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lundi 20 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (10)

  L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (2)

LES DÉBATS À PROPOS DU BUDGET SUR L’ALGÉRIE A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS (29 AVRIL- 3 MAI 1834) SUITE AU RAPPORT DE LA COMISSION. 

Comme tous les ans à cette période, les députés examinaient le projet de budget ; pour 1835, le ministre de la guerre proposa de consacrer  à l’ex régence  la somme de 30 millions pour maintenir en Algérie une armée de 30.000 hommes.

Le débat qui eut lieub est particulièrement intéressant pour quatre raisons :

 . Il se base sur la situation réelle des terres conquises grâce au rapport de la commission parlementaire.

     . Il montre que, grâce aux membres de la commission qui ont pu constater de-visu les crimes et spoliations survenus, ces méfaits que l’on soupçonnait sans preuves, sont désormais avérés, connus et dénoncés par un certain nombre de députés.

     . Il révèle à nouveau, sans doute pour la dernière fois,  l’ampleur  des désaccords entre adversaires et partisans du maintien de la France dans les anciens territoires de la Régence.

     . Il consacre, néanmoins, une nouvelle fois,  la décision du maintien de la France dans les territoires conquis.

Je décrirai ci-dessous, d’abord la position des partisans de l’évacuation des territoires occupés puis  celle des partisans du maintien avant de montrer l’évolution de l’assemblée à ce propos.

LES ADVERSAIRES DE LA COLONISATION

 Le premier orateur est M de Sade, un des participants à l’assemblée de 19 membres, il décrit les méfaits occasionnés dans la région algéroise par l’occupation militaire et est partisan de son évacuation. Il emploie dès le début de son discours’ une formule choc et prémonitoire  : Si vous maintenez l’occupation restreinte, « vous serez obligés d’attaquer pour ne pas être attaqués, vous serez obligé de conquérir si vous ne voulez pas être conquis »

 

Voici ce qu’il dit, au vu de l’expérience acquise lors de sa participation à la commission :

     . Il n’y a aucune fusion possible entre les peuples autochtones, qualifiés par l’orateur d’Arabes, et les français : pour mettre en valeur le pays, il faudra importer des colons de « race » européenne et il faudra se résigner à expulser les naturels, ce qui est synonyme d’extermination.

     . On ne peut pas dire à l’Arabe « plie ta tente et va paître tes troupeaux ailleurs .. chaque tribu possède des territoires d’où elle tire sa subsistance : l’en chasser, c’est le priver de ses moyens d’existenc» il s’en suit une résistance acharnée suivie de représailles ; la conséquence en est que, dans la région d’Oran, les tribus, pour se défendre, se sont groupées autour d’un émir, Abd-El-Khader

     . « À Alger, nous avons abattu 900 maisons sans formalités ni payer d’indemnités, on s’est emparé de 60 mosquées pour le service de l’armée, on en a complètement détruite. Partout où nous avons eu des travaux à entreprendre, on a fouillé les sépultures et dispersé les ossements sans respect pour les Maures ».

     . La conséquence de ces ravages et de la réquisition forcée, fait que la population algéroise a considérablement diminuée, il n’en reste que 20.000 avec adjonction de 4000 européens (surtout venus illégalement). De même, le commerce, après quatre ans d’occupation, est moins important qu’avant. 

     . « Alger était entouré de jardins et d’habitations de plaisance, ressemblant à ceux ceignant Marseille, cela a disparu, les jardins ont été dévastés, les conduites hydrauliques pour l’irrigation sont détruites, les maisons ont été abattues et les charpentes prises pour faire du bois de chauffage et, quand cette ressource a manqué, on a coupé les plantations et les arbres fruitiers, voilà jusqu’à présent, les seuls défrichements que l’on a opéré »

     . On a créé une administration qui a fait venir 400 colons et on a créé deux villages : un de 300 personnes et 30 hectares, un de 100h et 20 hectares. Les pauvres hères qui y habitent sont encore nourris au frais de l’Etat.

     . Il n’y a d’ailleurs que peu de colons véritables, ce sont presque tous des spéculateurs profitant des malheurs des Maures pour leur acheter à vil prix des biens qui leur appartiennent selon le régime de la propriété ancestrale  des terres (on n’en tient évidemment pas compte et on ne cherche même pas à le comprendre)

     « Les musulmans ont fui ces terres qui sont pour eux des terres de désolation, ils vendent leurs terres pour un morceau de pain aux spéculateurs qui accourent dans le pays de tous les ports de la Méditerranée pour y fondre comme une proie qui leur est dévolue ».

 

En ce qui concerne la Mitidja récemment occupée, M de Sade donne les précisions suivantes :

     . Une partie de la plaine est marécageuse, la terre ailleurs est médiocre. La région doit être assainie, sinon elle est inhabitable. Pour cet assainissement, on demande la dépense de deux millions de francs et 3000 travailleurs. On ne trouvera pas d’autochtones pour le faire, il faut espérer qu’on ne songe pas à utiliser l’armée ! en 1832, on a établi des camps mal placés, 1450 soldats sont morts et il fallut en réformer 1500. On ne doit pas non plus songer à employer des prisonniers, ils ne sont ni condamnés à la déportation ni à mourir des miasmes pestilentiels de ces marais.

     . Il faudrait entourer aussi les zones colonisées de fortins car on ne peut labourer qu’à portée du canon. Cela coûtera cher, quand on pense que pour le seul poste de Blida, on demande 2 à 3000 hommes !

     . Dans les plaines de la Mitidja, on a déjà vendu plus de terrains qu’il est possible d’en tirer : sur les 360.000 arpents vendus, il n’y a pas deux tiers qui aient de la valeur, plusieurs acquéreurs apprendront bientôt qu’ils ne possèdent rien du tout.

    . Il est douteux que des denrées tropicales puissent pousser dans le pays.

 

En ce qui concerne la demande des 30 millions pour 30.000 hommes, M de Sade indique que cette somme ne suffira pas : à celle-ci, il faudra ajouter 2,5 millions pour la marine, 1,5 millions de dépenses administratives, 3 millions de travaux, tout cela donne une dépense réelle de 37 millions. Il indique aussi que la commission d’Afrique a produit un plan qui réduirait la dépense à 27 millions pour un effectif de 21.000 soldats.

 

Cette intervention résume parfaitement bien les conclusions de la commission d’Afrique

 

Le deuxième orateur qui se proclame pour le retrait d’Alger, fut André Dupin, le président de la chambre des députés de 1832 à 1839. Il ajoute de nombreuses observations sur l’état lamentable de la conquête française après quatre années de présence de l’armée, en voici quelques extraits :

     . Les Maures avaient de vives préventions contre les chrétiens qui les ont chassés d’Espagne, il fallait les ménager mais ce fut le contraire, les faits sont venus fortifier ces appréhensions ce qui renforça chez les Maures la puissance de leurs souvenirs.

     . L’absence de respect des mosquées, des tombeaux et des propriétés privées  n’est pas seulement le fait des spéculateurs, c’est aussi celui des fonctionnaires civils et militaires qui ont spéculé (Le général Clauzel  reconnaît les faits, et indique qu’il a bien encouragé les achats de terres).

     . Le domaine public de l’ancienne régence ne repose pas sur des actes explicites mais sur la foi testimoniale ; dans leur désir d’avoir des vendeurs de terres, pour se créer un simulacre de titre, on cherchait un habitant qui voulut effrontément s’en dire propriétaire et consentir à la vente.

     . On fait croire aussi aux propriétaires de terres qu’ils étaient bien heureux d’en tirer un prix médiocre parce que tôt ou tard, elles leur seraient enlevées.

 

Ces deux dernières caractéristiques expliquent à la fois le ressentiment des autochtones vis-à-vis des européens mais aussi le saccage du Sahel d’Alger qui, de fertile, est devenue un friche, le désir des spéculateurs étant non de cultiver, mais d’acquérir les plus grands domaines possibles afin de les revendre en faisant du bénéfice.

 

C’est d’ailleurs ce que M Dupin indique explicitement :

     . Le territoire d’Alger appartient désormais à de gros capitalistes.

     . Les spéculateurs marchent à la suite de l’armée pour voir ce qu’ils pourraient s’emparer, ils sont à l’affût d’affaires, achètent des terres à bon marché, servent de prête-nom à des plus puissants, trompent le gouvernement lui vendant de mauvaises denrées et rachetant à bon marché ce qu’ils ont vendu cher.

      . A l’appui de ses allégations, M Dupin cite un exemple évident  de spéculation scandaleuse : on a trouvé, dit-il, dans les magasins beylicaux d’Alger 15500 sacs de blé pesant 80 kg et se vendant au prix moyen de 6 à 7 francs, les spéculateurs les ont achetés  2,70 francs. Après avoir vidé les stocks du gouvernement, il a fallu que l’armée achète du blé pour nourrir les soldats, il lui fut vendu au prix de 17 francs le sac.

 

M Dupin termine son discours en montrant que ces agissements entachent gravement « l’honneur du nom de France »

     . « En arrivant, on a dit : nous vous apportons la civilisation ! La civilisation, c’est la loyauté, le sentiment de la justice, le respect de soi-même et d’autrui. La population maure a de la religion, de l’équité, de la bonne foi, ils savent tenir la parole donnée et ne méritaient pas de recevoir de nous des leçons de barbarie »

    . Nous n’avons apporté que « crimes, assassinat et spoliation »

 

LES PARTISANS DU MAINTIEN

 

Ce constat assez terrifiant n’empêcha pas les partisans du maintien de la France dans l’ex-régence, de montrer que celui-ci est indispensable : ils arguent de trois arguments : 

     . Il y va de l’honneur national, la France serait déconsidérée par l’Europe si elle quittait  ses conquêtes en Afrique du Nord.

     . Si la France quittait l’Algérie, elle perdrait la maîtrise de la Méditerranée occidentale qu’elle a acquise par cette conquête, l’Angleterre en profiterait pour s’en emparer.

     . C’est le devoir de la France de se maintenir à Alger pour y apporter le progrès et la civilisation

 

Ce troisième argument a été en particulier développé  dans le discours d’un orateur que l’on attendrait pas dans l’hémicycle de la chambre des députés, Alphonse de Lamartine, écrivain et homme politique, élu député de Bergues dans le Nord en 1833 : le 3 mai 1834, il prononce un discours que l’on qualifierait aujourd’hui de raciste, proclamant la supériorité de la civilisation européenne sur celle des pays de l’Islam.

 

     . Il proclame d’abord que c’est le devoir de la civilisation européenne d’avoir une politique de colonisation « De grandes colonisations entrent indistinctement dans le système politique que l’époque assigne à la France et à l’Europe ».

     . Renoncer à la conquête serait catastrophique car ce serait l’abandon de la civilisation et le retour à la barbarie islamique : « Remettre les rivages et les villes de l’Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie, la mettre à la garde de ses pirates, nos colons à la protection et à l’humanité de leurs bourreaux. »

     . Abandonner l’idée de la mise en œuvre de la colonisation serait « une pensée antinationale, antisociale et anti humaine que nous devons repousser comme nous repousserions la pensée d’une honte ou d’un crime. »,

     . Ce serait aussi faillir à la grande mission qui est dévolue à la France par la Providence de transmettre notre civilisation aux peuples barbares pour les faire progresser vers le progrès. En ce sens, la conquête de l’ex-régence est une guerre juste ;  « Abdiquerons-nous volontairement ce que la conquête d’Alger nous a donné sur le mahométisme … et que nous perdrions le jour même où le drapeau français s’abaisserait sur le rivage d’Afrique… ce serait renier notre mission et notre gloire, ce serait renier la providence qui nous a fait ses instruments de la conquête la plus juste peut-être qu’une nation ait jamais accomplie »

 

Ce discours préfigure certains discours du 19e siècle sur la supériorité de la race blanche !

 

LA CONCLUSION DES DEBATS


La lecture du « Journal des débats » à propos du vote du budget sur l’Algérie  permet aussi d’apprendre trois informations complémentaires montrant bien l’évolution des mentalités depuis 1830 :

     . L’opinion publique, après avoir subi une intense propagande de la part des groupes de pression (dont Clauzel) favorables au maintien et à la colonisation, s’est convertie à cette idée et pousse le gouvernement à cesser de tergiverser.

     . Le maréchal Soult, président du conseil, indique aux députés que le gouvernement s’est rallié à cette idée : le gouvernement  « n’a jamais entendu abandonner Alger … l’intention du gouvernement était de conserver Alger et de ne jamais l’abandonner »

     . Les députés doivent se résoudre à voter les crédits demandés mais ils demandent au ministre de ne pas financer immédiatement la colonisation et d’affecter les sommes prévues à cet effet, pour assainir la Mitidja afin que les colons puissent s’installer dans des conditions décentes.

 

La lecture des journaux des époques ultérieures me fait penser que ce débat entre les partisans de l’évacuation de l’ex-régence et de sa conservation sera un des derniers de ce type : désormais le maintien de la France dans la colonie ne fera plus l’objet de critiques aussi virulentes que celles que je viens de citer.

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