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samedi 3 décembre 2022

Les intellectuels face à la conquête de l'Algérie de la monarchie de juillet (12) : PROSPER ENFANTIN

 L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS

PROSPER ENFANTIN


LE CONSTAT DE CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ RÉALISÉ EN ALGÉRIE

Pour cette étude, Enfantin va scinder le système colonial en deux parties :                                                  .  les colonies militaires qui lui semblent proches de ses idées,                                                                  . les colonies civiles qui, au contraire, s’en éloignent totalement. 

LES COLONIES MILITAIRES

Il convient d’abord de remarquer que le livre de Prosper Enfantin a été écrit alors que se mettait en place le projet  Bugeaud de colonies militaires. l'auteur manquait donc de recul pour évaluer ce système. Globalement, il l’approuve, même s’il met en garde contre certains travers pouvant intervenir, eu égard aux penchants instinctifs des occidentaux pour la propriété.

Pour lui, les colonies militaires  sont un exemple de ce qu’il faut faire en Algérie, surtout si elles suivent le modèle des colonies romaines et des colonies Magzen de l’époque de la Régence. En outre, pour réussir, elles disposent de deux précieux atouts :

     . D’abord, les militaires sont habitués à une discipline façonnée par des années de service : « Conservons avec soin le caractère collectif et hiérarchique de l'armée, son esprit, de corps ses principes d’honneur, de dévouement aussi la noble ambition d'un désintéressement personnel »   

     . Un autre atout réside dans le fait que la plupart des soldats proviennent des campagnes, ils sont donc aptes aux travaux agricoles. Ce sera, selon Enfantin, une opportunité et une chance puisqu’au sortir de leur engagement, le soldat « n'a généralement d'autre avenir heureux que le retour au village, sain et sauf, mais avec quatre années d'Algérie qui l'ont vieilli de dix ans et lui ont fait oublier son état ».

Ces deux caractéristiques sont éminemment favorables à l’instauration de colonies basées sur la propriété collective, mais, selon Prosper Enfantin, elles ne seront conformes à ses conceptions qu’à trois conditions :

  1- « Que la propriété soit collective, qu'elle soit propriété du corps, qu'elle soit dirigée et administrée hiérarchiquement, conformément aux grades obtenus … par un service réparti également sur tous. ». Pour Prosper Enfantin, cette propriété collective dans les colonies militaires est, non seulement utile, mais aussi nécessaire :

   . Dans les endroits où ces colonies seront implantées, la grande culture est la seule qui soit praticable et rentable.

   . Avant toute culture, il sera nécessaire que soient accomplis « les travaux de défense, de conservation, ceux d'irrigation et de communication », ce qui implique la participation de tous.  Si la propriété du sol était individuelle, cette mise en commun des efforts de tous serait quasiment  impossible.

     . Enfin, dans les systèmes de travail collectif, l’aisance et la réussite viennent plus rapidement que dans les colonies où règne le régime de la propriété individuelle.

2- « Que tout motif de tendance à la propriété individuelle, à l’égoïsme des intérêts particuliers, …soit combattu et ne trouble pas l'esprit de corps et la discipline, indispensables à la force, à la sécurité des colonies militaires que, tous apprennent à respecter la propriété commune comme une propriété commune, comme une propriété du drapeau, comme le signe de la bravoure et de la force du corps, et qu'ils soient excités ainsi à la cultiver., à l'améliorer, à l'enrichir, et à ne jamais lui causer dommage ». Pour cela, l’auteur compte à la fois sur l’éducation des colons militaires mais aussi aux encouragements procurés par un équitable avancement et par un système de récompense pour leurs travaux personnels.

3° Enfin, que « le casernement, le vêtement, la nourriture, les travaux, le service, soient conçus et réglés en vue du sol et du climat nouveaux où les Européens doivent vivre, où ils doivent être aussi bien cultivateurs que militaires; et, par conséquent, qu'on en prenne l'inspiration dans l'observation attentive des habitudes arabes : sous tous ces rapports que l'étude de la langue arabe soit encouragée. » Il est nécessaire que se produise, en effet, chez ces militaires devenus colons, une totale mutation mentale : jusqu’alors l'« arabe »  était un ennemi à abattre et à piller, il faudra maintenant le considérer comme un partenaire avec qui se noueront des relations d’échanges et de bon voisinage.

En ce qui concerne la répartition des bénéfices  de la colonie militaire, Prosper Enfantin  écrit : « Le produit du travail du bataillon devrait être distribué, après réserve des semences et de l'entretien des instruments de travail, en trois parts égales :                                                                                              . la première, affectée à l'amortissement des premiers frais d'établissement et, en partie, aux travaux d'utilité publique.                                                                                                                             . La seconde, venant en déduction de la somme annuellement consacrée à l'entretien du bataillon             . La troisième, divisée en deux parts égales : l'une consacrée à la retraite des soldats-colons, l'autre pour haute-paie, ou supplément de solde, distribuée dans des proportions déterminées, aux soldats, aux sous-officiers et aux officiers et pour primes décernées aux soldats et sous-officiers, par le corps d'officiers présidé par leur chef, directeur de la colonie. »

 Selon l'auteur, c’est dans la troisième part de cette répartition que réside le danger essentiel pouvant guetter la colonie : les militaires ne seront plus seulement récompensés par les honneurs, la gloire et l’avancement qui en découle, désormais, ils percevront une partie des bénéfices de la colonie. Il est à craindre que leur enrichissement devienne «  une passion effrénée, insatiable » les amenant à revendiquer le partage des biens de la colonie, ce qui serait catastrophique puisque le « désir excessif de .. posséder » conduira à la faillite de la propriété collective  des terres dans les colonies militaires ». Pour l’éviter, Enfantin compte sur l’esprit de solidarité, d’esprit de corps et de discipline que l’armée a inculqué aux soldats,

Enfin, en ce qui concerne les colonies militaires, Prosper Enfantin montre leur importance dans la politique de coexistence pacifique entre français et « arabes » : la double qualification de paysans-soldats leur permettra à la fois de combattre mais aussi de permettre aux autochtones de constater les bienfaits que notre civilisation pourrait leur amener. « si nous voulons .. introduire (dans les tribus) quelque chose de nouveau, n'oublions pas qu'il faut, pour cela, que cette création ne blesse point leurs idées, qu'elle y soit même conforme, et surtout qu'elle soit favorable à leur intérêt. ».

Pour réussir, Prosper Enfantin élabore toute une stratégie :

     . D’abord, il est nécessaire que les colonies militaires soient établies aux abords immédiats des tribus ; pour cela, il table sur le fait qu’aux limites des terres tribales, il existe des zones désertes où, à l’époque de la régence, régnait une insécurité constante consécutive aux rivalités entre tribus. Rappelons à cet égard, que, selon Enfantin, les turcs usaient d’une politique ayant pour but de « diviser pour régner » et donc laissaient se produire les guerres intestines. Depuis la conquête française, toujours selon Enfantin, ces méthodes ne sont plus de mises, désormais il faut « associer pour régner ». Dans cette perspective, les zones constituant les frontières des terres tribales deviendraient sûres et on pourrait donc y installer des colonies militaires.

     . Tout le reste du mode de vie des tribus ne devra pas être modifié, on se limitera, comme je l’ai écrit à « bâtir le manoir du cheik, la mosquée, le tribunal du cadi et la fontaine (et de) faire planter des jardins. La coexistence pacifique entre ex-militaires français et « arabes » sera un des facteurs essentiels pour unifier les modes de vie : les autochtones, lorsqu’ils visiteront le village de colons, pourront ressentir les avantages qu’ils auraient à se sédentariser, à l’inverse, les colons apprendront des autochtones, la manière dont ils pourront s’adapter aux conditions climatiques et géographiques du pays.

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