REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

samedi 5 juillet 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (6) poèmes de tolérance et d'antiracisme. 

La vie en métropole

Mouloud se maria et il eut des enfants,
Il leur disait souvent : " pour s'intégrer ici,
Vous devez étudier, n'ayez aucun souci,
Pour payer le lycée,  nous vivrons chichement."

Mouloud à la mosquée se rendait tous les soirs, 
Le tâcheron obscur, dans cet endroit de paix,
Semblait y retrouver un peu de dignité, 
C'est en priant Allah que lui venait l'espoir.

Dans une haute tour d'une chaude banlieue, 
On avait concentré des milliers d'immigrés.
D'être ainsi assemblés, ils se sentaient heureux.

L'entraide et l'amitié, la piété et la foi
Donnaient sens à leur vie ; ils avaient recréé
Un peu de leur patrie, un semblant de chez soi. 

vendredi 4 juillet 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (5) poèmes  de tolérance et d'antiracisme

L'immigration en métropole

Quand Mouloud eut vingt ans, il lut à la mairie
Que l'on avait besoin en France d'ouvriers.
" Mon fils, va t'embaucher, à nous quitter soit prêt,
Tu seras plus heureux que de rester ici. " 

Mouloud fut accueilli par le vent et la pluie,
On le fit travailler à creuser  des tranchées,
Préparer le ciment, bitumer, balayer...
Les plus dures corvées étaient toujours pour lui.

Il vivait chichement, envoyant chaque mois
À ses pauvres parents, un peu de son argent
Il devait se priver, c'est très dur parfois.

Les ouvriers français, la main sur le balai
Le regardaient œuvrer : " il n'est pas fainéant
Comme tous ces "bronzés" vivant à nos crochets !"

La scène décrite est antérieure à 1954, date du début de la guerre d'Algérie,

En premier lieu, il n'y avait pas d'immigration à proprement parler puisque les algériens étaient officiellement français ( avec la qualification de français musulmans d'Algerie).  Entre 1946 et 1954, le nombre de ces français musulmans installés en France est multiplié par 10, leur venue semble encore susciter débat :

   - pour les uns , cette émigration s'explique par des causes inhérentes à l'Algérie elle-même : l'augmentation très forte de la population eu égard aux ressources de la colonie à mettre à disposition des autochtones  ; pour des raisons de paix sociale, l'administration coloniale encouragea l'immigration des hommes en France tandis que la famille restait en Algérie. Pour les tenants de cette théorie, la métropole n'avait pas besoin de cette main d'œuvre sans qualification (selon la sociologue Andrée Michel, 50 % de ceux qui travaillent dans les grandes entreprises sidérurgiques du pays ne savent ni lire ni écrire ; près de 40 % ne parlent pas le français) , on était à l'époque de la reconstruction du pays et on recherchaient surtout des gens qualifiés,

   - Pour les autres, on peut facilement retourner l'argument : la reconstruction du pays occupait largement la main d'oeuvre qualifiée   disponible de la métropole. C'était à ce point que l'on manquait de manœuvres pour les travaux ne nécessitant pas de qualification, ce qui conduisit à l'appel de main d'œuvre venue des colonies. En outre,  les chefs d'entreprise savaient que ces ouvriers , peu exigeants sur le plan salarial et peu impliqués dans les mouvements sociaux, pouvaient être licenciés facilement, ce qui donnait une certaine souplesse au marché du travail du moment.

Il me semble que ces deux positions ne sont pas inconciliables ; je me bornerai à ajouter que  la faiblesse des ressources de l'Algérie à mettre à disposition des Français Musulmans d'Algérie  était surtout due au système colonial qui faisait en sorte que toutes les richesses des colonies profitent à la métropole et non l'inverse.

Pour finir, je citerai une partie d'un article paru sur le site de la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME DE TOULON : " Dans l’une des toutes premières thèses de sociologie consacrée aux travailleurs algériens en France, Andrée Michel décrit les « camps d’Algériens » installés sur les chantiers éloignés des cités ouvrières européennes ou isolés en pleine campagne, parfois entourés de fils de fer barbelés. De véritables petits villages de 500 à 1 000 Algériens sont ainsi concentrés sur des espaces de relégation, surveillés jour et nuit. Les autres émigrants algériens vivent dans des garnis et des hôtels meublés surpeuplés, souvent insalubres. Beaucoup sont parqués dans les premiers « bidonvilles » qui se forment entre 1950 et 1955. Lors du fameux hiver 1954, qui a fait la célébrité de l’abbé Pierre, on constate que sur 1 677 sans abris, 67 % sont algériens. Andrée Michel ajoute que sur dix accidents du travail dans la sidérurgie de l’Est, la moitié des victimes sont des émigrants d’Afrique du Nord, alors qu’ils ne forment que 20 % de la main-d’oeuvre. "

jeudi 3 juillet 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (4) poèmes de tolérance et d'antiracisme.

LES PLANTATIONS

Le père de Mouloud, quand il revint chez lui, 
Reprit le dur chemin des travaux saisonniers.
Il subissait le joug du labeur journalier
Les travaux harassants, la touffeur de la nuit. 

Il n'y avait chez lui ni aigreur ni dépit,
Il ne parlait jamais des regards méprisants
Que lui lançait parfois le colon en passant ; 
C'était pourtant pour eux qu'au combat il partit ! 

Mouloud disait souvent : " toi qui fut un héros,
Comment supportes-tu ce servage latent 
Qui inflige à ton corps la souffrance de ses maux ?"

"Mon fils n'oublie jamais que nous appartenons 
À une grande Nation, nous sommes ses enfants
Un lopin de ces terres, un jour nous recevrons."


mercredi 2 juillet 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (3) poèmes  de tolérance et d'antiracisme. 

Affiches témoignant de la mise en valeur des terres. 

En ces temps, le Maghreb, sous la loi des colons 
Alliait  modernité et inégalité. 
Les sols marécageux, drainés et défrichés 
Se couvraient peu à peu de riches plantations.  

Ces terroirs ne servaient qu'aux troupeaux en été. 
L'Etat les déclara cessibles et vacants.
On oublia le droit des premiers occupants,
La plaine se couvrit de vignes et d'oliviers

Pendant les grands travaux, les colons embauchaient 
Les habitants du bled qui venaient se louer
Sous un soleil ardent, tout le jour, ils œuvraient. 

Le Maghreb prospérait, gavé par la sueur
De tous ces journaliers durement exploités
Par une oligarchie égoïste et sans cœur. 

La réalité, 

mardi 1 juillet 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (2) poèmes  de tolérance et d'antiracisme

TANT DE SACRIFICES POUR EN ARRIVER À ÇA ! 

LES ESPOIRS DÉÇUS DE LA LIBÉRATION

Le père de Mouloud entendit raconter
Qu'une armée à Koufra avait prêté serment
De chasser du pays l'occupant allemand
Dans la 2ème DB, il partit s'engager.

Il ne rentra chez lui qu'à la paix retrouvée,
Il vit autour de lui mourir les musulmans,
Le sol de la patrie rougeoyait de leur sang : 
Ils sacrifiaient leur vie sans jamais hésiter. 

Le Général d'Alger à tous avait juré
Qu'à l'égal des colons, ils participeraient
Au choix pour leur pays d'un avenir de paix

Sitôt qu'il fut parti, tout revint comme avant,
Le vote en double corps ne servit qu'à masquer
Que toujours subsistait l'autorité des blancs.

NOTE : deux textes témoignant de l'espérance d'un monde meilleur après la libération

Discours du Général de Gaulle à l'ouverture de la conférence de Brazzaville (30 janvier 1944)

En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

il appartient à la nation française et il n'appartient qu'à elle, de procéder, le moment venu, aux réformes impériales de structure qu'elle décidera dans sa souveraineté. ... Vous étudierez ici, pour les soumettre au gouvernement, quelles conditions morales, sociales, politiques, économiques et autres vous paraissent pouvoir être progressivement appliquées dans chacun de nos territoires, afin que, par leur développement même et le progrès de leur population, ils s'intègrent dans la communauté française avec leur personnalité, leurs intérêts, leurs aspirations, leur avenir.

Recommandations de la conférence de Brazzaville, 6 février 1944 :
     . Les fins de l'œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d'autonomie, toute possibilité d'évolution hors du bloc français de l'Empire ; la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies est à écarter.
     .  On veut aussi que les colonies jouissent d'une grande liberté administrative et économique. On veut également que les peuples coloniaux éprouvent par eux-mêmes cette liberté et que leur responsabilité soit peu à peu formée et élevée afin qu'ils se trouvent associés à la gestion de la chose publique dans leur pays ".

lundi 30 juin 2014

A LA GLOIRE DE TOUS LES MOULOUD (1) poèmes  de tolérance et d'antiracisme

Il y a quelques semaines, je reçus par courriel une série de ces blagues xénophobes qui se colportent un peu partout sur Internet. Ce genre de plaisanteries semble banaliser le racisme ambiant dont je ressens souvent et de plus en plus les effets pervers.

Une des ces histoires parlait d'un Mouloud qui vivait aux crochets des autochtones de ce pays et était devenu plus riche qu'eux

J'ai été profondément ulcéré par ces histoires de mauvais goût inventées par des esprits haineux et intolérants et ai voulu, à ma manière, répondre à ces propos racistes de parasitisme concernant les immigrés ; c'est pourquoi, j'ai écrit cette série de sonnets qui raconte l'histoire de tous les Mouloud qui nous ont plus donné qu'ils n'ont reçu.

Mouloud est de tous les pays colonisés, il est un archétype plus qu'un personnage réel.

DANS LES TRANCHÉES. 

Le grand père de Mouloud combattit ardemment
Dans les sombres tranchées où sévissait la mort.
Il était courageux, heureux et plein d'allant. 
Il aimait la patrie, lui remettant son sort.

Il revint au douar éclopé et détruit : 
Les gaz l'avait brûlé, il n'était que douleur. 
Oublié du pays qu'il avait bien servi,
Il n'eut à sa mort ni discours ni honneur.

Effroyable destin que ces gens d'Algérie
Qui se voulaient français et que l'on envoya
Sur les fronts exposés au péril de leur vie

Coloniaux au grand cœur, vous avez espéré
Qu'un avenir meilleur naîtrait de vos combats
Il n'en fut rien hélas, rien ne sera changé

NOTE émanant du site du musée de L'histoire et de l'immigration :
En 1996, l’Historial de la Grande Guerre organisait à Péronne, dans la Somme, une importante exposition intitulée : "Mémoires d’Outre-mer ; les colonies et la Première Guerre mondiale". Les documents qu’elle donnait à voir, rappellent que, dans le "camp français" de l’époque, combattaient des tirailleurs algériens, marocains et sénégalais, des goumiers et des spahis, bref, quantité de jeunes gens recrutés dans l’empire colonial de la République française. Sur ces 600 000 enrôlés en Afrique du Nord, en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, en Indochine, à Madagascar, aux Antilles, dans les cinq comptoirs de l’Inde et dans le Pacifique, 80 000 périrent. Dès le début du conflit, les premiers contingents algériens et sénégalais débarquèrent à Marseille et à Sète d’où ils furent expédiés sur le front de la Marne. Il est à noter que parmi toutes les colonies françaises, l’Algérie représente pour la France, avec l’Afrique occidentale française, la plus grande pourvoyeuse en ressources matérielles et en hommes. Le bilan humain est cependant lourd pour les Algériens : "25 711 tués ; 72 035 blessés". En 1918, les tirailleurs algériens sont parmi les plus décorés, même si l’emphase en la matière fait partie d’une "politique indigène" de séduction.

dimanche 29 juin 2014

La coexistence du RÈGNE DE LA MORT et de l'HUMANISME DU QUATTROCENTO au  XVe SIÈCLE (6) la PIETA RONDANINI  de Michel Ange

La PIETÀ RONDANINI présentée au château Sforza à Milan est la dernière œuvre de Michel Ange, il y travaillait même encore quelques jours avant sa mort : l'étude de cette statue permet donc de déterminer quelles furent les évolutions ultimes de sa pensée à la fois au niveau de son art mais aussi à celles de ses conceptions religieuses. 

Cela est d'autant plus intéressant que l'on dispose de deux éléments qui permettent de mesurer les phases d'élaboration de cette pietà :
   . D'abord sont conservés à l'Ashmodian Muséum d'Oxford les dessins préparatoires de l'œuvre.
   . Ensuite et surtout parce que la statue montre deux phases successives d'élaboration.

Les ESQUISSES PRÉPARATOIRES témoignent de la phase initiale du projet : à l'origine, il n'était pas très différent de celui de la Pietà Bandini : la Vierge Marie est debout, soutenant de ses deux mains passées sous les aisselles le corps de son fils mort. Elle a du mal à le faire tant le corps de Jésus est lourd.

Comme sur la Pieta Bandini, le Christ est présenté comme un cadavre :
     . la tête est renversée sur le côté sur une esquisse, et penche en avant sur l'autre,
     . Les jambes sont ployées,
     . Le corps présente une courbe qui semble le projeter vers le sol,
     . Les deux bras pendent de part et d'autre du corps, animés seulement par le mouvement que la Vierge leur imprime.

Le corps du Christ recèle, par la torsion qui le caractérise, une tension habituelle aux sculptures de Michel Ange mais cette tension est celle de l'abandon et de la mort et non la manifestation d'une énergie vitale.

La SCULPTURE SUR MARBRE  effectuée est totalement différente de l'esquisse tant au niveau de sa forme qu'à celle des conceptions mentales qui la sous-tendent. La comparaison avec la Pietà Bandini le montre à l'évidence.
 
En premier lieu, le corps de Jésus, la seule partie de la statue qui semble achevée, n'est plus celui d'un homme musculeux, dont les traits corporels ressortent vigoureusement, ils sont si adoucis que le corps en paraît lisse, on retrouve les traits du David mais aussi ceux des statues d'Apollon de l'époque Greco-romaine. Cette caractéristique se remarque tout particulièrement au niveau des jambes : aux formes décharnées de la Pietà Bandini se substitue une plastique harmonieuse. Le terme d'harmonie est d'ailleurs ce qui qualifie le mieux l'aspect du Christ dans cette sculpture.

De même, le corps n'est plus violemment déformé par la mort, les jambes sont à peine ployées et surtout la tête est à peine penchée presque redressée,

La sculpture des bras de Jésus est, pour moi,  l'élément essentiel qui témoigne du changement mental qui s'est opéré chez Michel Ange.

Pour en mesurer l'importance, il faut considérer la statue du côté droit : on voit y apparaître deux bras que j'ai numérotés :
   -1 le premier bras témoigne de la première phase de la sculpture : Michel-Ange l'a représenté tel qu'il apparaît sur l'esquisse, il pend le long du corps dans un geste d'abandon. S'il subsiste toujours, c'est que la statue n'était pas terminée, il est évident que l'artiste aurait détruit cette partie, il a d'ailleurs commencé à le faire en supprimant le raccordement de ce bras au torse de Jésus.
   -2 le manteau de la Vierge Marie qui forme une courbe  enserrant le corps de son fils,
   -3 le bras définitif apparaît derrière le manteau de la Vierge ; il est bien visible même s'il est à peine dégagé de la pierre.

le bras gauche (4) est sculpté de la même manière, ressortant à peine de la pierre.

Une telle  évolution donne tout son sens à la signification de cette pietà : le Christ n'est plus ce corps mort qui s'affaisserait  lourdement sur le sol s'il n'était pas soutenu, il devient un être longiligne qui, pour moi, évoque plus l'Ascension que la Passion, la Résurrection plus que la descente de la croix.

Cette impression est encore renforcée par la manière dont la Vierge est représentée :
   . dans la Pietà Bandini, elle est assise et peine à tenir le corps de Jésus que l'on vient de descendre de la croix, si elle n'était pas aidée par Nicomède, le cadavre s'affaisserait sur le sol.
   . Par contre, la Pietà Rondanini présente la Vierge Marie debout derrière son fils qu'elle enveloppe de son manteau : la main droite est posée sur son épaule : on a la sensation qu'elle accompagne le corps du Christ semblant sortir de la mort pour  prendre son ascension vers le ciel par la résurrection.

Cette impression est renforcée par la composition de cette Pietà qui mèle étroitement le corps de la Vierge et de son fils dans une courbe d'une étonnante harmonie. Il en est de même de la juxtaposition des deux visages qui, même non terminés, renforcent cette impression d' harmonie.

Le choix effectué par Michel Ange d'une Vierge Marie qui accompagne le corps du Christ mort sur la voie de résurrection n'est pas fortuit : cette sculpture est réalisée à l'époque où vient de se terminer le concile de Trente (1545-1563) qui a recréé de nouveaux concepts religieux pour la chrétienté catholique : ils montrent que l'homme seul, sans secours, ne peut accéder au salut et qu'il a besoin de l'intercession de la Vierge et des saints pour le faire : pour une âme aussi tourmentée que celle de Michel Ange, cette vision renouvelée de l'intercession comme porte du salut (déjà existante par le culte ancien des reliques) fut sans doute un élément important dans l'évolution de sa piété, c'est probablement ce qui explique cette vision nouvelle de la PIETÀ RONDANINI : la Vierge Marie devenant moins une mère éplorée que celle qui aide à gagner le ciel.

Si on replace cette pietà dans l'évolution générale des mentalités du XVIe siècle, elle témoigne de la fin du "règne de la mort" et de la prégnance de Satan sur la terre, les deux composantes religieuses élaborée au XVIe siècle l'avaient permis :
   . Le catholicisme par l'importance accordée aux intercesseurs,
   . Le protestantisme par la primauté de la foi sur les œuvres humaines.

L'art subira ensuite une nouvelle évolution qui mènera aux fastes de l'art baroque...

vendredi 27 juin 2014

La coexistence du RÈGNE DE LA MORT et de l'HUMANISME DU QUATTROCENTO au  XVe SIÈCLE (5) la PIETA BANDINI de Michel Ange

Les deux pietàs dite Bandini, conservée au Duomo de Florence et Rondanini exposée au plais Sforza de Milan sont  toutes les deux des œuvres de vieillesse de Michel-Ange et sont inachevées, l'une parce qu'elle a été rejetée par l'artiste qui voulut la détruire, l'autre parce que la mort de l'artiste empêcha sa finition. Elles sont intéressantes en ce sens qu'elles témoignent de l'état d'esprit de Michel Ange dans la dernière partie de son oeuvre et de sa vie.

À cette époque, Michel Ange avait renié son passé de démiurge et pensait que l'artiste n'oeuvrait que par la grâce de Dieu qui lui révélait, par une vision, l'oeuvre à accomplir et guidait sa main afin qu'il puisse dégager du bloc de pierre la statue qu'il contenait en puissance. Dans cette perspective, les dernières sculptures de Michel Ange témoignent de sa piété avec un art spiritualisé et quasiment mystique.

La question qui se pose alors est de savoir comment cette profonde religiosité de l'artiste va s'exprimer. Les deux Pietàs de Florence et de Milan sont révélatrices de deux conceptions diamétralement opposées. L'une, celle de la PIETÀ BANDINI sera rejeté, l'autre, celle de la PIETÀ RONDANINI qui,  même inachevée, témoignera de l'évolution mentale survenue chez Michel Ange au moment de sa mort.

La PIETÀ dite BANDINI de FLORENCE, date de 1555. Michel Ange avait alors 75 ans. Cette Pietà, selon ce que j'ai pu en lire, ne correspondait pas à une commande mais était une œuvre personnelle que l'artiste aurait sculptée pour son propre tombeau. Dans cette perspective, il se serait représenté lui-même sous l'aspect du personnage se trouvant dans la partie supérieure de la pietà et qui figure soit Joseph d'Arimathie, soit plus sûrement Nicodème.

Cette sculpture aurait détruite si un des serviteurs de Michel Ange ne l'avait pas demandée pour lui-même. La Pietà fut ensuite restaurée par un disciple du maître, Calcagni, qui la répara et la termina en ajoutant le personnage de Marie Madeleine afin d'équilibrer la composition pour lui donner une forme triangulaire. Le visage de Marie Madeleine est très différent du style des visages tourmentés de Michel Ange et on peut reconnaître immédiatement qu'il s'agit d'un ajout.

Le Christ mort est la figure centrale de cette sculpture, on y retrouve les caractéristiques des sculptures du "règne de la mort", tant des pietàs que des mises au tombeau ; ces caractéristiques sont d'autant plus mises en valeur que Michel Ange  construit son œuvre en lui donnant l'amplitude du mouvement : sans le soutien que lui prodigue Nicodème et la Vierge Marie, le corps de Jésus tomberait lourdement sur le sol.

Le corps de Jésus est représenté en tant que cadavre, il montre une torsion exacerbé qui ne peut appartenir qu'à un mort, la tête serait violemment rejetée en arrière si elle n'était pas soutenue par le visage de la Vierge Marie, le bras gauche est quasiment désarticulé, la seule jambe représentée est décharnée et ployée à l'extrême (1) le visage est marqué par la mort.

Tout dans ce Christ rappelle les poncifs du règne de la mort. De même, la Vierge Marie est représentée sous les traits d'une femme âgée, ce qui établit un contraste frappant avec la Pietà de 1499.

Il reste à rendre compte de cette évolution : on peut en donner deux explications :

L'une est propre à Michel Ange lui-même qui, à la peur de ne pas être capable de figurer dans sa sculpture les desseins de Dieu, s'ajoute l'angoisse de sa mort prochaine et la crainte d'avoir voulu, par ses prétentions de jeunesse, défier Dieu.

À cette impression personnelle de l'artiste devait s'ajouter des considérations concernant l'ambiance de l'époque : le XVIe siècle est tout autant que les précédents, un siècle de violence, de guerres, de famines, de misères et d'épidémies. En outre, se produisit ce terrible déchirement de la chrétienté entre catholiques et protestants dont les positions devinrent si antagonistes qu'elles ne pouvaient conduire qu'à de nouvelles guerres ; il est, à cet égard, symptomatique que cette pietà ait été sculptée au moment de l'abdication de Charles Quint, découragé dans son échec d'unification du monde chrétien.

Ainsi, le splendide optimisme du Quattrocento semble avoir disparu pour laisser la place soit à un maniérisme dans laquelle toute préoccupation philosophique semble avoir disparu, soit à un retour du "règne de la mort".

Dans de telles conditions, la pietà BANDINI reflète les mêmes affres et souffrances mentales que des œuvres telles que le TRIOMPHE DE LA MORT de Pieter Brughel : l'idée du Christ ayant abandonné le monde pour le livrer au diable et à ses acolytes.

Pourtant, Michel Ange reniera cette œuvre et tentera même de la détruire. Comme toujours les raisons en sont ambivalentes :
   . On peut d'abord penser à une maladresse technique de l'artiste, en particulier au niveau de la jambe du Christ,
   . Il se peut aussi que Michel Ange ait ressenti que cette œuvre n'était pas conforme à la vision intérieure par laquelle se transmettait le dessein de Dieu,
   . Peut-être également que sa propre représentation dans la pietà, si elle était avérée, lui sembla sacrilège.

Pour moi, c'est la deuxième explication qui me semble dominer au vu de la dernière Pietà dite Rondanini du château Sforza de Milan.

NOTE
1- le Christ ne possède dans cette pietà qu'une seule jambe, l'autre aurait été détruite par Michel-Ange lui-même dans sa rage de faire disparaître cette œuvre, il se peut aussi qu'elle n'ait pas été sculptée a cause d'une erreur de proportion ou volontairement non dégagée de la matière.