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mercredi 19 octobre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (8) : ALPHONSE DE LAMARTINE

  L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

ALPHONSE DE LAMARTINE (suite et fin)


Dans son discours, Lamartine développe une thèse doublement originale qui explique les horreurs survenues lors des razzias :
     . cette méthode de guerre a été organisée au plus haut niveau de l’Etat.
    . elle a conduit les soldats à commettre des actes horribles qui ont développé chez eux des instincts pervers et sadiques qu’ils durent regretter lorsqu’ils se rendirent compte de ce qu’ils avaient fait.

 Ces caractéristiques sont vraies à propos de toutes les guerres mais elles ne sont que rarement exprimées, surtout à cette époque.

 Selon l’orateur, l’émergence de l’utilisation de la terreur serait apparue en 1837, à un moment où se posait la question du développement de la colonisation, entravée jusqu’alors par l’insécurité et le manque de terres :

 « A une époque où on cherchait, comme aujourd’hui, à se définir à soi-même les conditions de l’occupation paisible de l’Algérie par le gouvernement, par un gouvernement chrétien », une commission du gouvernement fut chargé de rédiger un mémorandum des interrogations à résoudre adressé « aux généraux qui allaient explorer la question sur les lieux, » ; dans ce mémorandum, on trouve, selon Lamartine, cette phrase  : « Quand à l’extermination des indigènes, quant au refoulement violent de la population, vous aurez à examiner si ce mode de pacification serait jamais praticable. » 

 Les deux mots essentiels, refoulement et extermination, sont corrélés, il faut refouler les tribus qui empêchent l’instauration de la souveraineté française et la colonisation, mais,  avec la seule pratique du refoulement, « On n’allait pas assez loin, on n’était pas assez logique. », il fallait aller jusqu’au bout et envisager «  la conséquence du refoulement d’une population qui ne veut pas, à bon droit, se laisser déposséder du sol sur lequel elle est née, sur lequel elle vit… malgré les intentions les plus humaines, malgré les inspirations et les lumières du gouvernement », ce système conduisit à émettre l’hypothèse d’une possible extermination.

 C’est donc le gouvernement, selon Lamartine, qui évoqua, le premier, l’hypothèse de l'extermination si le refoulement ne réussissait pas. Les généraux, à qui cette hypothèse fut présentée, saisirent l’opportunité qui leur était fournie :

« Il faut que vous sachiez comment le système militaire, à son tour, abusant ou usant de cette latitude inhumaine qui lui avait été donnée dans de pareilles pensées, non pas approuvées, je le reconnais, mais exprimées seulement dubitativement dans une pareille pièce, il faut savoir comment l’autorité militaire, elle-même, en a compris la portée, et là aussi je la laisse parler. C’est cette autorité militaire qui a adopté pour l’expulsion, pour le refoulement des indigènes, ce mot que je rougis de prononcer à cette tribune, comme la France, si souvent, a rougi de l’entendre et de le voir s’accuser dans ses actes, ses razzias. ». Ainsi, le système de razzias a été le moyen d’exécution, de refoulement qui avait été recommandé à notre commission coloniale d’enquête.

La pratique des razzias est donc née d’une volonté conjointe du gouvernement et des généraux qui se sont laissés entrainer à imposer à leur soldats un système qualifié de faux :

« Voilà le système militaire tout entier ; jamais, vous ne trouverez d’autres résultats, quelle que soit l’humanité des généraux, que je n’accuse pas. C’est le système que j’accuse ; car, Messieurs, il y a quelque chose de plus cruel que Néron et Tibère : c’est un système faux. Nous ne sommes pas dans les temps de la barbarie et des caractères féroces ; mais nous sommes dans des idées fausses. Oui, il y a quelque chose de plus cruel, en effet, que la cruauté individuelle, c’est la cruauté froide d’un système faux ; et c’est contre celle-là que je m’élève à cette tribune, pièces en main ! »

Afin d’impressionner les députés et d’argumenter ses dires, Lamartine cite ensuite toute une litanie de textes sur les agissements de l’armée. J’ai donné suffisamment d’exemples de ces agissements, ordonnés au plus haut niveau de la hiérarchie militaire, pour ne pas avoir besoin d'y revenir ici, je citerai simplement un aphorisme qui m’a semblé significatif de la pensée de Lamartine « Ainsi, on a fait la guerre à la nature : on ne fait plus seulement la guerre aux hommes, on la fait aux germes, à la reproduction, à la nature. », aphorisme qui est toujours vrai y  compris pendant les guerres contemporaines.

Le deuxième aspect que Lamartine développe est celui de l’impact de ces méthodes barbares sur les soldats : cet impact est bien connu à notre époque depuis les œuvres de Freud : l’horreur lorsque l’on est confronté la première fois à l’inhumanité, l’insensibilité croissante venant quand ces pratiques deviennent l’habitude, le développement progressif des comportements instinctifs et cruels qui conduisent à amplifier les gestes horribles jusqu’à l’acte gratuit et, enfin, le remords à la fin de la guerre des actes que l’on a commis.

Lamartine ne décrit certes pas cet enchainement comme je viens de le faire vu le contexte dans lequel il effectue son discours mais il en décrit deux étapes : l’insensibilité et le remords :

En ce qui concerne l’insensibilité, j’en ai relevé deux exemples tirés du discours de Lamartine : le premier mentionne ce qu’écrivait un militaire après une razzia dans un village : 

« A la date du 18 mai 1845, c’était dans un village du Jurjura couvert en tuiles : « Tous les Arabes qui sont sortis pour combattre ont été passés au fil de l’épée : tout le reste de la population a été brûlé sous les toitures incendiées des maisons. » (Algérie 1844, mois de juin.). Quelle est donc la puissance qui force ces hommes à se vanter de pareils actes et à se dénoncer ainsi eux-mêmes. »

Le deuxième exemple semble être  la conséquence de ce qui précède même s'il s’agit d’une autre razzia : 

« Et voici les réflexions que ces hommes, que ces écrivains endurcis laissent échapper de leur plume :  « C’était un beau spectacle, au milieu de l’incendie de ces vallées, c’était un beau spectacle que la vue de nos soldats échelonnés sur les pitons nombreux et les couronnant de feu. … La beauté de l’incendie, la beauté de la dévastation, voilà ce qui frappait ces hommes ». ce témoignage  est révélateur du comportement de soldats qui ont participé à tant d’atrocités que plus aucun sentiment humain ne peut les atteindre pendant l’action.

Lamartine évoque également, dans son discours, le remords que peut éprouver un homme lorsque, rentré en métropole, il se remémore ce qu’il a accompli

Enfin il est un .. général qui a dit sa pensée sur ce système …« Depuis onze ans, on a renversé les maisons, incendié les récoltes, détruit les arbres, massacré les hommes, les femmes, les enfants, avec une fureur tous les jours croissante. ». Messieurs, c’est le général Duvivier … il a noblement participé à cette guerre ; mais rentré dans le silence de sa vie de citoyen, il n’a pu s’empêcher de repasser douloureusement sur les actes dont il avait été témoin, et d’en faire la dénonciation à l’indignation de son pays. Voilà cette paix, Messieurs ; je vous laisse juger du mot qu’elle mérite ici : ubi solitudinem faciunt, pacem appellant, là où il a fait le désert, le vide, le sang, il a appelé cela la pacification de l’Algérie.

Lamartine se livre enfin à une exhortation qui mérite d’être citée :

« Voilà ce que nous faisons d’une population que nous voulons fondre avec nous, que nous voulons attirer à nous par l’attrait de notre conduite, de nos doctrines, de notre religion et de notre humanité ! La place que Dieu lui a donnée sur le sol, nous la lui enlevons ; nous voulons ce sol, et pour cela nous la refoulons, nous sommes contraints de l’exterminer. Eh bien ! entre les Arabes et nous, il y a un juge, Messieurs ! Ce juge, c’est Dieu.

CONCLUSION SUR LE DISCOURS DE LAMARTINE

Le discours de Lamartine dont j’ai donné quelques traits saillants, n’eut très probablement qu’une portée limitée car ni les députés, ni la plupart des français n’étaient prêts à entendre les vérités qu’il dispensait.

Selon moi, ce discours dépasse largement le cadre de son époque, il aurait pu être prononcé lors de la guerre d’Algérie qui conduisit à l’indépendance de ce pays. Lamartine, par sa haine de la guerre et de la violence, était déjà, en son temps, un défenseur des droits de l’homme et du respect de la diversité des cultures, il l’avait montré dans "Voyage d’Orient", il le montre aussi dans ce beau discours.

prochain article : la pensée de P Enfantin

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