LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (3)
COMMENT LES FRANÇAIS
METROPOLITAINS REAGIRENT-ILS FACE AUX VIOLENCES DE L’ARMEE EN ALGERIE ?
Répondre à cette question, au vu des documents que j’ai trouvés, peut
s’effectuer à deux niveaux :
. En utilisant quelques
courriers significatifs échangés entre le gouvernement et l’autorité militaire
. En tentant de mesurer
l’état d’esprit de l’opinion publique par le biais des articles de presse qui
pouvait l’influencer.
LES
TENTATIVES DU GOUVERNEMENT DE MORALISATION DES PRATIQUES DE L’ARMÉE D’ALGÉRIE.
L’exécutif se rendait bien
compte que l’armée en Algérie, profitant de l’interrègne et de la faiblesse du
gouvernement de Louis Philippe, agissait en toute indépendance et appliquait
ses propres principes usant de la force sans tenir compte des règles
élémentaires de justice et d’équité devant la loi régissant la société
métropolitaine. La plupart du temps, il était mis devant le fait accompli, ne
disposant pratiquement d’aucune marge de manœuvre.
A chaque fois qu’il était informé des agissements des militaires, il n’avait d’autre choix que d’y répondre par un envoi de lettres de reproches voilés aux militaires concernés. Cet échange de lettres est révélateur du fossé séparant la position entre d’une part, les autorités parisiennes, soucieuses de préserver l’Etat de droit et, d’autre part, le commandement de l’armée d’Afrique
Ainsi, le
président du Conseil, Casimir Perrier
écrivit au duc de Rovigo, commandant en chef des armées en Algérie en
décembre 1831, « Quant aux populations d’Alger, le principe
(…) doit être, après leur avoir fait sentir notre force, de ne rien négliger
pour nous les concilier par la justice et par les sentiments de leur propre
intérêt. »
Plus tard, le ministre de la guerre et président du
conseil, le maréchal Soult écrivit le 14 janvier 1832 à
Savary, duc de Rovigo commandant en chef de l’armée d’Afrique, pour lui faire
part de sa préoccupation concernant l’inobservance de la loi par les tribunaux
militaires :
« C’est avec peine, que je remarque fréquemment des
erreurs qui sembleraient liées à l’ignorance de la loi et de la jurisprudence
des tribunaux militaires… Je tiens beaucoup à l’exact accomplissement des
devoirs qui sont imposés par la législation militaire. »
Dans une lettre 21 janvier 1832 adressée à nouveau au duc de Rovigo, le maréchal Soult spécifie précisément ce que doit être la politique de la France dans la Régence :
« Quant aux Arabes et aux Turcs, faîtes
en sorte d’entretenir avec eux de bons rapports en conservant néanmoins un
langage ferme pour leur en imposer et en agissant à leur égard suivant les
règles de la plus stricte équité et jamais d’une manière contraire aux lois ni
à ce qu’une bonne politique peut avouer. »
Le 27 mars 1932, le
duc de Rovigo répond ainsi au ministre de la guerre
L’établissement d’un pouvoir civil est un projet bien conçu
dans l’intérêt des progrès de la civilisation, mais l’expérience que l’on fait
journellement de l’application de ce principe prouve que le pouvoir civil
lui-même doit être subordonné à l’action militaire qui le protège, autrement,
on ira toujours de collision en collision et la confiance que l’on voudrait
prendre dans la consolidation de notre puissance sur ce pays-ci ne s’établira
pas. »
Le 18 octobre 1932, le duc de Rovigo réitère ses
observations au ministre de la guerre :
« Mon opinion, est que les Maures ont déjà assez
d’avantages sur nous dans l’état présent des choses, sans leur offrir encore la
garantie de nos lois… Accorder aux Maures la faveur des formes protectrices de
nos lois, en harmonie avec la civilisation de la France, ce serait leur mettre
dans les mains une arme qu’ils ne manqueraient pas de tourner contre
nous. »
Lorsque Savary fait exécuter en février 1833 deux cheiks
qu’il avait invités pour négocier avec eux en garantissant leur sécurité, le
maréchal exprime clairement sa colère :
« Il n’y a pas ici d’exécution sans jugement mais ce
qui a précédé la traduction devant le conseil de guerre peut certainement être
considéré comme la violation d’un sauf-conduit … (de tels moyens) tendraient à
détruire dans le pays toute la confiance dans nos promesses et le gouvernement
ne pourrait approuver un tel usage de votre pouvoir discrétionnaire »
Ces admonestations ne serviront à rien, la
violence et les massacres ne cesseront pas et s’amplifieront même sous l’égide
de Bugeaud
On
aurait pu penser que le gouvernement ne se serait pas contenté de ces simples
réprimandes face à la politique de violence et de représailles initiés par le
commandement militaire et aurait agi pour les faire cesser ; ce ne fut pas
le cas à une exception toutefois : le 1er décembre 1831, Casimir-Perier créa deux
pouvoirs indépendants, celui de l’intendant civil relevant du président du
conseil en charge des territoires pacifiés
et celui du commandant de l’armée sous l’obédience du ministre de la
guerre. Ce système fut abandonné au bout de quatre mois, tant les
positions entre l’intendant civil et le commandant militaire étaient
antagonistes : l’intendant civil se plaignait que les règles de l’état de
droit étaient sans cesse bafouées tandis que les autorités militaires
reprochaient à l’intendant civil d’entraver leurs actions. Le poste d’intendant
civil fut certes maintenu mais il fut subordonné au pouvoir militaire.
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