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dimanche 16 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (16)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LA SITUATION INTÉRIEURE DE L’ALGÉRIE : LES TÉMOIGNAGES DES CAPITAINES MONTAUGNAC ET SAINT-ARNAUD


Lors du vote du budget pour la colonie pour 1835, les députés avaient stigmatisé les ravages, les spoliations et les atteintes effectuées à l’encontre des coutumes locales par l’armée et les premiers colons tant au niveau de la ville d’Alger qu’à celui de la campagne environnante. 

 

Si on considère la situation pendant la période qui suit la mise en place des pouvoirs en Algérie, on constate que rien n’a véritablement changé : deux témoignages en sont l’expression : ils émanent de deux militaires affectés en « Algérie » en 1937,  le capitaine de Montaugnac et le capitaine de Saint-Arnaud, ils rendent compte, dans les lettres qu’ils adressent à leur famille, de ce qu’ils ont constaté  en prenant leur poste dans la colonie. Je citerai, ci-dessous,  trois extraits de celles-ci car ils témoignent bien de l’ambiance régnant à ce moment dans l’Algérois. 

 

Le premier extrait fut rédigé par le capitaine de Montaugnac qui deviendra ensuite colonel et sera tué à la bataille de Sidi-Ibrahim en 1845 : 

 

«  On n’a  pas la moindre idée du désordre, du gaspillage, de la gabegie qui règnent ici dans toutes les administrations. Chacun tire à soi, spécule sur tout, exploite avec l’impudeur la plus manifeste le pays, l'armée. Les fonds du gouvernement ..sont enfouis, détournés, dilapidés » ….. la colonie n'est peuplée que d’une «  foule de banqueroutiers de tous les pays, des libérés et échappés du bagne : épicier marchand de liqueurs, cafetiers..  cumulant, en outre, tous les genres de spéculations possibles,  contrebandiers exploitant toutes les branches de commerce imaginables, race infernale qui nous gruge et nous saigne à blanc voilà les colons qui fourmillent  dans cette pauvre Afrique. » 

 

Gaspillage, gabegie, désordre, contrebande, spéculation, vol, règne des repris de justice … Montaugnac utilise des mots très forts pour  qualifier la situation à Alger au moment de sa prise de fonction. Rien n’a changé depuis l’arrivée des français en 1830 : les colons, venus en Algérie dans le sillage de l’armée, sont toujours des aigrefins, ne songeant qu’à s’enrichir en particulier en profitant des besoins de l’armée, achetant à bas prix et, souvent, grâce à la contrebande, les produits dont l’armée a besoin et les revendant à un prix prohibitifs ; boutiques, tavernes se développent partout dans la ville et autour des camps. Cette population interlope n’est venue là que pour profiter financièrement de la conquête. 

 

Parallèlement à ce peuplement des villes, il existe toujours la même forme de colonisation basée sur la spoliation des autochtones ; certes, une réglementation a été établie en 1832 afin de supprimer les ventes sauvages ou effectuées sous la menace d’un risque d’expropriation future sous le  prétexte qu’il n’existe pas de titres écrits de propriété ni de bornage des sols: désormais, toute transaction entre un européen et un musulman devra être inscrite au greffe du tribunal. Pour contourner cette injonction, les spéculateurs utilisèrent désormais un système apparenté à la rente foncière.

 

On en trouve mention dans une lettre écrite par un autre militaire, le capitaine de Saint-Arnaud arrivé également en 1837 dans la colonie et qui deviendra plus tard maréchal de France : 

 

«  Il y a, à 300 pas de mon camp, un petit bien à louer ou à vendre ; on n'en demande 270 fr. par an ; avec la culture qui se ferait par deux kabyles fort aisément, , on se ferait un revenu de plus de  1500 fr. en orange, vin, fruits, légumes, orange, citron, figues…  Il y a de tout et en quantité, beaucoup d'arabes ne veulent pas vendre pour le capital, ils ne veulent qu'une rente à vie. Le marché a lieu devant le cadi , cette rente  est minime et jamais de  la valeur de la propriété. On peut très facilement la payer avec une fraction du rapport. Pour 12 fr. par mois et le pain, on a un kabyle qui travaille tant que le jour dure ».

 

Cette lettre clairement la méthode employée : les spéculateurs  négocient avec les autochtones, non la vente de leurs terres, mais la signature d’un bail à rente perpétuelle appelée rente à « ana » ce système est, selon la lettre de Saint Arnaud,  particulièrement avantageux pour l’européen : 

     . La rente est modique, elle est sans risque puisque perpétuelle et donc non modifiable, ce coût minime permet aux européens d’acquérir de vastes domaines et de faire d’importants bénéfices en un court laps de temps, dans l’exemple donné par Saint-Arnaud, on peut estimer à 550 francs le bénéfice annuel de la terre. 

     . Elle permet de contourner les règles du droit musulman, en particulier au niveau des terres habou puisque le régime de la propriété n’est pas modifié, 

 

Il va de soi, comme l’indique le texte ci-dessus,  que les nouveaux possédants ne cultivent pas eux-mêmes le sol, ils emploient, pour cela, des ouvriers agricoles kabyles sous-payés et astreints à un dur travail durant tout le jour. 


Ainsi, naît une société nouvelle basée sur la richesse foncière rappelant fâcheusement les structures serviles des Antilles en associant des travailleurs indigènes exploités et des colons européens oisifs recueillant les fruits du travail de leurs ouvriers. Bugeaud qualifiera ces derniers du sobriquet de «  colons aux gants jaunes ».

 

L’ETAT DE LA COLONISATION


LA COLONISATION DE LA MITIDJA ET L’ECHEC DE BOUFARIK

 En 1836, alors que Blida n’est pas conquise, que les forts de protection de la Mitidja ne sont pas construits et que l’assèchement de la plaine n’est par réalisée,  le maréchal Clauzel, ne tenant pas compte ni des conseils de prudence de la commission ni du vote de la chambre des députés,  publia,  par l’ARRETE DU 27 SEPTEMBRE 1836, sa décision de créer un  centre de colonisation au cœur de la Mitidja à Boufarik, à proximité du camp militaire d’Arlon. 

 

L’arrêté de Clauzel reproduisait le  projet qu’il avait élaboré pour Kouba dans le Sahel où avait été créé un village ayant un plan en damier avec une place centrale et un fossé défensif, Il fit dresser, pour Boufarik, un plan en damier dessiné par le service des bâtiments civils et prévit l’installation immédiate d’une trentaine de familles. Chacun devait bâtir sa maison dans l’alignement des rues. 

 

Les terres à distribuer étaient des terres présumées autrefois  beylicales, elles furent divisées en lots de 4ha. Selon leur apport financier, en matériel et en main d’œuvre, il était possible à un colon de recevoir  trois lots, soit 12ha. La concession n’était cependant que provisoire, elle ne devenait définitive que trois ans plus tard à condition que les prescriptions suivantes aient été respectées : le  colon devait bonifier, assainir et défricher les terres qui lui étaient allouées dans un délai de trois ans (chaque année par tiers), il devait aussi planter 50 arbres fruitiers ou sylvicoles par hectare. Enfin, il devait payer une redevance de deux francs pour tous les travaux que l’Etat avait effectués sur le site avant son arrivée. 

 

Dans les conditions où elle fut pensée et organisée, l’expérience ne pouvait qu’être un échec, Boufarik était établie, en effet, sur un site marécageux non asséché et en pleine zone d’insécurité, les maladies (paludisme, malaria… ) et les incursions arabes décimèrent une grande partie de la population, il faudra attendre que l’armée assainisse l’endroit en le drainant  pour que la colonie puisse  survivre. 

 

L’ORDONNANCE DE 1838

Assez paradoxalement, alors que l’échec de l’expérience de Boufarik était patent, le gouvernement décida d’élargir le champ de l’ordonnance de 1831 afin de rendre possible l’émigration vers la colonie à un plus grand nombre de candidats. 

 

Désormais,  la compétence de délivrance de passeports pour la colonie fut  étendue aux sous-préfets et aux maires. Il était seulement  exigé des candidats à l’émigration un certificat de bonne santé et de moralité, l’Etat prenait en change le passage des travailleurs qualifiés des secteurs industriels et agricoles ainsi que les agriculteurs ayant droit à des concessions agricoles. 

 

Il convient d’expliquer les raisons de cet étonnant paradoxe : 

 

     . D’abord, les restrictions sur la délivrance des passeports en métropole conjuguée à l’immigration clandestine des « Mahonnais » (habitants de la capitale de Minorque, nom donné à tous les espagnols venus s’installer dans la colonie)  ont conduit à une inversion des nationalités dans la colonie. Ainsi, M René Ricoux («  la démographie figurée de l’Algérie, éléments statistiques. » 1880), basant son analyse sur les résultats des premières recensements, indique qu’en 1836, la colonie comporte  plus d’européens étrangers ( 9036 h) que de colons de souche française ( 6485 h soit 44%). 

 

     . Ensuite, la création de grands domaines employant une main d’œuvre d’autochtones ou de Mahonnais, n’a guère d’impact sur le peuplement de l’Algérie par les colons ; or, selon les mentalités de l’époque, on ne peut conserver une conquête que si on l’occupe effectivement et si les colons, eux-mêmes, sont capables d’organiser leur défense.

 

     . La raison principale de la décision gouvernementale réside cependant dans l’intensification de la propagande pour la colonisation de la colonie, organisée par les groupes de pression et relayée par la presse : en dépit de son échec, Boufarik devint une parfaite illustration du mythe colonial, on vantait partout la sollicitude et l’implication de l’Etat ainsi que le courage, la persévérance  et l’opiniâtreté du colon transformant une  terre malsaine, déserte et stérile, en un village prospère et bien cultivé. 

 

Cet état d’esprit est ce que signale, en particulier, Montaugnac : 

 

«  En France écrit-il, on voit la colonie florissante, des établissements s’élevant de toute part  des bulletins mensongers, rédigés par des intrigants,  reproduits avec amplification dans les journaux emphatiques,  vous font un tableau admirable de cette colonie en friche : les colons y abondent,  des terrains immenses sont en plein rapport..  Les  superbes projets des autorités font présager pour l'avenir les plus brillants résultats. En attendant, conclut-il, rien de tout cela,  rien, pas un seul colon. »

 

C’est dans la  perspective de l’application de l’ordonnance  de 1838 que le gouvernement demanda à Clauzel de faire dresser un état des terres disponibles et de rechercher des emplacements pour créer des villages. Il  fut prévu, à cette fin, de lotir six grands haouch domaniaux ; ce projet ne fut cependant pas réalisé à cause de l’insécurité due aux incursions continuelles des Hadjoutes, un ensemble de tribus luttant sans relâche depuis 1830 contre la présence française et réduisant celle-ci à quelques points isolés autour des camps de la Mitidja.

 

Cet assouplissement fut  critiqué par le gouvernement d’Alger qui argua que les candidats au départ seraient certes qualifiés mais, venant des villes, ils ne seraient pas adaptés au marché du travail de la colonie. 

 

Pour pallier à cette critique justifiée, le maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre élabora en 1839/40 une synthèse cohérente de la politique d’émigration permettant de dépasser les antagonismes entre Paris et Alger : 

     . Le nombre de passages pris en charge par l’Etat sera fixé par rapport aux besoins du marché de l’emploi en Algérie.

     . Les sous-préfets et les maires pourront refuser des passeports à ceux qui n’auront pas obtenu du ministère un passage gratuit.

     . Les familles reconnus capables de se livrer à la culture et disposant de ressources pour tenir jusqu’à leur première récolte, pourront obtenir des concessions, au maximum de douze hectares. 

 

Ainsi se définit le portrait de l’émigrant idéal : bonne santé, bonne moralité,  apte à s’insérer dans la nouvelle colonie. 20.000 passages gratuits seront délivrés entre 1841 et 1845, la plus grande partie de ces migrants provient du milieu urbain, 19% seulement  sont issus du monde rural.  

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