REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

mardi 3 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (29) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

LA JUSTIFICATION DES MASSACRES PAR LES CHRONIQUES CHRÉTIENNES.

Que peut-on penser de ces massacres décrits dans l'article précédent ? Les commentateurs actuels s'intéressent plus au nombre de morts qu'aux justifications morales et mentales  données par les croisés. En ce qui me concerne, ce sont celles-ci qui m'intéressent surtout.

Guillaume de Tyr, outre le sentiment d'horreur qu'il exprime ( il est d'ailleurs un des seuls à le faire), fait état d'une juste punition des infidèles :

" Les nôtres donc, parcourant Jérusalem l'épée nue, ne firent quartier à aucun, même de ceux qui imploraient leur pitié, et le peuple des infidèles tomba sous leurs coups comme tombent, d'une branche qu'on secoue, les fruits pourris du chêne, les glands agités par le vent. (1)

Ils accomplirent ainsi les justes décrets de Dieu, afin que ceux qui avaient profané le sanctuaire du Seigneur par leurs actes superstitieux, le rendant dès lors étranger au peuple fidèle, le purifiassent à leur tour par leur propre sang, et subissent la mort dans ce lieu même en expiation de leurs crimes.(1)

Les termes employés de "fruits pourris", de " profanation", de "purification par le sang", "d'expiation des crimes" et surtout de "juste décret de Dieu" constituent  le fonds de la pensée du chroniqueur.

Cette  profanation du "sanctuaire du Seigneur" fait référence surtout  à l'esplanade du temple de Yahvé construit par Salomon, reconstruit par Hérode,  détruit par les romains sur les ruines duquel avaient été érigés par les musulmans le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Le massacre perpétré visait non pas à punir les derniers actes antichrétiens qui avaient été accomplis par les Fatimides puis par les Turcs, il visait beaucoup plus, selon Guillaume de Tyr,  la construction par les arabes d'édifices musulmans là où se trouvait le temple de Yahvé : on purifiait par le sang des arabes présents la profanation accomplie par ceux qui avaient construit ces édifices et par ceux qui étaient venus y prier.

Raoul de Caen (histoire de Tancrède) décrit avec emphase ce combat du juste contre les scélérats, de la joie à tuer, de la sainte fureur de détruire :
" Qui aurait le temps de raconter en détail et les joies de ceux qui massacrent et les douleurs de ceux qui sont massacrés, et tous les biens qui sortent du sein de tant de maux... le glaive dévorant moissonne tout ce qu'il rencontre, l'ennemi succombe de toutes parts courage ! saintes fureurs, courage ! , glaives sacrés, courage ! , sainte destruction, ne ménagez rien ; tombez sous les coups, race dépravée, hommes scélérats, qui avez répandu le sang innocent, qui devez maintenant donner tout le vôtre. Vous qui avez tant de fois déchiré le Christ en mille pièces, recevez à votre tour les châtiments que font retomber sur vous les membres du Christ."

Enfin Foucher de Chartres indique que ce massacre efface une souillure et restera à jamais dans la mémoire des hommes comme un acte glorieux  :
" tous les sectateurs de la foi catholique aspiraient de tous leurs vœux et du fond de leur âme, à voir les lieux .. purgés.. de la présence empestée des Païens qui les habitaient et les souillaient depuis si longtemps de leurs superstitions, et rétablis dans tout l'éclat de leur ancienne gloire par des hommes croyants et se confiant au Seigneur."

 " Ce temps était le temps réellement mémorable, et digne, à bon droit, de demeurer gravé dans le souvenir des hommes. cet événement sera fameux jusqu'à la fin des siècles, et retentira célébré dans les diverses langues de .toutes les nations. "


Ainsi, le massacre des infidèles prend la forme d'une vision quasi-cosmique de la lutte du bien contre le mal, des chrétiens contre les infidèles, des combattants de Dieu contre les impies.

Il faut alors se poser la question : existe-t-il un substrat théologique à ce massacre ?

Selon moi, il ne se trouve pas dans les Évangiles, le Christ ayant toujours affirmé des aphorismes du type :
     - " Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. ( Luc 6)"
     -  " Alors Jésus lui dit: Remets ton épée dans le fourreau; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée".  (Mathieu 26)
     - " Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,"  (Mathieu 5)
Cette caractéristique peut paraitre surprenante, elle est cependant conforme aux mentalités de l’époque qui prône que la source d'inspiration de tout chrétien est non l’Évangile en tant que tel mais la vision de l’Évangile que transmet et enseigne l'Eglise.

Pour moi, la base théologique se trouve plutôt dans la Bible et en particulier dans la pratique de l'anathème.

En voici deux exemple tirés du livre de Josué
     Le premier exemple est celui de Jéricho que j'ai déjà évoqué à propos de la procession autour de Jérusalem : " Josué dit au peuple: " Poussez des cris, car Yahweh vous a livré la ville. La ville sera dévouée par anathème à Yahweh, elle et tout ce qui s'y trouve ... Tout l'argent et tout l'or, tous les objets d'airain et de fer seront consacrés à Yahweh et entreront dans le trésor de Yahweh" ...
S'étant emparés de la ville, ils livrèrent à l'anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, même les boeufs, les brebis et les ânes, par le tranchant de l'épée. Les enfants d'Israël brûlèrent la ville et tout ce qui s'y trouvait, sauf l'argent et l'or, et les objets d'airain et de fer, qu'ils déposèrent dans le trésor de la maison de Yahweh." Afin de ne pas surcharger la citation, je n'ai pas inclus les mentions de Rahab et sa famille sauvées pour avoir caché des hébreux dans leur maison.

Ce qui s'est passé à Jéricho définit bien ce qu'est l'anathème : il est décrété par Yahvé et consiste à tuer tout ce qui est vivant, à vouer à Yahvé tout ce qui est précieux et à détruire le reste.

     . Le cas de la ville de Haï correspond exactement à ce que l'on a observé à Jérusalem : "Yahweh dit à Josué: " Prends avec toi tous les hommes de guerre, lève-toi et monte contre Haï. Vois, j'ai livré entre tes mains le roi d'Haï et son peuple, sa ville et son territoire. Tu traiteras Haï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi; seulement vous pillerez pour vous son butin et son bétail. ... [ suit le détail de la bataille ] Lorsqu 'Israël eut achevé de tuer tous les habitants d'Haï dans la campagne, dans le désert, où ils l'avaient poursuivi, et que tous furent jusqu'au dernier passés au fil de l'épée, tout Israël revint dans la ville et la passa au fil de l'épée. Le nombre total de ceux qui périrent en ce jour fut de douze mille, tant hommes que femmes, tous gens d'Haï.  Les Israélites prirent seulement pour eux le bétail et le butin de cette ville, selon l'ordre de Yahweh qu'il avait prescrit à Josué. Josué brûla Haï, et en fit pour toujours un monceau de ruines, qui subsiste encore aujourd'hui. (Josué 8)

Selon moi, c'est cet anathème qui donne sa justification aux actes des croisés dans les massacres qu'ils organisèrent tout au long de leur périple.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101

lundi 2 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (28) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

Une fois Jérusalem investi par les croisés, se déroulèrent selon les chroniques relatant l'histoire de la croisade,  trois événements successifs dont l'ordre est conforme aux mentalités de l'époque telles que je les ai décrites  :
     - un massacre généralisé des musulmans mais aussi des juifs et même de chrétiens d'orient,
     - Le pillage de Jérusalem,
     - l'action de grâce au saint Sépulcre.

LES MASSACRES

Ce fut la première action qui s'effectua des l'entrée dans la ville, les croisés parcourent les rues afin de détruire les éventuelles poches de résistance et tuent tous les musulmans qu'ils rencontrent sans aucune distinction entre combattants et non-combattants.

Il est difficile pour moi de raconter ces événements  car je pourrais prendre partie et évidemment de manquer d'impartialité, je préfère laisser la parole aux textes qui sont d'ailleurs très explicites.

Apres l'entrée des francs dans la ville, " les Païens confus perdent complètement leur audace, et se mettent tous à fuir en hâte par les ruelles qui aboutissent aux carrefours de la ville. Mais s'ils fuient rapidement, ils sont poursuivis plus rapidement encore " . (2)

" Le duc [Godefroy de Bouillon] et tous ceux qui étaient entrés avec lui s'étant réunis, couverts de leurs casques et de leurs boucliers, parcouraient les rues et les places, le glaive nu, frappant indistinctement tous les ennemis qui s'offraient à leurs coups, et n'épargnant ni l'âge ni le rang. On voyait tomber de tous côtés de nouvelles victimes, les têtes détachées des corps s'amoncelaient çà et là, et déjà l'on ne pouvait passer dans les rues qu'à travers des monceaux de cadavres...(1)

« Certains de nos hommes (et c'était miséricorde) coupaient la tête de leurs ennemis; d'autres leur décochaient des flèches, les faisant tomber des tours; d'autres encore prolongeaient leurs tortures en les livrant à la flamme. On pouvait voir dans les rues de la ville des monceaux de têtes, de mains et de pieds. Il fallait se faire un chemin à travers les cadavres d'hommes et de chevaux. Mais c'était là peu de choses comparé à ce qui arriva près du temple de Salomon ... Si je dis la vérité,  elle dépassera ce qu'il vous est possible de croire. Qu'il me suffise donc de dire ... que les hommes chevauchaient dans le sang, qui leur montait aux genoux et à la bride. » (3)

Les musulmans se réfugient en effet  sur l'esplanade du temple de Yahvé entourée de rempart,  pensant sans doute que, dans ce lieu saint, ils seraient épargnés, ce ne fut pas le cas :

" Beaucoup..  sont réduits à s'enfermer dans le temple du Seigneur et dans celui de Salomon. Les nôtres les attaquent dans les cours intérieures de ces temples, avec la plus violente ardeur; nulle part ces infidèles ne trouvent d'issue pour échapper au glaive des Chrétiens. De ceux qui, en fuyant, étaient montés jusque sur le faîte du temple de Salomon, la plupart périssent percés à coups de flèches, et tombent misérablement précipités du haut du toit en bas Environ dix mille Sarrasins sont ainsi massacrés dans ce temple. Qui se fut trouvé là aurait eu les pieds teints jusqu'à la cheville du sang des hommes égorgés. Que dirai-je encore? aucun des infidèles n'eut la vie sauve; on n'épargna ni les femmes ni les petits enfants.

Une chose étonnante à voir, c'était comment nos écuyers et nos plus pauvres hommes de pied, ayant découvert l'artifice des Sarrasins pour conserver leurs richesses, fendaient le ventre de ceux d'entre eux qui déjà étaient tués, pour arracher de leurs entrailles les byzantins d'or qu'ils avaient avalés lorsqu'ils étaient encore vivants. (2)

" Les autres princes, après avoir mis à mort dans les divers quartiers de la ville tous ceux qu'ils rencontraient sous leurs pas, ayant appris qu'une grande partie du peuple s'était réfugiée derrière les remparts du Temple [de Yahvé] , y coururent tous ensemble, conduisant à leur suite une immense multitude de cavaliers et de fantassins, frappant de leurs glaives tous ceux qui se présentaient, ne faisant grâce à personne, et inondant la place du sang des infidèles. .... On ne pouvait voir cependant sans horreur cette multitude de morts, ces membres épars jonchant la terre de tous côtés, et ces flots de sang inondant la surface du sol..  On dit qu'il périt dans l'enceinte même du Temple environ dix mille ennemis sans compter tous ceux qui avaient été tués de tous côtés." (1)

" Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu'au temple de Salomon, où ils s'étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d'hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait " (3)

Ces récits d'horreurs sont corroborés par d'autres chroniques : c'est le cas par exemple de celle d'Albert d' Aix qui écrit au début du 12ème siècle à partir de récits de témoins :

" Les pèlerins s'élancèrent vers le palais de Salomon et massacrèrent sans pitié tous les Sarrasins qui s'y trouvaient. Le sang coula en si grande quantité qu'il forma des ruisseaux dans la cour royale et que les hommes y trempaient leurs pieds jusqu'aux talons. Les petits enfants augmentaient l'horreur de ces scènes par leurs cris horribles et leurs larmes amères. Mais c'était inutilement qu'on implorait la pitié des chrétiens"

Après être sorti du palais, " Les Chrétiens vainqueurs... rencontrèrent dans les rues plusieurs bandes de Gentils qui erraient ça et là, frappes de crainte, et fuyant la mort, et ils furent tous passés au fil de l'épée. Les femmes qui s'étaient réfugiées dans les tours des palais, où sur les points les plus élevés étaient frappées du glaive; on enlevait sur le sein de leurs mères on dans leurs berceaux, des enfants à la mamelle, et, saisis par les pieds, ils étaient lancés et allaient se briser la tête contre les murailles, ou sur les portes. les Sarrasins périssaient par les armes, là d'autres étaient écrasés sous les pierres. Nulle part, ni l'âge ni le rang ne pouvaient soustraire aucun d'entre eux à !a mort...

De même, les massacres sont mentionnés par les écrivains arabes  : "Les Francs massacrèrent plus de soixante-dix mille musulmans dans la mosquée al-Aqsa. Parmi eux, on remarquait un grand nombre d’imams, d’ulémas , et de personnes menant une vie pieuse et austère qui avaient quitté leur patrie pour venir prier dans ce noble lieu " (Ibn al-Athîr (1160-1233), Kâmil al Tawârikh (Somme des Histoires),

Enfin, il convient d'ajouter que les massacres ne concernèrent pas seulement que les musulmans mais aussi les juifs comme l'écrit par exemple Ibn-Al-Qalanisi " les juifs s'assemblèrent dans la synagogue et les francs les incendièrent"

Ces massacres épargnèrent cependant les soldats musulmans qui s’étaient enfermés dans la tour de David, cette puissante forteresse résista pendant trois jours au comte de Toulouse qui l'encerclait, la garnison obtint du comte la vie sauve contre sa reddition et le paiement d'une rançon et put regagner Ascalon où se trouvait l'armée égyptienne.


Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101

mercredi 25 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (23) LE SIÈGE ET LA PRISE DE JERUSALEM.

JERUSALEM A L'APPROCHE DU SIÈGE SELON GUILLAUME DE TYR

" Cependant les habitants de Jérusalem,  instruits... de la marche de nos troupes, et sachant bien que cette immense multitude de Chrétiens qui s'avançait vers eux avait principalement pour objet de s'emparer de leur ville, s'occupaient ...  du soin de la fortifier.. [de] rassembler de toutes parts et faire ensuite transporter dans la ville de nombreux approvisionnements en denrées, en armes de toutes sortes, et des divers objets qui peuvent être de quelque utilité dans une place assiégée.

Le prince égyptien, qui, dans le cours de cette même année (en fait l'année précédente), était parvenu.... , à expulser les Turcs ( de l’Émirat seldjoukide de Damas) de Jérusalem et à s'en rendre maître, ordonna de réparer les tours et les murailles , il fit entrer à Jérusalem un grand nombre d'hommes forts et adroits, parfaitement bien armés.

Puis ils se rassemblèrent tous dans le vestibule de la mosquée (Al-Aqsa)  qui était extrêmement vaste, et résolurent, pour mieux s'opposer à l'arrivée des armées chrétiennes, de mettre à mort tous les [chrétiens ]  qui habitaient dans la ville, de renverser de fond en comble l'église de la Sainte-Résurrection et le sépulcre du Seigneur, afin que les Croisés renonçassent à leur projet de s'approcher de la ville, ou même d'y entrer...

Cependant, comme ils apprirent qu'une telle conduite exciterait contre eux les haines les plus violentes, et irriterait les peuples Croisés [ au point qu'ils décideraient] l'entière destruction des habitants, ils changèrent d'avis et enlevèrent de vive force aux [chrétiens]  tout leur argent et tout ce qu'ils pouvaient posséder ;  en outre,  ils exigèrent une somme de quatorze mille pièces d'or, tant du patriarche que des habitants de la cité et des monastères."

Ce premier extrait de Guillaume de Tyr témoigne de la profonde différence des mentalités entre les musulmans de Jérusalem et les croisés : certes, dans un premier temps, les musulmans de Jérusalem assemblés décidèrent de tuer tous les chrétiens et de détruite le Saint-Sépulcre. Pourtant ils ne le firent pas, ne tuèrent personne,  ne détruisirent aucun édifice chrétien et ne les profanèrent pas, ils n'imposeront qu'une rançon à la communauté chrétienne qui est d'ailleurs moindre que celle que l'émir de Tripoli versa aux croisés.

 A cet égard, le contraste de ces musulmans avec le comportement qu'auront les croisés après la prise de Jérusalem sera total. Il convient cependant de ne pas verser dans l'angélisme : on se rappelle la destruction et lé saccage du saint sépulcre par le calife fatimide Al-Hakkim et les pillages lors de la prise de Jérusalem par les turcs Seldjoukides...


lundi 23 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (21) LE SIÈGE D'ARCHIS

LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : L'AFFAIRE DE LA SAINTE LANCE

La sainte Lance avait été découverte par un provençal dans le sol de la basilique d'Antioche. Remise au comte de Toulouse et à l'évêque du Puy, elle avait redonné confiance aux croisés assiégés par l'armée de l'atabeg de Mossoul,  ce qui leur avait permis la victoire. Depuis, elle était conservée par le comte de Toulouse. Jusqu'au siège d'Archis, il s'était certes posé des questions sur son authenticité mais sans qu'elle soit vraiment  remise en cause.

Pendant le siège d'Archis, la question fut relancée d'une manière insistante tant par le peuple que par le conseil des princes et en particulier par un clerc dépendant du duc de Normandie. Cela conduisit celui qui avait découvert la lance, un certain Pierre Barthélémy, à  demander à être livré à une ordalie, le jugement de Dieu, : "  Je veux et je supplie qu’on fasse un très grand feu ; je passerai au travers avec la lance du Seigneur. Si c’est la lance du Seigneur, je passerai sain et sauf ; si c’est une fausseté, je serai brûlé par le  feu.... On fit en branches sèches d’olivier, un bûcher qui avait quatorze pieds en longueur: il y avait deux monceaux de bois, entre lesquels on avait laissé un vide d’un pied de largeur environ [ pour permettre à Pierre Barthélémy de passer], et chacun des deux monceaux de bois avait quatre pieds de hauteur." (4)

Sur les résultats de l'ordalie, on dispose de trois textes qui donnent des résultats assez différents :

D'abord le récit de RAYMOND D'AGUILLIERS qui était le chapelain du comte de Toulouse
Lorsque le feu fut violemment allumé; moi, Raymond, je dis,  en présence de toute la multitude : « Si Dieu tout-puissant a parlé à cet homme face à face, et si le bienheureux André lui a montré la lance du Seigneur, tandis qu’il veillait lui-même, qu’il passe à travers ce feu sans être blessé: mais s’il en est autrement, et si ce n’est qu’un mensonge, qu’il soit brûlé avec la lance qu’il portera dans ses mains. » Et tous fléchissant les genoux, répondirent: « Amen ! »

Après que Pierre Barthélemy fut sorti du feu,  bien que sa tunique ne fut point brûlée, et qu’on ne put non plus découvrir aucun indice de la moindre atteinte sur la pièce d’étoffe très fine avec laquelle on avait enveloppé la lance du Seigneur, le peuple se jeta sur lui, lorsqu’il eut fait sur tout le monde le signe de la croix, avec la lance du Seigneur, et crié à haut voix: « Dieu nous aide; » (4)

FOUCHER DE CHARTRES
L'auteur précise d'abord que quand la lance avait été présentée  " à l'évêque du Puy et au comte Raymond, l'évêque croyait toute cette histoire fausse,  le comte Raymond, au contraire, se flattait qu'elle était vraie.  Cependant tout le peuple, plein de joie, glorifiait le Seigneur...  tous la tenaient en grande vénération, le comte Raymond lui prodiguait les plus signalés honneurs, et s'en était  rendu lui-même le gardien,"

Toutefois [beaucoup] doutaient que cette lance fût celle du Seigneur, et pensaient que c'en était une autre que cet homme grossier disait faussement avoir trouvée. On tint donc une grande assemblée; puis, après trois jours de prières et de jeune, le huitième mois depuis la prise d'Antioche, on mit le feu à un tas de bois au milieu même du camp... les évêques donnèrent leur bénédiction à ce feu, dont l'épreuve devait servir de jugement; et l'homme qui avait trouvé la lance passa vite et résolument au milieu du brasier enflammé. On reconnut aussitôt qu'en le traversant, cet homme, comme il arrivait à tout vrai coupable, avait eu la peau brûlée par la flamme, et l'on présuma promptement que quelque partie intérieure de son corps devait être mortellement endommagée,  cela fut bientôt clairement confirmé par la fin de ce criminel imposteur, qui mourut le douzième jour des douleurs de sa brûlure. Cédant à la force de cette preuve, tous les nôtres qui avaient vénéré cette lance, cessèrent de croire à sa sainteté, mais furent attristés  Quant au comte Raymond,  il conserva très-longtemps cette lance, et la perdit par je ne sais quel accident. (2)

GUILLAUME DE TYR
Parmi les princes,  les uns disaient que c'était bien la même lance qui avait été trempée dans le sang du Seigneur, au moment où on lui ouvrit le flanc, et qu'une inspiration divine l'avait révélée à l'armée des Croisés, pour les consoler dans leur affliction ; d'autres affirmaient que c'était une invention...  uniquement par un motif d'avidité, et qui ne faisait que mettre au jour la fourberie du comte de Toulouse.

Tandis que le peuple s'entretenait diversement sur ce sujet, l'homme qui affirmait avoir eu cette révélation, voulant ... dissiper tous les doutes, ordonna d'allumer un grand bûcher, promettant qu'avec l'aide de Dieu et en se soumettant à l'épreuve du feu, il prouverait à tous les incrédules qu'il n'y avait eu dans son récit aucune tromperie, ni aucune fausse interprétation, et tout ce qu'il avait rapporté était bien le fait d'une révélation divine.  On disposa donc un grand bûcher, et l'on y mit le feu.

l'homme qui devait subir de son plein gré une si périlleuse épreuve se nommait Pierre Barthelemi, c'était un clerc peu lettré,(precedemment, Guillaume de Tyr avait parlé d' un paysan)   et qui paraissait très simple... il prit en main la lance et traversa le feu, sans en être blessé, du moins à ce que le peuple crut voir. Cependant, loin de décider la question, cette action ne fit qu'en susciter une autre encore plus difficile. Barthelemi mourut peu de jours après, et quelques-uns affirmèrent que une mort si prompte ne pouvait provenir que de l'épreuve qu'il avait voulu tenter, et qu'il avait trouvé une occasion de mort dans le feu pour s'être porté le défenseur d'une fraude. D'autres disaient au contraire qu'il était sorti sain et sauf du bûcher, et qu'après qu'il avait échappé à l'action du feu, la foule, se précipitant sur lui dans son transport de dévotion, l'avait tellement serré et écrasé de tous côtés que c'était là la véritable et unique cause de sa mort. Ainsi cette question demeura encore complètement indécise, et fut même enveloppée d'une plus grande obscurité." (1)

Ainsi apparait trois versions différentes des résultats de l'ordalie :
     . Pour Foucher de Chartres, la lance était fausse puisque celui qui l'avait découverte a été brûlé lors de l'ordalie,
     . Pour Raymond d'Aguilliers, la lance est authentique puisque Pierre Barthélémy est sorti indemne du feu, cependant, ce témoignage est suspect puisque Raymond d'Aguillers est un partisan et un proche du comte de Toulouse.
     . Enfin Guillaume de Tyr indique que l'ordalie n'a rien révélé : Pierre Barthélémy  est-il mort des suites de ses brûlures ou de la foule qui l'a oppressé ?

Ce qui est le plus intéressant dans le texte de Guillaume de Tyr, fut l'accusation lancée en conseil des princes à l'encontre du  comte de Toulouse, qui aurait inventé la lance par avidité et  fourberie : manifestement, cette opération était destinée à déconsidérer le comte de Toulouse.

Un dernier point est à noter à propos de cette lance, la mention faite par Foucher de Chartres que le comte de Toulouse conserva la lance longtemps et la perdit en sorte que jamais on ne l'a retrouva : perdre une relique de cette importance serait assez assez surprenant si la lance avait été authentique !

Ainsi déconsidéré, ayant perdu toute influence, et abandonné des princes qui l'avaient accompagné jusque là, le comte de Toulouse fut obligé de lever le siège d'Archis et de partir avec le reste de l'armée vers Jérusalem.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1 Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3 auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 4- Raymond d'Aguilliers, chapelain de Raymond de saint Gilles dans "Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem"

dimanche 22 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (20) LE SIÈGE D'ARCHIS


LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : LES ÉVÉNEMENTS DIPLOMATIQUES

Pendant que semblait s'éterniser le siège d'Archis, se produisirent deux événements diplomatiques dont l'un compliqua encore  les relations entre les chefs croisés.

Les princes virent d'abord venir une nouvelle ambassade venue d'Égypte. Le Vizir Al-Afdal leur offrait son alliance militaire ; elle était assortie de l'engagement d'autoriser  la liberté des pèlerinages aux lieux saints et en particulier au Saint-Sépulcre. De même, les croisés aurait l'autorisation d'entrer dans Jérusalem par groupes de 200 à 300.

Cet engagement était-il une ruse du Vizir ? Probablement pas, en fait il proposait un retour au statut-quo du traité de 1027 qui avait autorisé les pèlerinages et concédé aux chrétiens un quart de la ville de Jérusalem.

Les chefs croisés refusèrent ces propositions, leur but n'était plus seulement la liberté des pèlerinages mais aussi la délivrance de Jérusalem et sa conquête.

Le deuxième  événement diplomatique fut la venue d'une ambassade de l'empereur Alexis 1er. : " Les princes avaient reçu aussi des députés de l'empereur de Constantinople, chargés de leur porter plainte contre le seigneur Bohémond qui, disaient-ils, osait retenir (pour lui) la ville d'Antioche malgré le texte des traités et le serment de fidélité qu'il avait prononcé. Ils dirent, en outre, en présence des princes, que tous ceux qui avaient passé à Constantinople s'étaient engagés ...par serment, la main sur les Saints Évangiles, à ne...retenir pour eux... aucune des villes qui auraient fait auparavant partie de l'Empire, et à les restituer au contraire à l'empereur, s'ils parvenaient à s'en rendre maîtres.. " (1)

Les chefs croisés usèrent vis à vis des députés impériaux des récriminations habituelles : ils rappelèrent que l'empereur s'était engagé " à suivre lui-même l'expédition des Chrétiens, à la tête de nombreuses troupes" et fourni l'assurance " qu'il prêterait secours aux princes dans toutes les choses dont ils auraient besoin.. il avait en outre promis d'entretenir de continuelles relations avec eux par mer et par ses vaisseaux, et de leur faire fournir en abondance, sur toute la route, toutes les denrées dont ils pourraient avoir besoin  ; cependant il avait négligé frauduleusement d'accomplir ses promesses quand il lui eût été extrêmement, facile de les faire exécuter. En conséquence..  à Antioche... (Les princes)  étaient complètement dans leur droit, .. et que celui (Bohémond)  auquel ils avaient, librement et d'un commun accord, fait la concession de cette ville, en demeurât en  possession, pour en jouir lui et ses héritiers à perpétuité. (1)

" Les députés de l'Empereur insistèrent cependant pour engager les princes à attendre avec leur armée l'arrivée de leur maître, faisant tous ses efforts pour leur persuader qu'il ne manquerait pas d'arriver au commencement de juillet, (1)

Cette dernière proposition fut suivie d'une réunion houleuse du conseil des chefs croisés : en effet,  le comte de Toulouse fut d'avis d'attendre les troupes envoyées par l'empereur., contrairement à tous les autres qui voulaient partir immédiatement pour Jérusalem,

Les raisons du comte de Toulouse étaient évidentes :
     . Le siège d'Archis s'éternisait,  les assauts des croisés n'arrivaient pas à s'en emparer de la ville ; le comte espère donc que la venue de renforts permettra enfin de la conquérir.
    . Cet avis d'attendre les armées impériales n'était pas dépourvu d'arrière-pensées :  pour le comte de Toulouse, la conquête  d'Archis était, selon moi,  le prélude à un projet personnel de conquête plus vaste, celle du petit état de Tripoli dont la richesse était grande. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'il avait incité à l'abandon du siège de Gibel : manifestement, à Archis, Raymond combattait pour lui et non pour la croisade.
     . A cela s'ajoutait une autre considération : les députés de l'empereur ne se plaignaient que de l'attitude de Bohemond, Alexis 1er avait pour but de récupérer les terres qui appartenaient à l'empire byzantin antérieurement à la bataille de Manzikert de 1071 ; dans cette perspective, Raymond de Toulouse estimait que Tripoli n'était pas concerné par le traité juré entre les croisés et le Basileus. En outre, il va de soi que Raymond ne serait sans doute pas mécontent de se débarrasser d'un rival assez redoutable.

Ainsi le comte de Toulouse avait tout avantage à attendre les armées byzantines et l'empereur : il pourrait s'emparer d'Archis, se constituer une principauté autour de Tripoli, devenir un allié d'Alexis contre Bohemond.

A l'inverse,  La majorité des chefs croisés déclarèrent vouloir " poursuivre leur route et marcher sans retard à l'accomplissement des vœux pour lesquels ils avaient déjà supporté tant de fatigues. Il leur paraissait surtout convenable d'éviter... les artifices de l'Empereur, dont ils avaient eu si souvent à se plaindre, (de se laisser) envelopper ... dans le labyrinthe de sa politique tortueuse, et d'avoir ensuite grand-peine à s'en débarrasser." (1)

Les querelles s'enveniment à tel point que l'émir de Tripoli qui avait offert beaucoup d'argent pour que les croisés lèvent le siège d'Archis crut qu'il lui serait possible de les vaincre militairement : il tenta d'attaquer mais fut facilement vaincu.

Pendant cette période, l'aura du comte de Toulouse avait singulièrement pâli :
     . D'abord à cause de ce trop long siège et des assauts contre Archis  qui  tous échouaient ; "les Chrétiens se consumaient en vains efforts ; toutes leurs fatigues, toutes leurs attaques demeuraient sans résultat-, en sorte qu'il devint évident que la faveur divine s'était retirée, en cette circonstance, de l'armée des assiégeants" (1).  beaucoup se demandaient pour quelle raison, il fallait effectuer ce siège.
    . Ensuite, il y eut la trahison supposée de Raymond qui avait amené à  l'abandon du siège de Gibel.
    . Enfin, s'ajouta le problème de la sainte Lance que Raymond possédait et dont ils se servait  pour se prétendre l'inspirateur de la croisade et son guide...

(1) Guillaume de Tyr

samedi 18 octobre 2014

LA BASILIQUE SAINT PIERRE à l'époque de la création du BALDAQUIN par LE BERNIN (fin)

Apres, l'érection de la grande coupole, il restait certes quelques travaux à effectuer (en particulier au niveau des coupoles de coin comme en témoigne la gravure représentant la basilique en 1593) cependant on pouvait penser que l'édifice, dans son essence,  était terminé. 

Pourtant,  il se produisit encore une nouvelle phase  de construction entre 1605 et 1617 sous la direction de Carlo Maderno.

 Elle se manifeste par deux aménagements principaux :
     . Le prolongement de la pseudo-nef de Michel-Ange en une véritable nef comportant trois travées.
     . La création de la façade monumentale donnant sur la place saint Pierre.

Les deux gravures ci-dessous d'Antonio Tempesta  montrent l'évolution de la basilique avant et après les travaux entrepris par Maderno

LA PROLONGATION DE LA NEF DE MICHEL-ANGE.
La décision de prolonger la basilique jusqu'à la place saint Pierre est due à deux motifs principaux :
   . En premier lieu, il convenait, pour terminer la nouvelle basilique, de détruire l'antique basilique du 4ème siècle. Or ce lieu avait été depuis longtemps consacré et il recelait de nombreux tombeaux en particulier dans les grottes qui se trouvaient en dessous : cet état de fait conduisit à la décision d'inclure cette partie de l'ancienne basilique dans la nouvelle en prolongeant cette dernière par une nef.
   . En ce début du 17eme siècle, les mentalités avaient changé : la contre-réforme catholique avait mis en œuvre un nouvel état d'esprit qui voulait d'une part témoigner de la puissance de Dieu et de celle de l'église et d'autre part, ébahir le fidèle par la somptuosité et le grandeur des églises. Or la croix grecque, construction trop raisonnable, était inappropriée à ce dessein, il fallait au contraire que le fidèle, dès l'entrée dans la basilique, soit impressionné par ce qu'il voyait et qu'il accomplisse un long cheminement, tant physique que mental, pour arriver à l'autel.  Seule la croix latine pouvait permettre ce cheminement.

Pour réaliser cette nef, Maderna utilisa, en une sorte de synthèse cohérente, toutes les structures existant à l'époque :
   . En premier lieu, il lui fallut coordonner la nouvelle construction avec celle de Michel-Ange de manière à constituer un ensemble cohérent : pilastres monumentaux terminés par des chapiteaux corinthiens portant la corniche, voûte en berceau à caissons : cette adéquation explique la grande harmonie de style de la basilique déjà mentionnée.
   . L'architecture d'ensemble s'inspire des églises du type de celle d'Alberti à Mantoue :
        - nef unique (1) tenue par des contreforts intérieurs (2).
        - pilastres doubles séparés par des niches (3)
        - arcades reliant ces pilastres. (4)
   . Pourtant Maderna va s'écarter de ce modèle Albertien d'abord en introduisant diverses modifications  :
        - présence de fenêtres hautes dans la voûte.
        - les contreforts intérieurs ont été percés d'arcades (6) formant un déambulatoire qui reconstitue une sorte de bas-côté.
        - le couvrement des espaces entre les contreforts intérieurs, comporte des coupoles (7) qui les éclairent de manière diffuse.
  . Enfin, la nef, étant de moindre largeur que l'édifice construit par Michel-Ange, Maderno décida de construire deux chapelles latérales de raccordement. (8)

LA FAÇADE MONUMENTALE
Beaucoup ont écrit que la façade de Maderno était une monstruosité, en particulier parce que, de la place, elle masquait le reste de la basilique et la coupole. Pour moi, c'est au contraire une grande réussite en ce sens qu'elle témoigne des mentalités qui présidèrent à sa construction.

Pour en mesurer le sens, il ne faut pas considérer cette façade simplement comme celle de la basilique, il s'agit beaucoup plus d'un somptueux décor qui évoque un palais ayant pour rôle premier de mettre en scène la puissance papale en magnifiant le souverain pontife en tant que successeur de Pierre. C'est dans cette perspective qu'il faut considérer la façade :

     (1)  au centre, la fenêtre où le pape apparaît pour la bénédiction "urbi et orbi", à la ville et au monde, cette fenêtre est établie à l'intersection des diagonales du rectangle formé par la façade.
     (2) autour de la fenêtre, quatre colonnes surmontées d'un fronton  évoquent un temple, ce qui renforce l'idée de la sacralisation du rôle du pape.
     (3) de part et d'autre, se trouvent les corps latéraux à colonnes qui se terminent sur deux tours  (4) encadrées de pilastres et surmontées, au dessus de l'attique, de frontons portant les horloges.(5)
     (6) enfin, au niveau de la balustrade se trouvent les statues du Christ, de saint Jean Baptiste et de onze apôtres. La statue du Christ se trouve au centre, juste en dessous de la fenêtre où paraît le pape : si on considère que la foule qui reçoit la bénédiction se trouve sur la place en contrebas, on voit apparaître nettement le rôle d'intercesseur du pape entre Jésus et le monde céleste d'une part et la foule personnifiant le monde terrestre d'autre part.

Toute cette façade est organisée pour sacraliser le pouvoir du pape, en ce sens c'est évidemment une réussite.

Certains ont regretté qu'il n'y ait eu jamais de clochers ; il y eut certes des projets émis mais ils ne furent jamais suivis d'effets. Pour moi, c'est heureux car la création de clochers aurait fait perdre totalement sa signification à cette façade devenue l'expression même du pouvoir papal.

La basilique est consacrée en 1626 par le pape Urbain VIII ; en 1620, le même pape a commandé à GIAN LORENZO BERNINI le baldaquin qui devait surmonter l'autel...

vendredi 17 octobre 2014

LA BASILIQUE SAINT PIERRE à l'époque de la création du BALDAQUIN par LE BERNIN (suite)

Le dessin ci-dessous, tiré du plan de Rome d'Etienne du Perac et daté de 1577, montre l'aspect que devait avoir la basilique saint Pierre au moment de la mort de Michel-Ange :
   . À l'arrière-plan, la nouvelle basilique, dont on aperçoit le tambour (1) devant porter la coupole.
   . En avant, l'ancienne basilique constantinienne qu'il est prévu de démolir une fois la nouvelle construction terminée, entre autre, par l'érection du dôme. (2)
   . En avant du portique de la basilique constantinienne, l'atrium de celle-ci.(3)
   . Enfin devant la façade de l'atrium, la place saint Pierre. (4)

LA CONSTRUCTION DU DÔME
la construction du dôme de saint Pierre et en particulier l'influence respective de Michel-Ange et de Giacomo Della Porta, chargé en 1685 par le pape Sixte V de mener à son terme l'édification de la basilique, est assez hypothétique.

Pour la construction de la coupole, Michel-Ange avait le choix entre deux types de formes :

La première était celle prévue par Bramante : c'est une coupole hémisphérique, imitée de celle du Panthéon de Rome, érigée sur un tambour à colonnes, devant être construite en tuf pour éviter le double inconvénient de cette forme de dôme : les risques d'affaissement de la partie centrale (d'autant qu'une lanterne terminale avait été prévue) et d'écartement des parois latérales qui en résulterait, ce qui nécessitait de très importantes structures de soutènement.

La deuxième était celle construite par Filippo Brunelleschi (1377-1446) pour le dôme de la cathédrale sainte Marie des Fleurs de Florence : il se caractérise par deux éléments novateurs :
     . Une forme de type hyperbolique dite de "chaînette" présentant cette étonnante particularité de sa structure autoportante : la stabilité de la coupole est assurée par son propre poids, ce qui fait qu'il n'existe aucun risque d'écartement des murs ; seul le poids de l'ensemble sur les piliers et arcades porteurs pourrait risquer de le faire écrouler. (1)
     . Une double calotte séparée par un vide, ce qui permet d'alléger le poids de l'ensemble.

Entre ces deux modèles quel était le choix de Michel-Ange ? On dispose, pour répondre à cette question qui divise encore les spécialistes, de deux documents :

Le premier est un dessin de Michel-Ange lui-même montrant une esquisse de ce que devait être le dôme par lui conçu : une coupole hémisphérique sur tambour comme dans le projet de Bramante. Les traits dessinés par l'artiste au niveau de la coupole semblent faire apparaître deux calottes quasiment concentriques.

Le second représente la maquette en bois réalisée à l'époque de Michel-Ange vers 1560 et sous sa direction pour la construction du dôme : cette maquette comporte deux coupoles séparées par un vide : une coupole interne hémisphérique et une coupole externe en chaînette. C'est cette dernière qui devait porter la lourde lanterne, agissant ainsi comme clé de voûte.

Cette maquette a suscité de nombreuses interrogations :
   . Michel-Ange, avait-il changé son projet juste avant sa mort en substituant à la coupole externe hémisphérique une coupole en chaînette ?
   . La maquette aurait-elle refaite par ses successeurs ? Dans cette hypothèse, ils auraient simplement surélevé la coupole extérieure de quelques mètres afin de lui donner sa forme ovoïde actuelle.

Quoiqu'il en soit, la coupole est terminée en 1590 sous la direction de Giacomo Della Porta et de Domenico Fontana qui éleva ensuite la lanterne.

Il va de soi que le dôme de saint-Pierre ne respectait pas la structure en "chaînette renversée" puisque la formule mathématique n'avait pas encore été inventée, ni celle de l'arc ogival utilisé par Brunelleschi : en conséquence, des fissures apparurent : le pape Benoît XIV (élu en 1740- mort en 1758) fit vérifier les coupoles par un physicien, ce dernier constata que l'architecture n'était pas en "chaînette renversée" et préconisa de poser de grands anneaux métalliques pour empêcher des dégradations ultérieures, ce qui fut fait.

À l'aube du 17eme siècle, on pouvait imaginer que la basilique, dans sa structure globale, était terminée, il y eut cependant une dernière phase de construction à partir de 1605 sous la direction de Carlo Maderno.

(1) De nombreuses suppositions ont été émises à propos de la coupole ovoïde de Brunelleschi qui aurait utilisé une structure mathématique dite de la "chaînette renversée". Cette forme est celle de la courbure formée par une corde (chaînette) que l'on tend entre deux bâtons sous l'effet de la pesanteur , il suffit d'observer la courbure d'un fil électrique dans la rue entre deux poteaux pour la remarquer. Si on retourne cette forme, on crée une "chaînette renversée" qui est, architecturalement parlant, une structure stable ne se déformant pas.

Brunelleschi aurait-il connu la formule mathématique de la "chaînette renversée" ? Évidemment non : cette formule mathématique n'a été trouvée qu'en 1691 conjointement par Leibniz, Bernouilli et Huygens. Dans ces conditions, comment Brunelleschi eut-il l'idée de construire ainsi ? En fait, Il ne s'est pas inspiré de spéculations mathématiques mais de ce qui existait à son époque, les arcs ogivaux des cathédrales ; la preuve en est que la coupole est composée de grands arcs de pierres qui évoquent justement les ogives.

Dans cette perspective, les avancées indéniables constatées lors de la création de la coupole se situent essentiellement au niveau des techniques : utilisation de rangées de briques en spirales inclinées vers l'axe central, utilisation de simple échafaudages au lieu de cintres de bois... 

jeudi 16 octobre 2014

LA BASILIQUE SAINT PIERRE à l'époque de la création du BALDAQUIN par LE BERNIN (suite)

La basilique Saint Pierre de Rome possède donc une structure d'ensemble inspirée par les conceptions stylistiques du Quattrocento. : coupole sur piliers massifs, voûtes en berceau à caissons, contreforts intérieurs soutenant la voûte, nef unique. 

À partir de cet héritage, va s'établir une construction en trois phases principales.

LES PERIODES DE BRAMANTE ET DE MICHEL-ANGE
La première phase est celle de BRAMANTE sous le pontificat de JULES II. Elle dure de 1506 à 1514, date de la mort de Bramante. Celui-ci emporta le concours organisé pour le choix de l'architecte en présentant le plan de base représenté ci-dessous :
     . Au centre la coupole (1) construite sur tambour et portée par quatre piliers massifs (2)
     . Autour de la coupole, quatre bras (3) de même taille forment un plan en forme de croix grecque.
     . Chaque bras se termine par une abside (4) qui fait saillie sur la forme carrée de la basilique.
     . Entre les bras de la croix, l'espace est rempli par quatre coupoles secondaires (5) plus basses puis par quatre clochers (6) afin de constituer la forme carrée.
Ce plan carré à cinq coupoles évoque à la fois l'art byzantin et aussi la basilique saint-Marc de Venise.

La construction fut entreprise avec, en premier lieu, érection des piliers destinés à porter la coupole.

De 1514 à 1547, le chantier subit une période de latence : tandis que les piliers s'élèvent et que se succèdent les architectes (dont Raphaël), se pose la question de la modification du plan primitif et de la forme de croix grecque : celle-ci semblant trop liée aux conceptions antiques, il conviendrait de revenir à la croix latine, plus conforme aux traditions chrétiennes, c'est dans cette perspective qu'est établi un plan par Raphaël avec seulement trois absides, la quatrième étant remplacée par la nef.

En 1547. À la prière du pape PAUL III, MICHEL-ANGE accepte d'assurer la direction des travaux. Il les conduira jusqu'à sa mort (1564). Michel-Ange reprend le plan de BRAMANTE mais y ajoute divers correctifs :
   . En premier lieu, il simplifie l'ensemble, épure la forme et supprime les clochers de coins.
   . Les murs extérieurs sont renforcés avec utilisation de pilastres séparant les hauteurs de fenêtres.
   . les quatre bras de la croix sont conservés mais réduits d'une travée,
   . De part et d'autre des piliers portant la coupole, de grandes arcades (7) sont construits afin de soutenir les piliers pour les empêcher de s'écarter sous le poids de la voûte.
   . Surtout, est créée une pseudo-nef (8) qui constitue un semblant de croix latine en noyant l'abside occidentale dans un mur rectiligne de façade. En avant de la façade est prévue un double portique à colonnade (8)

À la mort de Michel-Ange, les murs de l'église sont terminés ainsi que le tambour de la coupole ; il restait à construire cette dernière.

A quoi pouvait ressembler la basilique conçue par Michel-Ange ? On dispose de deux dessins réalisés par Étienne Du Peron datant de 1569  et représentant saint Pierre de Rome telle que Michel-Ange l'aurait conçue. Ces deux dessins n'ont pas été réalisés uniquement sur l'existant  puisque le Dôme n'avait pas été construit, ils ont dû être complétés grâce à la maquette que Michel-Ange avait réalisée pour ce dôme. Selon Du Perac, ils représentent le dernier état des plans de l'architecte.

Ces deux dessins représentent la façade latérale :
1- les absides terminant les bras de la croix
2- piliers soutenant la coupole
3- coupoles de coin
4- coupole centrale
5- tambour
6- double portique en avant de la façade ouest.

Sur le dessin de droite, on remarque que le dôme est composé de deux coupoles emboitées l'une dans l'autre, cette particularité sera évoquée dans la troisième et avant-dernière partie concernant la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome.