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lundi 30 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (8)

  LE MEILLEUR RÉGIME POLITIQUE 

La réponse à cette question peut paraître, à première vue, surprenante eu égard à ce qui a précédé dans les précédents articles : pour lui, le moins  précaire des régimes politiques parmi les six précédemment cités, est celui de la DÉMOCRATIE. 

Cette allégation est évidemment à mettre en rapport avec son étude  de la République romaine effectuée dans le « Discours à propos de la première décade de Tite-Live ». Machiavel admire la république romaine tant dans les comportements de ses concitoyens que pour sa destinée grandiose  qu’il compare à tout propos avec la médiocrité des êtres humains et des princes de son époque. Il est peut-être de parti-pris et ne possède qu’une connaissance livresque des républiques du passé mais les arguments qu’il défend sont, à mon avis, tout à fait pertinents et défendables. 

Machiavel donne de nombreux exemples de la supériorité du pouvoir du peuple sur celui du Prince, je les ai classés en quatre items : 

. Le respect de la pluralité des voix et la liberté d’émettre une opinion.

. Le règne des lois. 

. La stabilité des institutions préservant la République de la tyrannie.

. L’égalité des chances. 

 

LE RESPECT DE LA PLURALITÉ DES VOIX ET LA LIBERTÉ DES OPINIONS

En premier lieu, la République est, par essence même, le garant de la liberté des citoyens avec son corollaire, la liberté d’expression ; chacun peut exprimer son avis, cela est essentiel dans une démocratie directe puisque le pouvoir appartient à l’assemblée du peuple. Certes, cette liberté peut dégénérer en querelles mais, selon Machiavel, le peuple réussit toujours à prendre la décision la plus sage et la plus conforme aux intérêts des citoyens ; il suffit, en cas de débat passionné, qu’un orateur dont la sagesse  et la vertu est connue de tous s’exprime à la fois pour établir une synthèse des opinions opposées et montrer que cette synthèse est la plus avantageuse pour la cité. Il en est de même quand deux orateurs défendent des projets opposés, le peuple saura toujours choisi la meilleure des alternatives. Machiavel en est foncièrement convaincu, c’est pour cela qu’il écrit : « ce n’est pas sans raison que l’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu » (discours, livre 1 chapitre 58) 

Dans le même chapitre, il écrit : 

« Quant au jugement que porte le peuple sur les affaires, il est rare, lorsqu’il entend deux orateurs qui soutiennent des opinions opposées, mais dont le talent est égal, qu’il n’embrasse pas soudain la meilleure, et ne prouve point ainsi qu’il est capable de discerner la vérité qu’il entend. » 

Certes, il peut en résulter des désaccords  et même des conflits entre les citoyens mais s’ils sont vertueux, « les harangues publiques sont là pour redresser leurs idées ; il suffit qu’un homme de bien se lève et leur démontre par ses discours qu’elles s’égarent. Car les peuples, comme l’a dit Cicéron, quoique plongés dans l’ignorance, sont susceptibles de comprendre la vérité, et ils cèdent facilement lorsqu’un homme digne de confiance la leur dévoile » (livre 1 chapitre 2) 

A l’inverse, dans un régime princier à tendance tyrannique, la liberté d’expression n’existe pas, au contraire, elle est combattue et qualifiée de tentative de rébellion contre le régime. Seuls compte l’avis du Prince et son opinion, c’est en fonction de ceux-ci qu’il agit sans que le peuple soit consulté. Celui-ci n’a d’autre solution que de manifester sa colère par des manifestations, souvent sauvagement réprimées. 

Combien souvent, « un prince n’est-il pas entraîné par ses propres passions, qui sont bien plus nombreuses et plus irrésistibles que celles du peuple » (discours livre 1 chapitre 58) 

« Les discours d’un homme sage peuvent ramener facilement dans la bonne voie un peuple égaré et livré à tous les désordres ; tandis qu’aucune voix n’ose s’élever pour éclairer un méchant prince ; il n’existe qu’un seul remède, le fer. » (Ibid). 

Ainsi apparaît une différence fondamentale entre la république et le régime princier : dans une république démocratique, les querelles et les invectives se produisent avant la prise d’une décision, par contre, dans un régime de tyrannie princière, elles se produisent après. 

« L'pinion défavorable que l’on a du peuple ne prend sa source que dans la liberté avec laquelle on en dit du mal sans crainte, même lorsque c’est lui qui gouverne ; au lieu qu’on ne peut parler des princes sans mille dangers et sans s’environner de mille précautions ». (ibid)

 LE RÈGNE DE LA LOI

La deuxième différence entre la République et le régime tyrannique des princes concerne le règne de la loi. Le Prince gouverne selon son bon plaisir, créant des lois quand il le veut et ainsi cumulant les trois pouvoirs définis par Montesquieu : il fait la loi, la fait exécuter et punit ceux qui y contreviennent. Dans une république démocratique, c’est le peuple lui-même qui décide de la loi et la fait appliquer. Il en résulte de nombreuses conséquences :

. Le respect des lois dans une république est plus important que dans un régime tyrannique ; les lois d’une république, du fait qu’elles sont votées par les citoyens à la majorité des suffrages, sont axées uniquement sur la recherche du bien commun, les lois du Prince sont le plus souvent établies au bénéfice de lui seul ; en conséquence, à la moindre faille de l’Etat, le peuple s’empresse de désobéir. 

. L’utilisation de la cruauté est moins importante dans une république que dans une principauté tyrannique : dans une république, lorsqu’on punit, on le fait selon la loi ; dans une principauté, la punition est effectuée de manière arbitraire et souvent disproportionnée par rapport aux faits réels. En effet, pour durer, faute d’obtenir l’assentiment de ses sujets, le Prince ne peut compter que sur la violence de sa répression.

Ainsi écrit Machiavel « La cruauté de la multitude s’exerce sur ceux qu’elle soupçonne de vouloir usurper le bien de tous ; celle du prince poursuit tous ceux qu’il regarde comme ennemis de son bien particulier ».

. Du fait que tous les actes du gouvernement doivent passer par un long cheminement allant des magistrats au peuple, la politique des républiques est plus réfléchie et plus prudente que celle des princes agissant souvent de manière impulsive selon leur humeur du moment sans toujours réfléchir aux conséquences de décisions trop hâtives. 

« Je  soutiens qu’un peuple est plus prudent, moins volage et d’un sens plus droit qu’un prince. »

Machiavel cependant nuance largement son avis à ce propos, il montre en particulier que les républiques et en particulier la république romaine prend en compte, dans son analyse, le fait qu’en cas de danger immédiat mettant en péril la République, il existe un mécanisme temporaire de gouvernement sous forme de l’élection d’un dictateur cumulant tous les pouvoirs, à charge pour lui d’en rendre compte. 

LA STABILITÉ DES INSTITUTIONS PRÉSERVE LA REPUBLIQUE DE LA TYRANNIE COMME DE LA DÉMAGOGIE 

La troisième supériorité des républiques est la plus grande stabilité du régime par rapport à celui institué par un prince : il est en effet quasiment impossible à un citoyen aspirant à instaurer une tyrannie de mener à bien son projet du double fait que c’est du peuple que procède tous les pouvoirs et que la quasi-totalité des magistratures est  temporaire : il est évident que le peuple n’a aucun intérêt à élire un citoyen qui le privera de toutes ses libertés ; par contre, dans les principautés, l’instabilité du régime politique est patent, le Prince est, en effet, entouré de jaloux, prêts à prendre sa place dès qu’ils perçoivent la moindre faiblesse de sa part. 

Cette caractéristique est rappelée à de nombreuses reprises par Machiavel : 

« Pour qu’un citoyen puisse nuire à l’État et usurper un pouvoir extraordinaire, il faut d’abord le concours d’une foule de circonstances qui ne se rencontrent jamais dans une république qui a conservé la pureté de ses mœurs. Il a besoin d’être extrêmement riche et d’avoir un grand nombre de clients et d’amis, ce qui ne peut avoir lieu là où règnent les lois ; et en supposant qu’un pareil citoyen existât, il parait tellement redoutable qu’il ne peut obtenir les suffrages libres du peuple. (Livre 1 chapitre 34) 

 

« Jamais on ne persuadera au peuple d’élever à une dignité un homme corrompu et signalé par l’infamie de ses mœurs, tandis qu’il y a mille moyens de le persuader à un prince. Lorsqu’un peuple a pris quelque institution en horreur, on le voit persister des siècles dans sa haine : cette constance est inconnue chez les princes (livre 1 chapitre 58)


« Un peuple qui commande, sous l’empire d’une bonne constitution, sera aussi stable, aussi prudent, aussi reconnaissant qu’un prince ; que dis-je ? Il le sera plus encore que le prince le plus estimé pour sa sagesse. D’un autre côté, un prince qui a su se délivrer du joug des lois sera plus ingrat, plus mobile, plus imprudent que le peuple. La différence qu’on peut remarquer dans leur conduite ne provient pas du caractère, qui est semblable dans tous les hommes, et qui sera même meilleur dans le peuple ; mais de ce que le respect pour les lois sous lesquelles ils vivent réciproquement est plus ou moins profond ». (Livre 1 chapitre 58) 

 

L’ÉGALITÉ DES CHANCES

 

Le quatrième avantage du système démocratique est que la république est capable de donner ses chances à tous qui se sont distingués par de hauts faits : un jeune homme qui a manifesté de grandes qualités tant de  courage que de ténacité peut, dans une république, suivre rapidement le cursus honorum et aspirer à de hautes fonctions, normalement réservées aux personnes plus âgées.

 

Par  contre, dans une principauté tyrannique, un homme valeureux et capable risque très vite d’être jalousé par le Prince qui se méfiera de lui et de sa popularité et pourra même l’accuser de comploter contre lui afin de le déconsidérer. 

 

« celui qui veut obtenir les mêmes succès que Rome ne doit point établir dans son sein de distinction. Si cela est vrai pour la naissance, la question de l’âge est résolue ; elle en est la suite nécessaire. En élevant un jeune homme à une dignité qui exige la prudence d’un vieillard, il est clair, puisque la multitude le choisit, que quelque action éclatante l’a rendu digne d’être porté à ce rang élevé. Et, quand le mérite d’un jeune homme brille de tout l’éclat que répandent sur lui ses belles actions, il serait dangereux que l’État ne pût dès lors en tirer avantage, et qu’il fallût attendre que la vieillesse eût glacé cette force d’âme et cette activité qu’on aurait pu employer au service de la patrie. (Livre 1 chapitre 60) 

 

Qu’on parcoure tous les excès commis par les peuples, et ceux où les princes se sont plongés, toutes les actions glorieuses exécutées par les peuples, et celles qui sont dues à des princes, et l’on verra combien la vertu et la gloire des peuples l’emportent sur celles des princes. Si les derniers se montrent supérieurs aux peuples pour former un code de lois, créer les règles de la vie civile, établir des institutions ou des ordonnances nouvelles, les peuples à leur tour sont tellement supérieurs dans leur constance à maintenir les constitutions qui leur sont données, qu’ils ajoutent même à la gloire de leurs législateurs.»


Il est regrettable que les tenants de notre pseudo démocratie ne lisent pas Machiavel ; ils comprendraient alors peut-être  qu'il serait vital pour leur survie de transformer en profondeur nos institutions en faisant, entre autre, voter les lois par le peuple, en ne proposant aux citoyens que des lois au vocabulaire compréhensif pour tous et en généralisant à tous les niveaux une justice effectuée par le peuple afin de préserver les libertés collectives.

 

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