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. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

vendredi 13 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (31)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

L’ARMÉE DE GUILLAUME SE MET EN MARCHE

HIC MILITES EXIERUNT  DE HENSTENGA ET VENERUNT AD PRELIUM CONTRA HAROLDUM REX : (ici, les soldats sortirent d’Hastings et allèrent au combat contre le roi Harold.)

Le départ de l’armée de Guillaume n’est représenté que par une courte scène où l’on voit un soldat à pied d’œuvre (A) s’apprêtant à monter sur le cheval que lui a amené un serviteur (B). Ce soldat vient de sortir de la forteresse de Hastings comme le montre la porte ouverte de la tour-porche du château. Il est vêtu d’un haubert lui couvrant le corps ainsi que les avant-bras. Cette cotte de mailles s’arrête à ses genoux,  ses jambes sont protégées par des chausses de mailles. Il porte un camail sur la tête ainsi qu’un casque à nasal. 

Son armement se compose d’une épée et d’un javelot à oriflamme, il est sans doute complété par un bouclier. 

Une longue bande de la tapisserie de Bayeux montre le départ de l’armée et sa mise en ordre de marche. Pour des nécessités de place, j’ai dû scinder cette longue bande en deux parties.


Les premiers cavaliers constituant l’arrière garde (C) sont encore à l’arrêt, attendant que ceux qui les précèdent se soient ébranlés. En avant du corps principal, se trouve Guillaume (D) et son demi-frère Odon (E). Ils sont reconnaissables au fait qu’ils portent des massues et  ne disposent ni d’épée ni de boucliers. En ce qui concerne Guillaume, cette massue doit lui servir autant d’arme que de bâton de commandement. Odon, en tant qu’évêque, n’a pas le droit de porter une épée et de faire couler le sang, par contre, il peut toujours assommer un éventuel adversaire ; hormis cette particularité, Odon est habillé en combattant, portant cotte de mailles et casque à nasal. 

Guillaume et Odon sont suivis de deux cavaliers portant les oriflammes : l’un tient l’étendard ducal (F)  portant la croix que le pape avait envoyé au duc, l’autre brandit une bannière (G) représentant un oiseau (colombe ?) entouré d’un demi-cercle de flammes (armes de Robert de Mortain ?). 

Le corps d’armée principal est précédé d’une avant-garde représentée sur la tapisserie de Bayeux par deux cavaliers. (H)

 Afin de préparer sa stratégie d’approche, le duc a envoyé un certain nombre d’éclaireurs battre la campagne afin d’obtenir des informations sur les mouvements de l’ennemi ; l’un d’entre eux, appelé Vital (J), vient justement au rapport et, interrogé par Guillaume, lui donne la position de l’armée d’Harold. 

HIC WVILLELM DUX INTERROGAT VITAL SIVIDISSET HAROLDI EXERCITU ici le duc Guillaume demande à Vital s’il a vu l’armée  d’Harold

En regardant la tapisserie de Bayeux, on a l’impression  que l’armée normande se déploie sans encombre dans un ordre parfait ; ce n’est probablement pas le cas, comme le montre Guillaume de Poitiers dans sa chronique. 

En premier lieu, l’armée qui s’ébranle d’Hastings ne représente qu’une faible partie des effectifs totaux dont dispose Guillaume, en effet, « ce jour-là la plus grande partie de ses compagnons étaient allés fourrager » et étaient donc dispersés dans la campagne,  « Le duc aussitôt ordonna à tous ceux qui se trouvaient dans le camp de prendre les armes. » 

Ensuite et surtout, l’initiative de l’offensive n’est pas le fait de Guillaume ; c’est, en effet, Harold qui, le premier, met en branle son armée : « Le roi furieux se hâtait d'autant plus qu'il avait appris que les Normands avaient dévasté les environs de leur camp. Il voulait tâcher de les surprendre au dépourvu, en fondant sur eux pendant la nuit ou à l'improviste ».  Guillaume de Poitiers nous indique aussi comment le duc fut prévenu de l’attaque imminente de l’armée anglaise : ce  sont, écrit le chroniqueur,  « des chevaliers très-éprouvés, envoyés à la découverte par le duc, qui revinrent promptement annoncer l'arrivée de l'ennemi. », il est probable que ces chevaliers normands sont ceux qui avaient dévasté les alentours du camp d’Harold.

Ainsi Guillaume de POITIERS nous livre une version bien différente que celle suggérée par la tapisserie de Bayeux : selon son récit,  le départ de l’armée normande se fit précipitamment, dans l’improvisation et avec de faibles effectifs. On peut d’ailleurs remarquer l’absence dans cette armée en mouvement,  des hommes à pieds et des archers qui participeront à la bataille. 

Selon moi, la réalité se situe probablement entre les deux versions : le duc en effet ne se mit pas immédiatement en mouvement ; comme l’indique le chroniqueur, il prit le temps d’assister à la messe et ne semble guère inquiet, sûr de disposer de la bienveillance de Dieu : « assistant avec la plus grande dévotion au mystère de la -messe, (il) fortifia son corps et son âme de la communion du corps et du sang du Seigneur. Il suspendit humblement à son cou des reliques.. Le duc avait avec lui deux évêques, qui l'avaient accompagné de Normandie, Eudes, évêque de Bayeux, et Geoffroi Constantin, un nombreux clergé, et plusieurs moines. Cette assemblée se disposa à combattre par ses prières. Tout autre que le duc eût été épouvanté en voyant sa cuirasse se retourner à gauche pendant qu'il la mettait; mais il en rit comme d'un hasard, et ne s'en effraya pas comme d'un funeste pronostic. »

Prochain article : LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE. 

mardi 26 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (30)




HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LES POURPARLERS DIPLOMATIQUES


Une scène importante s’intercale entre la construction du fortin et l’incendie de la maison. Elle est surmontée de l’inscription suivante : 

HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD ( ici, on apporte des renseignements sur Harold). 

En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidation et informations fallacieuses… 

Pour connaître cette activité « diplomatique », il est nécessaire de consulter la chronique de Guillaume de Poitiers. 

La première intervention fut celle d’un normand habitant l’Angleterre qui envoya au duc Guillaume un messager chargé de le prévenir de l’arrivée imminente sur la côte de la Manche, de la puissante armée d´Harold :

 «Le roi Hérald ayant livré bataille à son propre frère et au roi de Norvège, qui passait pour le plus fort guerrier qu'il y eût sous le ciel, les a tués tous deux dans un combat, et a détruit leurs nombreuses armées. Animé par ce succès, il revient promptement vers toi, à la tête d'une armée innombrable et pleine de force, contre laquelle les tiens ne vaudront pas plus qu'autant de vils chiens. Tu passes pour un homme sage, et jusqu'ici tu as tout fait avec prudence, soit pendant la paix, soit pendant la guerre. Maintenant, prends garde que ta témérité ne te précipite dans un danger d'où tu ne puisses sortir. Je te le conseille, reste dans tes retranchements, et abstiens-toi d'en venir aux mains à présent.»

Le duc répondit à l'envoyé: « ... Je ne voudrais point me mettre à l'abri dans une retraite fortifiée, je combattrai Hérald le plus promptement possible; et je n'hésiterai point, si la volonté divine ne s'y oppose pas,…  à aller l'écraser, lui et les siens, avec la force des miens.»

Le second messager est le fait d’Harold lui-même qui tint à faire savoir au duc les raisons pour lesquelles il était, selon lui, légitimement le roi d’Angleterre :

«Voici ce que le roi Hérald vous fait savoir. Vous êtes entré sur son territoire... Il se souvient bien que le roi Edouard vous établit d'abord héritier du royaume d'Angleterre, et que lui-même en Normandie vous a porté l'assurance de cette succession. Mais il sait aussi que … le même roi, son seigneur, lui fit, à ses derniers instants, le don du royaume; et depuis le temps où le bienheureux Augustin vint dans ce pays, ce fut une coutume générale de cette nation de regarder comme valables les donations faites aux derniers moments. C'est pourquoi il vous demande à juste titre que vous vous en retourniez de ce pays avec les vôtres. Autrement il rompra l'amitié et tous les traités qu'il a lui-même conclus avec vous en Normandie, et il vous laisse entièrement le choix.»

Ainsi,  selon Guillaume de POITIERS, Harold reconnaît qu’effectivement, le roi Édouard avait bien promis à Guillaume le royaume d’Angleterre mais que, sur son lit de mort, il avait changé d’avis et désigné Harold comme son successeur. Cette version du chroniqueur est évidemment partiale puisque Harold semble cautionner le don initial fait au duc de la couronne d’Angleterre, ce qui ne devait pas être le cas, le duc de Normandie semble le reconnaître d’ailleurs dans sa réponse au message d’Harold. 

Le duc se livre alors à un long discours dont voici quelques extraits : 

«Ce n'est point avec témérité et injustice, mais délibérément et conduit par la justice, que je suis passé dans ce pays, dont mon seigneur et mon parent, le roi Edouard, à cause des honneurs éclatants et des nombreux bienfaits dont moi et mes grands nous l'avons comblé, ainsi que son frère et ses gens, m'a constitué héritier, comme l'avoue Hérald lui-même. Il me croyait aussi, de tous ceux qui lui étaient alliés par la naissance, le meilleur et le plus capable, ou de le secourir tant qu'il vivrait, ou de gouverner son royaume après sa mort ». 

En ce qui concerne Harold, « il me fit hommage pour son propre compte, et ses mains dans les miennes m'assurèrent aussi le royaume d'Angleterre. » : cette phrase est importante puisqu’elle donne la signification réelle du serment prêté par Harold sur les reliques : il se déclara seulement vassal de Guillaume pour lui-même et non pour le royaume d’Angleterre. Selon moi, en ce cas, Harold n’avait donc pas trahi son serment et pouvait donc légalement prétendre à la couronne royale. 

Guillaume alors propose deux solutions pour éviter la bataille : 
   . Faire juger le différent selon les lois d’Angleterre ou de Normandie : «  les Normands ou les Anglais prononcent, selon l'équité et la vérité, que la possession de ce royaume lui appartient légitimement, qu'il le possède en paix; mais s'ils conviennent que, par le devoir de justice, il doit m'être rendu, qu'il me le laisse."
   . Organiser un combat entre Harold et lui-même en s’en remettant à Dieu pour déterminer son issue car « je ne crois pas juste que mes hommes et les siens périssent dans un combat, eux qui ne sont aucunement coupables de notre querelle. »

Lorsque cette réponse fut rapportée à Harold, celui-ci, écrit Guillaume de Poitiers, « pâlit de stupeur, et comme muet, garda longtemps le silence. L'envoyé lui ayant plusieurs fois demandé une réponse, il lui dit la première fois: «Nous marchons sur-le-champ;» et la seconde fois: «Nous marchons au combat…. Alors Hérald, levant son visage vers le ciel, dit: «Que le Seigneur prononce aujourd'hui, entre Guillaume et moi, à qui appartient le droit.» 

La conclusion de Guillaume de Poitiers est sans appel : «  Aveuglé par le désir de régner, et la frayeur lui faisant oublier l'injustice qu'il avait commise, il court à sa ruine, au jugement de sa propre conscience » 

Prochain article : LES PRÉMICES DU COMBAT

mardi 19 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (29)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA MISE EN DÉFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS (suite) 


La tapisserie de Bayeux montre la manière dont Guillaume entendait renforcer les défenses de la zone que son armée occupait et qui est signalée par deux phrases : 

-        HIC JUSSIT CASTELLUM UT FOREDETUR AT HENSTENG CEASTRA (Celui-ci ordonne d’édifier une fortification au camp d’Hastings), ce fortin (A) est construit, de la même manière que tous les ouvrages fortifiés déjà décrits précédemment : c’est une construction de bois comportant une courtine faite de planches dressées et pourvue de tours, elle est élevée sur une butte  qui semble également recouverte de planches. La tapisserie de Bayeux montre des paysans (B), probablement réquisitionnés sous forme de corvées,  travaillant à aménager les fossés qui entoureront la redoute, certains sont à pied d’œuvre et œuvrent sous la férule d’un noble normand (C) , d’autres, également conduits par un normand (D), arrivent au chantier afin de renforcer les équipes déjà au travail. Deux d’entre eux portent des pelles (E) sur les épaules tandis que deux autres semblent utiliser ces pelles pour simuler un combat. (F).

. HIC DOMUS INCENDITUR (ici une demeure est incendiée) : la deuxième politique ordonnée par Guillaume, est de pratiquer la terre brûlée en détruisant tout ce qui pourrait servir de point d’appui à Harold pour attaquer le camp des normands. C’est en particulier le cas du  haut manoir (G) représenté sur la tapisserie, il est incendié au moyen de bâtons munis de poix enflammées. Les habitants de cette demeure (une femme et un enfant) n’ont pas d’autre choix que de fuir (H)

Une scène importante s’intercale entre la construction du fortin et l’incendie de la maison. Elle est surmontée de l’inscription suivante : HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD (ici, on apporte des renseignements sur Harold). En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidations et informations fallacieuses… Ce sera l'objet du prochain article.

vendredi 15 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (28)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA MISE EN DÉFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS.

Avant de poursuivre la description de la Tapisserie de Bayeux, il est nécessaire d’effectuer un point sur les événements qui vont précéder la bataille d’Hastings du 14 octobre 1066. D’abord, il convient de rappeler qu’à la mort d’EDOUARD (4 janvier 1066), deux prétendants au trône d’Angleterre s’étaient déclarés : Guillaume, duc de Normandie et Harald 3 dit Hardrada, roi de Norvège depuis 1046. 

Harald 3 fut le premier à débarquer en Angleterre. Il était accompagné de Tostig, le propre frère d’Harold 2. Tostig en voulait à son frère de ne pas l’avoir soutenu lorsqu’il fut chassé de son comté de Northumbria. Les Anglo-saxons, envoyés combattre les envahisseurs, furent battus à la bataille de Fulford le 20 septembre 1066. La ville d’York fut conquise par Harald 3. 

Harold, le roi d’Angleterre,  qui attendait dans le sud le débarquement de Guillaume, décida de se porter immédiatement dans le Nord avec son armée. Le 25 septembre, a lieu la bataille de Stamford Bridge ; Harold remporte la victoire, Harald 3 et Tostig sont tués au cours des combats. 

Alors qu' Harold faisait refluer ses troupes vers le sud de l’Angleterre, eut lieu, le 28 septembre, le débarquement de l’armée de Guillaume. Si on estime qu’il fallut au minimum cinq jours à l’armée d’Harold pour effectuer ce mouvement stratégique vers le littoral, on peut penser que les Anglo-saxons arrivèrent à proximité du camp des normands aux alentours du 30 septembre. 

Cette arrivée est peut-être à mettre en liaison avec le geste de l'un des convives du banquet de Guillaume montrant, de la main, l’horizon.(J)

C’est dans ces circonstances que Guillaume réunit son conseil, il se compose de trois personnes comme il est indiqué au-dessus de la scène : ODO EPS WILLELM ROTBERT (l’évêque Odon, Guillaume et Robert). 

Ils sont tous les trois demi-frères par leur mère, Arlette de Falaise. Ils sont assis sur une sorte de banquette qui les met, en quelque sorte, sur le même pied d’égalité. Au centre, se trouve Guillaume (4), il est vêtu d’une longue tunique, d’un long manteau et porte l’épée levée en signe de suzeraineté. Il tourne la tête vers Odon (6), évêque de Bayeux qui lui prodigue des conseils sur la marche à suivre. Robert (7) écoute ses frères et semble se préparer au combat comme le montre l’épée qu’il tient à deux mains, 

Les  scènes qui vont suivre montrent la mise en application des décisions du duc afin de sécuriser le secteur immédiat entourant le château d’Hastings, le camp où étaient  installés les normands et le port où les bateaux ayant servi à l’invasion, sont au mouillage. 

Prochain article : LA MISE EN DEFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS (suite) 

mardi 12 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (27)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LE BANQUET DE GUILLAUME ET SA PRÉPARATION.



HIC COQUITUR CARO ET HIC MINISTRAVERUNT MINISTRI (ici, on prépara les viandes et les serviteurs firent leur office)

Le premier dessin (A) montre le foyer de l’âtre,  il est surmonté d’une traverse portée par deux landiers. La traverse porte une marmite qui contient très probablement de la viande que l’on fait bouillir dans l’eau. Au-dessus, sont disposées, sur une sorte d’étagère, des tiges de fer sur lesquelles on a embroché de la viande. Selon moi, cette scène ne peut se comprendre que si on imagine la présence d’une cheminée (dessinée en traits rouges discontinus) : la viande une fois embrochée était disposée dans le corps de la  cheminée afin de cuire grâce à la chaleur dégagée par le feu à l’âtre. Ce système de cuisson était largement répandu car il permettait de fumer la viande pour mieux la conserver. 

En (B) se trouve une sorte de four posé sur un foyer dont on voit les flammes en dessous de sa base ; ce four, qui évoque tout autant un brasero de chauffage et un moderne barbecue, était utilisé pour rôtir, comme le montrent les petites formes circulaires posées sur sa paroi supérieure. Il est probable que ce four servait aussi à cuire le pain. On peut le penser en considérant le personnage (C) qui tient, d’une main, un plateau sur lequel sont disposées des formes de  boules et, de l’autre,  un instrument ressemblant à un racloir ou une pelle.

HIC FECERUNT PRANDIUM (ici, ils préparent le repas)

Ces travaux de cuisson s’effectuent dans une pièce à l’écart de la salle de banquet, on peut le penser  du fait de la présence d’une porte les reliant (D). Les serviteurs (E) se relaient pour porter les « brochettes » à d’autres serviteurs (F) chargés d’accommoder la nourriture ; ceux-ci sont assis sur un banc et portent, sur les genoux,  des boucliers leur servant de tables. Ils tiennent à la main des écuelles ou des pots devant conserver les assaisonnements et en apprêtent les viandes. Parmi celles-ci, on distingue bien, à leur silhouette, deux volailles. De la manière précautionneuse  dont les serviteurs portent les pots, on peut en déduire que ces pots conservent des ingrédients coûteux et rares. 

Un des serviteurs souffle dans une trompe sans que l’on sache pourquoi il en joue.

ET HIC EPISCOPUS CIBU ET POTU BÉNÉDICIT (et ici, l’évêque bénit la nourriture et la boisson) 

La scène suivante représente le repas de Guillaume (4) et de sa suite. Parmi celle-ci, on distingue Odon, le demi-frère du duc (5), évêque de Bayeux, on le reconnait au fait qu’il porte la tonsure et qu’il effectue un geste de bénédiction sur les mets et boissons que les convives vont déguster. L’un d’entre eux (G) n’a même pas attendu la fin du bénédicité pour porter une coupe de vin à ses lèvres. Ce personnage est barbu, ce qui le différencie des autres, on dit qu’il s’agit de Roger de Beaumont dit Roger à la barbe.

La table est disposée en fer à cheval. Assez curieusement, c’est l’évêque qui occupe la place centrale et non Guillaume. Les mets sont posés à même la table, on en distingue des écuelles, des cruches, des boules de pain… l’évêque s’apprête à manger un poisson, sans doute est-ce un jour d’abstinence. Il n’y a pas de couverts, on se sert directement  dans les plats avec les mains. Cette caractéristique explique la présence d’un serviteur (H) portant une écuelle et une étoffe : il faut bien se laver les mains après chaque plat ! 

Un des convives (J), assis à gauche d’Odon, est représenté le bras levé comme s’il montrait quelque chose, il semble donner une information importante puisqu’après le repas, Guillaume convoque son conseil. 

La tapisserie de Bayeux ne mentionne pas explicitement l’endroit où est effectué ce repas, on peut penser, pour deux raisons, qu’il s’agit du château d’Hastings. D’abord parce que cet endroit est indiqué à deux reprises sur la tapisserie de Bayeux, ensuite parce que Hastings est mentionné par Guillaume de Poitiers : « Les Normands, ayant avec joie abordé au rivage, s'emparèrent d'abord des fortifications de Pévensey, et ensuite de celle d'Hastings, pour en faire un lieu de refuge et de défense »

prochain article : LA MISE EN DÉFENSE DE LA REGON D'HASTINGS.

samedi 9 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (26)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LE DÉBARQUEMENT 

La scène ci-dessus  montre le débarquement de la flotte normande à Pevensey, les voiles sont abaissées, les mâts (A) sont retirés ainsi que les cordages, les chevaux sont débarqués (B)  (HIC EXEUNT CABALLI). Les bateaux sont alors tirés au niveau du bord de mer (C), prêts à repartir si nécessaire. 

A peine descendu des vaisseaux, un détachement de cavaliers en armes se hâte de battre la campagne à la recherche de vivres fraîches (D)  (ET HIC MILITES FESTINA/VERUNT HESTINGA UT CIBIUM : et là les soldats se hâtèrent vers Hastings chercher des vivres.).


Pour cela, les soldats s’apprêtent à  attaquer, si besoin est, (E) le premier village qu’ils  rencontreront pour  s’emparer de tout ce qu’ils peuvent voler : les paysans sont obligés, sous la menace, d’amener leurs animaux qui sont abattus à la hache (F), un bœuf déjà tué gît sur le sol (G), un normand faisant partie du détachement, tient sur l’épaule un animal tué (H), un autre portant une hache sur l’épaule conduit un cheval chargé de sacs (J). Au milieu de la scène, se tient un cavalier armé (K) dont le nom est mentionné (HIC EST WADAR), il s’agit très probablement du fourrier qui commande le pillage en indiquant ce dont les troupes normandes d’invasion ont besoin pour se nourrir.

Cette scène de pillage est surprenante eu égard au fait que Guillaume se prétend roi d’Angleterre : il fait pressurer, sans état d’âme, ceux qui seront ses futurs sujets sans même chercher à se les concilier. 

Des maisons paysannes (L) sont représentées. Ce sont de petites habitations aux murs de briques pour l’une et de planches pour les deux autres. Les murs ne sont percés que d’une seule porte sur la façade dessinée. Au-dessus du toit qui semble à quatre pans et formé de planches, de tuiles plates ou de bardeaux, s’élèvent, aux deux coins, deux formes qui peuvent représenter soit les pignons, soit des cheminées, ce qui feraient ressembler ces masures aux maisons que l’on peut encore trouver en Irlande et qui, dans ce cas, comporteraient  deux pièces séparées par un couloir central. Il est probable que ces masures doivent comporter des fenêtres sur un des trois autres  côtés. 

Une fois les pilleurs bien approvisionnés, les vivres sont portées au camp de Guillaume où elles seront  servies au duc et à son entourage direct. C’est ce que montrera la scène suivante.

Prochain article, LE BANQUET DE GUILLAUME ET SA PRÉPARATION

mercredi 6 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (25)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA TRAVERSÉE DE LA MANCHE DE L’EXPÉDITION NORMANDE. 

Les vignettes suivantes de la tapisserie de Bayeux montrent Guillaume (4) et son escorte arrivant en vue des  navires déjà prêts au départ. La quasi-totalité des combattants ont déjà embarqué et sont accompagnés de leurs chevaux (A). Des boucliers (B) ont été posés entre les bateaux afin d’éviter que les coques des navires ne s’entrechoquent. 

Les broderies suivantes représentent les bateaux en pleine mer et permettent, une nouvelle fois, d’observer les techniques de navigation : le personnage principal est le barreur (C) ; d’une main,  il tient la rame servant de gouvernail (D) et de l’autre, il agrippe l’extrémité de la voile (E) afin de la guider pour lui permettre de bénéficier au maximum du vent arrière. Il dispose de plusieurs aides : l’un (F) tient le mat de la main gauche et, de la main droite,  présente la voile au barreur. D’autres (G)  s’assurent de la solidité des cordages ; des marins se tiennent à la proue et surveillent la mer afin de signaler au barreur tout obstacle éventuel (H). Perché à la poupe d’un de ces navires, un marin sonne du cor, sans doute pour transmettre l’ordre de départ (J). On peut penser que ce navire est le bateau amiral du fait qu’il porte au sommet de son mât, un oriflamme représentant  une croix et symbolisant la caution donnée par le pape à l’expédition (K).

Le texte qui surmonte la scène de l’embarquement et de la navigation semble montrer une navigation sans difficultés : HIC WILLELM DUX IN MAGNO NAVIGIO MARE TRANSIVIT ET VENIT AD PEVENSAE  (ici, le duc Guillaume traversa la mer sur un grand navire et arriva à Pevensey) ; en fait, la traversée de la Manche fut plus ardue que ce que semble indiquer la tapisserie de Bayeux, c’est ce que mentionne clairement Guillaume de Poitiers. 

La traversée s’effectua en deux étapes : dans un premier temps, la flotte fut assemblée à l’embouchure de la Dive (1 de la carte) mais les vents étaient défavorables en sorte que la flotte dériva jusque Saint Valéry en Caux, s’écartant donc de la route prévue. 

«  Déjà toute la flotte soigneusement préparée avait été poussée par le souffle du vent de l'embouchure de la Dive et des ports voisins, où elle avait longtemps attendu un vent favorable pour la traversée, vers le port de Saint-Valéry. Ce prince … s'abandonna à la protection céleste en lui adressant des vœux, des dons et des prières. Combattant l'adversité par la prudence, il cacha autant qu'il put la mort de ceux qui avaient péri dans les flots, en les faisant ensevelir secrètement, et soulagea l'indigence en augmentant chaque jour les vivres… Par différentes exhortations, il rappela ceux qui étaient épouvantés, et ranima les moins hardis. S'armant de saintes supplications pour obtenir que des vents contraires fissent place aux vents favorables, il fit porter hors de la basilique le corps du confesseur Valéry, très-aimé de Dieu. Tous ceux qui devaient l'accompagner assistèrent à cet acte pieux d'humilité chrétienne. Enfin souffla le vent si longtemps attendu. » 

Cette première partie de la description de la traversée prend déjà une tournure épique, montrant le duc se muant quasiment en intercesseur entre l’expédition normande et Dieu, il pria au nom de ses soldats, leur redonna courage et les assura qu’il obtiendrait de Dieu les vents favorables permettant la traversée. Selon Guillaume de Poitiers, Dieu exhaussa enfin les prières du duc, montrant bien à tous ceux qui doutaient qu’il cautionnait et bénissait l’expédition. 

«  Tous rendirent grâce au Ciel de la voix et des mains; et tous en tumulte s'excitant les uns les autres, on quitte la terre avec la plus grande rapidité, et on commence avec la plus vive ardeur le périlleux voyage. Il règne parmi eux un tel mouvement, que l'un appelle un homme d'armes, l'autre son compagnon, et que la plupart … ne pensent qu'à ne pas être laissés à terre et à se hâter de partir. L'ardent empressement du duc réprimande et presse de monter sur les vaisseaux ceux qu'il voit apporter le moindre retard »

Lorsque la nuit survint, le duc fit arrêter les navires afin d’attendre le jour afin de permettre de choisir le lieu du débarquement. 

«  Mais de peur qu'atteignant avant le jour le rivage vers lequel ils voguent, ils ne courent le risque d'aborder à un port ennemi ou peu connu, il ordonne par la voix du héraut que lorsque tous les vaisseaux auront gagné la haute mer, ils s'arrêtent un peu dans la nuit, et jettent l'ancre non loin de lui, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent une lampe au haut de son mât, et qu'aussitôt alors le son de la trompette donne le signal du départ »

Le matin, comme convenu, les navires levèrent l’ancre, c’est à ce moment que l’épique cède la place à l’hagiographie : le bateau ducal prit de l’avance comme s’il était porté par le souffle divin, il se trouva alors seul face aux côtes anglaises. Masquant sans doute son inquiétude afin d’éviter la panique,  Guillaume entreprit de dîner comme si de rien était et comme s’il était sûr de la protection divine. C’est alors que le reste de la flotte montrant que Guillaume avait asservi les flots à son autorité ! 

Le bateau qui « portait le duc, voguant avec plus d'ardeur vers la victoire, eut bientôt, par son extrême agilité, laissé derrière lui les autres, obéissant par la promptitude de sa course à la volonté de son chef. Le matin un rameur, ayant reçu ordre de regarder du haut du mât s'il apercevait des navires venir à la suite, annonça qu'il ne s'offrait à sa vue rien autre chose que la mer et les cieux. Aussitôt le duc fit jeter l'ancre, et de peur que ceux qui l'accompagnaient ne se laissassent troubler par la crainte et la tristesse, plein de courage, il prit, avec une mémorable gaité et, comme dans une salle de sa maison, un repas abondant où ne manquait point le vin parfumé, assurant qu'on verrait bientôt arriver tous les autres, conduits par la main de Dieu, sous la protection de qui il s'était mis. 

. Le rameur ayant regardé une seconde fois, s'écria qu'il voyait venir quatre vaisseaux, et à la troisième fois il en parut un si grand nombre que la quantité innombrable de mâts, serrés les uns près des autres, leur donnait l'apparence d'une forêt. Nous laissons à deviner à chacun en quelle joie se changea l'espérance du duc, et combien il glorifia du fond du cœur la miséricorde divine. Poussé par un vent favorable, il entra librement avec sa flotte, et sans avoir à combattre aucun obstacle, dans le port de Pévensey. »

Même si Guillaume de Poitiers donne un aspect épique à cette traversée,  on peut considérer que ce récit doit être le reflet de la réalité historique. Il est en conséquence possible de tracer sur la carte le trajet suivi par la flotte normande. 

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samedi 2 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (24)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX 

LES PRÉPARATIFS POLITIQUES DE L’INVASION.

Pendant que la flotte se constitue, Guillaume prend diverses dispositions afin de réussir dans son entreprise, c’est ce que mentionne Guillaume de Poitiers :

. D’abord, il reçoit la caution du pape Alexandre 2 : « Dans le même temps, siégeait sur la chaire de saint Pierre de Rome, le pape Alexandre, le plus digne d'être obéi et consulté par l'Eglise universelle; car il donnait des réponses justes et utiles… Le duc ayant sollicité sa protection, et lui ayant fait part de l'expédition dont il faisait les apprêts, il reçut de sa bonté la bannière et l'approbation de saint Pierre, afin d'attaquer son ennemi avec plus de confiance et d'assurance. »

L’expédition s’effectuera donc sous la bannière du Saint-Siège et avec la garantie papale qui assurait au duc de la justesse de son combat aux yeux de Dieu contre l'impie  : c’est ce que Guillaume de Poitiers, un peu plus avant dans le récit, avait écrit : le duc « était assuré que la toute-puissance de Dieu, qui ne veut rien d'injuste, ne permettrait pas la ruine de la cause légitime, surtout lorsqu'il considérait qu'il ne s'était pas tant appliqué à étendre sa puissance et sa gloire qu'à purifier la foi chrétienne en ce pays. » une mission de rechristianisation en quelque sorte ! 

. Il signe aussi avec l’empereur du Saint Empire une alliance d’assistance militaire en cas d’attaque du duché pendant l’expédition : « récemment uni d'amitié avec Henri, (Henri 4 élu empereur en 1057 alors âgé de 7ans), empereur des Romains, fils de l'empereur Henri (Henri 3), et neveu de l'empereur Conrad (Conrad 2, en réalité grand père de Henri) et par un édit duquel l’Allemagne devait, à sa demande, marcher à son secours contre quelque ennemi que ce fût » (et en particulier le roi de France) . Henri 4 n’avait, en 1066, que 16 ans mais il assumait la réalité du pouvoir.

Enfin, toujours selon Guillaume de Poitiers, le duc organisa l’approvisionnement  de son armée afin que les paysans normands n’aient pas à souffrir de l’habituelle pratique qui consistait à laisser les combattants vivre sur le pays pendant les préparatifs de l’expédition en s’emparant des réserves en nourriture des villageois, en tuant leurs animaux et en coupant le foin dans les prés

« Ayant interdit toute espèce de pillage, il nourrit à ses propres frais cinquante mille chevaliers pendant un mois, que des vents contraires les retinrent à l'embouchure de la Dive, tant fut grande sa modération et sa prudence. Il fournissait abondamment aux dépenses des chevaliers et des étrangers, mais ne permettait pas de rien enlever à qui que ce fût. Le bétail ou les troupeaux des habitants du pays paissaient dans les champs avec autant de sûreté que si c'eût été dans des lieux sacrés. Les moissons attendaient intactes la faux du laboureur, sans avoir été ni foulées par la superbe insouciance des chevaliers, ni ravagées par le fourrageur. »

Cette partie du texte de Guillaume de Poitiers mentionne la présence de 50.000 combattants, c’est manifestement exagéré (l’armée de Guillaume est estimée à 400 bateaux et à 8000 hommes),  même si le chroniqueur mentionne la présence de nombreux chevaliers étrangers : « Il vint à son secours un nombre considérable de chevaliers étrangers, attirés en partie par la générosité très connue du duc, et surtout par l'assurance qu'ils avaient de la justice de sa cause. ».

La dernière allégation du chroniqueur est évidemment exagérée en ce qui concerne les motivations des étrangers venus participer à l’expédition, la plupart devaient être, en effet, plus attiré par la perspective de se partager l’Angleterre en obtenant du duc de riches fiefs, que de combattre pour une juste cause.

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