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samedi 27 août 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (3) : ALEXIS DE TOCQUEVILLE

   L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

ALEXIS DE TOCQUEVILLE

L’ETAT REEL DE L’ALGERIE EN 1847 ET LES ILLUSIONS QU’IL SUSCITE

 Alors que Tocqueville écrivait dans son opuscule de  1841 « Pour moi, je pense que tous les moyens de désoler les tribus doivent être employés », il donne, dans son rapport de 1847, un bilan des désastres occasionnés par la guerre menée par Bugeaud et l’armée d’Afrique. Quelques extraits significatifs méritent d’être cités ni extenso :

 DANS LES VILLES :

« les villes indigènes ont été envahies, bouleversées, saccagées  par notre administration plus encore que par nos armes. »

 LES SPOLIATIONS ET LES SACCAGES DE LA CAMPAGNE

     . « Un grand nombre de propriétés individuelles ont été, en pleine paix, ravagées, dénaturées, détruites.

     . « Une multitude de titres que nous nous étions fait livrer pour les vérifier n’ont jamais été rendus »

     . « Dans les environs mêmes d’Alger, des terres très-fertiles ont été arrachées des mains des Arabes et données à des Européens qui, ne pouvant ou ne voulant pas les cultiver eux-mêmes, les ont louées à ces mêmes indigènes, qui sont ainsi devenus les simples fermiers du domaine qui appartenait à leurs pères. « 

  .  « Ailleurs, des tribus, ou des fractions de tribus qui ne nous avaient pas été hostiles …, ont été poussées hors de leur territoire. On a accepté d’elles des conditions qu’on n’a pas tenues, on a promis des indemnités qu’on n’a pas payées, laissant ainsi en souffrance notre honneur plus encore que les intérêts de ces indigènes. »

 En conséquence, « Non seulement on a déjà enlevé beaucoup de terres aux anciens propriétaires ; mais, ce qui est pire, on laisse planer sur l’esprit de toute la population musulmane cette idée, qu’à nos yeux, la possession du sol et la situation de ceux qui les habitent, » dépendent uniquement des besoins des européens et du bon plaisir de leurs gouvernants

 L’ETAT D’ESPRIT DES TRIBUS

Loin d’être prêtes à reconnaitre les apports positifs de la présence française en Algérie, Tocqueville  montre que les ravages de la guerre ont à la fois détruit les ressources du pays et désorganisé toutes les structures sociales et administratives traditionnelles.

 «  Les populations de l’ouest, celles qui occupent les provinces d’Alger et d’Oran, sont plus dominées, plus gouvernées, plus soumises, et en même temps plus frémissantes (que celles de l’est)   Là, la guerre a renversé toutes les individualités qui pouvaient nous faire ombrage, brisé violemment toutes les résistances que nous avions rencontrées, épuisé le pays, diminué ses habitants, détruit ou chassé en partie sa noblesse militaire ou religieuse, et réduit pour un temps les indigènes à l’impuissance. Là, la soumission est tout à la fois complète et précaire ; c’est là que sont accumulés les trois quarts de notre armée. »

« A l’est aussi bien qu’à l’ouest, notre domination n’est acceptée que comme l’œuvre de la victoire et le produit journalier de la force. …, on semble n’apercevoir qu’une raison d’y rester soumis, c’est la profonde terreur qu’il inspire. »

 En conséquence, les membres des tribus livrées à elles-mêmes, privés de leurs dirigeants tant politiques que religieux, devenus apathiques et incapables de réagir, vivent dans la terreur de nouvelles razzias et, pour y échapper, acceptent, contraints et forcés, la présence des français et la cohabitation obligée avec eux.

 LA DESTRUCTION DE LA CIVILISATION ARABE DE L’ALGERIE

Selon Tocqueville, elle est la conséquence de la confiscation des terres Habou et de la suppression de leur inaliénabilité Or, ces terres servaient à financer non seulement les mosquées mais aussi les écoles et les institutions charitables :

 « Il existait un grand nombre de fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou de l’instruction publique. Partout, nous avons mis la main sur ces revenus en les détournant en partie de leurs anciens usages ; nous avons réduit les établissements charitables, laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de nous les lumières se sont éteintes, le recrutement des hommes de religion et des hommes de loi a cessé ; c’est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous connaître. »

 Tocqueville donne alors un exemple précis de ce qu’il avance :

 « à  l’époque de la conquête, en 1837, il existait, dans la ville de Constantine, des écoles d’instruction secondaire et supérieure, où 600 à 700 élèves étudiaient les différents commentaires du Coran, apprenaient toutes les traditions relatives au Prophète, et, de plus, suivaient des cours dans lesquels on enseignait ou l’on avait pour but d’enseigner l’arithmétique, l’astronomie, la rhétorique et la philosophie. Il existait, en outre, à Constantine, vers la même époque, 90 écoles primaires, fréquentées par 1,500 ou 1,400 enfants. Aujourd’hui, le nombre des jeunes gens qui suivent les hautes études est réduit à 60, le nombre des écoles primaires à  50, et les enfants qui les fréquentent à 550. »

 Ce constat, particulièrement sévère, prononcé devant la plus haute autorité législative du pays, témoigne que la plupart des français était au courant de ce qui s’est passé réellement en Algérie du fait des ravages de l’armée et des spoliations des colons comme de l’administration.

 Assez paradoxalement, Tocqueville va tempérer son propos en montrant que cette situation ne doit pas être généralisée et que, dans certains secteurs, les autochtones algériens ont reçu de multiples bienfaits de la France, qu’ils apprécient sa présence sur leur sol et la ressentent comme bénéfique : 

     . « Dans certains endroits, au lieu de réserver aux Européens les terres les plus fertiles, les mieux arrosées, les mieux préparées que possède le domaine, nous les avons données aux indigènes.

     . Notre respect pour leurs croyances a été poussé si loin, que, dans certains lieux, nous leur avons bâti des mosquées avant d’avoir pour nous-mêmes une église ; chaque année, le gouvernement français (faisant ce que le prince musulman qui nous a précédés à Alger ne faisait pas lui-même) transporte sans frais, jusqu’en Égypte, les pèlerins qui veulent aller honorer le tombeau du Prophète.

     . Nous avons prodigué aux Arabes les distinctions honorifiques qui sont destinées à signaler le mérite de nos citoyens.

     . Souvent les indigènes, après des trahisons et des révoltes, ont été reçus par nous avec une longanimité singulière …(et)… ont reçu de nouveau de notre générosité leurs biens, leurs honneurs et leur pouvoir. 

      .  Il y a plus ; dans plusieurs des lieux où la population civile européenne est mêlée à la population indigène, on se plaint, non sans quelque raison, que c’est en général l’indigène qui est le mieux protégé et l’Européen qui obtient le plus difficilement justice. »

 De ce qui précède, Tocqueville tire la conclusion suivante : « Si l’on rassemble ces traits épars, on sera porté à en conclure que notre gouvernement en Afrique pousse la douceur vis-à-vis des vaincus jusqu’à oublier sa position conquérante, et qu’il fait, dans l’intérêt de ses sujets étrangers, plus qu’il ne ferait en France pour le bien-être des citoyens. »

 Ainsi, selon ces derniers textes, Tocqueville semblerait penser que l’on se trouve à un tournant historique : selon lui, l’ère de la violence est terminée, désormais, il convient de passer à une nouvelle étape, celle de la pacification qui seule permettra aux peuples « arriérés » de l’Algérie de progresser sur la voie de la civilisation au contact des colons et des immigrants européens.  

 Cette mutation ne pourra cependant s’effectuer que si on passe d’un gouvernement militaire à un gouvernement civil, ce qui sera l’objet des propositions pour l’Algérie effectuées dans la dernière partie du rapport.

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