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mardi 8 mars 2022

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (20) : LE SYSTEME BUGEAUD

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847 

DEUX FAITS MARQUANTS DE LA POLITIQUE INTÉRIEURE EN ALGÉRIE.


L'ORGANISATION TERRITORIALE


A l’époque de Bugeaud furent prises deux dispositions à ce propos :

     . En 1842, l’Algérie est scindée en trois provinces militaires, Alger, Oran et Constantine,

     . Le système est modifié par l’ordonnance du 15 avril 1845 divisant les trois provinces en trois bandes parallèles : 

           . Les territoires civils où la population européenne est suffisamment abondante pour que soit créée une administration civile.

           . Les territoires mixtes où la population européenne est trop peu nombreuse pour une organisation complète des services civils,

           . Les territoires arabes 

 

 

LES BUREAUX ARABES 

C’est un des apports importants de Bugeaud qui lui permettait de contrôler étroitement les tribus placées sous occupation militaire. 


À propos de ces zones, Bugeaud écrivait : «  il faut nous servir d’hommes qui sont en possession de l’influence sur les tribus, soit par leur naissance, soit par leur courage, soit par leur aptitude à la guerre ou à l’administration …mais il ne suffit pas de faire le bon choix, il faut encore les surveiller, les diriger, s’occuper de leur éducation de manière à les modifier graduellement ; il faut, en même temps,  les entourer de considération afin de maintenir leur dignité et les faire respecter de leurs administrés ». 


Explicitant la pensée du maréchal, le général Rivet écrivait : « le bureau arabe, dans la pensée de Bugeaud, ne devait pas être une autorité proprement dite mais… un état-major chargé des affaires arabes auprès du commandant supérieur ». 

 

L’ordonnance royale du 1er février 1844 officialise le système. Il institue, dans chaque division militaire, sous l’autorité immédiate du général la commandant, une direction des affaires arabes et un bureau de première classe. Des bureaux de deuxième classe sont aussi installés aux points secondaires de la division.

 

Les officiers en charge de ces bureaux sont chargées de tâches variées :

   . Ils servent d’intermédiaires entre l’armée et les tribus, en particulier au niveau des traductions de documents,

   . Ils surveillent les marchés, 

   . Ils rendent compte de tout ce qui se passe et transmettent leur rapport à la direction centrale des affaires arabes d’Alger qui, à son tour, adresse au ministre de la guerre une synthèse des rapports. 

 

Les chefs coutumiers gardent certes un semblant d’autonomie mais ils sont, en réalité, sous l’autorité du commandement militaire via les bureaux arabes . 

 

Cette dépendance se remarque nettement dans la manière dont ils sont recrutés :

     . Les caïds, chefs de tribus, sont nommés par le commandant de province sur proposition de l’Agha et présentation du commandant de division.

     . Les cadis, en charge de la justice, sont nommés de la même manière sous réserve de la présentation d’un certificat d’aptitude.

     . La nomination des Agha, Bachaga, et khalife, chefs des peuples regroupant les tribus, est effectuée par le ministre sur proposition des commandants de province au gouverneur général.


Tous sont normalement choisis pour un an et peuvent être révoqués. 

 

Ces chefs coutumiers possèdent des fonctions semblables et sont chargés: 

   . de conduire  au combat les cavaliers sur réquisition des autorités militaires,

   . d’assurer la tranquillité des routes et la police dans le territoire et sur les marchés, 

   . de percevoir  l’impôt.


En outre, est instaurée une responsabilité collective des tribus pour les délits commis : si le coupable de ce délit n’est pas arrêté dans un délai de 60 jours, c’est toute la tribu qui est mise à l’amende. 

dimanche 20 février 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (19)

LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847

L’EMMURADE DE SAINT-ARNAUD (août 1845)

L’emmurade commandée par Saint-Arnaud se produisit un peu plus d’un an après l’enfumade de Pélissier, ce qui montre à l’évidence  que, malgré les critiques ayant émané de cette dernière, la  politique commandée par Bugeaud fut de nouveau pratiquée. Cependant, à la différence de l’enfumade de Pélissier, le secret en fut bien gardé jusqu’au moment où, après la mort de Saint-Arnaud, la famille décida de publier les lettres qu’il avait écrites à son frère. 

 

L’emmurade eut lieu dans le cadre d’une opération militaire dans le Dahra contre la tribu des Shebas (la même que celle qui avait subi l’enfumade de Cavaignac), un des soutiens de Bou-Maza, lors de la poursuite de celui-ci  par la colonne de Saint-Arnaud.  

 

Cette poursuite prit d’abord la forme classique d’une razzia ; devant la menace, la tribu avait gagné les grottes qui lui servait de refuge. Faute d’obtenir sa reddition. Saint-Arnaud pensa utiliser  d’abord le même procédé que Pélissier : 

 

«  Le  huit (août 1645), je poussais une reconnaissance sur les grottes ou plutôt cavernes, 200 mètres de développement, 5 entrées. Nous sommes reçus à  coups de fusil... Le soir même, l’investissement par le 53e sous le feu ennemi, un seul homme blessé, mesure bien prise. Le 9 commencement des travaux de siège, blocus, mines, pétards, sommations, instances, prière de sortir et de se rendre. Réponse : injure, blasphème, coup de fusil… Feux allumés. 10,11 mêmes répétitions. Un arabe sort le 11, engage ses compatriotes à sortir ; ils refusent. Le 12, onze arabes sortent, les autres tirent des coups de fusil. 

 

Pressé d’en finir, Saint-Arnaud utilisa une technique beaucoup plus radicale, l’emmurement : 

 

«  Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes ; personne… que moi ne sait qu’il il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les  Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal simplement, sans poésie terrible ni image. 


Frère, personne n’est bon par nature comme moi. Du  8 au 12 , j’ai été malade, mais ma  conscience ne me reproche rien. J’ai fait mon devoir de chef, et demain je recommencerai, mais j’ai pris l’Afrique en dégoût. »

 

La conclusion de cette lettre témoigne l’état d’esprit de Saint-Arnaud face à ce qu’il a commandé : 

     . Il s’en rend malade et éprouve du dégoût face à cette sale guerre ; lui, qui se prétend bon par nature, dût ressentir que, lors de cette action, la distinction entre le bien et le mal disparaissait, 

     . Il n’éprouve cependant aucun remords : les Shebas n’étaient que des brigands qui ne songeaient qu’à massacrer les français ;  grâce à son acte, des soldats français ne seront plus massacrés. 

     . C’était de son devoir de le faire, il avait la caution de ses chefs pour qui la fin justifie les moyens, adage qui a servi de justification à tous les massacres de masse perpétré dans l’histoire. 


Ce comportement correspond exactement à ceux de Pélissier et de Montaugnac : 

     . Face à la résistance de l’ennemi, ils perdent tous les repères moraux dont ils disposaient dans leur vie courante et qui, normalement, bridaient leur violence naturelle. Ils semblent avoir court-circuité toutes leurs valeurs, comme s'ils agissaient en état second, leur  comportement devient quasiment instinctif, ils retrouvent la sauvagerie inhérente à l’homme primitif face à un péril.

     . Lorsque s’effectue en eux le retour à la réalité, ils se rendent compte de ce qu’ils ont fait et des horreurs qu’ils ont ordonnées.

     . Il est probable que cette prise de conscience leur est d’abord moralement insoutenable : « comment ai-je pu commander de telles horreurs ! », ils s’inventent alors la seule justification qui leur est possible : celle du devoir accompli conformément aux ordres reçus. 

     . Après quelques temps, il est probable aussi qu’ils vont s’ériger en héros avec des propos du type : « la guerre menée en Algérie fut très difficile, il fallait des nerfs d’acier pour persévérer, peu d’hommes auraient été capables de combattre comme je l’ai fait ! « 

    

L’ÉTAT DE LA CONQUÊTE EN SEPTEMBRE 1847, DATE DU DÉPART D’ALGÉRIE DE BUGEAUD

 

Lorsque le général Bugeaud était arrivé en Algérie au début de l’année 1841, la situation militaire était préoccupante du fait de la reprise des hostilités avec Abd-El-Kader. 

 

Militairement, ses méthodes, radicales dans leur férocité, portèrent leur fruit comme le montre la chronologie des événements principaux : 

     . En 1843, la prise de sa smala  (ville itinérante de 30.000 personnes) amène Abd-El-Kader a s’enfuir au Maroc et de solliciter l’aide du sultan.

     . En 1844, l’armée constituée par l’Emir et le sultan est vaincue à la bataille d’Issy en territoire marocain, le Maroc doit accepter qu’Abd-El-Kader soit mis hors la loi tant au Maroc qu’en Algérie 

     . Le flambeau de la révolte est repris par Mohammed Ben Ouadah surnommé Bou-Maza.. En 1845, Il réunit d'une armée dans le Dhara, Pendant ce temps, Abd-El-Kader parcourt le pays cherchant des appuis, il remporte une dernière victoire en 1845 à la bataille de Sidi Brahim au cours de laquelle la colonne française menée par Montaugnac est massacrée.

     . Les deux chefs tentent de continuer la lutte mais, ils sont de plus en plus isolés, perdant peu à peu tous leurs partisans du fait du ralliement des tribus qui leur étaient fidèles, obtenu par la pratique des razzias et des massacres perpétrés par les armées françaises.  Harcelés  par les troupes françaises, ils finirent de se rendre en 1847. 

 

Désormais, la France tenait sous sa férule tout l’arrière-pays comme le montre la carte ci-dessous avec installation de forts quadrillant le pays. Seule la Kabylie résistait  encore.













dimanche 13 février 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (19)

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847 

LES ENFUMADES

La razzia, dans toute son horreur, n’est cependant rien si on la compare aux enfumades et aux emmurements  de tribus entières qui furent organisées au Dahra dans la lutte contre Bou-Maza. (1)

 

La première enfumade dont on trouve mention fut celle ordonnée par le général Cavaignac en 1844.  La colonne commandée par Cavaignac vint au Dahra en représailles d’une incursion de la tribu des Shebas qui avait massacré des colons ainsi que des arabes ralliés aux français. Devant la menace représentée par l’armée française, les  Shebas s’étaient réfugiés dans des grottes au pied d’une haute falaise. En avant de l’entrée de la grotte, se trouvaient des rochers derrière lesquels étaient embusqués des tirailleurs shebas.

 

La suite est rapportée par le commandant Canrobert, qui faisait partie de l’expédition (il sera plus tard maréchal de France) 

 

« À ce moment, comme nous nous sommes fort rapprochés, nous commençons à parlementer. On promet la vie sauve aux Arabes s'ils sortent. La conversation fait cesser les coups de fusil », un émissaire envoyé par Cavaignac est tué. « Il fallait prendre d'autres moyens. On pétarda l'entrée de la grotte et on y accumula des fagots, des broussailles. Le soir, le feu fut allumé. Le lendemain, quelques shébas se présentaient à l'entrée de la grotte demandant l'aman (la capitulation) à nos postes avancés. Leurs compagnons, les femmes et les enfants étaient morts.  Les médecins et les soldats offrirent aux survivants le peu d'eau qu'ils avaient et en ramenèrent plusieurs à la vie. »

 

Loin de désavouer Cavaignac, Bugeaud, non seulement cautionna Cavaignac, mais en plus, il en fit une tactique de guerre ; le 11 juin 1845, il écrivit : Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards. » Le conseil ne fut pas perdu, le 18 juin 1845 se produisit l’enfumade du Dhara. 

 

Cette enfumade est rapportée par un compte-rendu rédigé par le commandant de la colonne, le colonel Pélissier, 

 

Installé dans un camp situé sur le territoire de la tribu des Ouled Rhia dans la montagne du Dhara, le colonel Pélissier, fait détruire tous les vergers et les habitations qu’il peut. Les habitants ont fui avec leurs troupeaux dans un refuge considéré comme inexpugnable appelé le Djezair El Dhara, des grottes établies au pied d’une falaise ; au pied de cette falaise se trouvent des blocs rocheux derrière lesquels il leur est facile de se cacher pour se défendre contre toute incursion ennemie. 

 

Pélissier établit alors son camp sur un plateau qui domine les grottes, il fait construire des plateformes de bois au-dessus de la falaise pour dominer les grottes et préparer des fascines (fagots de branchages) prêtes à être enflammées. Il envoie aussi  des émissaires parlementer et exiger de la tribu sa reddition. Une négociation réussit à s’engager, Pélissier fait alors suspendre les travaux d’enfumage et, à dix heures, fit cet ultimatum : 

 

« Lorsque la caverne sera totalement évacuée et que j’en aurai acquis la conviction, vous serez libres de vous retirer dans vos habitations respectives ; je vous le répète depuis bientôt trois heures vous avez votre aman (sauvegarde) . Je vous laisse un quart d’heure pour y réfléchir, après quoi il ne me restera plus qu’à vous contraindre de sortir et j’y suis déterminé par tous les moyens qui sont en mon pouvoir. Je vous répète encore un quart d’heure et ce travail qui se faisait ce matin au-dessus de vos têtes recommencera, alors il sera trop tard et vous seuls l’aurez voulu. ». Ils ne répondirent que par une invitation de retraite de notre part. » 

Les travaux d’aménagement des plateformes reprirent. Vers 15 h, Pélissier décida l’enfumade en faisant jeter les fascines enflammées devant les entrées des grottes qu’il avait fait repérer.  Les premières fascines furent lancées. Il se produisit alors un tirage qui fit que les flammes et la fumée se propagèrent à l'intérieur des grottes : 

 

 « A 3 heures, l’incendie commença sur tous les points, et jusqu’à une heure avant le jour, le feu fut entretenu tant bien que mal, afin de pouvoir bien saisir ceux qui pourraient tenter de se soustraire par la fuite à la soumission. Comme une sortie désespérée pouvait s’effectuer par l’entrée principale, j’avais, au moyen de caisses à biscuit remplies de terre, placé un obusier en batterie à cinquante mètres de cette issue » 

 

Pélissier tente alors une dernière négociation «  J’ordonnai une interruption mais ils ne répondirent que par des cris, fondés sur l’espoir qu’ils avaient de se préserver bien longtemps encore. Malheureusement, il en fut autrement pour eux. Il finit par s’établir, au moyen de la caverne inférieure, un tirage qui les eût tous asphyxiés, si je n’avais, longtemps avant le jour, fait suspendre le jet des fascines. » 

 

Pour raconter la suite, je me référerai au témoignage d’un officier espagnol, correspondant du journal « l’Heraldo » 

 

 « A quatre heures et demie, je m’acheminai vers la grotte, avec deux officiers du génie, un officier d’artillerie et un détachement de 50 à 60 hommes de ces deux corps.

 

 A l’entrée se trouvaient des animaux morts, déjà en putréfaction, et enveloppés de couvertures de laine qui brûlaient encore… et de là nous pénétrâmes dans une grande cavité de trente pas environ. Rien ne pourrait donner une idée de l’horrible spectacle que présentait la caverne. Tous les cadavres étaient nus, dans des positions qui indiquaient les convulsions qu’ils avaient dû éprouver avant d’expirer, et le sang leur sortait par la bouche ; mais ce qui causait le plus d’horreur, c’était de voir des enfants à la mamelle gisant au milieu des débris de moutons, de sacs de fèves, etc. On voyait aussi des vases de terre qui avaient contenu de l’eau, des caisses, des papiers, et un grand nombre d’effets. Malgré tous les efforts des officiers, on ne put empêcher les soldats de s’emparer de tous ces objets, de chercher les bijoux, et d’emporter les burnous tout sanglants. J’ai acheté un collier pris sur un des cadavres, et je le garderai, ainsi que les deux yatagans que le colonel nous a envoyés comme un souvenir de ces effroyables scènes.

Le nombre des cadavres s’élevait de 800 à 1000. Le colonel ne voulut pas croire à notre rapport, et il envoya d’autres soldats pour compter les morts. On en sortit de la grotte 600 environ sans compter tous ceux qui étaient entassés les uns sur les autres, et les enfants à la mamelle, presque tous cachés dans les vêtements de leurs mères. (Pélissier dans son rapport à Bugeaud n’en mentionne que 500 et indique qu’il n’y a eu que 91 survivants) 

 

 Le 23 au soir, nous avons porté notre camp à une demie lieue plus loin, chassés par l’infection, et nous avons abandonné la place aux corbeaux et aux vautours qui volaient depuis plusieurs jours autour de la grotte, et que, de notre nouveau campement, nous voyions emporter des débris humains. »

 

A la fin de son rapport, Pélissier écrit  « Ce sont de ces opérations, monsieur le maréchal, que l’on entreprend quand on y est forcé, mais que l’on prie Dieu de n’avoir à recommencer jamais. C’est une leçon terrible que leur obstination leur a attirée, » : les responsables de cette enfumade sont donc, selon lui, les membres de la tribu ! 

 

L’officier espagnol écrit de son côté :  «  Le colonel témoignait toute l’horreur qu’il éprouvait d’un si horrible résultat ; il redoutait principalement les attaques des journaux, qui ne manqueraient pas, sans doute, de critiquer un acte si déplorable, quoique inévitable, à mon avis. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’on a obtenu ainsi que tout le pays se soumette ; de tous côtés, il nous arrive des fusils et des parlementaires. » Encore une fois, la fin avait justifié les moyens ! 

 

Ce que Pélissier redoutait le plus se produisit du fait de la  présence des correspondants de guerre, elle  fit que les enfumades du Dhara fut connu à Paris. Le 11 juillet, selon le procès-verbal de séance de la chambre des pairs paru le 12 dans « le journal des débats.. », le prince de la Moskowa  interpelle le Maréchal Soult, ministre de la guerre et président du conseil : 

 

« Un journal qui se publie à Alger, l’Akhbar, raconte, dans le dernier numéro qui est paru, un fait inouï, sans exemple et sans précédent dans notre histoire militaire. Un colonel français se serait rendu coupable d’un acte de cruauté inqualifiable, inexplicable à l’encontre de malheureux arabes prisonniers » … « il n’est pas question de razzia ; il s’agit d’un fait bien plus grave : il s’agit d’un meurtre avec préméditation sur des arabes réfugiés sans défense possible. Si le fait n’est pas exact, je demande au gouvernement de le démentir ; si le fait est vrai, ce qu’à Dieu ne plaise, je demande à Monsieur le Président du Conseil, ministre de la guerre, quelle conduite il entend tenir… ? »

 

Le Prince donne ensuite lecture de l’article du journal algérois. Soult lui répond qu’il ne connaît la nouvelle que par les journaux, et qu’il a demandé des éclaircissements au gouverneur général de l’Algérie. 


 Puis il déclare que «  pour le fait lui-même, le gouvernement le désapprouve hautement » Un autre Pair lui répond que « le mot désapprobation lui paraît trop faible pour un attentat pareil…  il faut qu’un sentiment d’horreur, non seulement pour  l’honneur de la France… contre un attentat pareil » Soult indique alors : «  si l’expression de désapprobation.. est insuffisante, j’ajoute que je le déplore » sans évidemment le condamner explicitement. Le débat à ce propos est alors clos et la chambre des pairs reprend le cours du débat normal à propos du chemin de fer de Lyon 

 

Soult s’adresse néanmoins à Bugeaud qui lui fait la réponse suivante, sans doute en tenant compte du rapport de Pélissier : 

 

« Je regrette, monsieur le Maréchal, que vous ayez cru devoir blâmer, sans correctif aucun, la conduite de M. le colonel Pélissier. Je prends sur moi la responsabilité de son acte ; si le gouvernement jugeait qu’il y a justice à faire, c’est sur moi qu’elle doit être faite. J’avais ordonné au colonel Pélissier, avant de nous séparer à Orléansville, d’employer ce moyen à la dernière extrémité ; et, en effet, il ne s’en est servi qu’après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation. C’est à bon droit que je puis appeler déplorables, bien que le principe en soit louables, les interpellations de la séance du 11 juillet. Elles produiront sur l’armée un bien pénible effet, qui ne peut que s’agrandir par les déclamations furibondes de la presse. Avant d’administrer, de civiliser, de coloniser, il faut que les populations aient accepté notre loi. Mille exemples ont prouvé qu’elles ne l’acceptent que par la force, et celle-ci même est impuissante si elle n’atteint pas les personnes et les intérêts. Par une rigoureuse philanthropie, on éterniserait la guerre d’Afrique en même temps que l’esprit de révolte, et alors on n’atteindrait même pas le but philanthropique. »

 

Cette réponse permit à Soult de revenir sur ce qu’il avait dit à la Chambre des Pairs en défendant Pélissier, « un des plus honorables militaires de l’armée d’Afrique … dont je ferai constamment l’éloge, » Il poursuit en disant : « Nous avons trop souvent le tort, nous autres Français, d’exagérer les faits sans tenir compte des circonstances... En Europe, un pareil fait serait affreux, détestable. En Afrique, c’est la guerre elle-même. Comment voulez-vous qu’on la fasse ? ». Il termine en donnant son sentiment sur l’affaire du 11 juillet : « Je crois qu’on ferait beaucoup mieux de s’abstenir de toutes les réflexions qui peuvent produire un très mauvais effet. »

 

Il y eu probablement d’autres enfumades mais le secret en fut désormais bien gardé. 

 

Il convient d’ajouter que Pélissier devint ensuite Maréchal de France et gouverneur général de l’Algérie.


(1) En août 1845, Mohammed ben Ouadah dit Bou-Maza réunit une armée dans le Dahra et prêche la révolte contre les français, en liaison avec l'Emir Abd-El-Khader, il luttera contre les colonisateurs jusque 1847, date de sa reddition

 

jeudi 3 février 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (18)

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847

Dès son arrivée en Algérie, le général Bugeaud fait rédiger deux proclamations destinées aux habitants de la colonie et à l’armée.

LA PROCLAMATION DE BUGEAUD AUX HABITANTS DE L’ALGERIE :

En voici les idées essentielles :

Bugeaud annonce d’abord son revirement total face à la politique menée en Algérie (nom désormais utilisé depuis 1839 pour qualifier la colonie) : Après avoir tenté, en vain, de convaincre les français de l’inanité de l’occupation du pays, il appliquera désormais la politique décidée par le gouvernement, celle de la conquête globale du pays. C’est désormais la seule option existante puisqu’il est impossible de faire confiance aux « arabes » en ce qui concerne le respect des traités.

La conquête sera cependant inutile si on ne met pas en place une colonisation du pays.

Cette colonisation ne devra pas être basée sur le développement des villes et sur la création de grandes fermes isolées. Celles-ci obligent le commandement militaire à créer, à leur proximité, des postes fortifiés pour les protéger et donc à fractionner les effectifs en rendant difficiles les opérations militaires d’envergure.

 Bugeaud prône la mise en place de villages défensifs dont les habitants seront aptes à cultiver le sol et à se défendre jusqu’à l’arrivée, si nécessaire, d’une colonne militaire de secours. Ce système est conçu à l’image des colonies romaines peuplées de vétérans de l’antique Mauritanie.

Pour créer ces villages et les rendre attirants aux futurs colons, il convient de faire appel aux investisseurs privés, tant de la colonie que de la métropole, afin de bonifier les terres pour les rendre cultivables et aussi de construire des maisons.

LA RAZZIA : MÉTHODE DE GUERRE IDÉALE CONTRE LES TRIBUS ARABES.

Bugeaud, dès son arrivée au poste de gouverneur militaire, met en application les méthodes qui lui avaient valu une des rares victoires contre les troupes d’Abd-El-Khader.

La tactique des razzias existe depuis toujours, en particulier en Algérie, mais elle fut systématisée par Bugeaud, comme on le constate dans un extrait d’une lettre envoyée par le capitaine Montaugnac à sa famille :

« le général Bugeaud, la veille de notre départ, réunit tous les officiers de la division et nous dit : la guerre que nous allons faire n'est plus une guerre à coups de fusil. C'est en enlevant aux arabes les ressources que leur sol leur procure, que nous pourrons en finir avec eux. Ainsi, partez donc, aller couper du blé et de l'orge »

Le message est clair : il semble quasiment impossible de pouvoir lutter avec les moyens conventionnels contre les tribus qui, rappelons-le, utilisent deux formes de guerre complémentaires :

     .   Les incursions et les coups de main là où on ne les attend pas suivis de retraite dès qu’apparaît un début de réaction de l’ennemi,

     . Les embuscades au moment où les français s’aventurent dans les étroites vallées montagnardes qu’ils contrôlent.

En conséquence, selon Bugeaud, il faut adapter les méthodes de guerre aux caractéristiques locales et généraliser la razzia qui est, selon lui, la seule forme de guerre qui convienne. Certes les razzias étaient déjà utilisées précédemment mais ce n’était qu’un moyen parmi d’autre de combattre les tribus,

Bugeaud va théoriser cette forme de guerre ; c’est, en particulier, ce que Tocqueville mentionne dans son rapport à la chambre de 1847 :

 « Aujourd’hui, on peut dire que la guerre d’Afrique est une science dont tout le monde connaît les lois et dont chacun peut faire l’application à coup sûr. Un des plus grands services que M le Maréchal Bugeaud ait rendu à son pays, c’est d’avoir étendu, perfectionné et rendu sensible à tous cette science nouvelle. …

Il s’agissait moins de vaincre un gouvernement que de comprimer un peuple…. Il ne s’agissait plus, comme en Europe, de rassembler de grandes armées mais de couvrir le pays de petits corps légers qui puisse atteindre la population à la course. »

Selon Bugeaud, l’intérêt de la razzia est double :

     . En prenant par surprise une tribu, on peut à la fois faire le maximum de victimes et surtout détruire ses approvisionnements afin d’affamer toute sa population, y compris femmes et enfants.

     . La razzia amènera les tribus voisines, effrayés par la violence et la sauvagerie des français, à faire leur soumission en livrant par exemple des otages.

LA TECHNIQUE DE LA RAZZIA 

Elle a été parfaitement décrite dans un livre écrit par Philippe DUCUING (1817-1875) et paru en 1868, appelé la « guerre de montagne », dont un chapitre concerne les guerres en Kabylie et où on voit mis en œuvre la technique Bugeaud :

Le long texte qui suit permet de se faire une idée du déroulement d'une razzia:

LA CONSTITUTION D'UNE COLONNE ET LA MARCHE VERS L'ENNEMI

« Le système des colonnes mobiles, inauguré par le général Bugeaud, avait plus fait pour la conquête dans une seule campagne que toutes nos expéditions depuis dix ans.

« Vous devez aller soumettre ou punir une tribu lointaine, et vous n’emportez avec vous que dix jours de vivres, parcimonieusement calculés. Impossible d’ailleurs de bivouaquer la nuit, car il faut cacher sa marche à l’ennemi. Au risque donc de s’égarer dans les ténèbres et de doubler les fatigues par l’insomnie, il faut marcher, car on ne peut espérer atteindre l’Arabe que par surprise.

Les éléments constitutifs de ces colonnes mobiles avaient été choisis avec un soin extrême.. Les chasseurs d’Afrique (1) marchaient toujours en tête : lorsque la tribu poursuivie était en vue, ils prenaient le galop et la forçaient à s’arrêter pour combattre ; cela donnait aux zouaves (2) qui les suivaient le temps d’arriver pour achever le combat. Si les Arabes fuyaient, les spahis (3), qui se tenaient à portée sur les flancs de la colonne, se mettaient à leur poursuite pendant que le train des équipages recueillait les dépouilles abandonnées par les fugitifs. Lorsque les cavaliers allaient en reconnaissance, les fantassins préparaient le repas ou le bivouac. »

A « l’arrière-garde, marche un escadron, soit pour ramasser les traînards, soit pour éloigner les Arabes, car ceux-ci ont pour habitude constante de se porter sur la queue de nos colonnes, afin d’enlever les éclopés et de s’en faire un trophée, afin aussi de retarder la marche en forçant l’arrière-garde à s’arrêter pour faire face. Si on avance résolument, ils se cachent ; mais, sitôt qu’on hésite ou qu’on recule, ils fondent sur vous comme un orage subitement formé. »

Les éclaireurs indigènes se mettent en campagne ; habillés absolument comme les Arabes, ils vont à la chasse des prisonniers. Ils se mêlent aux nomades ; s’ils en trouvent quelqu’un d’écarté, ils le ramassent et le rapportent pour l’interroger.

Ainsi, apparaît clairement, dans ce texte, l’organisation d’une colonne :

     . En tête, les éclaireurs indigènes sont chargés de faire des prisonniers parmi les arabes afin de connaître l’endroit où campent les tribus.

     . Derrière, la cavalerie des chasseurs d’Afrique a pour mission de barrer la route des guerriers tribaux et de les rabattre vers l’infanterie pour les amener à combattre.

      . Derrière, se trouvent les zouaves à pied, ils sont encadrés par la cavalerie des spahis qui poursuivront ceux qui pourraient s’échapper.

      . Enfin, un escadron à cheval ferme la marche, il est chargé, entre-autre, de réprimer les attaques qui pourraient se produire du fait de petits groupes ennemis isolés.

 LA MÉTHODE DE COMBAT utilisée par la colonne :

  .  L’attaque se produit à l’aube au moment où les musulmans se préparent à la prière afin que la surprise soit totale,

  . Il faut immédiatement agir et s’emparer du camp sans se laisser intimider par les tirs des combattants de la tribu : en effet, ceux-ci font mine d’attaquer la colonne puis font retraite immédiatement, si la colonne commet l’erreur de les suivre, cela laisse le temps aux membres de la tribu de prendre leurs tentes et tous leurs biens et de disparaître.

 C’est ce qu’explique M Ducuin dans le texte ci-dessous :.

« Enfin, après bien des fatigues, bien des privations, bien des dangers de toute nature, nous atteignons au but de l’expédition. Voici le foyer de l’insurrection. Nous sommes sur le terrain où la tribu rebelle a planté ses tentes. Nos soldats pénètrent dans le camp ennemi une demi-heure avant le jour, au moment même où les Arabes vont faire leurs ablutions. Y pénétrer plus tôt, ce serait donner le temps à l’ennemi de s’échapper à la faveur de la confusion et des ténèbres ; plus tard, ce serait se découvrir et par conséquent leur donner le temps de nous éviter. Il faut enlever le camp à la baïonnette et sans répondre au feu de l’ennemi,

 En effet, les réguliers de la tribu surprise, portent nos efforts d’un seul côté ; ils s’exposent bravement à nos coups, résistent quelque temps à notre attaque et nous attirent enfin avec grand bruit à leur poursuite. Le jour venu, on s’aperçoit que le douar ou la smala, la tribu enfin, a disparu d’un autre côté, et il nous est impossible de retrouver ses traces. Quand, à défaut des tentes, le territoire abandonné par les tribus nous reste, on court aux silos, car l’orge manque aux mulets et aux chevaux ; l’orge, la providence de cette guerre ! …

Il arrive bien des fois aussi que ces coups de main lointains ne réussissent pas. Les tribus, averties à temps de notre approche, se sont enfuies au désert, détruisant tout ce qu’elles n’ont pu emporter. Les vivres manquent, les munitions sont épuisées, les ambulances sont remplies. Il faut retourner en arrière. »

LA RETRAITE

Vient ensuite la retraite, elle est source de nombreux dangers car les membres de la tribu ayant échappé au massacre harcèlent le convoi et tuent les fuyards :

« Dans la retraite, c’était l’infanterie qui formait l’arrière-garde ; elle soutenait le choc des Arabes, qui attaquent toujours une colonne en retraite. Au lieu de faire un retour offensif, l’infanterie se massait autour du convoi. Les Arabes alors s’engageaient de plus près ; lorsqu’ils étaient bien engagés, les chasseurs d’Afrique quittaient subitement la tête de la colonne, et tombaient au galop sur le flanc des ennemis. …Les corps égarés tombent presque inévitablement dans les embuscades des Arabes toujours en éveil et partout cachés comme des bêtes fauves, guettant la proie attendue. »

LA RAZZIA VUE PAR LE LIEUTENANT-COLONEL MONTAUGNAC

Dans ses lettres, le capitaine de Montaugnac, devenu depuis peu lieutenant-colonel, raconte des scènes semblables. La description d’une razzia est contenue, entre autres, dans une lettre de décembre 1841. Cette razzia réussit au vu du nombre de prises effectuées :

« Le 21 nous recevons l’ordre de filer à minuit sans tambour ni trompette. À la pointe du jour, nous tombons sur une tribu qui se croit parfaitement à l’abri dans ses excavations et ses ravins escarpés. Le régiment de spahis est lancé, nos deux bataillons d'élite qui font tête de la colonne, se précipitent dans toutes ces anfractuosités presque infranchissables ; deux heures après nous ramenons 614 bœufs, 684 moutons 400 ânes, 60 chevaux et 120 prisonniers hommes, femmes et enfants. Vous voyez que la Providence nous protège ! Nous avons tué une cinquantaine d'individus.  

Ce genre d’expédition a quelque chose de très bizarre et offre, en même temps, des scènes bien pénibles. Aussitôt l'emplacement de la tribu connu, chacun se lance, se disperse dans une direction quelconque ; on arrive sur les tentes dont les habitants réveillés par l'approche des soldats, sortent pêle-mêle avec leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants ; tout ce monde se sauve dans tous les sens ; les coups de fusil partent de tous les côtés sur les misérables. Surpris, sans défense, hommes, femmes, enfants, poursuivis, sont bientôt enveloppés et réunis par quelques soldats qui les conduisent.

Les bœufs, les moutons, les chèvres, les chevaux, tous les bestiaux enfin qui fuient, sont vite ramassés. Celui-ci attrape un mouton, le tue, le dépèce, c’est l’affaire d’une minute…   Les autres se jettent sous les tentes où ils se chargent de butin et chacun sort de là, affublé, couvert de tapis, de paquets de laine, d'armes et d'une foule d'autres choses que l'on trouve souvent en très grande quantité dans ces douars souvent très riches. Le feu est ensuite mis partout à ce que l'on ne peut emporter, bêtes et gens sont conduits au convoi.

On quitte alors la position, fier de son succès ; alors commence la fusillade : les cavaliers qui d'abord avaient pris la fuite, reviennent lorsqu'ils voient la colonne leur tourner le dos ; ils harcèlent les arrière-gardes, on leur riposte, on les éloigne et on rentre avec des prises, glorieux trophées d’une brillante journée. »

Deux termes, dans ce récit, nous éclairent sur les sentiments profonds de Montagnac : « la Providence nous protège » et « brillante journée » : ils expriment selon moi, l'exaltation de la victoire. 

Dans d’autres lettres dont je citerai ci-dessous quelques extraits que je trouve significatifs et que j’ai classé chronologiquement, le colonel témoigne de son évolution mentale au fur et à mesure que le temps passe.

D’abord, on trouve, dans les deux premiers extraits mentionnés ci-dessous, la conscience que ce qu’il commet est abominable mais nécessaire, il exprime même parfois de la compassion envers ceux que la razzia condamne à la mort par la famine :

« Nous sommes dans les bois épais, pêle-mêle avec les arabes qui fuient, les chevaux qui renversent leurs charges, les chameaux qui se sauvent. Les femmes, les enfants accrochées dans les épaisses broussailles qu’ils sont obligés de traverser, se rendent à nous. On tue, on égorge, les cris épouvantés des mourants se mêlent au bruit des bestiaux qui mugissent, bêlent de tous les côtés. C'était un enfer ! chaque soldat arrive avec quelques pauvres femmes ou enfants qu’il chasse comme des bêtes devant lui ou tient par le cou un homme qui veut encore résister.. »   (mars 1842)

« Il est impossible de se figurer à quelle extrémité nous avons réduit ces malheureuses populations, nous leur avons enlevé pendant quatre mois, toutes leurs ressources en blé ou en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs habits, tout leur objet de ménage, en un mot, toute leur fortune … il fallait couper les ailes à l'oiseau farouche pour le garder » (Avril 1842)

Les extraits suivants expriment une nette évolution mentale, sans doute due à la résistance des tribus qui oblige à recommencer sans cesse les razzia : pour les réduire, il faut tout saccager, faire place nette, tuer tous les arabes pris en combattant et déporter les autres, homme, femmes et enfants.  Ces deux extraits témoignent encore de quelques sentiments humains, il ne s’agit que de faire des exemples qui serviront à terrifier les autres tribus afin qu’elles se soumettent.

« Qui veut la fin veut les moyens. Selon moi toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d'âge ni de sexe ; l'herbe ne doit plus pousser là où l'armée française a mis le pied. Si vos tendres cœurs saignent d'anéantir tous ceux qui résistent, entassez hommes, femmes et enfants sur des bâtiments de l'État, expédiez-les-moi tout cela aux îles Marquises ou ailleurs..(janvier 1843)

Chaque fois qu'un chef de tribu a trahi ou n'a pas agi avec vigueur, tous les hommes de la tribu doivent être tué et le reste exporté (pour déporté). Les tribus doivent nourrir l'armée lorsqu'elle voyage et, si des vivres n'arrivent pas à point donné, razzia pour la première fois, mort et exportation en cas de récidive (janvier 1843) »

Les deux derniers extraits des lettres du colonel Montagnac ajoutent encore à l’impression d’horreur, avec, d'abord, la scène de la décapitation d’un chef de tribu que le colonel voulut faire effectuer par un spahi arabe « afin de les compromettre complètement vis-à-vis des autres arabes du pays »,

Le colonel montre alors qu’il en est arrivé à un degré total de déshumanisation à la fois en voulant exterminer tous les hommes et déporter tous les autres et en comparant les arabes à des chiens :

« Je lui fis couper la tête et le poignet gauche et j’arrivai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïonnette et son poignet accroché à la baguette d’un fusil.

On ne se fait pas d'idée de l'effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens : il se figure qu'un arabe, qu'un musulman décapité par les chrétiens ne peut aller au ciel ; aussi, une tête de coupée produit une terreur plus forte que la mort de 50 individus.

Voilà mon brave ami comment il faut faire la guerre aux arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes, les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot,  anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens » (mars 1843)

« Nous battons la campagne, nous tuerons, nous brûlons, nous coupons, nous taillons, pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Mai1843)

Cette dernière phrase se passe de tout commentaire ! 

NOTE 1

   .1 : Cavalerie autochtone puis mixte incorporée en 1831 dans deux régiments de chasseurs à cheval provenant des escadrons débarqués en 1830.

   . 2 : les zouaves ont été créés par l’incorporation des soldats kabyles employés par le Dey, ils seront ensuite composés d’autochtones et français avant d’être composé uniquement de français en 1841

  . 3 : cavalerie autochtone à l’origine employée par le Dey et incorporés dans l'armée d’Afrique.

Rappelons que l’ensemble de ces forces fut autorisé par la loi du 9 mars 1831 permettant aux généraux commandant les pays occupés à former des corps militaires composés d’indigènes et d’étrangers. C'est la première mention des tirailleurs, zouaves, chasseurs indigènes, spahis…