LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (6)
LES DESSOUS DE L’INTENSE
PROPAGANDE POUR LA COLONISATION
On peut s’étonner de l’évolution rapide des mentalités survenue dans la
métropole à propos d’Alger : au moment de la conquête, comme je l’ai
mentionné précédemment, beaucoup se posaient la question de l’utilité de
conserver des territoires qui coûteraient cher et n’apporteraient rien. Certes,
cette opposition existait toujours, en particulier à la Chambre des Députés quand
il s’agit de voter le budget, par contre, elle tendit à peu à peu à
disparaitre dans l’opinion publique. Cette mutation est en grande partie due à deux facteurs :
. La méconnaissance des
français concernant la situation réelle des territoires conquis, de l’insécurité
et de la violence qui y règnent, du fait du silence qui entoure les évènements réels,
. L’intense propagande effectuée par ce
qu’on appellerait actuellement des groupes de pression
mercantiles composés des compagnies financières, des chambres de
commerce et des spéculateurs. Cette propagande est menée, entre autre, par
Clauzel, devenu maréchal, qui a retrouvé son siège de député à la Chambre des
députés après son départ d’Alger.
Selon moi, cette propagande en faveur de
la colonisation n’est nullement désintéressée, elle est effectuée en vue
d’objectifs bien plus prosaïques, comme je me propose de le montrer.
Voici d’abord, un premier extrait du
discours prononcé par le maréchal Clauzel le 19 juin 1833 devant la chambre des
députés, en réaction contre la politique prudente du gouvernement et à la
circulaire de mai 1831 :
« Il vaut mieux
coloniser un coin de terres en Afrique que de combattre et vaincre pour rien
sur une grande étendue du pays, il vaut mieux coloniser, c’est-à-dire produire
et construire que combattre, vaincre et détruire. Pourquoi donc, cela étant reconnu,
ne colonise-t-on pas ? Pourquoi ne s’empresse-t-on pas d’attirer à Alger
une partie de cette nombreuse émigration européenne qui va chercher en Amérique
fortune et liberté ? (Cité dans le Journal
des débats)
Pour que le projet
aboutisse, il fallait amener le plus
possible de métropolitains à se porter volontaires pour l’expatriation vers
l’ex-régence en leur montrant que, devenir colons, était, pour eux, à la fois une
chance et un gage de réussite sociale.
Afin d’atteindre ce but, on
décida d’abord de magnifier la terre algéroise en décrivant son sol
fertile, son climat favorable et en la faisant apparaître comme un pays de
cocagne et une nouvelle terre promise.
Cette impression est donnée, en particulier, dans les journaux : en voici
quelques extraits significatifs :
« En parcourant à trois ou
quatre lieues à la ronde en avant des postes, on rencontre les plus excellentes
terres, mais ni habitations, ni habitants. Le moment paraît venu de commencer
la colonisation du pays. Tout annonce que cette entreprise sera couronnée de
succès ».
(Journal des débats 19 avril 1832)
« Car bientôt va commencer
la colonisation de ce beau pays, bientôt ces terres fertiles auront des
cultivateurs ; sans tributs, sans piraterie, la régence rendait vingt
millions de francs sous la molle exploitation africaine ; des hommes
entreprenants, des bras nerveux et la nouvelle colonie produira un milliard. »
(Le
Figaro 30 avril 1832)
Le même journal dans un article du 19
janvier 1832 verse dans un style dithyrambo-poétique pour décrire Alger : « Alger nous appartient avec ses
plaines douces, ses maisons à trois étages, ses figues, ses soixante mosquées,
sa grande muraille, ses juifs, ses maures, ses chrétiens et ses femmes. Ses
rues nous appartiennent aussi. Ses rues désertes et si étroites qu'un
homme couché en travers les remplirait de son étendue. Mais il n'y passe point
un homme. La solitude règne dans notre conquête, elle attend le superflu de notre
population..
Ne
trouvez-vous pas admirable cette logique de nos gouvernants ? Ici, nous
regorgeons d'hommes, nous avons un rude hiver, des bras oisifs et des
bouches qui ont faim. Là-bas, sur le bord de la Méditerranée, est une
ville sans hommes, une
ville fraîche, blanche où pendent des fruits, où la terre est toute ensemencée. Que l'on colonise Alger ? Point ! »
Un autre article de 1831
montre même que cette colonisation est possible puisque la paix règne et que
l’insécurité est en passe d’être jugulée :
« Le général
Berthezène a dirigé le 5 mars, d’Alger,
une expédition de 4000 h sur Blida et Médéa, elle s’est terminée sans qu’on ait
tiré un coup de fusil .. C’est un grand pas de fait pour la colonisation
d’Alger, si le gouvernement continue à s’occuper de cette contrée, si
intéressante pour toute la France et surtout pour le Midi où l’exubérance de notre population peut
trouver des établissements agricoles aussi sains que productifs » (Journal des débats du 25 mars 1831
reprenant un article du Sémaphore de Marseille)
De
nombreux articles mentionnent aussi que l’arrivée des colons à Alger est
maintenant régulière et continue comme s’il s’agissait de convaincre les plus
hésitants de tenter leur chance.
C’est
ainsi que l’on trouve, dans le Journal des débats du 27aout 1832, une lettre en provenance
d’Alger donnant les informations suivantes :
« Notre colonie va
bien, la population s’accroît tous les jours. Les 140 passagers du brick La
Louise sont arrivés ici le 13 juillet.. Le gouverneur leur a fait distribuer à
chacun quatre arpents de terre qu’il devront cultiver,.. Si le gouvernement
persiste dans un si bon moyen de colonisation, je vous promets que dans peu
d’années, Alger paiera avec usure les dépenses qu’il nécessite
maintenant »
La propagande pour la colonisation
d’Alger va même jusqu’au débauchage de colons ayant prévu de partir aux
États-Unis :
« Les familles
allemandes qui vont s’embarquer pour notre colonie d’Afrique étaient arrivées
au Havre avec l’intention de passer aux États-Unis. Les avantages qu’on leur
fait entrevoir dans la nouvelle destination qu’ils pouvaient prendre, leur ont
fait changer d’idée et nous nous en applaudissons pour eux et pour notre
colonie. » (Lettre en provenance
d’Alger le 31 mai paru dans le journal des débats le 22 juin 1831)
Cet
ensemble de contrevérités proféré par les partisans de la colonisation visant
à promouvoir le départ des colons vers Alger est, selon moi, dramatique : elle
incite les métropolitains à partir et à tenter une aventure qui, selon les
propos du général Berthezène, aura toutes les chances de se muer en échec
On peut s’étonner de constater à quel
point est entretenu par la presse le mythe mensonger qu’Alger et les terres
conquises sont une nouvelle terre promise : en fait, selon moi, les promoteurs
de la colonisation ont des intentions beaucoup plus matérialistes que
philanthropiques.
Ainsi, la lettre en provenance d’Alger
le 31 mai parue dans le Journal des débats le 22 juin 1831, se poursuit par une
phrase révélatrice de cette propagande pour la colonisation :
« Une compagnie de
Paris cherche sur place à affréter d’autres navires sur lesquels mille
cultivateurs pourront trouver passage. » :
On devine, à la lecture de cette simple phrase,
l’enchaînement qui s’est produit : des compagnies ont acquis, par la
spéculation, de grands domaines sur les terres conquises dans l’ex-régence mais
ils ne disposent pas de main d’œuvre pour les cultiver. Elles ne tirent donc
aucun profit de leurs investissements et perdent de l’argent. Pour rendre rentables ces terres acquises et
distribuer, de ce fait, des dividendes à leurs actionnaires, ces compagnies
doivent impérativement attirer des candidats à l’émigration par une propagande
continuelle et, pour cela, tenter d’élargir le champ de la circulaire de mai
1831 en demandant au gouvernement de délivrer plus de passeports aux demandeurs
des deux dernières catégories sociales.
Cette idée est explicitement reprise dans la deuxième partie du discours
prononcé par le maréchal Clauzel lors du débat précité du 19 juin 1833 :
« Le lendemain de la
distribution de mon dernier écrit, le chef d’une compagnie possédant trois
millions s’est présenté chez moi pour m’informer que l’intention de la
compagnie était d’acquérir des terres et de conduire bon nombre de cultivateurs
à Alger pour les travailler et les mettre en rapport, une autre compagnie de
Paris possédant deux millions est dans la même intention … mais toutes
veulent avant la même chose : explication, déclaration positive du
gouvernement sur le sol d’Alger, liberté entière dans les transactions et la
protection la plus ample du gouvernement » (discours prononcé le 19 juin 1833 par
Clauzel)
Le
Maréchal Clauzel ne se contente pas seulement de vanter les bienfaits de la
colonisation, il participe au mouvement en tant que possesseur de grands
domaines qu’il a acquis dans les terres conquises : voici ce qu’écrit le
« journal des débats » le 22 avril 1832
« On assure que Monsieur le Maréchal
Clauzel part incessamment pour aller visiter les propriétés qu’il a acquises sur le territoire d’Alger,
Plusieurs centaines de colons, venus pour la plupart des bords du Rhin, partent
à sa suite, M le comte Clauzel doit les établir sur ses propriétés et présider
quelque temps à leur établissement et à leurs premiers travaux de culture. Ce
voyage ne peut manquer d’avoir des résultats heureux pour les progrès de la
colonisation. Il accroîtra la confiance des industriels agricoles qui
s’empresseront sans doute d’imiter l’exemple donné si à propos par M le
Maréchal Clauzel. Nous ne doutons pas qu’un sol aussi fertile, propre à presque
toutes les cultures, et favorisé par le climat le plus heureux ne réponde
largement aux espérances des spéculateurs. »
Il est à noter, enfin, que cette
propagande se révèle à double tranchant : pour fonctionner, il est
nécessaire que soit équilibrées les offres de main d’œuvre et les disponibilités des capitaux mis sur le
marché, ce n’est pas toujours le cas, il arrive, en effet, que l’offre de main
d’œuvre soit supérieure à la demande comme le montre l’article suivant du « Journal
des débats » en date du 4 novembre 1833
« On
lit dans l’Aviso de la Méditerranée : Il
s’achète beaucoup de terres dans la plaine d’Alger, il arrive aussi beaucoup de
colons, il y a les meilleures dispositions pour construire mais les capitaux
sont peu abondants encore, aussi, ceux qui en ont à placer feront de brillantes
affaires, il y a des placements qui donnent jusqu’à 50% »
Si cette situation se produit, les colons,
arrivés à Alger plein d’espoirs, se retrouvent vite dans une situation pire que
celle qu’il avait quittée en métropole !
Ainsi, se
révèle une profonde différence à propos de la colonisation, entre les objectifs
du gouvernement et les ambitions des compagnies financières :
. Le gouvernement souhaite la présence à
Alger de petites exploitations gérées par des colons capables de s’autofinancer,
. Les compagnies financières prônent la
création de grandes exploitations capitalistes exploitées selon le système des
sociétés par actions et cultivées par des ouvriers agricoles ou des fermiers,
ils se plaignent d’une trop grande limitation de la délivrance des passeports.
Les événements militaires et l’insécurité
rendront caduques la plupart des projets apparus à cette époque.
L’ENVOI
PAR LE GOUVERNEMENT D’UNE COMMISSION PARLEMENTAIRE EN ALGÉRIE.
Il fallait en finir avec la continuelle situation conflictuelle existant entre le gouvernement et l’armée, prendre les
décisions nécessaires pour imposer l’autorité de l’Etat en Algérie et, ainsi,
mettre fin à la période d’incertitude qui caractérisait les premières années de
la monarchie de Juillet.
Le 7 juillet 1833, le roi nomma, sur proposition du maréchal Soult alors
président du conseil, une commission parlementaire de 8 membres (deux pairs,
quatre députés et deux officiers supérieurs du génie et de la marine) « chargée
de se rendre en Afrique pour recueillir
sur les lieux tous les faits proposés à éclairer le gouvernement, soit sur
l’état actuel du pays, soit sur les mesures que réclament son avenir ».
La commission resta quatre mois en Algérie. Bien entendu, elle ne put
visiter que les régions contrôlées par la France (Le Sahel d’Alger et la
Mitidja, les territoires de Bône, de Bougie, d’Oran jusqu’à Arzew mais pas
Mostaganem). A l’issue de leur voyage en novembre 1933, les huit membres rédigèrent un rapport de plus de 400 pages.
Si on considère leur avis sur l’avenir de la zone conquise dans l’ex-régence,
un seul délégué était franchement pour le maintien, un autre était pour
l’abandon, les six autres se ralliaient sans enthousiasme au maintien mais
auraient été pour l’évacuation, sans la crainte de l’opinion publique qui
était, à ce moment, plutôt pour le maintien et pour la colonisation.
Elle fut ensuite englobée par une commission finale de 19 membres qui
rendit au roi, en 1834, un rapport final de 539 pages. Sur les 19 membres, 10
se déclarèrent favorables au maintien de la France dans les territoires
conquis, 9 se prononcèrent contre.
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