LES POURPARLERS DIPLOMATIQUES
Une scène importante s’intercale entre la construction du fortin et l’incendie de la maison. Elle est surmontée de l’inscription suivante :
HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD ( ici, on apporte des renseignements sur Harold).
En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidation et informations fallacieuses…
HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD ( ici, on apporte des renseignements sur Harold).
En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidation et informations fallacieuses…
Pour connaître cette activité « diplomatique », il est nécessaire de consulter la chronique de Guillaume de Poitiers.
La première intervention fut celle d’un normand habitant l’Angleterre qui envoya au duc Guillaume un messager chargé de le prévenir de l’arrivée imminente sur la côte de la Manche, de la puissante armée d´Harold :
«Le roi Hérald ayant livré bataille à son propre frère et au roi de Norvège, qui passait pour le plus fort guerrier qu'il y eût sous le ciel, les a tués tous deux dans un combat, et a détruit leurs nombreuses armées. Animé par ce succès, il revient promptement vers toi, à la tête d'une armée innombrable et pleine de force, contre laquelle les tiens ne vaudront pas plus qu'autant de vils chiens. Tu passes pour un homme sage, et jusqu'ici tu as tout fait avec prudence, soit pendant la paix, soit pendant la guerre. Maintenant, prends garde que ta témérité ne te précipite dans un danger d'où tu ne puisses sortir. Je te le conseille, reste dans tes retranchements, et abstiens-toi d'en venir aux mains à présent.»
Le duc répondit à l'envoyé: « ... Je ne voudrais point me mettre à l'abri dans une retraite fortifiée, je combattrai Hérald le plus promptement possible; et je n'hésiterai point, si la volonté divine ne s'y oppose pas,… à aller l'écraser, lui et les siens, avec la force des miens.»
Le second messager est le fait d’Harold lui-même qui tint à faire savoir au duc les raisons pour lesquelles il était, selon lui, légitimement le roi d’Angleterre :
«Voici ce que le roi Hérald vous fait savoir. Vous êtes entré sur son territoire... Il se souvient bien que le roi Edouard vous établit d'abord héritier du royaume d'Angleterre, et que lui-même en Normandie vous a porté l'assurance de cette succession. Mais il sait aussi que … le même roi, son seigneur, lui fit, à ses derniers instants, le don du royaume; et depuis le temps où le bienheureux Augustin vint dans ce pays, ce fut une coutume générale de cette nation de regarder comme valables les donations faites aux derniers moments. C'est pourquoi il vous demande à juste titre que vous vous en retourniez de ce pays avec les vôtres. Autrement il rompra l'amitié et tous les traités qu'il a lui-même conclus avec vous en Normandie, et il vous laisse entièrement le choix.»
Ainsi, selon Guillaume de POITIERS, Harold reconnaît qu’effectivement, le roi Édouard avait bien promis à Guillaume le royaume d’Angleterre mais que, sur son lit de mort, il avait changé d’avis et désigné Harold comme son successeur. Cette version du chroniqueur est évidemment partiale puisque Harold semble cautionner le don initial fait au duc de la couronne d’Angleterre, ce qui ne devait pas être le cas, le duc de Normandie semble le reconnaître d’ailleurs dans sa réponse au message d’Harold.
Le duc se livre alors à un long discours dont voici quelques extraits :
«Ce n'est point avec témérité et injustice, mais délibérément et conduit par la justice, que je suis passé dans ce pays, dont mon seigneur et mon parent, le roi Edouard, à cause des honneurs éclatants et des nombreux bienfaits dont moi et mes grands nous l'avons comblé, ainsi que son frère et ses gens, m'a constitué héritier, comme l'avoue Hérald lui-même. Il me croyait aussi, de tous ceux qui lui étaient alliés par la naissance, le meilleur et le plus capable, ou de le secourir tant qu'il vivrait, ou de gouverner son royaume après sa mort ».
En ce qui concerne Harold, « il me fit hommage pour son propre compte, et ses mains dans les miennes m'assurèrent aussi le royaume d'Angleterre. » : cette phrase est importante puisqu’elle donne la signification réelle du serment prêté par Harold sur les reliques : il se déclara seulement vassal de Guillaume pour lui-même et non pour le royaume d’Angleterre. Selon moi, en ce cas, Harold n’avait donc pas trahi son serment et pouvait donc légalement prétendre à la couronne royale.
Guillaume alors propose deux solutions pour éviter la bataille :
. Faire juger le différent selon les lois d’Angleterre ou de Normandie : « les Normands ou les Anglais prononcent, selon l'équité et la vérité, que la possession de ce royaume lui appartient légitimement, qu'il le possède en paix; mais s'ils conviennent que, par le devoir de justice, il doit m'être rendu, qu'il me le laisse."
. Organiser un combat entre Harold et lui-même en s’en remettant à Dieu pour déterminer son issue car « je ne crois pas juste que mes hommes et les siens périssent dans un combat, eux qui ne sont aucunement coupables de notre querelle. »
Lorsque cette réponse fut rapportée à Harold, celui-ci, écrit Guillaume de Poitiers, « pâlit de stupeur, et comme muet, garda longtemps le silence. L'envoyé lui ayant plusieurs fois demandé une réponse, il lui dit la première fois: «Nous marchons sur-le-champ;» et la seconde fois: «Nous marchons au combat…. Alors Hérald, levant son visage vers le ciel, dit: «Que le Seigneur prononce aujourd'hui, entre Guillaume et moi, à qui appartient le droit.»
La conclusion de Guillaume de Poitiers est sans appel : « Aveuglé par le désir de régner, et la frayeur lui faisant oublier l'injustice qu'il avait commise, il court à sa ruine, au jugement de sa propre conscience »