Suite de l’article précédent
En ce qui me concerne, il me semble que les prémices d’une culture spécifique à un peuple pouvant déboucher sur l’apparition d’une idée nationale, passe d'abord par la fixation de la langue au moyen de l’écrit puis par l’élaboration d’outils culturels communs à ce peuple.
Les pays Este et Letton présentent cette étonnante spécificité qu’ils ont réussi à effectuer cette mutation sous les diverses occupations étrangères et en particulier sous le joug russe alors qu’ils étaient dominés par les germanophones qui détenaient richesse et pouvoir.
Comme je l’ai déjà mentionné, il existe, à l’origine, deux langues chez ces deux peuples :
. Les Estes parlent une langue finno-ougrienne provenant de leur lointain passé ouralien,
. Les Lettons utilisent une langue indo-européenne mais ils côtoient dès leur arrivée des peuples de langue finno-ougrienne comme les Lives, ce qui aboutit à un premier amalgame des deux langues en pays letton.
Ces deux langues étaient uniquement parlées, elles ne possédaient ni écriture ni à fortiori de grammaire. Pour les colonisateurs germanophones, elles furent considérées comme des dialectes utilisés seulement par les paysans. Pour eux, la culture et le savoir n’étaient que leur apanage, toute élévation sociale ne pouvait passer que par la germanisation.
Avec le temps, les langues autochtones, du fait qu’elles n’étaient pas fixées, ont évoluées selon deux modalités :
. Elles se sont diversifiées selon les régions, avec apparition de variantes entre, par exemple, le parler des Estes du Nord et de ceux du Sud.
. Elles ont emprunté des locutions germaniques pour désigner des notions que leurs langues d’origine n’exprimaient pas avec cependant, pour beaucoup de mots, utilisation de racines locales. Pourtant, le mépris des germanophones pour ces langues et le cloisonnement linguistique qui en résultait ont permis d’en conserver l’essentiel.
Bien que décriées par la classe dirigeante, les langues lettones n’étaient cependant pas seulement des outils de communication, elles véhiculaient aussi un fonds culturel important ; c’est le cas par exemple des
Dainas pour le peuple letton.
Les Dainas sont des quatrains chantés qui expriment à la fois l’âme de ce peuple et sa vie quotidienne, ils font référence aux anciennes croyances et à une mythologie étroitement liée à la nature qui survivait de manière sous-jacente après la christianisation. Les plus anciens de ces Daina letton datent des 10e et 11e siècles mais la majorité d’entre eux a été composée aux 13e et 14e siècles. Ces Dainas sont très nombreux : la première collecte effectuée à la fin du 19e siècle par K Barons en comporte 217.996 mais actuellement, on en compte plus de trois millions.
Ainsi, les langues Lettones et Estes véhiculaient un savoir et une culture beaucoup plus conséquents que ce que les germanophones pouvaient imaginer. Cette culture ne sera cependant pas mise en valeur avant le 19e siècle alors que depuis longtemps était née une langue écrite.
À suivre..