LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE.
LE COMPORTEMENT
DES ETRES HUMAINS A L’ÉPOQUE ROMAINE
Machiavel utilise, pour le décrire, les informations
qu’il a acquises après avoir étudié avec une grande érudition les œuvres de
Tite-Live et des historiens romains et grecs. Certes, comme il l’écrit
lui-même, il se peut que ces ouvrages aient tendance à magnifier l’époque
romaine par le fait que les historiens antiques, ayant écrit l’histoire
après-coup, n’ont utilisé que les informations souvent sélectives qui leur ont été transmises.
Armé de ses connaissances de l’antiquité romaine et de
ses observations sur le système politique de son temps, Machiavel nous livre
cet aphorisme particulièrement percutant :
« Dans les temps passés, les peuples étaient
libres, et aujourd’hui ils vivent dans l’esclavage » (discours livre 3 chapitre 2)
L’auteur va ensuite en tirer de surprenantes
conséquences, eu égard à son époque, en différenciant les deux styles
politiques qui correspondent à l’affirmation donnée ci-dessus :
. La
liberté est associée à la République et aux démocraties antiques qui appliquent
le postulat de la loi du plus grand nombre,
. A
l’inverse, l’esclavage est la conséquence du régime des principautés et de la
loi d’un seul.
Cette double allégation est dans la droite ligne de ce
que j’ai relevé de la pensée de Machiavel lors de mon étude des systèmes
politiques et de mes hypothèses concernant la nature de l’homme.
Dans le premier style, celui des républiques antiques,
l’idéal de liberté est prôné par les peuples eux-mêmes car il est associé à
leur prospérité et à la grandeur de l’Etat :
« On sent aisément d’où naît chez les peuples
l’amour de la liberté, parce que l’expérience nous prouve que les cités ont
accru leur puissance et leurs richesses » ; ainsi, « ce qui est… admirable.., c’est la hauteur à laquelle
parvint la république romaine, dès qu’elle se fut délivrée de ses rois. » (discours..
livre 2 chapitre 2)
Une fois établit le lien entre prospérité, liberté et république,
Machiavel montre ce que ce système politique et social permet, lorsqu’il se met
au service du plus grand nombre :
« Chacun cherche avec empressement à augmenter et
à posséder les biens dont il croit pouvoir jouir après les avoir acquis. Il en
résulte que les citoyens se livrent à l’envie à tout ce qui peut tourner à
l’avantage de chacun en particulier et de tous en général, et que la prospérité
publique s’accroît de jour en jour d’une manière merveilleuse…. » (ibid)
On comprend alors que, dans ces conditions, les
peuples antiques ne puissent supporter longtemps l’avènement d’un état
tyrannique ; ils saisissent la première occasion pour se révolter et chasser le
tyran : Ainsi écrit Machiavel :
« Quand Hiéronyme, petit-fils d’Hiéron, mourut à
Syracuse, la nouvelle de son trépas ne se fut pas plutôt répandue parmi les
troupes qui se trouvaient dans les environs de la ville, que l’armée commença à
se soulever et à prendre les armes contre les meurtriers ; mais,
lorsqu’elle entendit tout Syracuse retentir du cri de liberté, fléchie par ce
nom seul, elle s’apaisa, étouffa le courroux qu’elle nourrissait contre les
tyrannicides, et ne songea qu’à créer dans la ville un gouvernement libre. » (ibid)
Au vu de ce qui précède, Machiavel se pose alors la
question de savoir pourquoi cette conquête de la liberté des peuples antiques
et cette mise en avant du bien commun ont disparu à son époque ; selon lui,
c’est la religion chrétienne qui porte une grande part de responsabilité dans
cette évolution. En effet, la religion chrétienne a complètement obéré
l’héritage antique et ses critères fondamentaux d’organisation sociale et
politique qui se caractérisaient par la quête de la liberté, le refus de
l’asservissement et la reconnaissance des mérites et des vertus de
chacun :
« Notre religion
ne sanctifie que les humbles et les hommes livrés à la contemplation
plutôt qu’à une vie active ; elle a, de plus, placé le souverain bien dans
l’humilité, dans le mépris des choses de ce monde, dans l’abjection même ;
tandis que les païens le faisaient consister dans la grandeur d’âme, dans la
force du corps, et dans tout ce qui pouvait contribuer à rendre les hommes
courageux et robustes.
« En effet, notre religion, nous ayant
montré la vérité et l’unique chemin du salut, a diminué à nos yeux le prix des
honneurs de ce monde. (Ibid)
« Si notre religion exige que nous ayons de la
force, c’est plutôt celle qui fait supporter les maux, que celle qui porte aux
grandes actions. » (Discours.. livre 2 chapitre 2)
C’est un fait évident que l’enseignement évangélique
prône l’humilité et le renoncement aux biens de ce monde pour mériter le
salut ; une des phrases les plus significatives de cet état d’esprit est
contenue dans l’Évangile de Mathieu (19-21) : « si tu veux être
parfait, vend tout ce que tu possèdes, donne le aux pauvres et tu auras un
trésor dans le ciel, puis viens et suis moi »
Il en résulte des conséquences funestes pour les
contemporains de Machiavel. En effet, si la majorité des êtres humains tente de
suivre les préceptes évangéliques, il existe cependant des mécréants qui
profitent de cette situation pour asservir les autres et leur imposer leur
perversité et leur tyrannie. C’est ce que précise Machiavel dans la phrase
suivante :
« Il semble que cette morale nouvelle a rendu les hommes
plus faibles, et a livré le monde aux scélérats audacieux. Ils ont senti qu’ils
pouvaient sans crainte exercer leur tyrannie, en voyant l’universalité des
hommes disposés, dans l’espoir du paradis, à souffrir tous leurs outrages
plutôt qu’à s’en venger. » (Livre 2 chapitre 2)
Cet état d’esprit né de l’enseignement christologique
a, pour conséquence, une transformation radicale des rapports humains :
les contemporains de Machiavel « vivent dans l’esclavage » en
subissant passivement les dictatures au nom de leur foi sans se rebeller contre ceux qui s’imposent
indûment à eux.
Si on suit le raisonnement de Machiavel contenu dans
le livre 2, la prégnance de la religion chrétienne n’explique cependant pas
tout : la transformation de l’homme antique, épris de liberté et prêt à la
défendre, en un pleutre asservi aux tyrans est due aussi « à la lâcheté des
hommes qui ont interprété la religion selon la paresse et non selon la
vertu » (livre 2, chapitre 2)
Cette idée est pour moi tout à fait pertinente :
les hommes ont préféré écouter ceux qui prêchaient l’humilité et le respect de
l’ordre établi afin de gagner un trésor au ciel plutôt que ceux, comme le
demandaient les prédicateurs des croisades, qui prêchaient que de se sacrifier
au nom de Dieu conduisait directement au paradis. La première alternative
n’imposait aucun effort sinon celui d’obéir, ce n’était pas le cas de la
seconde.
Ainsi, l’époque de Machiavel, à la différence de l'époque de la République romaine, se caractérise par une
conjugaison de l’humilité chrétienne et de la lâcheté et de la paresse des
hommes qui permet à des crapules sans scrupules de s’emparer du pouvoir en
usant de la loi du plus fort, d’étaler au grand jour leurs instincts pervers,
de leur permettre de donner libre cours
à toutes les outrances et d’exploiter en toute impunité ceux qu’ils
dominent.
Ces textes montrent
clairement que, pour Machiavel, les comportements de l’homme fluctuent
selon les époques et sont le fruit de
l’évolution des régimes politiques.
Dans cette perspective, on peut se poser la question
de savoir s’il est possible de transposer ses conceptions aux modes de vie de
notre époque.
A suivre
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