L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS
ALEXIS DE TOCQUEVILLE
LES PROPOSITIONS POUR L’ALGÉRIE DU RAPPORT DE
1847
.
Limiter la conquête,
.
rationnaliser les modes de gouvernement de l’Algérie
. faire évoluer l’état d’esprit des autochtones vis-à-vis de l’occupation française.
LIMITER LA CONQUETE
En premier lieu, Tocqueville indique qu’il est nécessaire que la conquête se limite désormais aux zones déjà conquises, soumises et contrôlées étroitement par l’armée : « Le Tell tout entier est maintenant couvert par nos postes, comme par un immense réseau dont les mailles, très serrées à l’ouest, vont s’élargissant à mesure qu’on remonte vers l’est. Dans le Tell de la province d’Oran, la distance moyenne entre tous les postes est de vingt lieues. Par conséquent, il n’y a presque pas de tribu qui ne puisse y être saisie le même jour, de quatre côtés à la fois, au premier mouvement qu’elle voudrait faire. »
La seconde proposition de Tocqueville concerne la manière dont est conçu le gouvernement de l’Algérie à l’époque du rapport de 1847 : selon lui, il souffre de trois maux :
. Une centralisation abusive qui conduit
le gouvernement central à prendre de plus en plus de décisions (cf. l’ordonnance
de 1845 qui réserve au gouvernement central l’attribution des concessions de
terre). Cette centralisation aboutit à des incessants va-et-vient entre
l’Algérie et Paris : un fonctionnaire constate qu’une décision est
nécessaire, il en informe le ministre de tutelle qui donne sa réponse, celle-ci
parvient à Alger pour application. Entre la constatation et l’application, il s’écoule
évidemment un long laps de temps, inapproprié en cas d’urgence.
. Un gouvernement général de l’Algérie aux mains de militaires qui ont
essentiellement le souci de conduire la guerre plutôt que de coordonner les
différents services administratifs : il faut donc créer, selon Tocqueville, un gouvernement civil agissant de concert avec celui des militaires.
La
dernière proposition visant à diminuer
les effectifs de l’armée est de faire évoluer les dispositions « des indigènes à notre égard… Quels sont les
moyens de modifier ces dispositions ; par quelle forme de gouvernement, à
l’aide de quels agents, par quels principes, par quelle conduite doit-on
espérer y parvenir ? »
. On peut leur donner des responsabilités administratives mais, en aucun cas, leur concéder une parcelle du pouvoir politique, celui-ci doit être la tâche exclusive des français.
.
Il ne faut pas, selon Tocqueville, jamais oublier que les français ont
affaire à des peuples à
demi-civilisés : « Il n’y a ni
utilité, ni devoir à laisser à nos sujets musulmans des idées exagérées de leur
propre importance, ni de leur persuader que nous sommes obligés de les traiter
en toutes circonstances précisément comme s’ils étaient nos concitoyens et nos
égaux. Ils savent que nous avons, en Afrique, une position dominatrice ; ils
s’attendent à nous la voir garder. La quitter aujourd’hui, ce serait
jeter l’étonnement et la confusion dans leur esprit, et le remplir de notions
erronées on dangereuses. »
. Il faut établir en Algérie « un pouvoir qui les dirige, non seulement dans le sens de notre intérêt, mais dans le sens du leur, qui se montre réellement attentif à leurs besoins, qui cherche avec sincérité les moyens d’y pourvoir, qui se préoccupe de leur bien-être, qui songe à leurs droits, qui travaille avec ardeur au développement continu de leurs sociétés imparfaites, qui ne croit pas avoir rempli sa tâche quand il en a obtenu la soumission et l’impôt …et ne se borne pas à les exploiter. »
. Il faut aussi respecter leurs traditions
sans vouloir imposer notre civilisation : « il serait aussi dangereux qu’inutile de
vouloir leur suggérer nos mœurs, nos idées, nos usages. Ce n’est pas dans la
voie de notre civilisation européenne qu’il faut, quant à présent, les pousser,
mais dans le sens de celle qui leur est propre ; il faut leur demander ce qui
lui agrée et non ce qui lui répugne » … « Ne
forçons pas les indigènes à venir dans nos écoles, mais aidons-les à relever
les leurs, à multiplier ceux qui y enseignent, à former les hommes de loi et
les hommes de religion, dont la civilisation musulmane ne peut pas plus se
passer que la nôtre. »
CONCLUSION SUR LES PROPOS DE TOCQUEVILLE
A PROPOS DE L’ALGERIE
Si on considère son texte, eu égard à son époque, on ne peut qu’être frappé par les contradictions des propos de Tocqueville :
. Il prétend d’abord que les « indigènes » , comme il les appelle, ont une civilisation « arriérée et imparfaite » et ne peuvent être « traités comme nos égaux ». C’est seulement en côtoyant nos modes de vie que cela leur permettra d’entrer dans la voie du progrès. Pourtant, dans ses propositions finales, il indique qu’il faut respecter leur civilisation et permettre le développement de leurs écoles qui dispensent les principes de celle-ci.
. En ce qui concerne les formes de guerre, Tocqueville approuve totalement la politique de razzia de Bugeaud : comme, « les arabes » sont à « demi civilisés » et ne comprennent que la force, il est donc admissible que les français règnent par la terreur. Cependant, il dit aussi qu’on doit confier aux autorités locales un rôle administratif et une certaine autonomie.
. il indique, enfin, que la colonisation est absolument nécessaire, ne serait-ce que pour soulager l’armée dans sa tâche de lutte contre les tribus ennemies. Pour cela, il convient de développer les confiscations et les expropriations des terres appartenant aux tribus hostiles ou le rachat des terres des tribus amies, quitte à les cantonner et à les sédentariser. D’un autre côté, il vante l’administration qui a donné, par endroit, aux « indigènes » les meilleures terres au détriment des colons. Il veut aussi que se crée entre les colons et les tribus une « communauté d’intérêts »
Selon moi, les
écrits de Tocqueville présentent un curieux mélange de deux types de courants
de pensée :
. D’une part, les idées généreuses et
universalistes élaborées par le siècle des lumières et la révolution française puis
reprises par les théoriciens du socialisme utopique,
. D’autre part, les vieux relents raciaux
prônant la supériorité de la « race » blanche et la nécessité
d’étendre sa domination afin de civiliser les autres peuples.
Ces idées perdureront pendant tout le 19e siècle et jusqu’à notre époque. De nos jours, on condamne sévèrement toute théorie mentionnant l’inégalité des races, cependant, les vieux démons racistes surgissent sans cesse. Ainsi, quand j’entends un individu dire : « je ne suis pas raciste mais… » on peut être sûr qu’il va déblatérer sur les gens de couleur ou les musulmans, ravivant ainsi le vieux concept de croyance à la prétendue supériorité de leur race.
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