L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS
ALPHONSE DE LAMARTINE (suite et fin)
. cette méthode de guerre a été organisée au plus haut niveau de l’Etat.
. elle a conduit les soldats à commettre des actes horribles qui ont développé chez eux des instincts pervers et sadiques qu’ils durent regretter lorsqu’ils se rendirent compte de ce qu’ils avaient fait.
« Il faut que vous
sachiez comment le système militaire, à son tour, abusant ou usant de cette
latitude inhumaine qui lui avait été donnée dans de pareilles pensées, non pas
approuvées, je le reconnais, mais exprimées seulement dubitativement dans une
pareille pièce, il faut savoir comment l’autorité militaire, elle-même, en a
compris la portée, et là aussi je la laisse parler. C’est cette autorité
militaire qui a adopté pour l’expulsion, pour le refoulement des indigènes, ce
mot que je rougis de prononcer à cette tribune, comme la France, si souvent, a
rougi de l’entendre et de le voir s’accuser dans ses actes, ses razzias. ». Ainsi, le système de razzias a été le moyen
d’exécution, de refoulement qui avait été recommandé à notre commission coloniale d’enquête.
La
pratique des razzias est donc née d’une volonté conjointe du gouvernement et
des généraux qui se sont laissés entrainer à imposer à leur soldats un système
qualifié de faux :
« Voilà le
système militaire tout entier ; jamais, vous ne trouverez d’autres résultats,
quelle que soit l’humanité des généraux, que je n’accuse pas. C’est le système
que j’accuse ; car, Messieurs, il y a quelque chose de plus cruel que Néron et
Tibère : c’est un système faux. Nous ne sommes pas dans les temps de la
barbarie et des caractères féroces ; mais nous sommes dans des idées fausses.
Oui, il y a quelque chose de plus cruel, en effet, que la cruauté individuelle,
c’est la cruauté froide d’un système faux ; et c’est contre celle-là que je
m’élève à cette tribune, pièces en main ! »
Afin
d’impressionner les députés et d’argumenter ses dires, Lamartine cite ensuite
toute une litanie de textes sur les agissements de l’armée. J’ai donné
suffisamment d’exemples de ces agissements, ordonnés au plus haut niveau de la
hiérarchie militaire, pour ne pas avoir besoin d'y revenir ici, je citerai simplement un
aphorisme qui m’a semblé significatif de la pensée de Lamartine « Ainsi, on a fait la
guerre à la nature : on ne fait plus seulement la guerre aux hommes, on la fait
aux germes, à la reproduction, à la nature. », aphorisme qui est toujours vrai y compris pendant
les guerres contemporaines.
Le
deuxième aspect que Lamartine développe est celui de l’impact de ces méthodes
barbares sur les soldats : cet impact est bien connu à notre époque depuis
les œuvres de Freud : l’horreur lorsque l’on est confronté la première fois à
l’inhumanité, l’insensibilité croissante venant quand ces pratiques deviennent
l’habitude, le développement progressif des comportements instinctifs et cruels
qui conduisent à amplifier les gestes horribles jusqu’à l’acte gratuit et,
enfin, le remords à la fin de la guerre des actes que l’on a commis.
Lamartine
ne décrit certes pas cet enchainement comme je viens de le faire vu le contexte
dans lequel il effectue son discours mais il en décrit deux étapes :
l’insensibilité et le remords :
En
ce qui concerne l’insensibilité, j’en ai relevé deux exemples tirés du discours de Lamartine : le premier
mentionne ce qu’écrivait un militaire après une razzia dans un village :
« A la date du
18 mai 1845, c’était dans un village du Jurjura couvert en tuiles : « Tous les
Arabes qui sont sortis pour combattre ont été passés au fil de l’épée : tout le
reste de la population a été brûlé sous les toitures incendiées des maisons. »
(Algérie 1844, mois de juin.). Quelle est donc la
puissance qui force ces hommes à se vanter de pareils actes et à se dénoncer
ainsi eux-mêmes
Le
deuxième exemple semble être la
conséquence de ce qui précède même s'il s’agit d’une autre razzia :
« Et voici les
réflexions que ces hommes, que ces écrivains endurcis laissent échapper de leur
plume : « C’était un beau
spectacle, au milieu de l’incendie de ces vallées, c’était un beau spectacle
que la vue de nos soldats échelonnés sur les pitons nombreux et les couronnant
de feu. … La beauté de l’incendie, la beauté de la dévastation, voilà ce qui
frappait ces hommes ». ce témoignage est révélateur du comportement de soldats qui
ont participé à tant d’atrocités que plus aucun sentiment humain ne peut les
atteindre pendant l’action.
Lamartine
évoque également, dans son discours, le remords que peut éprouver un homme
lorsque, rentré en métropole, il se remémore ce qu’il a accompli
Enfin il est un .. général
qui a dit sa pensée sur ce système …« Depuis onze ans, on a renversé les
maisons, incendié les récoltes, détruit les arbres, massacré les hommes, les
femmes, les enfants, avec une fureur tous les jours croissante. ». Messieurs,
c’est le général Duvivier … il a noblement participé à cette guerre ; mais
rentré dans le silence de sa vie de citoyen, il n’a pu s’empêcher de repasser
douloureusement sur les actes dont il avait été témoin, et d’en faire la
dénonciation à l’indignation de son pays. Voilà cette paix, Messieurs ; je vous
laisse juger du mot qu’elle mérite ici : ubi solitudinem faciunt, pacem
appellant, là où il a fait le désert, le vide, le sang, il a appelé
cela la pacification de l’Algérie.
Lamartine
se livre enfin à une exhortation qui mérite d’être citée :
« Voilà ce que
nous faisons d’une population que nous voulons fondre avec nous, que nous
voulons attirer à nous par l’attrait de notre conduite, de nos doctrines, de
notre religion et de notre humanité ! La place que Dieu lui a donnée sur le
sol, nous la lui enlevons ; nous voulons ce sol, et pour cela nous la
refoulons, nous sommes contraints de l’exterminer. Eh bien ! entre les Arabes
et nous, il y a un juge, Messieurs ! Ce juge, c’est Dieu.
CONCLUSION SUR LE
DISCOURS DE LAMARTINE
Le discours de
Lamartine dont j’ai donné quelques traits saillants, n’eut très probablement
qu’une portée limitée car ni les députés, ni la plupart des français n’étaient
prêts à entendre les vérités qu’il dispensait.
Selon moi, ce
discours dépasse largement le cadre de son époque, il aurait pu être prononcé
lors de la guerre d’Algérie qui conduisit à l’indépendance de ce pays. Lamartine,
par sa haine de la guerre et de la violence, était déjà, en son temps, un
défenseur des droits de l’homme et du respect de la diversité des cultures, il
l’avait montré dans "Voyage d’Orient", il le montre aussi dans ce beau discours.
prochain article : la pensée de P Enfantin
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