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lundi 13 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (8)

   LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (6)

LES DESSOUS DE L’INTENSE PROPAGANDE POUR LA COLONISATION

On peut s’étonner de l’évolution rapide des mentalités survenue dans la métropole à propos d’Alger : au moment de la conquête, comme je l’ai mentionné précédemment, beaucoup se posaient la question de l’utilité de conserver des territoires qui coûteraient cher et n’apporteraient rien. Certes, cette opposition existait toujours, en particulier à la Chambre des Députés quand il s’agit de voter le budget, par contre, elle tendit à peu à peu à disparaitre dans l’opinion publique. Cette mutation est en grande partie due à deux facteurs :

        . La méconnaissance des français concernant la situation réelle des territoires conquis, de l’insécurité et de la violence qui y règnent,  du fait du silence qui entoure les évènements réels, 

       . L’intense propagande effectuée par ce qu’on appellerait actuellement des groupes de pression mercantiles  composés des compagnies financières, des chambres de commerce et des spéculateurs. Cette propagande est menée, entre autre, par Clauzel, devenu maréchal, qui a retrouvé son siège de député à la Chambre des députés après son départ d’Alger.

 Selon moi, cette propagande en faveur de la colonisation n’est nullement désintéressée, elle est effectuée en vue d’objectifs bien plus prosaïques,  comme je me propose de le montrer.

 Voici d’abord, un premier extrait du discours prononcé par le maréchal Clauzel le 19 juin 1833 devant la chambre des députés, en réaction contre la politique prudente du gouvernement et à la circulaire de mai 1831 :

 «  Il vaut mieux coloniser un coin de terres en Afrique que de combattre et vaincre pour rien sur une grande étendue du pays, il vaut mieux coloniser, c’est-à-dire produire et construire que combattre, vaincre et détruire. Pourquoi donc, cela étant reconnu, ne colonise-t-on pas ? Pourquoi ne s’empresse-t-on pas d’attirer à Alger une partie de cette nombreuse émigration européenne qui va chercher en Amérique fortune et liberté ?  (Cité dans le Journal des débats)

 Pour que le projet aboutisse, il fallait amener  le plus possible de métropolitains à se porter volontaires pour l’expatriation vers l’ex-régence en leur montrant que, devenir colons, était, pour eux, à la fois une chance et un gage de réussite sociale. 

Afin d’atteindre ce but, on décida d’abord de magnifier la terre algéroise  en décrivant son sol fertile, son climat favorable et en la faisant apparaître comme un pays de cocagne et une nouvelle terre promise.  Cette impression est donnée, en particulier, dans les journaux : en voici quelques extraits significatifs :

 « En parcourant à trois ou quatre lieues à la ronde en avant des postes, on rencontre les plus excellentes terres, mais ni habitations, ni habitants. Le moment paraît venu de commencer la colonisation du pays. Tout annonce que cette entreprise sera couronnée de succès ». (Journal des débats 19 avril 1832)

 « Car bientôt va commencer la colonisation de ce beau pays, bientôt ces terres fertiles auront des cultivateurs ; sans tributs, sans piraterie, la régence rendait vingt millions de francs sous la molle exploitation africaine ; des hommes entreprenants, des bras nerveux et la nouvelle colonie produira un milliard. » (Le Figaro 30 avril 1832)

 Le même journal dans un article du 19 janvier 1832 verse dans un style dithyrambo-poétique pour décrire Alger : « Alger nous appartient avec ses plaines douces, ses maisons à  trois étages, ses figues, ses soixante mosquées, sa grande muraille, ses juifs, ses maures, ses chrétiens et ses femmes. Ses rues nous appartiennent aussi. Ses rues désertes et si étroites qu'un homme couché en travers les remplirait de son étendue. Mais il n'y passe point un homme. La solitude règne dans notre conquête, elle attend le superflu de notre population..

 Ne trouvez-vous pas admirable cette logique de nos gouvernants ? Ici, nous regorgeons d'hommes, nous avons un rude hiver, des bras oisifs et des bouches qui ont faim. Là-bas, sur le bord de la Méditerranée, est une ville sans hommes, une ville fraîche, blanche où pendent des fruits, où la terre est toute ensemencée. Que l'on colonise Alger ? Point ! »

 Un autre article de 1831 montre même que cette colonisation est possible puisque la paix règne et que l’insécurité est en passe d’être jugulée :

« Le général Berthezène a dirigé  le 5 mars, d’Alger, une expédition de 4000 h sur Blida et Médéa, elle s’est terminée sans qu’on ait tiré un coup de fusil .. C’est un grand pas de fait pour la colonisation d’Alger, si le gouvernement continue à s’occuper de cette contrée, si intéressante pour toute la France et surtout pour le Midi où l’exubérance de notre population peut trouver des établissements agricoles aussi sains que productifs » (Journal des débats du 25 mars 1831 reprenant un article du Sémaphore de Marseille)

 De nombreux articles mentionnent aussi que l’arrivée des colons à Alger est maintenant régulière  et continue comme s’il s’agissait de convaincre les plus hésitants de tenter leur chance.

 C’est ainsi que l’on trouve, dans le Journal des débats du 27aout 1832, une lettre en provenance d’Alger donnant les informations suivantes :

 « Notre colonie va bien, la population s’accroît tous les jours. Les 140 passagers du brick La Louise sont arrivés ici le 13 juillet.. Le gouverneur leur a fait distribuer à chacun quatre arpents de terre qu’il devront cultiver,.. Si le gouvernement persiste dans un si bon moyen de colonisation, je vous promets que dans peu d’années, Alger paiera avec usure les dépenses qu’il nécessite maintenant »

 La propagande pour la colonisation d’Alger va même jusqu’au débauchage de colons ayant prévu de partir aux États-Unis :

 « Les familles allemandes qui vont s’embarquer pour notre colonie d’Afrique étaient arrivées au Havre avec l’intention de passer aux États-Unis. Les avantages qu’on leur fait entrevoir dans la nouvelle destination qu’ils pouvaient prendre, leur ont fait changer d’idée et nous nous en applaudissons pour eux et pour notre colonie. » (Lettre en provenance d’Alger le 31 mai paru dans le journal des débats le 22 juin 1831)

 Cet ensemble de contrevérités proféré par les partisans de la colonisation visant à promouvoir le départ des colons vers Alger est, selon moi, dramatique : elle incite les métropolitains à partir et à tenter une aventure qui, selon les propos du général Berthezène, aura toutes les chances de se muer en échec

 On peut s’étonner de constater à quel point est entretenu par la presse le mythe mensonger qu’Alger et les terres conquises sont une nouvelle terre promise : en fait, selon moi, les promoteurs de la colonisation ont des intentions beaucoup plus matérialistes que philanthropiques. 

 Ainsi, la lettre en provenance d’Alger le 31 mai parue dans le Journal des débats le 22 juin 1831, se poursuit par une phrase révélatrice de cette propagande pour la colonisation :

 « Une compagnie de Paris cherche sur place à affréter d’autres navires sur lesquels mille cultivateurs pourront trouver passage. » :

 On devine,  à la lecture de cette simple phrase, l’enchaînement qui s’est produit : des compagnies ont acquis, par la spéculation, de grands domaines sur les terres conquises dans l’ex-régence mais ils ne disposent pas de main d’œuvre pour les cultiver. Elles ne tirent donc aucun profit de leurs investissements et perdent de l’argent. Pour  rendre rentables ces terres acquises et distribuer, de ce fait, des dividendes à leurs actionnaires, ces compagnies doivent impérativement attirer des candidats à l’émigration par une propagande continuelle et, pour cela, tenter d’élargir le champ de la circulaire de mai 1831 en demandant au gouvernement de délivrer plus de passeports aux demandeurs des deux dernières catégories sociales.

 Cette idée est explicitement  reprise dans la deuxième partie du discours prononcé par le maréchal Clauzel lors du débat précité du 19 juin 1833 :

 « Le lendemain de la distribution de mon dernier écrit, le chef d’une compagnie possédant trois millions s’est présenté chez moi pour m’informer que l’intention de la compagnie était d’acquérir des terres et de conduire bon nombre de cultivateurs à Alger pour les travailler et les mettre en rapport, une autre compagnie de Paris possédant deux millions est dans la même intention … mais toutes veulent avant la même chose : explication, déclaration positive du gouvernement sur le sol d’Alger, liberté entière dans les transactions et la protection la plus ample du gouvernement » (discours prononcé le 19 juin 1833 par Clauzel)

 Le Maréchal Clauzel ne se contente pas seulement de vanter les bienfaits de la colonisation, il participe au mouvement en tant que possesseur de grands domaines qu’il a acquis dans les terres conquises : voici ce qu’écrit le « journal des débats » le 22 avril 1832

« On assure que Monsieur le Maréchal Clauzel part incessamment pour aller visiter les propriétés  qu’il a acquises sur le territoire d’Alger, Plusieurs centaines de colons, venus pour la plupart des bords du Rhin, partent à sa suite, M le comte Clauzel doit les établir sur ses propriétés et présider quelque temps à leur établissement et à leurs premiers travaux de culture. Ce voyage ne peut manquer d’avoir des résultats heureux pour les progrès de la colonisation. Il accroîtra la confiance des industriels agricoles qui s’empresseront sans doute d’imiter l’exemple donné si à propos par M le Maréchal Clauzel. Nous ne doutons pas qu’un sol aussi fertile, propre à presque toutes les cultures, et favorisé par le climat le plus heureux ne réponde largement aux espérances des spéculateurs. »

Il est à noter, enfin, que cette propagande se révèle à double tranchant : pour fonctionner, il est nécessaire que soit équilibrées les offres de main d’œuvre  et les disponibilités des capitaux mis sur le marché, ce n’est pas toujours le cas, il arrive, en effet, que l’offre de main d’œuvre soit supérieure à la demande comme le montre l’article suivant du « Journal des débats » en date du 4 novembre 1833

« On lit dans l’Aviso de la Méditerranée : Il s’achète beaucoup de terres dans la plaine d’Alger, il arrive aussi beaucoup de colons, il y a les meilleures dispositions pour construire mais les capitaux sont peu abondants encore, aussi, ceux qui en ont à placer feront de brillantes affaires, il y a des placements qui donnent jusqu’à 50% »

 Si cette situation se produit, les colons, arrivés à Alger plein d’espoirs, se retrouvent vite dans une situation pire que celle qu’il avait quittée en métropole !

 Ainsi, se révèle une profonde différence à propos de la colonisation, entre les objectifs du gouvernement et les ambitions des compagnies financières :

     . Le gouvernement souhaite la présence à Alger de petites exploitations gérées par des colons capables de s’autofinancer,

     . Les compagnies financières prônent la création de grandes exploitations capitalistes exploitées selon le système des sociétés par actions et cultivées par des ouvriers agricoles ou des fermiers, ils se plaignent d’une trop grande limitation de la délivrance des passeports.

 Les événements militaires et l’insécurité rendront caduques la plupart des projets apparus à cette époque.

L’ENVOI PAR LE GOUVERNEMENT D’UNE COMMISSION PARLEMENTAIRE EN ALGÉRIE.

Il fallait en finir avec la continuelle situation conflictuelle existant entre  le gouvernement et l’armée, prendre les décisions nécessaires pour imposer l’autorité de l’Etat en Algérie et, ainsi, mettre fin à la période d’incertitude qui caractérisait les premières années de la monarchie de Juillet.

 

Le 7 juillet 1833, le roi nomma, sur proposition du maréchal Soult alors président du conseil, une commission parlementaire de 8 membres (deux pairs, quatre députés et deux officiers supérieurs du génie et de la marine) « chargée de se rendre en  Afrique pour recueillir sur les lieux tous les faits proposés à éclairer le gouvernement, soit sur l’état actuel du pays, soit sur les mesures que réclament son avenir ».

 

La commission resta quatre mois en Algérie. Bien entendu, elle ne put visiter que les régions contrôlées par la France (Le Sahel d’Alger et la Mitidja, les territoires de Bône, de Bougie, d’Oran jusqu’à Arzew mais pas Mostaganem). A l’issue de leur voyage en novembre 1933, les huit membres  rédigèrent un rapport de plus de 400 pages. Si on considère leur avis sur l’avenir de la zone conquise dans l’ex-régence, un seul délégué était franchement pour le maintien, un autre était pour l’abandon, les six autres se ralliaient sans enthousiasme au maintien mais auraient été pour l’évacuation, sans la crainte de l’opinion publique qui était, à ce moment, plutôt pour le maintien et pour la colonisation.

 

Elle fut ensuite englobée par une commission finale de 19 membres qui rendit au roi, en 1834, un rapport final de 539 pages. Sur les 19 membres, 10 se déclarèrent favorables au maintien de la France dans les territoires conquis, 9 se prononcèrent contre.


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