LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847
UN ÉCHEC QUASI-GENERAL SELON LES RÉCITS ET ANALYSES DES CONTEMPORAINS :
L’ÉCHEC DE BUGEAUD CONCERNANT LE
RÔLE DES COLONIES DE SUPPLÉER AU ROLE
DE L’ARMÉE POUR LA DÉFENSE DE LA COLONIE.
Cet échec
se produit à deux niveaux :
. D’abord, Bugeaud avait prévu que les
villages coloniaux civils seraient
capables d’organiser eux-mêmes la défense de leurs terres afin de permettre à
l’armée d’utiliser toutes ses forces pour le combat.
. Ensuite et surtout, il comptait sur les
colonies militaires pour défendre et pacifier les zones de conflits.
Les textes
que j’ai consultés montrent que ces projets furent des échecs.
Le cas des
colonies civiles
Dans
l’état lamentable dans lequel se trouvaient les colonies civiles, il paraît
évident que les colons ne pouvaient pas assumer le rôle défensif qui leur était
attribué par Bugeaud. Il fut à même de le remarquer quand,
lors d’une attaque des troupes d’Abd-El-Kader, il demanda aux colons de
constituer une milice pour aider l’armée, les colons manifestèrent tant de
protestations que Bugeaud dût les réprimander :
« Vous
imagineriez-vous par hasard être venus ici pour vous y enrichir aux dépens
du pays et de l'armée, pour y rester tranquilles ? A vous croiser les bras, tandis que l'on
se bat pour vous ? Non, Messieurs, non, et, ne vous en déplaise, vous
prendrez le fusil, et vous voudrez bien supporter votre part des
fatigues que d'autres endurent pour vous. Il n'est pas juste que
quelques-uns aient tout le mal, tandis que les autres plantent
tranquillement leurs choux. Jusqu'à présent vous vous êtes reposés, mais
j'y mettrai bien ordre. ».
.
Il en fut de même pour toutes les tâches
supplémentaires que demandait l’administration aux colons civils (entretien des
routes, canalisations de l’eau..). Dans ces circonstances, L’armée fut obligée
de suppléer à leur mauvaise volonté ; pour s’en défendre, les colons
arguaient de leur dénuement pour se cantonner seulement à l’entretien des terres
qui leur étaient allouées.
Le cas des
colonies militaires
Bugeaud
aurait voulu créer 35 colonies militaires, seules trois ont été créées, BÉNI
MERED, MAELMA et AIN FOUKRA. On possède le témoignage de M BUSSIÈRES pour les
deux premières.
« L’histoire de BENI-MERED avait mis en relief ce
qu’il y avait de faux et de forcé dans la condition de ces hommes, qui étaient
encore soldats par leur solde, mais qui ne l’étaient réellement plus par leur
position ; ce qu’il y avait d’inconséquent surtout à appeler des gens à la
propriété, à les mettre dans des conditions qui stimulaient sans cesse en eux
cet instinct, pour les faire débuter par un long stage dans le régime de la
communauté.
Ces inconvénients ne tardèrent pas à se manifester. A
mesure que l’objet même de la propriété se formait et prenait du corps et de la
valeur par le travail des soldats, les traditions de la caserne s’éteignaient,
l’esprit militaire s’effaçait, pour faire place aux instincts de propriété, qui
s’éveillaient d’autant plus que s’approchait davantage le moment où l’on
pourrait mettre la main sur ces richesses que l’on créait chaque jour sans
avoir le droit d’y toucher. — Ah ! si j’avais ma part ! de l’argent je
ferais ceci, des terres cela, je mettrais à profit telle occasion qui ne se
représentera plus, et je doublerais aujourd’hui mon avoir ! — Un concert de
malédictions s’élevait chaque jour contre cet odieux régime de communauté.
Elles arrivèrent jusqu’au maréchal, qui se refusait à les comprendre. Ce
régime de communauté et la force d’unité qui résultait du maintien de
l’organisation militaire étaient à ses yeux ce qui faisait le mérite du système
au point de vue de l’intérêt des colons. Conçu dans le for de la bienveillance
profonde et vraiment paternelle qu’il portait à ses soldats, ce système ne lui
paraissait pouvoir être que souverainement bienfaisant. Les plaintes cependant
s’accumulèrent tellement, le dégoût et le découragement les suivirent »
le maréchal accepter
de dissoudre la communauté qui n’avait duré que six mois au lieu des trois ans prévus. Chaque soldat
reçut une part égale en terre (quatre hectares) ainsi qu'une maison, quelques
têtes de bétail et une portion des bénéfices, une fois que l’administration se fut
remboursée des avances qu’elle avait effectuées.
« MAELMA est un
pays perdu et sans débouchés, »… ce « n’était « que la capitale
de la fièvre et du palmier nain : aussi lui avait-on donné un docteur en
médecine, quoique la population du village fût seulement de 29 colons
militaires et de 8 civils, en tout 37. ..
Comme à Beni-Mered, la
dissolution de la communauté s’y était faite avant le temps. La répartition des
lots s’était faite alors au choix des hommes par droit d’ancienneté : …
Les lots de terre en effet étaient très inégaux, et il importait gravement de
pouvoir choisir. Les premiers mariés ont reçu en outre 80 francs pour
l’installation du ménage ; les plus tardifs n’ont rien reçu. Cinq de ces colons
militaires avaient abandonné leur concession aussitôt après leur libération du
service ».
UNE DES RARES REUSSITES : LE VILLAGE DE STAOUELI
La création du village colonial de Staoueli procéda d’une idée originale : confier à des religieux cisterciens dont un tiers du temps était, selon la règle de leur ordre, consacré aux travaux agricoles, le soin de créer et de mettre en valeur des terres en Algérie.
Outre le fait que ces moines
avaient une solide expérience agricole, le projet permettrait d’implanter le
christianisme dans les campagnes au contact des populations musulmanes. Une
concession de 1020 hectares fut concédée dans la région d’Alger aux religieux
de la Trappe en 1843 qui y envoyèrent 22 moines provenant du monastère d’Aiguebelle.
Les moines, aidés de condamnés
militaires, commencèrent le défrichement. Les débuts furent difficiles du fait
de l’ampleur de la tâche à accomplir comme le montrent les extraits
suivants du livre d’ALFRED MONTBRUN (1869)
« Groupés comme ils pouvaient, sous des baraques
de planches qui ne les défendaient ni contre la rigueur du froid de la nuit, ni contre les ardeurs du soleil africain, (les religieux)
vivaient pêle-mêle avec les soldats envoyés
à leur aide et au milieu du bétail que l'on n'avait pu caser sous de meilleurs abris.
A la privation de sommeil causée par les cris des animaux, se joignait le régime alimentaire de
la Trappe fort peu substantiel, en sorte
que les forces épuisées suffisaient à
peine aux travaux. Aussi l'été de l'année 1844 fut terrible. Les pluies du
printemps avaient été longues et torrentielles et l'horizon presque toujours
obscurci par les brouillards. Les
chaleurs, arrivant subitement , développèrent des vapeurs, dont les funestes effets, augmentés par les miasmes toujours dangereux qui se dégagent d'un sol
mis en culture pour la première fois, se firent sentir d'abord sur les récoltes et puis sur la santé des hommes.
Des fièvres se déclarèrent qui atteignirent
à peu près tout le monde, et auxquelles succombèrent, dans l'espace de quelques mois, dix religieux et plus d'une vingtaine de soldats qui moururent à l'hôpital où ils avaient été transportés.
Le R. P., qui arriva de France sur ces entrefaites avec un renfort d'hommes et d'argent, ranima les courages, et l'on reprit avec une
ardeur nouvelle les travaux un instant
ralentis par le découragement et
l'impuissance. L'église provisoire, élevée et
bénie dès le mois de mai 1844, fut solennellement
consacrée par Mgr l'évêque d'Alger le 30
août suivant. »
La persévérance
des trappistes est, selon moi, due au fait que les moines ne cherchaient pas à
améliorer leur vie terrestre mais plutôt à mériter leur salut en mourant
quasiment en martyr. Pourtant, il paraît évident que le découragement et les
envies de renoncement durent aussi exister comme le mentionne A BUSSIERES :
« Combien de fois les trappistes eux-mêmes, ces hommes
d’une abnégation si complète et qui ne sèment point pour le temps, mais pour
l’éternité, combien de fois, malgré l’appui énergique du gouvernement, ils ont
été sur le point d’abandonner la partie pour retourner à leur morceau de pain
et à leurs légumes de France ! ».
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