LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (2)
LA POLITIQUE DE L’ARMÉE EN ALGÉRIE
LA POURSUITE DE LA CONQUETE
Sans tenir compte de l’opinion publique ni même
probablement du gouvernement, les généraux en charge du corps expéditionnaire envoyé
en Algérie étendent la conquête à d’autres villes qu’Alger et s’emparent
des principales villes côtières des « échelles du levant » :
ORAN en 1831, BONE (ANNABA) en 1932, BOUGIE, ARZEW, MOSTAGANEM en 1833. À cette
époque, la conquête française ressemble à celle des presides espagnols, en formant
une chaîne discontinue de possessions allant de la frontière tunisienne à la
frontière marocaine. De même, ils s’emparent du Sahel d’Alger, une petite
région de collines au sol fertile et bien cultivée.
LA CONSTITUTION DE L’ARMEE D’AFRIQUE
Afin de tenter une réponse aux critiques de ceux qui stigmatisent le
fait que l’on sacrifie la vie des français pour une conquête ressentie comme
inutile et pour des raisons budgétaires, le gouvernement décida de diminuer
l’effectif des soldats envoyés en Algérie. Ainsi, alors que l’armée envoyée à
Alger lors de la conquête comportait 37.000 hommes, il fut prévu, dans le budget
de 1831, de réduire les effectifs à
9000 hommes.
Les militaires en poste à Alger firent part de leur préoccupation quant à ce projet : il leur fallait en effet contrôler les zones conquises pour les pacifier, effectuer de nouvelles conquêtes afin de mieux les protéger, subjuguer les tribus de l’arrière-pays pour faire cesser leurs raids. En outre, il fallait aussi tenir compte de la forte mortalité sévissant parmi les soldats à la fois du fait des attaques venues des hauts-plateaux et de la forte mortalité survenue dans les garnisons en poste dans les fortins établis dans les zones malsaines.
Afin de pallier aux doléances de l’armée à propos de la faiblesse des effectifs et pour l’adapter aux conditions climatiques, géographiques et aux méthodes de combats sévissant dans le pays, l’armée d’Afrique se dota très tôt d’auxiliaires autochtones. Ces corps d’auxiliaires furent très utiles à la fois par leur connaissance du pays et de la langue des habitants.
Le 1er octobre 1830, le général Clauzel (général en chef de la conquête du 2 septembre 1830 au mois de février 1831, il reviendra en Algérie en tant que gouverneur général en juillet 1835 jusque 1837) décide de créer deux bataillons de 100 autochtones. Les premiers volontaires furent des kabyles de la tribu des Zouaoas, ce qui donna son nom aux zouaves. Le nom est resté bien que, très vite, les zouaves ne comprirent que des français. Ils sont appelés aussi les « chasseurs d’Afrique. » La loi de 1831 cautionna cette décision. Des cavaliers zouaves forment la première unité montée de l’armée d’Afrique. Trois régiments zouaves de cavalerie sont organisés en 1832,
De même sont incorporés les compagnies turques à la solde du Dey au fur et à mesure de l’extension de la conquête, ils sont qualifiés du terme génériques d’ « arcos ».ils se différencient en tirailleurs et en spahis à cheval. En 1834, les spahis comprennent 218 cavaliers.
Enfin, le 9 mars 1831, le gouvernement décida de rétablir la légion étrangère qui avait été supprimée deux mois plus tôt avec création de sept bataillons de 895 légionnaires chacun, cela représente une force de 4965 légionnaires. Au début, les sept bataillons furent composés selon leur nationalité (3 d’allemands et de suisses, un d’espagnols, un d’italiens, un de belges et d'hollandais et un de polonais) mais très vite, on abandonna cette répartition pour mettre en place le principe de la fusion. Les légionnaires seront formés en France mais ils ne pourront pas intervenir en Métropole, le champ d’action étant limité aux théâtres d’opérations extérieures.
Ainsi, se constitua l’armée d’Afrique avec
association de soldats français et d’unités auxiliaires. Ces dernières étant
toutes commandées par des officiers français, ce qui évidemment favorisait la
cohésion de cette armée.
LES CONDITIONS DIFFICILES DES COMBATS ET L’INSTAURATION DE LA TERREUR
Les combats que livre l’armée d’Afrique, à cette époque, relèvent plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes du fait de la pression continuelle des tribus qui crée un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.
Un peu partout et surtout dans la zone occupée d’Alger, les français se heurtent à trois difficultés majeures :
. La première résulte de la configuration du relief : les plaines
littorales
où se trouvent les villes conquises, sont étroites et sans lien réel
les unes avec les autres, sauf par la voie maritime ; très vite, en allant
vers le sud, les altitudes s’élèvent et rapidement, on se trouve sur des
plateaux dominés par des massifs montagneux culminant à plus de 1500m de haut.
Cet arrière-pays forme une barrière continue, difficile d’accès, seules les
vallées encaissées des oueds permettent
d’y circuler malaisément.
Dans la région d’Alger, la
circulation vers le sud pourrait sembler plus aisée du fait de la présence
d’une plaine entre le littoral et les crêtes de l’Atlas de Blida ; en réalité, ce n’est pas le cas, car la plaine, appelée MITIDJA, n’est qu’un vaste marécage
malsain infesté de moustiques en sorte que si on y installait un fort de
protection, la garnison était vite décimée par la pestilence
. La deuxième difficulté résidait dans la présence sur les hauts
plateaux de tribus belliqueuses soucieuses de chasser les étrangers de leur
pays à la fois pour des raisons idéologiques et de fierté collective mais aussi
et surtout parce qu’elles considèrent que les terres usurpées par les français
sont à elles : beaucoup ont dû, en effet, les abandonner pour échapper à
la domination des envahisseurs, les privant ainsi d’espaces qui leur étaient
utiles (la Mitidja était, par exemple, une zone de pacage d’été).
. La troisième raison est la différence
entre les techniques militaires des français et celles des tribus :
. Les tribus combattent au moyen d’une cavalerie légère
extrêmement mobile et possédant l’avantage notoire de connaitre parfaitement le
terrain. Leurs attaques sur les terres occupées par les français prennent la
forme de raids rapides qui surprennent les postes français et les premiers
colons installés. Ils pillent et tuent tant qu’ils le peuvent et se retirent dès que l’adversaire réagit et
organise sa défense.
. Habitués aux combats en Europe, les expéditions punitives organisées par les
français sont composées de colonnes lourdement armées, disposant de pièces
d’artillerie et se mouvant lentement dans un pays qu’ils ne connaissent
pas : ils sont à la merci d’embuscades, en particulier dans les gorges des
vallées encaissées et de raids aussi soudains de meurtriers.
Cette politique de
terreur est parfaitement illustrée par le massacre de la tribu des Ouffia en
1832 cité dans un livre de Christian Pierre, l’Afrique française
paru en 1848 :
Le général en chef, informé de cet accident, ne prit point, la peine d'en
rechercher les circonstances, mais, se livra au contraire, à une précipitation
de jugement qu'aucune véritable nécessité
ne justifiait,... En vertu de ses instructions, un corps de troupe du 1er chasseur d'Afrique et du 2e
bataillon de la légion étrangère …,
sortit d'Alger pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit, au point du jour, la tribu, endormie sous ses tentes, et
égorgea tous les malheureux El-Oufflas,
sans qu'un seul chercha même à se défendre, Tout ce qui vivait fut voué à la mort; ou ne fit aucune distinction d'âge ni
de sexe. Au retour de cette honteuse
expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances, et l'une d'elles servit, dit-on, à un horrible
festin. Tout le bétail enlevé sur ce
champ de désolation fui vendu au consul de Danemark ; le reste du butin,
sanglantes dépouilles d'un effroyable carnage, fut exposé au marché de la
porte Rab-Ayoun , on y voyait avec horreur des
bracelets de femme encore attachés à des poignets coupés, et des boucles
d'oreilles pendant à des lambeaux de chair, Le produit de cette vente fut partagé
entre les égorgeurs.
Un ordre du jour du 8 avril, consacrant une telle infamie, proclama la haute
satisfaction du général pour l'ardeur
et l'intelligence que les troupes avaient montrées, Le soir, sa police ordonna aux Maures d'Alger
d'illuminer leurs boutiques et de les
tenir ouvertes plus tard que de coutume.
Pour combler la mesure de ces excès, le cheikh des El-Ouffîas n'échappa aux fureurs de l'extermination que pour (être jugé), il fut traduit devant un conseil de guerre, jugé et exécuté, bien qu'on eut déjà acquis la certitude que ce n'étaient pas les El Ouffias qui avaient dévalisé les prétendus ambassadeurs du désert.
Mais acquitter le chef, c'était déclarer la peuplade innocente, et condamner moralement ceux qui en avaient ordonné le massacre, »
Le même auteur cite le massacre perpétré à Bône par le capitaine Youssef (pseudonyme donné par ses troupes à Joseph Venturi qui deviendra plus tard général)
« Des Arabes d'une tribu inconnue, vinrent, sous les murs de la
ville, s'emparer
quelques bœufs. Le capitaine Youssef décida que
les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharézas; le même soir, il partit
avec les Turcs, (ARCOS soldats
du Dey ralliés à la France) s'embusquer de nuit dans les environs de cette tribu, et,
lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes,
enfants et vieillards, Une réflexion bien triste suivit cette victoire,
lorsqu'on apprit que celte même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône , approvisionnait
notre marché, et qui, la veille,
jouissait encore de la confiance de Youssef lui-même. Le retour des Turcs
fit une funeste impression sur les habitants de
la ville, lorsqu'on aperçut une tête
d'Arabe sur le drapeau français.
Ainsi, il s’instaure en Algérie un cycle infernal de la violence. Outrés par la férocité des expéditions de représailles françaises, les tribus organisent des coups de main de plus en plus meurtriers et de plus en plus violents. Cela donne lieu à de nouvelles ripostes des français de plus en plus sanglantes : ils brûlent les douars et massacrent les habitants en n’épargnant personne même les innocents, les femmes et les enfants et repartent en ne laissant derrière eux que ruines et désolations.
De telles horreurs ne pouvaient pas rester impunies : les expéditions punitives de l’armée française étaient suivies de nouvelles razzias des tribus, établissant ainsi une ère de saccages et de férocité ne paraissant pas devoir finir et qui caractérisa presque toute la période de la Monarchie de Juillet
Bien peu se rendait clairement
compte que ce règne de terreur ne
pouvait mener à rien sauf à des massacres réciproques, très peu de tribus
firent leur soumission, les autres furent animées d’un esprit de vengeance de
plus en plus fort.
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