité mais sans qu'elle soit vraiment  remise en cause.

Pendant le siège d'Archis, la question fut relancée d'une manière insistante tant par le peuple que par le conseil des princes et en particulier par un clerc dépendant du duc de Normandie. Cela conduisit celui qui avait découvert la lance, un certain Pierre Barthélémy, à  demander à être livré à une ordalie, le jugement de Dieu, : "  Je veux et je supplie qu’on fasse un très grand feu ; je passerai au travers avec la lance du Seigneur. Si c’est la lance du Seigneur, je passerai sain et sauf ; si c’est une fausseté, je serai brûlé par le  feu.... On fit en branches sèches d’olivier, un bûcher qui avait quatorze pieds en longueur: il y avait deux monceaux de bois, entre lesquels on avait laissé un vide d’un pied de largeur environ [ pour permettre à Pierre Barthélémy de passer], et chacun des deux monceaux de bois avait quatre pieds de hauteur." (4)

Sur les résultats de l'ordalie, on dispose de trois textes qui donnent des résultats assez différents :

D'abord le récit de RAYMOND D'AGUILLIERS qui était le chapelain du comte de Toulouse
Lorsque le feu fut violemment allumé; moi, Raymond, je dis,  en présence de toute la multitude : « Si Dieu tout-puissant a parlé à cet homme face à face, et si le bienheureux André lui a montré la lance du Seigneur, tandis qu’il veillait lui-même, qu’il passe à travers ce feu sans être blessé: mais s’il en est autrement, et si ce n’est qu’un mensonge, qu’il soit brûlé avec la lance qu’il portera dans ses mains. » Et tous fléchissant les genoux, répondirent: « Amen ! »

Après que Pierre Barthélemy fut sorti du feu,  bien que sa tunique ne fut point brûlée, et qu’on ne put non plus découvrir aucun indice de la moindre atteinte sur la pièce d’étoffe très fine avec laquelle on avait enveloppé la lance du Seigneur, le peuple se jeta sur lui, lorsqu’il eut fait sur tout le monde le signe de la croix, avec la lance du Seigneur, et crié à haut voix: « Dieu nous aide; » (4)

FOUCHER DE CHARTRES
L'auteur précise d'abord que quand la lance avait été présentée  " à l'évêque du Puy et au comte Raymond, l'évêque croyait toute cette histoire fausse,  le comte Raymond, au contraire, se flattait qu'elle était vraie.  Cependant tout le peuple, plein de joie, glorifiait le Seigneur...  tous la tenaient en grande vénération, le comte Raymond lui prodiguait les plus signalés honneurs, et s'en était  rendu lui-même le gardien,"

Toutefois [beaucoup] doutaient que cette lance fût celle du Seigneur, et pensaient que c'en était une autre que cet homme grossier disait faussement avoir trouvée. On tint donc une grande assemblée; puis, après trois jours de prières et de jeune, le huitième mois depuis la prise d'Antioche, on mit le feu à un tas de bois au milieu même du camp... les évêques donnèrent leur bénédiction à ce feu, dont l'épreuve devait servir de jugement; et l'homme qui avait trouvé la lance passa vite et résolument au milieu du brasier enflammé. On reconnut aussitôt qu'en le traversant, cet homme, comme il arrivait à tout vrai coupable, avait eu la peau brûlée par la flamme, et l'on présuma promptement que quelque partie intérieure de son corps devait être mortellement endommagée,  cela fut bientôt clairement confirmé par la fin de ce criminel imposteur, qui mourut le douzième jour des douleurs de sa brûlure. Cédant à la force de cette preuve, tous les nôtres qui avaient vénéré cette lance, cessèrent de croire à sa sainteté, mais furent attristés  Quant au comte Raymond,  il conserva très-longtemps cette lance, et la perdit par je ne sais quel accident. (2)

GUILLAUME DE TYR
Parmi les princes,  les uns disaient que c'était bien la même lance qui avait été trempée dans le sang du Seigneur, au moment où on lui ouvrit le flanc, et qu'une inspiration divine l'avait révélée à l'armée des Croisés, pour les consoler dans leur affliction ; d'autres affirmaient que c'était une invention...  uniquement par un motif d'avidité, et qui ne faisait que mettre au jour la fourberie du comte de Toulouse.

Tandis que le peuple s'entretenait diversement sur ce sujet, l'homme qui affirmait avoir eu cette révélation, voulant ... dissiper tous les doutes, ordonna d'allumer un grand bûcher, promettant qu'avec l'aide de Dieu et en se soumettant à l'épreuve du feu, il prouverait à tous les incrédules qu'il n'y avait eu dans son récit aucune tromperie, ni aucune fausse interprétation, et tout ce qu'il avait rapporté était bien le fait d'une révélation divine.  On disposa donc un grand bûcher, et l'on y mit le feu.

l'homme qui devait subir de son plein gré une si périlleuse épreuve se nommait Pierre Barthelemi, c'était un clerc peu lettré,(precedemment, Guillaume de Tyr avait parlé d' un paysan)   et qui paraissait très simple... il prit en main la lance et traversa le feu, sans en être blessé, du moins à ce que le peuple crut voir. Cependant, loin de décider la question, cette action ne fit qu'en susciter une autre encore plus difficile. Barthelemi mourut peu de jours après, et quelques-uns affirmèrent que une mort si prompte ne pouvait provenir que de l'épreuve qu'il avait voulu tenter, et qu'il avait trouvé une occasion de mort dans le feu pour s'être porté le défenseur d'une fraude. D'autres disaient au contraire qu'il était sorti sain et sauf du bûcher, et qu'après qu'il avait échappé à l'action du feu, la foule, se précipitant sur lui dans son transport de dévotion, l'avait tellement serré et écrasé de tous côtés que c'était là la véritable et unique cause de sa mort. Ainsi cette question demeura encore complètement indécise, et fut même enveloppée d'une plus grande obscurité." (1)

Ainsi apparait trois versions différentes des résultats de l'ordalie :
     . Pour Foucher de Chartres, la lance était fausse puisque celui qui l'avait découverte a été brûlé lors de l'ordalie,
     . Pour Raymond d'Aguilliers, la lance est authentique puisque Pierre Barthélémy est sorti indemne du feu, cependant, ce témoignage est suspect puisque Raymond d'Aguillers est un partisan et un proche du comte de Toulouse.
     . Enfin Guillaume de Tyr indique que l'ordalie n'a rien révélé : Pierre Barthélémy  est-il mort des suites de ses brûlures ou de la foule qui l'a oppressé ?

Ce qui est le plus intéressant dans le texte de Guillaume de Tyr, fut l'accusation lancée en conseil des princes à l'encontre du  comte de Toulouse, qui aurait inventé la lance par avidité et  fourberie : manifestement, cette opération était destinée à déconsidérer le comte de Toulouse.

Un dernier point est à noter à propos de cette lance, la mention faite par Foucher de Chartres que le comte de Toulouse conserva la lance longtemps et la perdit en sorte que jamais on ne l'a retrouva : perdre une relique de cette importance serait assez assez surprenant si la lance avait été authentique !

Ainsi déconsidéré, ayant perdu toute influence, et abandonné des princes qui l'avaient accompagné jusque là, le comte de Toulouse fut obligé de lever le siège d'Archis et de partir avec le reste de l'armée vers Jérusalem.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1 Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3 auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 4- Raymond d'Aguilliers, chapelain de Raymond de saint Gilles dans "Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem"

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