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mardi 3 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (29) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

LA JUSTIFICATION DES MASSACRES PAR LES CHRONIQUES CHRÉTIENNES.

Que peut-on penser de ces massacres décrits dans l'article précédent ? Les commentateurs actuels s'intéressent plus au nombre de morts qu'aux justifications morales et mentales  données par les croisés. En ce qui me concerne, ce sont celles-ci qui m'intéressent surtout.

Guillaume de Tyr, outre le sentiment d'horreur qu'il exprime ( il est d'ailleurs un des seuls à le faire), fait état d'une juste punition des infidèles :

" Les nôtres donc, parcourant Jérusalem l'épée nue, ne firent quartier à aucun, même de ceux qui imploraient leur pitié, et le peuple des infidèles tomba sous leurs coups comme tombent, d'une branche qu'on secoue, les fruits pourris du chêne, les glands agités par le vent. (1)

Ils accomplirent ainsi les justes décrets de Dieu, afin que ceux qui avaient profané le sanctuaire du Seigneur par leurs actes superstitieux, le rendant dès lors étranger au peuple fidèle, le purifiassent à leur tour par leur propre sang, et subissent la mort dans ce lieu même en expiation de leurs crimes.(1)

Les termes employés de "fruits pourris", de " profanation", de "purification par le sang", "d'expiation des crimes" et surtout de "juste décret de Dieu" constituent  le fonds de la pensée du chroniqueur.

Cette  profanation du "sanctuaire du Seigneur" fait référence surtout  à l'esplanade du temple de Yahvé construit par Salomon, reconstruit par Hérode,  détruit par les romains sur les ruines duquel avaient été érigés par les musulmans le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Le massacre perpétré visait non pas à punir les derniers actes antichrétiens qui avaient été accomplis par les Fatimides puis par les Turcs, il visait beaucoup plus, selon Guillaume de Tyr,  la construction par les arabes d'édifices musulmans là où se trouvait le temple de Yahvé : on purifiait par le sang des arabes présents la profanation accomplie par ceux qui avaient construit ces édifices et par ceux qui étaient venus y prier.

Raoul de Caen (histoire de Tancrède) décrit avec emphase ce combat du juste contre les scélérats, de la joie à tuer, de la sainte fureur de détruire :
" Qui aurait le temps de raconter en détail et les joies de ceux qui massacrent et les douleurs de ceux qui sont massacrés, et tous les biens qui sortent du sein de tant de maux... le glaive dévorant moissonne tout ce qu'il rencontre, l'ennemi succombe de toutes parts courage ! saintes fureurs, courage ! , glaives sacrés, courage ! , sainte destruction, ne ménagez rien ; tombez sous les coups, race dépravée, hommes scélérats, qui avez répandu le sang innocent, qui devez maintenant donner tout le vôtre. Vous qui avez tant de fois déchiré le Christ en mille pièces, recevez à votre tour les châtiments que font retomber sur vous les membres du Christ."

Enfin Foucher de Chartres indique que ce massacre efface une souillure et restera à jamais dans la mémoire des hommes comme un acte glorieux  :
" tous les sectateurs de la foi catholique aspiraient de tous leurs vœux et du fond de leur âme, à voir les lieux .. purgés.. de la présence empestée des Païens qui les habitaient et les souillaient depuis si longtemps de leurs superstitions, et rétablis dans tout l'éclat de leur ancienne gloire par des hommes croyants et se confiant au Seigneur."

 " Ce temps était le temps réellement mémorable, et digne, à bon droit, de demeurer gravé dans le souvenir des hommes. cet événement sera fameux jusqu'à la fin des siècles, et retentira célébré dans les diverses langues de .toutes les nations. "


Ainsi, le massacre des infidèles prend la forme d'une vision quasi-cosmique de la lutte du bien contre le mal, des chrétiens contre les infidèles, des combattants de Dieu contre les impies.

Il faut alors se poser la question : existe-t-il un substrat théologique à ce massacre ?

Selon moi, il ne se trouve pas dans les Évangiles, le Christ ayant toujours affirmé des aphorismes du type :
     - " Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. ( Luc 6)"
     -  " Alors Jésus lui dit: Remets ton épée dans le fourreau; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée".  (Mathieu 26)
     - " Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,"  (Mathieu 5)
Cette caractéristique peut paraitre surprenante, elle est cependant conforme aux mentalités de l’époque qui prône que la source d'inspiration de tout chrétien est non l’Évangile en tant que tel mais la vision de l’Évangile que transmet et enseigne l'Eglise.

Pour moi, la base théologique se trouve plutôt dans la Bible et en particulier dans la pratique de l'anathème.

En voici deux exemple tirés du livre de Josué
     Le premier exemple est celui de Jéricho que j'ai déjà évoqué à propos de la procession autour de Jérusalem : " Josué dit au peuple: " Poussez des cris, car Yahweh vous a livré la ville. La ville sera dévouée par anathème à Yahweh, elle et tout ce qui s'y trouve ... Tout l'argent et tout l'or, tous les objets d'airain et de fer seront consacrés à Yahweh et entreront dans le trésor de Yahweh" ...
S'étant emparés de la ville, ils livrèrent à l'anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, même les boeufs, les brebis et les ânes, par le tranchant de l'épée. Les enfants d'Israël brûlèrent la ville et tout ce qui s'y trouvait, sauf l'argent et l'or, et les objets d'airain et de fer, qu'ils déposèrent dans le trésor de la maison de Yahweh." Afin de ne pas surcharger la citation, je n'ai pas inclus les mentions de Rahab et sa famille sauvées pour avoir caché des hébreux dans leur maison.

Ce qui s'est passé à Jéricho définit bien ce qu'est l'anathème : il est décrété par Yahvé et consiste à tuer tout ce qui est vivant, à vouer à Yahvé tout ce qui est précieux et à détruire le reste.

     . Le cas de la ville de Haï correspond exactement à ce que l'on a observé à Jérusalem : "Yahweh dit à Josué: " Prends avec toi tous les hommes de guerre, lève-toi et monte contre Haï. Vois, j'ai livré entre tes mains le roi d'Haï et son peuple, sa ville et son territoire. Tu traiteras Haï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi; seulement vous pillerez pour vous son butin et son bétail. ... [ suit le détail de la bataille ] Lorsqu 'Israël eut achevé de tuer tous les habitants d'Haï dans la campagne, dans le désert, où ils l'avaient poursuivi, et que tous furent jusqu'au dernier passés au fil de l'épée, tout Israël revint dans la ville et la passa au fil de l'épée. Le nombre total de ceux qui périrent en ce jour fut de douze mille, tant hommes que femmes, tous gens d'Haï.  Les Israélites prirent seulement pour eux le bétail et le butin de cette ville, selon l'ordre de Yahweh qu'il avait prescrit à Josué. Josué brûla Haï, et en fit pour toujours un monceau de ruines, qui subsiste encore aujourd'hui. (Josué 8)

Selon moi, c'est cet anathème qui donne sa justification aux actes des croisés dans les massacres qu'ils organisèrent tout au long de leur périple.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101

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