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. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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samedi 28 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (33)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA BATAILLE D’HASTINGS

Les grandes batailles sont rares à l’époque médiévale, elles sont, en effet, particulièrement coûteuses en hommes. C’est ainsi que les trois grandes batailles de la guerre de cent ans, Crécy, Poitiers et Azincourt ont décimé l’ost français. Tout est plutôt fait pour éviter les batailles rangées, la stratégie dominante à cette époque, était d’assiéger les forteresses ennemies afin de les détruire ou de les réutiliser comme base d’appui pour de futurs coups de main. 

La tapisserie de Bayeux, même si elle décrit de manière imparfaite et partisane la bataille d’Hastings, est un témoignage intéressant de la manière dont les hommes de la première partie du Moyen-âge  concevaient leur stratégie de combat. 

Pour connaître l’ordre de bataille mise en place par Guillaume, il convient de se référer au texte de Guillaume de Poitiers : 

Le duc « s'avança dans un ordre avantageux, faisant porter en avant la bannière que lui avait envoyée (le pape), il plaça en tête des gens de pied armés de flèches…, et au second rang d'autres gens de pied, dont il était plus sûr, et qui portaient des cuirasses: le dernier rang fut composé des bataillons de chevaliers, au milieu desquels il se plaça avec son inébranlable force, pour donner de là ses ordres de tous côtés, de la voix et du geste. »


Cette phase préliminaire de la bataille n’est pas mentionnée sur la tapisserie de Bayeux. Les vignettes ci-dessus ne montrent que la phase initiale de la bataille, on aperçoit les cavaliers normands s’avançant vers l’armée anglaise, les uns brandissent déjà leurs javelots tandis qu’en avant, les archers commencent lancer des salves de flèches sur les soldats d’Harold. Les deux premiers archers (A)  sont vêtus comme de simples paysans sans protection particulière ; les deux suivants, par contre, sont mieux protégés l’un est revêtu d’une cotte de mailles (B),  tandis que l’autre semble porter une armure faite de plaques recouvrant ses jambes (C). A l’exception de ce dernier dont le carquois est tenu par une lanière entourant le cou, les autres portent leurs carquois à la taille, position qui ne favorisait guère la rapidité des tirs. 

Cette partie de la tapisserie explicite clairement la stratégie de Guillaume : 
   . Dans un premier temps, les archers s’avancent en maintenant toutefois une bonne distance entre eux et l’ennemi et  ils le harcèlent par des bordées de flèches. 
   . Ensuite, la cavalerie s’élancera, lançant d’abord leurs javelots puis combattant au corps à corps. 
A suivre 

dimanche 22 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (32)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE. 

ISTE NUNTIAT HAROLDUM REGE DE EXERCITU WILELMI DUCIS (celui-ci renseigne le roi Harold sur l’armée du duc Guillaume)

Comme Guillaume, Harold a besoin de connaître la position de l’armée normande pour préparer sa stratégie. C’est pourquoi, lui aussi, envoie des éclaireurs qui, sur cette scène, viennent lui rendre compte de leur mission. Harold (2) tend la main vers son messager, indiquant, par ce geste, qu’il le questionne. L’un des deux éclaireurs (A)  tend le bras vers l’arrière montrant la direction par laquelle l’armée normande s’avance ; l’autre (B), observe l’horizon afin de renseigner le roi le plus précisément possible sur les mouvements d’approche des normands.  Les deux hommes sont situés sur une butte comme le montre les formes sinueuses représentant le sol.

La technique de découpage des scènes est bien visible ici, chacune d'entre elles est individualisée par le dessin d'arbres stylisés (E).


La scène suivante montre la harangue de Guillaume à ses troupes avant le combat alors que les deux armées sont, à ce moment, face à face.

 HIC WILLELM DUX ALLOQVITUR SUIS MILITIBUS UT PREPARARENT SE VI RILITER ET SAPIENTER AD PRELIUM CONTRA ANGLORUM EXERCITU (ici, le duc Guillaume exhorte ses soldats à se préparer courageusement et sagement au combat contre l’armée anglaise)

Cette scène est, à première vue, assez curieuse puisqu’elle représente Guillaume (4) semblant parler dans le vide alors que les cavaliers (C) lui tournent le dos et s’apprêtent à avancer. Un seul d'entre eux (D) tourne son regard vers le duc. En fait, le dessin ne montre pas Guillaume effectuant son discours mais plutôt la fin de celui-ci : le duc lève la main, semblant dire : c’est le moment d’attaquer ! Guillaume porte un casque et une cotte de mailles mais ne possède pas d’armes offensives, à l’exception de son bâton de commandement qui peut, d'ailleurs aussi, servir de moyen de défense. 

Pour connaître la teneur du discours de Guillaume, il faut se référer à la chronique de Guillaume de Poitiers  qui n’en cite toutefois que la partie qui lui fut rapportée : 

«  C'est maintenant, leur dit-il, que vos bras doivent prouver de quelle force vous êtes doués, quel courage vous anime. Il ne s'agit plus seulement de vivre en maîtres, mais d'échapper vivants d'un péril imminent. Si vous combattez comme des hommes, vous obtiendrez la victoire, de l'honneur et des richesses. Autrement vous serez égorgés promptement, ou captifs, vous servirez de jouets aux plus cruels ennemis. 

De plus, vous serez couverts d'une ignominie éternelle. Aucun chemin ne s'ouvre à la retraite; d'un côté, des armes et un pays ennemi et inconnu ferment le passage ; de l'autre, la mer et des armes encore s'opposent à la fuite. 

Il ne convient pas à des hommes de se laisser effrayer par le grand nombre. Les Anglais ont souvent succombé sous le fer ennemi; souvent vaincus, ils sont tombés sous le joug étranger, et jamais ils ne se sont illustrés par de glorieux faits d'armes. Le courage d'un petit nombre de guerriers peut facilement abattre un grand nombre d'hommes inhabiles dans les combats, surtout lorsque la cause de la justice est protégée par le secours du Ciel. Osez seulement, que rien ne puisse vous faire reculer, et bientôt le triomphe réjouira vos cœurs.»

Ce discours s’articule selon quatre grandes idées : 
   .  En premier lieu, Guillaume montre que, pour ses hommes, le choix est simple ou vaincre ou être tués ou captifs. 
   . Selon lui, il n’y a aucune autre échappatoire, l’armée normande est établie en pays ennemi et est environnée de deux dangers, tous les deux aussi périlleux l’un que l’autre : d’un côté, l’armée anglaise et de l’autre côté, la mer et la flotte d’Harold. 
   . Pourtant, proclame-t-il, la victoire est probable à la fois à cause de la supposée faiblesse militaire des anglais et, surtout, par le fait que Dieu bénit leur combat. 
   . Enfin, le duc promet à ses hommes, s’ils sont vainqueurs,  de grandes richesses puisqu’ils se partageront le pays. 

Selon moi, ce texte montre clairement que l’expédition normande en Angleterre fut essentiellement une guerre de conquête sous le prétexte avoué de la revendication du droit de Guillaume à régner sur le pays. 

Prochains articles : LA BATAILLE D’HASTINGS

vendredi 13 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (31)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

L’ARMÉE DE GUILLAUME SE MET EN MARCHE

HIC MILITES EXIERUNT  DE HENSTENGA ET VENERUNT AD PRELIUM CONTRA HAROLDUM REX : (ici, les soldats sortirent d’Hastings et allèrent au combat contre le roi Harold.)

Le départ de l’armée de Guillaume n’est représenté que par une courte scène où l’on voit un soldat à pied d’œuvre (A) s’apprêtant à monter sur le cheval que lui a amené un serviteur (B). Ce soldat vient de sortir de la forteresse de Hastings comme le montre la porte ouverte de la tour-porche du château. Il est vêtu d’un haubert lui couvrant le corps ainsi que les avant-bras. Cette cotte de mailles s’arrête à ses genoux,  ses jambes sont protégées par des chausses de mailles. Il porte un camail sur la tête ainsi qu’un casque à nasal. 

Son armement se compose d’une épée et d’un javelot à oriflamme, il est sans doute complété par un bouclier. 

Une longue bande de la tapisserie de Bayeux montre le départ de l’armée et sa mise en ordre de marche. Pour des nécessités de place, j’ai dû scinder cette longue bande en deux parties.


Les premiers cavaliers constituant l’arrière garde (C) sont encore à l’arrêt, attendant que ceux qui les précèdent se soient ébranlés. En avant du corps principal, se trouve Guillaume (D) et son demi-frère Odon (E). Ils sont reconnaissables au fait qu’ils portent des massues et  ne disposent ni d’épée ni de boucliers. En ce qui concerne Guillaume, cette massue doit lui servir autant d’arme que de bâton de commandement. Odon, en tant qu’évêque, n’a pas le droit de porter une épée et de faire couler le sang, par contre, il peut toujours assommer un éventuel adversaire ; hormis cette particularité, Odon est habillé en combattant, portant cotte de mailles et casque à nasal. 

Guillaume et Odon sont suivis de deux cavaliers portant les oriflammes : l’un tient l’étendard ducal (F)  portant la croix que le pape avait envoyé au duc, l’autre brandit une bannière (G) représentant un oiseau (colombe ?) entouré d’un demi-cercle de flammes (armes de Robert de Mortain ?). 

Le corps d’armée principal est précédé d’une avant-garde représentée sur la tapisserie de Bayeux par deux cavaliers. (H)

 Afin de préparer sa stratégie d’approche, le duc a envoyé un certain nombre d’éclaireurs battre la campagne afin d’obtenir des informations sur les mouvements de l’ennemi ; l’un d’entre eux, appelé Vital (J), vient justement au rapport et, interrogé par Guillaume, lui donne la position de l’armée d’Harold. 

HIC WVILLELM DUX INTERROGAT VITAL SIVIDISSET HAROLDI EXERCITU ici le duc Guillaume demande à Vital s’il a vu l’armée  d’Harold

En regardant la tapisserie de Bayeux, on a l’impression  que l’armée normande se déploie sans encombre dans un ordre parfait ; ce n’est probablement pas le cas, comme le montre Guillaume de Poitiers dans sa chronique. 

En premier lieu, l’armée qui s’ébranle d’Hastings ne représente qu’une faible partie des effectifs totaux dont dispose Guillaume, en effet, « ce jour-là la plus grande partie de ses compagnons étaient allés fourrager » et étaient donc dispersés dans la campagne,  « Le duc aussitôt ordonna à tous ceux qui se trouvaient dans le camp de prendre les armes. » 

Ensuite et surtout, l’initiative de l’offensive n’est pas le fait de Guillaume ; c’est, en effet, Harold qui, le premier, met en branle son armée : « Le roi furieux se hâtait d'autant plus qu'il avait appris que les Normands avaient dévasté les environs de leur camp. Il voulait tâcher de les surprendre au dépourvu, en fondant sur eux pendant la nuit ou à l'improviste ».  Guillaume de Poitiers nous indique aussi comment le duc fut prévenu de l’attaque imminente de l’armée anglaise : ce  sont, écrit le chroniqueur,  « des chevaliers très-éprouvés, envoyés à la découverte par le duc, qui revinrent promptement annoncer l'arrivée de l'ennemi. », il est probable que ces chevaliers normands sont ceux qui avaient dévasté les alentours du camp d’Harold.

Ainsi Guillaume de POITIERS nous livre une version bien différente que celle suggérée par la tapisserie de Bayeux : selon son récit,  le départ de l’armée normande se fit précipitamment, dans l’improvisation et avec de faibles effectifs. On peut d’ailleurs remarquer l’absence dans cette armée en mouvement,  des hommes à pieds et des archers qui participeront à la bataille. 

Selon moi, la réalité se situe probablement entre les deux versions : le duc en effet ne se mit pas immédiatement en mouvement ; comme l’indique le chroniqueur, il prit le temps d’assister à la messe et ne semble guère inquiet, sûr de disposer de la bienveillance de Dieu : « assistant avec la plus grande dévotion au mystère de la -messe, (il) fortifia son corps et son âme de la communion du corps et du sang du Seigneur. Il suspendit humblement à son cou des reliques.. Le duc avait avec lui deux évêques, qui l'avaient accompagné de Normandie, Eudes, évêque de Bayeux, et Geoffroi Constantin, un nombreux clergé, et plusieurs moines. Cette assemblée se disposa à combattre par ses prières. Tout autre que le duc eût été épouvanté en voyant sa cuirasse se retourner à gauche pendant qu'il la mettait; mais il en rit comme d'un hasard, et ne s'en effraya pas comme d'un funeste pronostic. »

Prochain article : LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE. 

mardi 26 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (30)




HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LES POURPARLERS DIPLOMATIQUES


Une scène importante s’intercale entre la construction du fortin et l’incendie de la maison. Elle est surmontée de l’inscription suivante : 

HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD ( ici, on apporte des renseignements sur Harold). 

En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidation et informations fallacieuses… 

Pour connaître cette activité « diplomatique », il est nécessaire de consulter la chronique de Guillaume de Poitiers. 

La première intervention fut celle d’un normand habitant l’Angleterre qui envoya au duc Guillaume un messager chargé de le prévenir de l’arrivée imminente sur la côte de la Manche, de la puissante armée d´Harold :

 «Le roi Hérald ayant livré bataille à son propre frère et au roi de Norvège, qui passait pour le plus fort guerrier qu'il y eût sous le ciel, les a tués tous deux dans un combat, et a détruit leurs nombreuses armées. Animé par ce succès, il revient promptement vers toi, à la tête d'une armée innombrable et pleine de force, contre laquelle les tiens ne vaudront pas plus qu'autant de vils chiens. Tu passes pour un homme sage, et jusqu'ici tu as tout fait avec prudence, soit pendant la paix, soit pendant la guerre. Maintenant, prends garde que ta témérité ne te précipite dans un danger d'où tu ne puisses sortir. Je te le conseille, reste dans tes retranchements, et abstiens-toi d'en venir aux mains à présent.»

Le duc répondit à l'envoyé: « ... Je ne voudrais point me mettre à l'abri dans une retraite fortifiée, je combattrai Hérald le plus promptement possible; et je n'hésiterai point, si la volonté divine ne s'y oppose pas,…  à aller l'écraser, lui et les siens, avec la force des miens.»

Le second messager est le fait d’Harold lui-même qui tint à faire savoir au duc les raisons pour lesquelles il était, selon lui, légitimement le roi d’Angleterre :

«Voici ce que le roi Hérald vous fait savoir. Vous êtes entré sur son territoire... Il se souvient bien que le roi Edouard vous établit d'abord héritier du royaume d'Angleterre, et que lui-même en Normandie vous a porté l'assurance de cette succession. Mais il sait aussi que … le même roi, son seigneur, lui fit, à ses derniers instants, le don du royaume; et depuis le temps où le bienheureux Augustin vint dans ce pays, ce fut une coutume générale de cette nation de regarder comme valables les donations faites aux derniers moments. C'est pourquoi il vous demande à juste titre que vous vous en retourniez de ce pays avec les vôtres. Autrement il rompra l'amitié et tous les traités qu'il a lui-même conclus avec vous en Normandie, et il vous laisse entièrement le choix.»

Ainsi,  selon Guillaume de POITIERS, Harold reconnaît qu’effectivement, le roi Édouard avait bien promis à Guillaume le royaume d’Angleterre mais que, sur son lit de mort, il avait changé d’avis et désigné Harold comme son successeur. Cette version du chroniqueur est évidemment partiale puisque Harold semble cautionner le don initial fait au duc de la couronne d’Angleterre, ce qui ne devait pas être le cas, le duc de Normandie semble le reconnaître d’ailleurs dans sa réponse au message d’Harold. 

Le duc se livre alors à un long discours dont voici quelques extraits : 

«Ce n'est point avec témérité et injustice, mais délibérément et conduit par la justice, que je suis passé dans ce pays, dont mon seigneur et mon parent, le roi Edouard, à cause des honneurs éclatants et des nombreux bienfaits dont moi et mes grands nous l'avons comblé, ainsi que son frère et ses gens, m'a constitué héritier, comme l'avoue Hérald lui-même. Il me croyait aussi, de tous ceux qui lui étaient alliés par la naissance, le meilleur et le plus capable, ou de le secourir tant qu'il vivrait, ou de gouverner son royaume après sa mort ». 

En ce qui concerne Harold, « il me fit hommage pour son propre compte, et ses mains dans les miennes m'assurèrent aussi le royaume d'Angleterre. » : cette phrase est importante puisqu’elle donne la signification réelle du serment prêté par Harold sur les reliques : il se déclara seulement vassal de Guillaume pour lui-même et non pour le royaume d’Angleterre. Selon moi, en ce cas, Harold n’avait donc pas trahi son serment et pouvait donc légalement prétendre à la couronne royale. 

Guillaume alors propose deux solutions pour éviter la bataille : 
   . Faire juger le différent selon les lois d’Angleterre ou de Normandie : «  les Normands ou les Anglais prononcent, selon l'équité et la vérité, que la possession de ce royaume lui appartient légitimement, qu'il le possède en paix; mais s'ils conviennent que, par le devoir de justice, il doit m'être rendu, qu'il me le laisse."
   . Organiser un combat entre Harold et lui-même en s’en remettant à Dieu pour déterminer son issue car « je ne crois pas juste que mes hommes et les siens périssent dans un combat, eux qui ne sont aucunement coupables de notre querelle. »

Lorsque cette réponse fut rapportée à Harold, celui-ci, écrit Guillaume de Poitiers, « pâlit de stupeur, et comme muet, garda longtemps le silence. L'envoyé lui ayant plusieurs fois demandé une réponse, il lui dit la première fois: «Nous marchons sur-le-champ;» et la seconde fois: «Nous marchons au combat…. Alors Hérald, levant son visage vers le ciel, dit: «Que le Seigneur prononce aujourd'hui, entre Guillaume et moi, à qui appartient le droit.» 

La conclusion de Guillaume de Poitiers est sans appel : «  Aveuglé par le désir de régner, et la frayeur lui faisant oublier l'injustice qu'il avait commise, il court à sa ruine, au jugement de sa propre conscience » 

Prochain article : LES PRÉMICES DU COMBAT

mardi 19 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (29)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA MISE EN DÉFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS (suite) 


La tapisserie de Bayeux montre la manière dont Guillaume entendait renforcer les défenses de la zone que son armée occupait et qui est signalée par deux phrases : 

-        HIC JUSSIT CASTELLUM UT FOREDETUR AT HENSTENG CEASTRA (Celui-ci ordonne d’édifier une fortification au camp d’Hastings), ce fortin (A) est construit, de la même manière que tous les ouvrages fortifiés déjà décrits précédemment : c’est une construction de bois comportant une courtine faite de planches dressées et pourvue de tours, elle est élevée sur une butte  qui semble également recouverte de planches. La tapisserie de Bayeux montre des paysans (B), probablement réquisitionnés sous forme de corvées,  travaillant à aménager les fossés qui entoureront la redoute, certains sont à pied d’œuvre et œuvrent sous la férule d’un noble normand (C) , d’autres, également conduits par un normand (D), arrivent au chantier afin de renforcer les équipes déjà au travail. Deux d’entre eux portent des pelles (E) sur les épaules tandis que deux autres semblent utiliser ces pelles pour simuler un combat. (F).

. HIC DOMUS INCENDITUR (ici une demeure est incendiée) : la deuxième politique ordonnée par Guillaume, est de pratiquer la terre brûlée en détruisant tout ce qui pourrait servir de point d’appui à Harold pour attaquer le camp des normands. C’est en particulier le cas du  haut manoir (G) représenté sur la tapisserie, il est incendié au moyen de bâtons munis de poix enflammées. Les habitants de cette demeure (une femme et un enfant) n’ont pas d’autre choix que de fuir (H)

Une scène importante s’intercale entre la construction du fortin et l’incendie de la maison. Elle est surmontée de l’inscription suivante : HIC NUNTIATUM EST WILLEIM DE HAROLD (ici, on apporte des renseignements sur Harold). En effet, la mise en défense du camp normand n’est qu’un des volets des événements du moment, elle se conjugue avec une activité « diplomatique » associant menaces, intimidations et informations fallacieuses… Ce sera l'objet du prochain article.

vendredi 15 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (28)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA MISE EN DÉFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS.

Avant de poursuivre la description de la Tapisserie de Bayeux, il est nécessaire d’effectuer un point sur les événements qui vont précéder la bataille d’Hastings du 14 octobre 1066. D’abord, il convient de rappeler qu’à la mort d’EDOUARD (4 janvier 1066), deux prétendants au trône d’Angleterre s’étaient déclarés : Guillaume, duc de Normandie et Harald 3 dit Hardrada, roi de Norvège depuis 1046. 

Harald 3 fut le premier à débarquer en Angleterre. Il était accompagné de Tostig, le propre frère d’Harold 2. Tostig en voulait à son frère de ne pas l’avoir soutenu lorsqu’il fut chassé de son comté de Northumbria. Les Anglo-saxons, envoyés combattre les envahisseurs, furent battus à la bataille de Fulford le 20 septembre 1066. La ville d’York fut conquise par Harald 3. 

Harold, le roi d’Angleterre,  qui attendait dans le sud le débarquement de Guillaume, décida de se porter immédiatement dans le Nord avec son armée. Le 25 septembre, a lieu la bataille de Stamford Bridge ; Harold remporte la victoire, Harald 3 et Tostig sont tués au cours des combats. 

Alors qu' Harold faisait refluer ses troupes vers le sud de l’Angleterre, eut lieu, le 28 septembre, le débarquement de l’armée de Guillaume. Si on estime qu’il fallut au minimum cinq jours à l’armée d’Harold pour effectuer ce mouvement stratégique vers le littoral, on peut penser que les Anglo-saxons arrivèrent à proximité du camp des normands aux alentours du 30 septembre. 

Cette arrivée est peut-être à mettre en liaison avec le geste de l'un des convives du banquet de Guillaume montrant, de la main, l’horizon.(J)

C’est dans ces circonstances que Guillaume réunit son conseil, il se compose de trois personnes comme il est indiqué au-dessus de la scène : ODO EPS WILLELM ROTBERT (l’évêque Odon, Guillaume et Robert). 

Ils sont tous les trois demi-frères par leur mère, Arlette de Falaise. Ils sont assis sur une sorte de banquette qui les met, en quelque sorte, sur le même pied d’égalité. Au centre, se trouve Guillaume (4), il est vêtu d’une longue tunique, d’un long manteau et porte l’épée levée en signe de suzeraineté. Il tourne la tête vers Odon (6), évêque de Bayeux qui lui prodigue des conseils sur la marche à suivre. Robert (7) écoute ses frères et semble se préparer au combat comme le montre l’épée qu’il tient à deux mains, 

Les  scènes qui vont suivre montrent la mise en application des décisions du duc afin de sécuriser le secteur immédiat entourant le château d’Hastings, le camp où étaient  installés les normands et le port où les bateaux ayant servi à l’invasion, sont au mouillage. 

Prochain article : LA MISE EN DEFENSE DE LA RÉGION D’HASTINGS (suite) 

mardi 12 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (27)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LE BANQUET DE GUILLAUME ET SA PRÉPARATION.



HIC COQUITUR CARO ET HIC MINISTRAVERUNT MINISTRI (ici, on prépara les viandes et les serviteurs firent leur office)

Le premier dessin (A) montre le foyer de l’âtre,  il est surmonté d’une traverse portée par deux landiers. La traverse porte une marmite qui contient très probablement de la viande que l’on fait bouillir dans l’eau. Au-dessus, sont disposées, sur une sorte d’étagère, des tiges de fer sur lesquelles on a embroché de la viande. Selon moi, cette scène ne peut se comprendre que si on imagine la présence d’une cheminée (dessinée en traits rouges discontinus) : la viande une fois embrochée était disposée dans le corps de la  cheminée afin de cuire grâce à la chaleur dégagée par le feu à l’âtre. Ce système de cuisson était largement répandu car il permettait de fumer la viande pour mieux la conserver. 

En (B) se trouve une sorte de four posé sur un foyer dont on voit les flammes en dessous de sa base ; ce four, qui évoque tout autant un brasero de chauffage et un moderne barbecue, était utilisé pour rôtir, comme le montrent les petites formes circulaires posées sur sa paroi supérieure. Il est probable que ce four servait aussi à cuire le pain. On peut le penser en considérant le personnage (C) qui tient, d’une main, un plateau sur lequel sont disposées des formes de  boules et, de l’autre,  un instrument ressemblant à un racloir ou une pelle.

HIC FECERUNT PRANDIUM (ici, ils préparent le repas)

Ces travaux de cuisson s’effectuent dans une pièce à l’écart de la salle de banquet, on peut le penser  du fait de la présence d’une porte les reliant (D). Les serviteurs (E) se relaient pour porter les « brochettes » à d’autres serviteurs (F) chargés d’accommoder la nourriture ; ceux-ci sont assis sur un banc et portent, sur les genoux,  des boucliers leur servant de tables. Ils tiennent à la main des écuelles ou des pots devant conserver les assaisonnements et en apprêtent les viandes. Parmi celles-ci, on distingue bien, à leur silhouette, deux volailles. De la manière précautionneuse  dont les serviteurs portent les pots, on peut en déduire que ces pots conservent des ingrédients coûteux et rares. 

Un des serviteurs souffle dans une trompe sans que l’on sache pourquoi il en joue.

ET HIC EPISCOPUS CIBU ET POTU BÉNÉDICIT (et ici, l’évêque bénit la nourriture et la boisson) 

La scène suivante représente le repas de Guillaume (4) et de sa suite. Parmi celle-ci, on distingue Odon, le demi-frère du duc (5), évêque de Bayeux, on le reconnait au fait qu’il porte la tonsure et qu’il effectue un geste de bénédiction sur les mets et boissons que les convives vont déguster. L’un d’entre eux (G) n’a même pas attendu la fin du bénédicité pour porter une coupe de vin à ses lèvres. Ce personnage est barbu, ce qui le différencie des autres, on dit qu’il s’agit de Roger de Beaumont dit Roger à la barbe.

La table est disposée en fer à cheval. Assez curieusement, c’est l’évêque qui occupe la place centrale et non Guillaume. Les mets sont posés à même la table, on en distingue des écuelles, des cruches, des boules de pain… l’évêque s’apprête à manger un poisson, sans doute est-ce un jour d’abstinence. Il n’y a pas de couverts, on se sert directement  dans les plats avec les mains. Cette caractéristique explique la présence d’un serviteur (H) portant une écuelle et une étoffe : il faut bien se laver les mains après chaque plat ! 

Un des convives (J), assis à gauche d’Odon, est représenté le bras levé comme s’il montrait quelque chose, il semble donner une information importante puisqu’après le repas, Guillaume convoque son conseil. 

La tapisserie de Bayeux ne mentionne pas explicitement l’endroit où est effectué ce repas, on peut penser, pour deux raisons, qu’il s’agit du château d’Hastings. D’abord parce que cet endroit est indiqué à deux reprises sur la tapisserie de Bayeux, ensuite parce que Hastings est mentionné par Guillaume de Poitiers : « Les Normands, ayant avec joie abordé au rivage, s'emparèrent d'abord des fortifications de Pévensey, et ensuite de celle d'Hastings, pour en faire un lieu de refuge et de défense »

prochain article : LA MISE EN DÉFENSE DE LA REGON D'HASTINGS.

samedi 9 novembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (26)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LE DÉBARQUEMENT 

La scène ci-dessus  montre le débarquement de la flotte normande à Pevensey, les voiles sont abaissées, les mâts (A) sont retirés ainsi que les cordages, les chevaux sont débarqués (B)  (HIC EXEUNT CABALLI). Les bateaux sont alors tirés au niveau du bord de mer (C), prêts à repartir si nécessaire. 

A peine descendu des vaisseaux, un détachement de cavaliers en armes se hâte de battre la campagne à la recherche de vivres fraîches (D)  (ET HIC MILITES FESTINA/VERUNT HESTINGA UT CIBIUM : et là les soldats se hâtèrent vers Hastings chercher des vivres.).


Pour cela, les soldats s’apprêtent à  attaquer, si besoin est, (E) le premier village qu’ils  rencontreront pour  s’emparer de tout ce qu’ils peuvent voler : les paysans sont obligés, sous la menace, d’amener leurs animaux qui sont abattus à la hache (F), un bœuf déjà tué gît sur le sol (G), un normand faisant partie du détachement, tient sur l’épaule un animal tué (H), un autre portant une hache sur l’épaule conduit un cheval chargé de sacs (J). Au milieu de la scène, se tient un cavalier armé (K) dont le nom est mentionné (HIC EST WADAR), il s’agit très probablement du fourrier qui commande le pillage en indiquant ce dont les troupes normandes d’invasion ont besoin pour se nourrir.

Cette scène de pillage est surprenante eu égard au fait que Guillaume se prétend roi d’Angleterre : il fait pressurer, sans état d’âme, ceux qui seront ses futurs sujets sans même chercher à se les concilier. 

Des maisons paysannes (L) sont représentées. Ce sont de petites habitations aux murs de briques pour l’une et de planches pour les deux autres. Les murs ne sont percés que d’une seule porte sur la façade dessinée. Au-dessus du toit qui semble à quatre pans et formé de planches, de tuiles plates ou de bardeaux, s’élèvent, aux deux coins, deux formes qui peuvent représenter soit les pignons, soit des cheminées, ce qui feraient ressembler ces masures aux maisons que l’on peut encore trouver en Irlande et qui, dans ce cas, comporteraient  deux pièces séparées par un couloir central. Il est probable que ces masures doivent comporter des fenêtres sur un des trois autres  côtés. 

Une fois les pilleurs bien approvisionnés, les vivres sont portées au camp de Guillaume où elles seront  servies au duc et à son entourage direct. C’est ce que montrera la scène suivante.

Prochain article, LE BANQUET DE GUILLAUME ET SA PRÉPARATION