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samedi 11 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (7)

  LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (5)

LE PROBLÈME DE LA COLONISATION 

LES CONFISCATIONS DU GÉNÉRAL CLAUZEL

Le gouvernement se trouva confronté dès 1830 à cet épineux problème du fait que le général Clauzel, 

commandant de l’armée à Alger du 12 août 1830 au 31 janvier 1831, prit en septembre 1830, soit un mois seulement après la capitulation du Dey, une décision stipulant que toutes les terres du Beylik ainsi que les terres Habous arrivées à leur dernier dévolutaire seraient confisquées et incluses dans le Domaine de l’Etat en vue de la colonisation. 

 

C’était un abus de pouvoir manifeste de Clauzel, pour deux raisons : d’abord parce que la gestion du 

domaine de l’Etat était du seul ressort du roi qui fut mis devant le fait accompli, ensuite et surtout du fait que les expropriations furent réalisées sans tenir compte des conceptions traditionnelles des « arabes » à propos du régime des terres. De telles agissements firent croire aux autochtones que toutes leurs terres pourraient être  confisquées, ce qui alimenta une nouvelle raison durable de haine envers les conquérants.


J’aborderai plus loin le régime de spoliation des terres qui s’est instaurée dans l’ex-régence. 

 

L’ENGOUEMENT POUR LA COLONISATION PAR LES  « INDESIRABLES » EN 1831

La décision de Clauzel rencontra un écho favorable en métropole et en particulier à Paris. A cette époque, Paris subissait une grave crise économique et une augmentation du chômage  qui induisaient des grèves et des manifestations. Pour rétablir l’ordre, Il fallait même parfois avoir recours à la Garde Nationale. En conséquence,  l’envoi de colons à Alger devait permettre de se débarrasser de tous ceux qui étaient désœuvrés dans la capitale et qui vivaient soit de la charité publique, soit de violence, de rapines et de vols.

 

Ainsi, le « journal des débats » fit paraître, le 8 janvier 1831, un long article sur la colonisation : 

 

« Il y a à Paris une population qui vit au jour les jours, une population souffrante et malheureuse, qui n’a de feu et de lieu que celui qu’elle reçoit des bureaux de charité… cette population est nombreuse à Paris, elle se divise naturellement en deux classes, les uns, bons et tranquilles, qui ne demandent que du pain et se résignent à leur sort, les autres, turbulents et inquiets, c’est dans cette dernière classe que se trouvent tous les agents de troubles, tous les employés de la sédition. … 

 

On peut penser qu’il y a dans cette ville plus de 20.000 personnes que la révolution de juillet.. a mis en mouvement et qui bouillonnent sans trouver où se poser. C’est pour ces hommes que la colonisation serait nécessaire, elle les arracherait à la misère et aux inquiétudes de leur vie actuelle, pour leur donner ailleurs une vie paisible et régulière. … Avec de pareilles misères, la colonisation n’est pas seulement avantageuse, elle est nécessaire et de droit.

 

Abandonner en ce moment une colonie placée à notre porte, ce serait jeter le remède au plus fort de la maladie »

 

La mise en place du projet Clauzel eut aussi un écho favorable chez les autorités parisiennes et en 

particulier auprès du baron Baude, préfet de police de Paris. Il proposa, en janvier 1831, au ministre de l’intérieur de permettre à la population parisienne nécessiteuse de partir pour s’installer en Algérie. 


Un plan fut alors élaboré pour permettre à 20.000 volontaires d’émigrer, ils devraient s’engager pour cinq ans avant de recevoir une concession de terres. Ce plan, approuvé par Louis Philippe, fut mis en pratique dès le mois de mai : au milieu de l’été, 4000 personnes avaient été envoyées à Alger aux frais de la ville de Paris et de la préfecture de la Seine. 


Cette initiative suscita l’émergence de projets plus ambitieux : afin d’améliorer la sécurité et la stabilité publique de la métropole, on proposa d’envoyer en Algérie tous les vagabonds et gens sans aveu, certains envisageant même d’y transférer les détenus terminant leur peine de prison et d’y expédier  des bagnards.

 

LES RÉACTIONS DES AUTORITÉS MILITAIRES EN POSTE À ALGER

Les autorités militaires en poste à Alger manifestent leur désaccord avec cette politique : ainsi le nouveau commandant en chef de l’armée, le général Berthezène, en poste du 21 février au 6 décembre 1831 écrivit au ministre de la guerre que : 


« Ce serait une grande erreur et bien funeste de penser qu’il suffit de jeter sur les côtes d’Alger des familles indigentes prises au sein des villes ou dans les campagnes pour leur procurer du pain… Il faut que les illusions cessent »


Cette remarque était alors parfaitement justifiée : le Sahel d’Alger, autrefois fertile et prospère, était abandonné du fait de l’émigration massive des tribus qui y vivaient et qui refusaient de se plier au joug des français ; les terres étant en friche, elles étaient incultivables dans l’immédiat, à cela s’ajoute l’insécurité due aux fréquentes incursions des tribus de l’intérieur  et la spéculation éhontée des terres effectuée par les français  que j’évoquerai plus loin dans mon propos : la colonisation agricole n’est donc pas possible à ce moment selon les autorités militaires.


Dans cette perspective, les migrants venus pour échapper à la misère à Paris, n’auraient d’autre choix que de rester en ville en devenant des errants et des assistés surtout, qu’en plus, les autorités militaires devaient gérer un afflux important d’immigrés clandestins venus de tout le pourtour méditerranéen chassés de chez eux par la misère. Pour y remédier, le commandant en chef n’avait d’autre solution que de les renvoyer chez eux ou de les entretenir, tout cela aux frais du budget alloué à l’armée. 


Il convient de noter que le général Berthezène fut, comme Desmichels, un des rares commandants de l’armée à préférer la négociation et  l’entente avec les autochtones plutôt que l’emploi de la force.

 

LA CIRCULAIRE DU 18 MAI 1831

Le gouvernement tint compte de l’avis du général Berthezène, comme le montre la circulaire du 18 mai 1831, signée  par Casimir-Perier, président du conseil et ministre de l’intérieur et adressée aux préfets, elle clarifiait rationnellement la politique de l’immigration en Algérie  comme le montre ces quelques extraits  significatifs : 

 

« Jusqu’à ce jour, le territoire d’Alger a été considéré comme l’une des échelles de Barbarie et les passeports pour cette destination ont été délivrés par le département des Affaires Étrangères, conformément aux anciens règlements.


La situation particulière où se trouve cette contrée par suite de son occupation par les troupes françaises et les demandes multipliées des voyageurs qui désirent s’y rendre dans l’espoir de s’y procurer des ressources, ont fait reconnaître que le moment était venu d’apporter des modifications aux dispositions en  vigueur et de confier aux préfets le soin de délivrer les passeports pour Alger, sauf les restrictions qu’exigeraient impérieusement l’état du pays, l’intérêt de l’armée et celui, non moins important,  des voyageurs qui peuvent se laisser égarer par des rapports mensongers ou inexacts. 

 

Le préambule est parfaitement explicite sur la situation en 1831 : 

    . Il indique que les demandes de départ pour Alger se sont multipliées . 

    . Il stipule que toutes les autorisations devront passer du ministère des Affaires Étrangères au ministère de l’intérieur qui ne subit théoriquement pas l’influence de l’armée. En outre, il décentralise la décision au niveau des préfets ce qui dilue la prise de décision rendant plus difficile l’action des groupes de pression. 

    . Il montre que la finalité de la conquête évolue parmi les hautes sphères gouvernementales : Les territoires conquis sont placés dans une situation intermédiaire, ce n’est plus une simple zone d’occupation militaire, ce n’est pas encore une colonie de jure de la France.  Cette circulaire est dans la même veine que celle qui sépara les fonctions civiles et militaires par la création d’un intendant civil chargé de l’administration des territoires pacifiés. 

 

Après ce préambule, le gouvernement annonce ses décisions qui vont dans le sens de la lettre du général   Berthezene : les candidats à l’immigration sont divisés en quatre classes : 


    . « Dans la première, se trouvent les négociants établis qui se rendent dans ces parages pour des occupations commerciales et reviennent après les avoir terminées. Rien ne s’oppose à ce que vous leur délivriez des passeports, » : il ne s’agit pas dans ce cas de candidats à la colonisation.


    . En ce qui concerne ceux qui désirent former des « établissements agricoles sur le territoire d’Alger » l’obtention de passeports doit être assortie de trois  conditions : 

          . Les personnes « doivent avoir les fonds nécessaires pour acquérir des terrains, se procurer les instruments aratoires et les bestiaux convenables »,

          . Elles ne peuvent occuper que des zones qu’ils pourront acheter ou louer ou en obtenant de l’état  des concessions (à titre gratuit ou avec redevance) quand l’Etat aura fini de recenser les terres disponibles.   

          . Ce n’est qu’aux environs d’Alger, seul point occupé par les troupes, et où il est possible de se livrer sans danger aux travaux agricoles, que les colons pourront s’installer.


    . Les deux autres classes, les gens sans fortune et les ouvriers ne pourront obtenir de passeports. (1) sauf si l’administration ou les entreprises privées les recrutaient pour travailler. 


Ainsi, selon cette circulaire,  se définit clairement la manière dont le gouvernement envisage la colonisation : elle devra s'effectuer essentiellement  sous le forme de petites propriétés foncières occupées par des colons indépendants qui achèteront leur exploitation et le matériel nécessaire pour mettre les terres acquises  en valeur. 


Cette circulaire dût être critiquée en particulier à la chambre des députés par ceux qui accusent le gouvernement de ne pas assez encourager la colonisation, ce qui nécessita une mise au point du Maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre lors de la séance de la Chambre du 22 juin 1831 : 


« Le gouvernement, déterminé à favoriser le développement progressif de la colonie d’Alger s’est occupé par tous les moyens qui pourraient concourir à ce but. Mais la sûreté des colons demande des précautions et des mesures qui exigent de la prudence et du temps. C’est dans cette vue que l’on accordera le passage gratuit, avec la ration de bord, aux familles et aux individus des classes ouvrières et agricoles, susceptibles de vivre du produit de leur travail, et de porter en Afrique quelques moyens d’existence..


Ils devront se rendre à Toulon à leurs frais et ne recevrons à Alger aucune espèce d’allocation du gouvernement … les autorisations ne seront délivrées qu’en vertu de décisions spéciales du ministre de la guerre. Elles ne dispensent pas d’un passeport régulier, nécessaire seulement pour se rendre à Toulon. L’obligation  de ne pas trop étendre, quant à présent, le nombre des colons est imposée par la nécessité de leur procurer un abri…Un établissement comme celui d’une colonie, pour être durable et prospérer, ne doit pas se faire avec trop de précipitation, il faut cultiver, semer, recueillir avant de consommer » (paru dans le Moniteur puis dans le journal des débats)


On remarque dans cette intervention du président du conseil, deux aménagements de la loi de mai 1831 :

-       La délivrance des passeports est revenue au ministère de la guerre, sans doute afin de mieux coordonner les départs,

-       Le transport des colons de Toulon à aux territoires conquis en Afrique  sera financé par l’Etat.


NOTE 1 la suite de la circulaire concernant les deux dernières catégories de français 

« Dans  la troisième catégorie, se rangent les individus qui n’ont aucune ressource en France et qui, ayant entendu parler de la colonisation d’Alger, demandent à y être envoyés, la plupart même aux frais du gouvernement. Ne négligez rien pour leur faire comprendre que, dans leur propre intérêt, vous ne pouvez donner suite à leur demande, que le territoire d’Alger n’offre, en ce moment, aucune exploitation où ils puissent être admis à travailler et qu’ils seraient forcés bientôt de revenir, après avoir épuisé le peu d’argent qu’ils auraient emporté.


​Il en est de même des ouvriers de tous genres qui forment la quatrième classe et qu’une espérance de travailler porte à réclamer des passeports pour Alger. L’état dans lequel se trouve encore cette place, les faibles ressources qu’elle offre aux étrangers pour s’y procurer des moyens d’existence, ne permettent pas de grossir le nombre des malheureux qui s’y sont rendus à la suite de l’armée et qui, presque tous, sont en proie aux besoins les plus pressants. »

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