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mercredi 25 mai 2022

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (23) : LE SYSTEME BUGEAUD

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847 

 UN ÉCHEC QUASI-GENERAL SELON LES RÉCITS ET ANALYSES  DES CONTEMPORAINS : 

Pour rendre compte de ces témoignages, je diviserai mon propos en quatre parties :      
     . La situation d’ensemble des colonies civiles 
     .  L’exemple particulier des trois villages de Saint-Ferdinand, Sainte-Amélie et Zeralda
      .  L’échec de la politique de Bugeaud concernant la prise en charge de la défense de l’Algérie par les colonies tant civiles que militaires..  
    . Quelques rares réussites 

LA SITUATION D’ENSEMBLE DES COLONIES CIVILES 

M DESJOBERT, député de la Seine-Maritime de 1833 à 1853, très critique à l’égard de la colonisation, présente une situation quasiment apocalyptique de l’état des villages de colonisation : 

« A la porte d'Alger, dans les villages du Sahel, les colons désertent, chassés par la faim. S'il en reste quelques-uns, c'est qu'ils n'ont plus la force de se traîner. Dans un grand nombre de maisons il n'y a plus d'habitants, ils sont ou morts, ou à l'hôpital, ou en fuite. Dans une maison, sept personnes n'avaient pas mangé depuis trois jours et attendaient la mort. (A DESJOBERT : L’ALGÉRIE EN 1846)) 

Dans la plaine de la Mitidja, la misère et la désolation sont plus grandes encore. Depuis cinq mois, au Fondouck, (colonie fondée en 1844 pour 150 familles) sur une population de 280 habitants, il en est mort 120. » (A DESJOBERT : L’ALGÉRIE EN 1846) 

Dans la province de Constantine : de nombreux colons arrivent tous les jours à Guelma, traînant après eux des familles considérables dans le dénuement le plus affreux. Pas de terres à leur donner, pas d'argent à leur distribuer. »  (A DESJOBERT : L’ALGÉRIE EN 1846) 

On pourrait penser que ce tableau de l’état dramatique des villages de colonisation a été volontairement assombri par M DESJOBERT afin de manifester son opposition envers l’occupation de l’Algérie ; en fait, ces dires sont corroborés par le maréchal Bugeaud lui-même : il le reconnaît, en particulier, lors d’une tournée d’inspection des colonies : c’est ce que montre les extraits ci-dessous, cités par M BOURDIN et tirés d’un mémoire transmis à l’assemblée en 1847 : 

« Il suffit d’inspecter de près nos villages civils pour se convaincre qu’il y a beaucoup de familles qui ne peuvent pas ou presque pas travailler. Plusieurs ont perdu leur chef unique, il ne reste qu’une femme et quatre ou cinq enfants… au Fondouk, il y a déjà une trentaine d’orphelins de père et de mère qui ne peuvent vivre que de la charité gouvernementale. Dans d'autres villages, on voit beaucoup d'hommes devenus veufs. Les Prussiens sont à peine arrivés depuis deux mois, et déjà on compte plusieurs hommes qui ont perdu leurs femmes et leurs enfants, un plus grand nombre de familles où il ne reste qu’une femme vieille et décrépite accompagnée de quatre ou cinq enfants incapables de travailler. 

Enfin, il y a bon nombre d'autres familles qui ne sont composées que d'orphelins de père et de mère, hors d'état de pourvoir à leur subsistance. Il faudra, de toute nécessité, que l'administration militaire ou civile les prenne sous sa tutelle pendant quatre ou cinq ans, et quelquefois davantage. Ainsi, on fait des dépenses énormes pour des bras  inutiles à la production comme à la défense du pays.

 Mes colons militaires ne seront assurément pas immortels mais ceux qui mourront dans la première année  ne laisseront qu'une femme et tout au plus un enfant, c’est bien moins embarrassant qu'une femme déjà vieille… La femme du colon militaire trouvera immédiatement à se remarier". (Maréchal BUGEAUD cité par M BOURDIN) 

La même constatation a été effectué par M BUSSIERES. Cet admirateur du Maréchal Bugeaud effectue un voyage en Algérie à l’époque pendant laquelle le maréchal est encore gouverneur de l’Algérie. Il l’accompagne pendant une tournée d’inspection puis visite quelques villages de colonisation. 

"Le colon est seul, aux prises, non avec des hommes semblables à lui, mais avec toutes les forces de la nature, d’une nature sauvage. ingrate et malfaisante jusqu’à ce qu’elle ait été domptée. L’ennemi qui doit venir, il ne le connaît même pas. Sera-ce la maladie, la sécheresse, les intempéries, les sauterelles, les bêtes féroces, l’épizootie ou la misère, toujours plus hâtive que la récolte ? Derrière le soldat, il y a le gouvernement tout entier qui veille à ce que rien ne lui manque, soit en santé, soit en maladie. Derrière le colon, il n’y a personne. .. il n’en pouvait guère être autrement. Une administration n’a pas pour mission d’être la providence individuelle des familles, elle n’est pourvue de rien de ce qu’il faudrait pour cela, et avec toute la bonne volonté du monde, ce qu’elle s’efforcera de faire en ce sens laissera toujours beaucoup à désirer". (A BUSSIÈRES :  LE MARÉCHAL BUGEAUD ET LA COLONISATION DE L’ALGERIE, Revue des Deux Mondes, 1853). (1) 

Cette situation est évidemment connue en France : après une période d’enthousiasme pour la colonisation, on constate qu’ensuite, l’administration eut beaucoup de mal à trouver des colons  

" Ce fut à qui, parmi les colons ruraux, défricherait le plus possible d’hectares, étendrait le plus ses constructions ; et, pour arriver plus vite à leur but, ils n’hésitaient pas à emprunter à 24 pour 100. Qu’importait d’ailleurs le taux de l’intérêt à payer ? Cette terre promise n’allait-elle pas rendre bien au-delà du 100 pour 100 ? Dans leurs rêves, les colons voyaient les étrangers affluer par centaines dans les villages et se disputer à prix d’or les concessions qu’ils avaient obtenues du gouvernement. La folie dura peu.. Ce fut la débâcle qui survint. Les débiteurs furent expropriés par leurs créanciers, maisons et champs furent désertés. Privés de la plus grande partie de leurs habitants, les villages eurent l’aspect de ruines abandonnées, et dans certaines localités, comme à Douéra, qui, pourtant, était alors le centre le plus important du Sahel, l’administration en arriva à ordonner la démolition des maisons qu’elle-même avait fait construire pour les colons. (M ROUIRE,  LES COLONS D’ALGERIE, revue des deux mondes (1901)

En 1844, 1 780 familles avaient demandé des concessions, et, en 1845, le nombre des demandes avait atteint le chiffre de 2 918. On avait dû cette année-là même refuser des permis de passage à la plupart de ceux qui en avaient fait la demande. Or, l’année suivante, le nombre des demandes tomba à 1 663. D’autre part, en 1846, 715 colons déjà installés abandonnaient leurs exploitations, et, comme les villages ne reçurent cette année-là que 689 nouveaux arrivants, le bilan de la colonisation officielle se chiffra par la perte de 27 colons. La crise eut, en outre, pour résultat d’entraver le courant de l’émigration libre en Algérie. À ce moment régnait en France un véritable engouement pour ce pays. L’émigration volontaire avait pris des proportions qu’elle n’a plus connues depuis." (M ROUIRE,  LES COLONS D’ALGERIE, revue des deux mondes (1901)

De telles observations corroborent exactement les conclusions auxquelles je suis parvenu lors de mon étude chiffrée de l'évolution de la population des colonies civiles.

"L’administration, qui avait fait appel à des cultivateurs de France et qui ne voyait pas ceux-ci trop s’empresser de venir habiter ses concessions, dut se résigner à accueillir tous ceux qui se présentaient, à quelque nationalité et à quelque condition qu’ils appartinssent. Elle alla même jusqu’à chercher partout des gens de bonne volonté. » (allemands, suisses..) (M ROUIRE,  LES COLONS D’ALGERIE, revue des deux mondes (1901)

A suivre..


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