2/ de 1945 à 1954
En 1945, conformément aux déclarations de la conférence de Brazzaville et du programme du conseil national de la résistance, l'Assemblée constituante approuve le 25 avril 1946, un projet de loi, à l'initiative de Lamine Gueye, député du Sénégal, octroyant la pleine "citoyenneté" à tous les ressortissants de l'empire colonial :
À partir du 1er juin 1946, tous les ressortissants des territoires d'outre-mer (Algérie comprise) ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole et des territoires d'outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs droits de citoyens.
Cette situation fut cependant vite explicitée dans un sens défavorable aux autochtones : les algériens étaient déclarés de nationalité française mais avec détermination de deux grandes catégories :
. Les "sujets français" qui possèdent un statut personnel de droit local, (ici musulman donc régi par la loi coranique) , ils seront qualifiés de " français musulmans d'Algérie" ce sont essentiellement les autochtones.
. Les "citoyens français" qui ressortent du statut civil de droit commun, régi par le code civil. Ils ont quatre origines :
. Les colons français,
. Les étrangers nationalisés,
. Des "sujets français" ayant demandé à devenir citoyens français et qui ont accepté de renoncer à tout ce qui, dans le Coran, est incompatible avec le Code civil ( comme la polygamie),
. Enfin certains " sujets français",distingués par leur personnalité (officiers par exemple), pouvaient aussi être "citoyens français" à titre personnel.
Cette caractéristique se retrouve au niveau du suffrage universel avec la répartition de la population selon le système du double collège (qui ne sera supprimé qu'en 1958) :
. la loi du 5 octobre 1946 etablit que la Métropole envoie 544 députés à l'Assemblée nationale, l'Algérie 30, également partagés entre citoyens de statut civil français et citoyens de statut local (le reste des colonies envoie 34 députés seulement)
. Autre exemple, le statut de l'Algérie, déterminé par la loi du 20 septembre 1947, institue une Assemblée territoriale de 120 membres, dont 60 sont élus par les Français de statut civil français (environ 1.000.000 en 1954) et par certains citoyens de statut local distingués par leurs titres ou leurs mérites, et 60 sont élus par les autres citoyens de statut local (8.487.000 en 1954).
En ce qui concerne le problème de l'immigration, la loi de 1946 a pour conséquence d'établir la libre circulation entre la métropole et l'Algérie, à la condition toutefois, pour les francais musulmans d'Algerie, de posséder une carte d'identité (ce qui n'est pas exigé des métropolitains mais s'étendra à eux après 1955)
Pour le reste la situation de l'immigration algérienne en France n'évolue guère :
. Une main d'œuvre essentiellement peu qualifiée, masculine et jeune venant temporairement en métropole (même si le temps de présence est plus long), sous-payée, ressortant d'une protection sociale limitée.
. Des conditions toujours aussi déplorables de vie, en particulier du logement (à Paris, 27000 algériens occupent 17000 chambres ) même si se constituent des services sociaux permettant de lentes améliorations.
À cette époque se développe déjà de la défiance envers les algériens, en particulier au niveau de l'insécurité : on voit apparaître des mentions de celle-ci, en particulier dans les journaux :
. "
la criminalité Nord-Africaine soulève un problème national" (le Monde 1949)
. "
dans certains quartiers de Paris, l'arabe est le roi de la nuit" (l'Aurore 1948)
3/ de 1954 à 1962
Pendant cette periode se produit une évolution considérable des mentalités due " aux événements d'Algérie" que l'on ne qualifiait pas alors de guerre.
En premier lieu, il existe en métropole une conviction quasiment unanime, "l'Algérie c'est la France" ; on montrait partout que le progrès et la civilisation était le fait de la France et en particulier des citoyens d'Algérie qui avaient durement travaillé pour mettre en valeur le pays. Seuls les partis d'extrême-gauche et quelques intellectuels étaient anticolonialistes mais ils n'étaient guère entendus à ce sujet.
Dans ces conditions, la situation des immigrés algériens en France paraît aux métropolitains totalement paradoxale : tandis que certains algériens combattent pour l'indépendance de leur pays, d'autres immigrent en grand nombre !
À cela s'ajoute un autre phénomène : les périodes de présence des algériens augmentent de plus en plus et l'immigration se produit non plus pour les hommes seuls mais pour des familles entières ( de 1954 à 1962, le nombre de familles algériennes en France passe de 7000 à 30.000) ce qui fait penser à une installation définitive en France métropolitaine.
L'explication de cette évolution est à rechercher dans la situation de l'Algérie à l'époque des "événements". L'insécurité est devenu constante : le FLN (front de libération nationale), à partir de ses bases dans les montagnes, effectue des incursions dans la plaine, incendie les fermes et tue les colons, il se livre aussi à des attentats dans les villes et dans les bourgs. Dans les villages isolés règne la terreur : la rébellion s'en sert de point d'appui et de base de ravitaillement ; ce fait amène l'armée française à des mesures de représailles qui ne servent à rien puisque, sitôt le départ des français, les soldats de l'armée de libération reviennent et punissent de mort ceux qui auraient pu se laisser convaincre par les français. Finalement, l'armée française décide deux mesures radicales : on oblige les villageois à quitter leurs village et on incendie les montagnes ainsi que tout ce qui peut servir de base au FLN . Les villageois sont réinstallés dans des "centres de regroupement" où sévit le déracinement et la misère. D'autres se réfugient dans les bidonvilles entourant les villes. Parmi tous ces gens transplantés, beaucoup tentent de partir en Métropole.
Ces immigrés, en grande majorité favorables à l'indépendance, vont se trouver dans une situation de plus en plus inconfortable :
. En premier lieu, ils sont l'objet des pressions du FLN, en particulier au niveau de leur participation financière au combat, ils subissent aussi les conflits entre le FLN et le MNA de Messali Hadj, ces conflits auraient fait presque 4000 morts selon les sources ministérielles françaises,
. En outre, ils sont l'objet d'une surveillance constante de la police qui les suspecte systématiquement d'organiser la violence et les attentats ; la police mène une politique de répression avec arrestations massives et internement arbitraire.
. Enfin, ils sont l'objet d'une hostilité confinant à la haine de la part des métropolitains : on les affuble de noms grossiers, on s'écarte d'eux par peur des actes hostiles qu'ils pourraient perpétrer : l'algérien devient l'ennemi et on a peur de lui.
La guerre d'Algérie établit donc une très profonde fracture entre les immigrés algériens venus en France pour travailler et les français métropolitains : elle va se perpétuer ...