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dimanche 11 septembre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (4) : ALEXIS DE TOCQUEVILLE

    L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

ALEXIS DE TOCQUEVILLE

LES PROPOSITIONS POUR L’ALGÉRIE DU RAPPORT DE 1847

 Il convient d’abord de rappeler que le rapport de 1847 a pour but de soumettre au vote des députés le projet de dépenses au titre de l’Algérie, dans la perspective de tenter de diminuer les dépenses militaires et donc les effectifs de l’armée. Pour ce faire, Tocqueville va indiquer trois pistes possibles

     . Limiter la conquête,

     . rationnaliser les modes de gouvernement de l’Algérie

     . faire évoluer l’état d’esprit des autochtones vis-à-vis de l’occupation française.

LIMITER LA CONQUETE

En premier lieu, Tocqueville indique qu’il est nécessaire que la conquête se limite désormais aux zones déjà conquises, soumises et contrôlées étroitement par l’armée : « Le Tell tout entier est maintenant couvert par nos postes, comme par un immense réseau dont les mailles, très serrées à l’ouest, vont s’élargissant à mesure qu’on remonte vers l’est. Dans le Tell de la province d’Oran, la distance moyenne entre tous les postes est de vingt lieues. Par conséquent, il n’y a presque pas de tribu qui ne puisse y être saisie le même jour, de quatre côtés à la fois, au premier mouvement qu’elle voudrait faire. »

 Par contre, selon ce rapport, il ne faut ni vouloir s’emparer de la Kabylie ni, à fortiori, conquérir du « petit désert » (la zone qui s'étend depuis la fin des terres cultivables jusqu’au Sahara.) si on veut pouvoir diminuer les effectifs militaires : « Si on entreprenait d’occuper militairement la Kabylie indépendante, au lieu de se borner à en tenir les issues, il est incontestable qu’il faudrait accroître bientôt le chiffre de notre armée ; enfin, si, par un mauvais gouvernement, par des procédés violents et tyranniques, on poussait au désespoir et à la révolte les populations qui vivent paisiblement sous notre empire, il nous faudrait assurément de nouveaux soldats. ».

 Il ajoute aussi, alors  que l’armée prépare une offensive contre la Kabylie que «  des relations pacifiques sont le meilleur, et peut-être le plus prompt moyen, d’assurer la soumission des Kabyles...déjà un grand nombre de tribus kabyles, attirées par notre industrie, entraient d’elles-mêmes en relations avec nous et s’offraient de reconnaître notre suprématie.... N’était il pas permis de croire, messieurs, qu’au moment où la paix réussissait si bien, on ne prendrait pas les armes ? »

 Les mises en garde de Tocqueville ne serviront à rien, la Kabylie sera envahie.

 En ce qui concerne le petit désert «  Nous gouvernons la population qui l’habite par l’entremise de chefs indigènes, que nous ne surveillons que de très loin. Elle nous obéit sans nous connaître. A vrai dire, elle est notre tributaire et non notre sujette. » Il n’est donc pas utile d’en tenter la conquête.

 RATIONNALISER LES MODES DE GOUVERNEMENT DE L’ALGERIE

La seconde proposition de Tocqueville concerne la manière dont est conçu le gouvernement de l’Algérie à l’époque du rapport de 1847 : selon lui, il souffre de trois maux :

     . Une centralisation abusive qui conduit le gouvernement central à prendre de plus en plus de décisions (cf. l’ordonnance de 1845 qui réserve au gouvernement central l’attribution des concessions de terre). Cette centralisation aboutit à des incessants va-et-vient entre l’Algérie et Paris : un fonctionnaire constate qu’une décision est nécessaire, il en informe le ministre de tutelle qui donne sa réponse, celle-ci parvient à Alger pour application. Entre la constatation et l’application, il s’écoule évidemment un long laps de temps, inapproprié en cas d’urgence.

    . Des fonctionnaires civils venus de métropole et  ne connaissant pas la situation réelle de l’Algérie agissant chacun de leur côté, œuvrant en étroite subordination avec leurs ministères respectifs et ne cherchant pas à coordonner leur action avec les autres bureaux, en sorte qu’aucune politique d’ensemble n’est appliquée et que se produit une cacophonie administrative établissent des règles souvent contradictoires avec les précédentes décisions.

   . Un gouvernement général  de l’Algérie aux mains de militaires qui ont essentiellement le souci de conduire la guerre plutôt que de coordonner les différents services administratifs : il faut donc créer, selon Tocqueville, un gouvernement civil agissant de concert avec celui des militaires.

 FAIRE EVOLUER L’ETAT D’ESPRIT DES AUTOCHTONES VIS-A-VIS DE LA CONQUETE

La dernière  proposition visant à diminuer les effectifs de l’armée est de faire évoluer les dispositions «  des indigènes à notre égard… Quels sont les moyens de modifier ces dispositions ; par quelle forme de gouvernement, à l’aide de quels agents, par quels principes, par quelle conduite doit-on espérer y parvenir ? »

 Pour cela, Tocqueville va se livrer, devant la chambre, à une démonstration de ce qu’il faudrait faire :

 D’abord, il convient de donner plus d’importance aux chefs coutumiers des tribus qui «  sont nos intermédiaires entre elles et nous », à la condition que l’on puisse les surveiller étroitement et contrôler leurs actes. Cette politique est celle de Bugeaud : Tocqueville souligne en particulier l’excellent travail des bureaux arabes dont le gouverneur général a généralisé la création. « Aucune institution n’a été, et n’est encore plus utile à notre domination en Afrique, que celle des bureaux arabes »

 Pourtant, il convient de ne pas exagérer cette politique, la délégation des pouvoirs aux chefs coutumiers doit posséder de nettes limites :

     . On peut leur donner des responsabilités administratives mais, en aucun cas, leur concéder une parcelle du pouvoir politique, celui-ci doit être la tâche exclusive des français.

     . Il ne faut pas, selon Tocqueville, jamais oublier que les français ont affaire  à des peuples à demi-civilisés : «  Il n’y a ni utilité, ni devoir à laisser à nos sujets musulmans des idées exagérées de leur propre importance, ni de leur persuader que nous sommes obligés de les traiter en toutes circonstances précisément comme s’ils étaient nos concitoyens et nos égaux. Ils savent que nous avons, en Afrique, une position dominatrice ; ils s’attendent à nous la voir garder. La quitter aujourd’hui, ce serait jeter l’étonnement et la confusion dans leur esprit, et le remplir de notions erronées on dangereuses. »

 Cette démonstration se termine par des vœux qui pourraient permettre à la paix de régner sur les territoires conquis   :

     . Il faut établir en Algérie « un pouvoir qui les dirige, non seulement dans le sens de notre intérêt, mais dans le sens du leur, qui se montre réellement attentif à leurs besoins, qui cherche avec sincérité les moyens d’y pourvoir, qui se préoccupe de leur bien-être, qui songe à leurs droits, qui travaille avec ardeur au développement continu de leurs sociétés imparfaites, qui ne croit pas avoir rempli sa tâche quand il en a obtenu la soumission et l’impôt …et ne se borne pas à les exploiter. »

   . Il faut aussi respecter leurs traditions sans vouloir imposer notre civilisation : « il serait aussi dangereux qu’inutile de vouloir leur suggérer nos mœurs, nos idées, nos usages. Ce n’est pas dans la voie de notre civilisation européenne qu’il faut, quant à présent, les pousser, mais dans le sens de celle qui leur est propre ; il faut leur demander ce qui lui agrée et non ce qui lui répugne »  … « Ne forçons pas les indigènes à venir dans nos écoles, mais aidons-les à relever les leurs, à multiplier ceux qui y enseignent, à former les hommes de loi et les hommes de religion, dont la civilisation musulmane ne peut pas plus se passer que la nôtre. »

 « Ce qu’on peut espérer, ce n’est pas de supprimer les sentiments hostiles que notre gouvernement inspire, c’est de les amortir ; ce n’est pas de faire que notre joug soit aimé, mais qu’il paraisse de plus en plus supportable ; ce n’est pas d’anéantir les répugnances qu’ont manifestées de tout temps les musulmans pour un pouvoir étranger et chrétien, c’est de leur faire découvrir que ce pouvoir, malgré son origine réprouvée, peut leur être utile. Il serait peu sage de croire que nous parviendrons à nous lier aux indigènes par la communauté des idées et des usages, mais nous pouvons espérer le faire par la communauté des intérêts. »

CONCLUSION SUR LES PROPOS DE TOCQUEVILLE  A PROPOS DE L’ALGERIE

Si on considère son texte, eu égard à son époque, on ne peut qu’être frappé par les contradictions des propos de Tocqueville :

     . Il prétend d’abord que les « indigènes » , comme il les appelle, ont une civilisation « arriérée et imparfaite » et ne peuvent être « traités comme nos égaux ». C’est seulement en côtoyant nos modes de vie que cela leur permettra d’entrer dans la voie du progrès. Pourtant, dans ses propositions finales, il indique qu’il faut respecter leur civilisation et permettre le développement de leurs écoles qui dispensent les principes de celle-ci.

   . En ce qui concerne les formes de guerre, Tocqueville approuve totalement la politique de razzia de Bugeaud : comme, « les arabes » sont à « demi civilisés » et ne comprennent que la force, il est donc admissible que les français règnent par la terreur. Cependant, il dit aussi qu’on doit confier aux autorités locales un rôle administratif et une certaine autonomie.

     . il indique, enfin, que la colonisation est absolument nécessaire, ne serait-ce que pour soulager l’armée dans sa tâche de lutte contre les tribus ennemies. Pour cela, il convient de développer les confiscations et les expropriations des terres appartenant aux tribus hostiles ou le rachat des terres des tribus amies, quitte à les cantonner et à les sédentariser. D’un autre côté, il vante l’administration qui a donné, par endroit, aux « indigènes » les meilleures terres au détriment des colons. Il veut aussi que se crée entre les colons et les tribus une « communauté d’intérêts »

Selon moi, les écrits de Tocqueville présentent un curieux mélange de deux types de courants de pensée :

     . D’une part, les idées généreuses et universalistes élaborées par le siècle des lumières et la révolution française puis reprises par les théoriciens du socialisme utopique,

     . D’autre part, les vieux relents raciaux prônant la supériorité de la « race » blanche et la nécessité d’étendre sa domination afin de civiliser les autres peuples.

 Ces idées perdureront pendant tout le 19e siècle et jusqu’à notre époque. De nos jours, on condamne sévèrement toute théorie mentionnant l’inégalité des races, cependant, les vieux démons racistes surgissent sans cesse. Ainsi, quand j’entends un individu dire : « je ne suis pas raciste mais… » on peut être sûr qu’il va déblatérer sur les gens de couleur ou les musulmans, ravivant ainsi le vieux concept de croyance à la prétendue supériorité de leur race.

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