L’ANALYSE DE LA SITUATION DE L’ALGERIE A LA FIN DE LA MONARCHIE DE JUILLET VUE PAR TROIS INTELLECTUELS
ALPHONSE DE LAMARTINE
POURSUIVRE LA GUERRE EN ALGÉRIE RISQUE D’OBÉRER GRAVEMENT
L’AVENIR DE LA FRANCE.
Lamartine
montre que la poursuite de la guerre en Algérie est triplement nocive :
. Elle engage des dépenses de plus en plus
considérables,
. Par la conscription, elle envoie en
Algérie une partie de la jeunesse qui serait
beaucoup plus utile en restant dans sa campagne,
. Elle paralyse les aspirations légitimes
de la France à œuvrer pour la quête de liberté des peuples,
Le
premier préjudice dû à la guerre d’Algérie et subi par la France, cité par tous
les adversaires du maintien de la France en Algérie et à sa politique de
conquête, est d’ordre financier : l’importance des coûts financiers :
voici ce qu’en dit Lamartine :
« Or,
de cette conduite, que résulte-t-il ? Un poids sur votre budget, … qui, sous
des chapitres divers, et peut-être sous des articles plus ou moins déguisés, ne
s’élève pas à moins de 121 à 125 millions, dans un moment où la France a un
budget de 1 500 millions, et où M. le ministre des finances disait l’autre jour
que nous avions déjà dépensé, depuis quinze ans, dans des proportions de
troupes beaucoup moindres qu’aujourd’hui, en Afrique, plus d’un milliard.
Portez-vous par la pensée à dix années de l’époque où je parle, multipliez ces
dix années par le chiffre de 110 ou 125 000 hommes que vous devez solder
aujourd’hui en Algérie ; multipliez par les dépenses de colonisation qu’on vous
demande, et qu’on aura raison de vous demander, quand nous aurons adopté le
régime civil, vous trouvez trois milliards que vous aura coûtés alors l’Algérie. »
Beaucoup
plus originale est la seconde allégation de l’orateur : le coût élevé de
la guerre au niveau humain et de la vie des soldats qu’on envoie chaque année en
Algérie :
« Mais
il y a un impôt qui pèse bien autrement sur le peuple que cet impôt d’argent,
c’est l’impôt de votre recrutement annuel pour l’Algérie seule. Les 100 000
hommes que vous voulez tenir au complet en Afrique exigent un surcroît de
conscription de 15 000 jeunes soldats par an ! Oui, 15 000 conscrits de plus
par an, arrachés à la population des campagnes.
Ajoutez y 7 000 jeunes soldats qui meurent
chaque année de la fièvre dans les hôpitaux ou sur les routes de l’Algérie,
voilà 22 000 Français retranchés tous les ans de la vie et du sol, par cette
insatiable conquête qu’il faut recommencer chaque campagne ! »
Si
encore ces jeunes soldats mouraient glorieusement au combat ! Hélas ce
n’est pas le cas comme l’explique Lamartine aux députés :
« Et
s’ils mouraient encore par le feu de la guerre ! Votre consommation d’hommes
par la guerre est si faible, qu’elle ferait honte, si jamais la guerre pouvait
faire rougir en France ; votre consommation d’hommes par la guerre là n’est
rien, 80 hommes par an ; mais la consommation d’hommes par le climat, elle est
immense ! On dirait que la guerre d’Afrique se venge par la maladie, par la
fièvre, par les exhalaisons pestilentielles, de la mauvaise, de la funeste
administration, de la fausse pensée que vous ne cessez de lui rapporter en
hommes, en sang et en millions tous les ans. »
Le
troisième risque d’abaissement de la France concerne la politique étrangère
Lamartine
montre, dans la première partie de son discours, que la situation en Europe est
loin d’être pacifique : la révolution de 1830 en France a ravivé les
aspirations des peuples muselés par la coalition des puissances européennes
signataires de l’acte final du congrès de Vienne. Face aux risques de révoltes
intérieures, comme cela s’est produit, entre autre, en Pologne, les états
européens pourraient vouloir éradiquer la France afin de supprimer toutes
velléités de révoltes nationales ou libérales en Europe.
Or ces
velléités existent partout, elles ne demandent qu’à se concrétiser dès
qu’apparaitra la moindre opportunité :
« Pouvez-vous nier …
(qu’il y ait) dans le cœur des peuples cette sympathie pour la France que sa
liberté avait allumée et que sa liberté rallumera un jour dans l’univers »
Mais
quant aux cœurs, quant aux dispositions des cabinets, il faut fermer
volontairement les yeux à la lumière pour ne pas reconnaître qu’il y a là un
germe de ressentiment couvé sous des apparences, sous des désirs de
bienveillance et de paix, qu’un évènement soudain, une crise inattendue, qu’une
question surgissant dans la politique du monde pourrait à l’instant ranimer et
faire de nouveau déborder en flots d’armées contre vos frontières.
Croyez-vous que les trônes menacés pardonnent
aisément à un peuple qui a pris sa couronne pour la transporter sur le front
d’une dynastie élue ? »
En conséquence,
la France se trouve dans une situation de paix armée, elle risque d’être
attaquée dès que les idées de 1789 conduiront les peoples opprimés à se
soulever contre ceux qui les subjuguent car alors renaitra la coalition des quatre puissances européennes
garante, depuis 1815, de l’ordre existant (Grande-Bretagne, Russie, Prusse,
Autriche). Il est donc impératif que la France se prépare à toute éventualité.
« Dans
la situation de crise politique où se trouve le continent, la France doit être
tous les jours en état de faire face à chacune des grandes puissances du
continent, et, je dirai plus, elle doit être tous les jours en état de faire
face, par sa puissance militaire, par la disponibilité de ses mouvements et de
ses forces, à l’ensemble des quatre puissances réunies »
« Je
ne partage donc pas le penchant de certains hommes politiques de ce temps pour
la guerre. Je suis cependant un homme prudent comme vous tous ; je crois que le
moyen de conserver la paix, c’est de préparer la guerre ; je crois que le moyen
de n’être jamais attaqué, c’est d’être toujours ce que nous devons être :
inattaquables. »
« Or,
dans la situation que nous fait l’Afrique, sommes-nous, en effet, inattaquables
? »
L’orateur montre alors que nous sommes certes inattaquables
au niveau de notre sol « mais c’est sous forme de
puissance défensive » puisque l’essentiel de l’armée d’active est immobilisé en
Algérie.
« Il
y a donc un grand danger à distraire la France de sa situation continentale,
pour l’occuper uniquement de l’Afrique, et la laisser engager son bras tout
entier dans cette conquête, de sorte qu’elle ne pourrait plus le retirer, au
moment d’un péril grave sur le continent. »
Pour
appuyer ses dires, Lamartine s’appuie sur une citation de Wellington :
« Lord
Wellington, un des hommes de l’Europe le plus intéressé, vous le savez, à
mesurer la force, à tâter le pouls de la force française, disait, il y a peu
d’années, en 1840, ce grand mot qui est toujours resté depuis cette époque dans
mon souvenir ; il disait à deux représentants des puissances étrangères qui
craignaient la guerre de la France contre le continent :
«
Rassurez-vous, Messieurs ; tant que la France sera occupée à ronger l’Algérie,
tant que la France aura 100 000 hommes en Afrique, vous n’aurez rien à redouter
; l’Europe n’a rien à redouter de la France ! »
Ainsi, par le
fait que la France ne dispose plus d’une armée capable intervenir, elle peut
certes se défendre mais elle ne peut plus agir au nom de ses valeurs
philosophiques héritées de l’époque des lumières : la volonté de conquête de
l’Algérie conduit à l’abaissement de la politique européenne du pays et à sa
passivité.
« La
puissance défensive d’un pays garantit sa nationalité ; elle ne garantit pas
ses influences diplomatiques, elle ne garantit pas ses accroissements
territoriaux, elle ne garantit pas sa gloire. »
Il convient, à
cet égard, de remarquer que Lamartine n’évoque pas, dans ce discours, le rôle
messianique de la France comme dispensateur de la civilisation occidentale aux peuples soit-disant attardés, son analyse est beaucoup plus mesurée et réaliste, il
convient seulement d’aider les peuples européens opprimés à se libérer. En
conséquence, il faut infléchir la politique jusqu’alors pratiquée : adopter en
Algérie une approche nouvelle des relations entre français et arabes afin de
recadrer l’action de la France vers la défense des peuples opprimés d’Europe.
« Il
faut que la France choisisse entre un abaissement systématique de se puissance
militaire, diplomatique, continentale, en Europe, ou qu’elle adopte en Algérie,
ce que je n’ai cessé de conseiller à mon pays depuis 1830, une politique plus
réglée, plus modérée qu’elle ne l’a été jusqu’à présent, et qui ne compromettra
pas le recrutement, nos finances, l’armée, la puissance et la sécurité de notre
pays. »
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