REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

dimanche 18 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (8)

LA MORT DE NICOLAS ET SON DOUBLE ENSEVELISSEMENT (suite)

La troisième partie du texte de Jacques de Voragine évoque la translation du corps de Saint Nicolas à Bari.

« Longtemps après les Turcs détruisirent la ville de Myre ; or, quarante-sept soldats de Bari (62 selon la tradition) y étant venus, et quatre moines leur ayant montré le tombeau de saint Nicolas, ils l’ouvrirent, et trouvèrent ses os qui nageaient dans l’huile ; ils les emportèrent avec respect dans la ville de Bari, l’an du Seigneur 1087. »

Rappelons le contexte historique : la bataille de Manzikiert (1071) qui a vu la défaite de l’armée byzantine contre le sultan seldjoukide Alp Arslan, avait été suivie de l’invasion de l’Anatolie par les turcs. La ville de Myre étant menacée, deux cités italiennes, Venise et Bari, décidèrent de récupérer les reliques de Saint Nicolas  avant qu’il ne soit trop tard. Prenant de court les vénitiens, Bari organisa une expédition qui  arriva la première.

À ce moment, selon le livre de Adrien Baillet « les vies  des saints... disposés selon l’ordre des calendriers  » paru en 1704, « ils ne trouvèrent presque personne dans le monastère de l’église de Sion, il n’y avait que trois religieux qui gardaient le Saint dépôt, tout était en désolation par les hostilités des turcs. Ils firent croire à ces religieux qu’ils étaient envoyés du Pape... pour pourvoir à la sûreté.. des saintes reliques et les garantir des insultes des ennemis de Jésus Christ », les moines, soudoyés, acceptèrent la translation. «Après diverses prières, ils rompirent le tombeau de marbre à grand coups de marteau et ils y trouvèrent une urne et crûrent que c’était un grand vase de parfum ; ils remarquèrent qu’elle était pleine d’une liqueur admirable qui ressemblait à une huile très pure qui sortait du corps du Saint. On en tira les os du Saint et on remarqua qu’ils suaient de la même liqueur.. » .Ils arrivèrent à Bari le dimanche 9 mai. «On ajoute que le miracle que Dieu avait opéré à Myre (celui de la manne) se continuait à Bari... les magistrats... jetèrent les fondements d’une grande et magnifique église, le Pape Urbain 2 en fit la dédicace »

Ce texte corrobore, en l’expliquant plus précisément, le récit de Jacques de Voragine,

À propos du suintement émanant des os de Saint Nicolas, je voudrais citer un extrait de la « vie de sainte Brigitte de Suède (+1373)  d’après des documents authentiques  écrite par une religieuse de l'adoration perpétuelle  » en 1879 où, selon ce texte, c’est Saint Nicolas lui-même qui le justifie  :

«  En pénétrant dans le temple qui renferme le tombeau du grand saint Nicolas, Brigitte ressentit une joie inexprimable; elle se prosterna avec une humble dévotion devant les saintes reliques, et sa pensée médita le symbolisme de l'huile qui en découlait... A ce moment apparut à ses yeux une forme vénérable, toute brillante et comme ointe d'un baume odorant. La céleste vision lui dit : « Je suis l'Évêque Nicolas; je vous apparais sous cette forme pour vous révéler l'état dans lequel se trouvait mon âme aux jours de ma vie terrestre; mes membres étaient adroits et souples au service de Dieu, comme l'est un instrument frotté d'huile sous la main de celui qui le manie. Écoutez donc : de même que la rose exhale un agréable parfum, de même que le raisin donne un jus plein de douceur, ainsi mes ossements ont reçu de Dieu le rare privilège de distiller une huile salutaire. En effet, le Tout-Puissant n'honore et n'exalte pas seulement ses élus dans le ciel; il les glorifie également sur la terre, pour l'édification d'un grand nombre »

Les reliques de Saint Nicolas se trouvent toujours à Bari à quelques exceptions près, un humérus se trouve à la cathédrale de Fribourg en Allemagne, on trouve aussi quelques fragments à l’abbaye de Hauterive et en Belgique. En outre, en 1098, un chevalier lorrain Aubert de Varangéville s’empara d’une phalange du doigt de Saint Nicolas et la ramena en Lorraine ce qui fit de Saint Nicolas le patron de cette province.

À Bari, deux grandes fêtes sont célébrées en l’honneur de Saint Nicolas :
     . Le 6 décembre, date anniversaire de la mort présumée du Saint,
     . Le 9 mai, date anniversaire de la translation. Une grande procession conduit la statue du Saint vers la mer où elle est chargée sur un bateau de pêche qui se rend à l’endroit où, en 1087, le bateau transportant les reliques a accosté. A l’issue de cette procession, on prélève la manne suintant du tombeau  dans un flacon de verre, la manne sera alors mélangée à de l’eau bénite pour distribution aux fidèles.

               le tombeau de saint Nicolas à Bari

Dans les deux articles suivants, j'évoquerai deux miracles post mortem de saint Nicolas.  

jeudi 15 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (7)

LA MORT DE NICOLAS ET SON DOUBLE ENSEVELISSEMENT

Le texte de Jacques de Voragine évoquant  la mort de celui qui allait devenir Saint Nicolas se décompose en trois parties :
     . La mort de l’évêque proprement dite,
     . L’ensevelissement au monastère de Sion où il s’était retiré et le miracle de la manne,
     . La translation du corps de Saint Nicolas à Bari où il se trouve encore.

On ne trouve que très peu de représentation de la mort de Nicolas, je n’en connait  qu’une sur le retable de Tallinn. Le panneau de ce retable est présenté à côté du texte de la légende dorée.

Quand le Seigneur voulut enlever le saint de dessus la terre, Nicolas le pria de lui envoyer, des anges; et en inclinant la tète, il eu vit venir vers lui : et après avoir dit le Psaume, In te, Domine, speravi, jusqu'à ces mots : In manus tuas...., il rendit l’esprit, l’an de J.-C. 343. Au même moment, on entendit la mélodie des esprits célestes.

Les deux versions concordent : sur le panneau du retable, on aperçoit Nicolas en prières qui s’affaisse doucement, au dessus, deux anges que Dieu a envoyé portent un corps nu simplement vêtu d’un linge autour de la taille et représenté en prières, c’est l'âme de Nicolas que les deux anges mènent au ciel.







La deuxième partie du texte de Jacques de Voragine est, selon moi, l’épisode le plus curieux de toute l’histoire de Saint Nicolas :

On l’ensevelit dans  un tombeau de marbre ; de son chef jaillit une fontaine d'huile et de ses pieds une source d'eau; et jusqu'aujourd'hui, de tous ses membres, il sort une huile sainte qui guérit beaucoup de personnes. Il eut pour successeur un homme de bien qui cependant fut chassé de son siège par des envieux. Pendant son exil, l’huile cessa de couler; mais quand il fut rappelé elle reprit son cours.

Ainsi, selon ce texte,  du corps même de l’évêque suinte un liquide que l’on peut recueillir et qui guérit d’innombrables maladies ! Il va de soi qu’il se créa très vite un pèlerinage, les pèlerins venant en grand nombre pour prier et obtenir de la manne. Ce pèlerinage se produisit avant même que Nicolas soit reconnu comme Saint, d’abord par les chrétiens du l’empire byzantin ( au 6eme siècle, Justinien lui dédie une église à Constantinople) puis par les chrétiens occidentaux probablement à la fin du 11e siècle consécutivement au transfert des reliques de Saint Nicolas à Bari en 1087.


À suivre...

mardi 13 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (6)

NICOLAS RESSUSCITE TROIS PETITS ENFANTS
suite de l'article précédent

La légende de Saint Nicolas et des trois enfants tués par le boucher et ressuscités par le Saint est une des plus représentée dans l’iconographie en particulier en Lorraine dont Saint Nicolas est le saint patron. Que ce soit sur un vitrail, en statue ou en image traditionnelle, il apparaît la même scène : Saint Nicolas portant la mitre et la crosse, se trouve devant un cuveau figurant un saloir d’où sortent trois enfants nus en prières (à droite).

Cette légende est aussi l’objet d’une chanson populaire traditionnelle dont le texte, sans doute ancien, fut recueilli et versifié par Gérard de Nerval en 1842. C’est ce texte qui se trouve ci-dessous (à gauche ) :


Ainsi, on est passé de l’histoire de deux (ou trois)  clercs riches à celle de trois enfants de paysans que leurs parents ont envoyés pour ramasser les épis de blé laissés par les moissonneurs : on est passé aussi d’un aubergiste désirant détrousser les clercs à un boucher tuant les enfants pour saler leurs corps et vendre la viande.

Gérard de Nerval a sans doute codifié une chanson qui devait exister avec de multiples variantes locales. Ces variantes s’expliquent par le fait que cette légende se développa dans les croyances populaires et dans les Mystères théâtraux sans qu’existe, à ma connaissance, un support écrit consistant de référence.

Il convient de remarquer aussi que l’histoire de la résurrection des trois clercs, comme celle des trois petits glaneurs, fait référence au rite de la résurrection des morts et à l’aide que les saints intercesseurs peuvent apporter aux pécheurs pour gagner leur salut : des conceptions typiques de la contre-réforme catholique du milieu du 16è siècle.

Cette chanson est encore chantée aujourd’hui en Lorraine, cela montre la pérennité du culte populaire de Saint Nicolas dans l’Est de la France.

dimanche 11 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (5)

NICOLAS RESSUSCITE TROIS JEUNES GENS

C’est l'épisode le plus connu survenu pendant  la vie terrestre de l'évêque de Myre ; assez curieusement, il n’apparaît pourtant  pas dans la légende dorée de Jacques de Voragine, on le trouve cependant cité dans un mystère ( pièce de théâtre joué sur le parvis des églises) de Jean Borel  datant de 1200, «  li jus saint Nicolas »  : «  il ressuscita les trois clercs » et mentionné dans un sermon  attribué à saint Bonaventure :

 « Deux écoliers de famille noble et riche portaient une grosse somme d'argent, se rendait à Athènes pour y étudier la philosophie. Or, comme ils voulaient auparavant voir saint Nicolas pour se recommander à ses prières, ils passèrent par la ville de Myre. L'hôte, s'apercevant de leur richesse, se laissa entraîner aux suggestions de l’esprit malin, et les tua. Après quoi, les mettant en pièces comme viande de porc, il sala leur chair dans un vase (saloir). Instruit de ce méfait par un ange, saint Nicolas se rendit promptement à l’hôtellerie, dit à l’hôte tout ce qui s'était passé, et le réprimanda sévèrement; après quoi il rendit la vie aux jeunes gens par la vertu de ses prières. »

L’histoire de la résurrection des trois jeunes écoliers tués par l’aubergiste est représentée sur le vitrail 14 de la cathédrale de Chartres en trois épisodes mais aussi sur un vitrail en grisaille du chœur.


   . Le premier épisode montre trois jeunes gens (et non deux) qui arrivent devant la porte de l’auberge, ils sont tonsurés ce qui indique leur appartenance au monde clérical. Devant la porte, se trouve l’aubergiste qui porte une hache.
   . Sur le deuxième panneau, on aperçoit les trois jeunes clercs couchés, l’aubergiste les tue avec la complicité de sa femme qui se trouve derrière lui.

   . Le troisième panneau (ci-dessous) montre la résurrection des trois jeunes gens, Ils se trouvent au centre, nus dans un cuveau figurant un saloir, Saint Nicolas se trouve à droite tandis que à gauche et au pied du Saint, le tavernier et sa femme implorent son pardon.
   . Le vitrail en grisaille montre le même épisode mais sans qu’interviennent le tavernier et sa femme : on y trouve l’image classique des jeunes gens debout dans un cuveau remerciant Saint Nicolas qui se trouve debout devant eux.


Cette dernière image sera reprise de multiples fois dans l’iconographie sacrée et populaire et donnera lieu à de multiples variantes dont la plus connue mettra en scène un boucher et trois petits paysans.

À suivre...

samedi 10 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (4)

SAINT NICOLAS SAUVE PAR DEUX FOIS TROIS CONDAMNÉS A MORT.

Jacques de Voragine raconte cette histoire en deux épisodes, le miracle n’intervenant que dans le deuxième. Pour l’illustrer, j’ai utilisé un panneau de Fra Angelico et trois panneaux du retable de Tallinn.

PREMIER ÉPISODE, NICOLAS SAUVE TROIS JEUNES CONDAMNÉS À MORT

 LE TEXTE DE JACQUES DE VORAGINE
Dans le même temps, une nation se révolta contre l’empire romain ; l’empereur envoya contre elle trois princes, Népotien, Ursus et Apilion. Un vent défavorable les fit aborder au port adriatique, et le bienheureux Nicolas les invita à sa table, voulant par là préserver son pays des rapines qu'ils exerçaient dans les marchés. Or un jour, pendant l’absence du saint évêque, le consul, corrompu par argent, avait condamné trois soldats innocents à être décapités. Dès que l’homme de Dieu en fut informé, il pria ces princes de se rendre en toute hâte avec lui sur le lieu de l’exécution : à leur arrivée, ils trouvèrent les condamnés le genou fléchi, la figure couverte d'un voile et le bourreau brandissant déjà son épée sur leurs têtes. Mais Nicolas, enflammé de zèle, se jeta avec audace sur le licteur, fit sauter au loin son épée de ses mains, délia ces innocents et les emmena avec lui sains et saufs ; de là, il court au prétoire du consul ...  Le saint... lui dit : « Ennemi de Dieu, prévaricateur de la loi,  tu es coupable d'un si grand crime. » Après donc avoir reçu sa bénédiction, les envoyés de  l’empereur continuent leur route et soumettent les révoltés sans répandre de sang.


Les deux panneaux présentent une vision concordante des faits, les trois jeunes gens ont les yeux bandés, le bourreau a levé son épée et le premier  condamné s’apprête à recevoir le coup fatal. Alors Nicolas  prend le bras du bourreau  sur le panneau de Fra Angelico et se saisit de la lourde épée à deux mains sur le retable de Tallinn et arrête ainsi l'exécution.

Il ne s’agit pas d’un miracle au sens réel du terme mais beaucoup plus d’un acte de courage personnel de Nicolas, le miracle interviendra dans le deuxième épisode de cette histoire.

Comme dans tous les représentations de scènes antiques aux 15e et 16e siècles, le décor correspond non à l’époque antique mais à celle des peintres, on peut d’ailleurs constater une évolution des costumes entre la peinture de Fra Angelico et celle du retable de Tallinn : sur ce dernier panneau, le surcot a été raccourci et se boutonne devant, les chausses deviennent collantes...

À remarquer au point de vue stylistique sur la peinture de Fra Angelico, l’apparition d’une perspective bien visible au niveau de la muraille de la ville ; par contre, les montagnes restent traitée selon les procédés en cours à la fin du moyen-âge.


DEUXIÈME ÉPISODE NICOLAS SAUVE LES TROIS PRINCES CONDAMNÉS À MORT PAR L’EMPEREUR

 A leur retour, ils furent reçus par l’empereur avec magnificence. Or quelques-uns, jaloux de leurs succès, suggérèrent ..., au préfet de l’empereur, de les accuser auprès de lui du crime de lèse-majesté. L'empereur circonvenu, et enflammé de colère, les fit emprisonner et sans aucun interrogatoire, il ordonna qu'on les tuât cette nuit-là même.

 Informés de leur condamnation par le geôlier, ils déchirèrent leurs vêtements et se mirent à gémir avec amertume. Alors l’un deux ...se rappelant que le bienheureux Nicolas avait délivré trois innocents, exhorta les autres à réclamer sa protection. Par la vertu de ces prières, saint Nicolas apparut cette nuit-là à l’empereur Constantin et lui dit : « Pourquoi avoir fait saisir ces princes si injustement et avoir condamné à mort des innocents? Levez-vous de suite, et faites-les relâcher tout aussitôt ; ou bien je prie Dieu qu'il vous suscite une guerre dans laquelle vous succomberez et deviendrez la pâture des bêtes. » « Qui es-tu, s'écria l’empereur, pour pénétrer la nuit dans mon palais et  m’oser parler ainsi ? » « Je suis, répliqua-t-il, Nicolas, évêque de la ville de Myre. ». Il effraya aussi de la même manière le préfet dans une vision. « Insensé, lui dit-il, pourquoi as-tu consenti à la mort de ces innocents? Va vite et tâche de les délivrer, sinon ton corps fourmillera de vers et ta maison va être détruite. » « Qui es-tu, répondit-il, pour nous menacer de si grands malheurs? » « Sache, lui répondit-il, que je suis Nicolas, évêque de Myre. »


Le dessin du retable de Tallinn reprend intégralement le récit de Jacques de Voragine, pour cela, il accole dans un même lieu les prisonniers dans leur cachot et la chambre de l’empereur. Les trois princes sont assis les mains jointes, leurs jambes sont immobilisés dans un carcan. L’empereur est couché dans un lit surmonté d’un baldaquin, il a posé sa couronne sur un tabouret.

L'empereur (se rend auprès des prisonniers et)  leur dit ..: « Quels arts magiques connaissez-vous, pour nous avoir soumis à de pareilles illusions en songes? » Ils répondirent qu'ils n'étaient pas magiciens, et qu'ils n'avaient pas mérité d'être condamnés à mort. « Connaissez-vous, leur dit l’empereur, un homme qui s'appelle Nicolas ? » En entendant ce nom, ils levèrent les mains au ciel, en priant Dieu de les délivrer, par les mérites de saint Nicolas, du péril qui les menaçait. Et après que l’empereur leur eut entendu raconter toute sa vie et ses miracles : « Allez, dit-il, et remerciez Dieu qui vous a délivrés par ses prières ; mais portez-lui quelques-uns de nos joyaux, de notre part, en le conjurant de ne plus  m’adresser de menaces, mais de prier le Seigneur pour moi et pour mon royaume. 

Ainsi, Nicolas, encore vivant, semble entendre à distance l’appel des trois princes et se projeter en songe dans la chambre de l’empereur et dans celle du consul. On retrouve donc ce don d’ubiquité décrit dans la relation du miracle décrit précédemment.

Peu de jours après, ces hommes se prosternèrent aux pieds du serviteur de Dieu, et lui dirent : « Vraiment vous êtes le serviteur, le véritable adorateur et l’ami du Christ: » Quand ils lui eurent raconté en détail ce qui venait de se passer, il leva les yeux au ciel, rendit de très grandes actions de grâces à Dieu. Or après avoir bien instruit ces princes, il les renvoya en leur pays.

Comme lors des miracles décrits précédemment, Nicolas avec une grande humilité ne s'attribue pas le miracle qui provient, selon lui à Dieu seul.

On peut s'étonner que le retable de Tallinn figure ces scènes sur trois panneaux sur les neuf que comporte le retable. Il est probable que l'artiste lübeckois a voulu magnifier l'empereur idéal capable de reconnaître ses injustices et de faire preuve de magnanimité par ce miracle, saint Nicolas est devenu le protecteur des opprimés.

jeudi 8 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (3)

J’évoquerai, dans cet article, deux des premiers miracles que cite Jacques de Voragine dans la légende dorée : Nicolas sauve une ville de la famine et Nicolas sauve des marins de la tempête. Ces deux miracles sont illustrés ci-dessous par une peinture de Fra Angelico et un panneau du retable de Tallinn

LE TEXTE DE JACQUES DE VORAGINE

Toute la province où habitait saint Nicolas eut à subir une si cruelle famine, que personne ne pouvait se procurer aucun aliment. Or l’homme de Dieu apprit que des navires chargés de froment étaient mouillés dans le port. Il y va tout aussitôt prier les matelots de venir au secours du peuple qui mourait de faim, en donnant, pour le moins, cent muids de blé par chaque vaisseau. « Nous n'oserions, père, répondirent-ils, car il a été mesuré à Alexandrie, et nous avons ordre de le transporter dans les greniers de l’empereur: » Le saint reprit: « Faites pourtant ce que je vous dis, et je vous promets que, par la puissance de Dieu, vous n'aurez aucun déchet devant le commissaire du roi. »

Ils le firent et la quantité qu'ils avaient reçue à Alexandrie, ils la rendirent aux employés de l’empereur; alors ils publièrent le miracle, et ils louèrent Dieu qui avait été glorifié ainsi dans son serviteur. Quant au froment, l’homme de Dieu le distribua selon les besoins de chacun, de telle sorte que, par l’effet d'un miracle, il y en eut assez pendant deux ans, non seulement pour la nourriture, mais encore pour les semailles.

LES REPRÉSENTATIONS ICONOGRAPHIQUES

La peinture de Fra Angelico montre ce miracle dans la partie gauche du tableau : on y aperçoit à l’extrême gauche, une ville construite sur des rochers abrupts qui domine une anse où sont amarrés quelques bateaux ; l’anse est dominée par une côte rocheuse indentée, représentée selon les conventions habituelles  du 15e siècle en forme de vagues tempétueuses . Nicolas, reconnaissable à sa mitre épiscopale, discute avec le capitaine du navire tandis que des matelots déchargent des sacs de blé.


La partie de droite du tableau de Fra Angelico ainsi que le panneau du retable de Tallinn montrent deux scènes du sauvetage des marins dans la tempête :
     . Sur la peinture de Fra Angelico, on aperçoit le bateau en perdition au milieu d’ondulations verdâtres qui figurent la mer déchaînée, Nicolas apparaît dans un halo de lumière, on le voit tirer sur les cordages  qui permettent de manier les voiles.
     . Sur le panneau de droite, le bateau, une lourde cogue hanséatique, que Nicolas vient de sauver, est arrivée à bon port, avec son mat cassé,  l'évêque de Myre semble attendre le retour du bateau debout sur la grève.

Ces deux représentations montrent l’aspect des bateaux de l’époque, une coque en « coquille de noix », un gaillard avant, une seule voile ne permettant que d'avancer que vent arrière : ils sont inaptes à naviguer en haute mer et ne peuvent que longer les côtes en espérant que le vent soufflera dans la bonne direction pour les faire progresser.

LE TEXTE DE JACQUES DE VORAGINE

Un jour que des matelots étaient en péril, et, que, les yeux pleins de larmes, ils disaient : « Nicolas, serviteur de Dieu, si ce que nous avons appris de vous est vrai, faites que nous en ressentions l’effet. » Aussitôt, leur apparut quelqu'un qui ressemblait au saint : « Me voici, dit-il ; car vous  m’avez appelé. » Et il se mit à les aider dans la manœuvre du bâtiment, soit aux antennes, soit aux cordages, et la tempête cessa aussitôt. Les matelots vinrent à l’église de Nicolas, où, sans qu'on le leur indiquât, ils le reconnurent, quoique jamais ils ne l’eussent vu. Alors ils rendirent grâces à Dieu et à lui de leur délivrance : mais le saint l’attribua à la divine miséricorde et à leur foi, et non à ses mérites.

Le texte de Jacques de Voragine présente une description qui concorde avec les représentations picturales à cependant une exception près qui concerne le retable de Tallinn : Nicolas n’est pas présent sur le littoral lors du retour du bateau, ce sont les marins qui se rendirent à sa cathédrale et le remercièrent. Cet épisode de la vie de Nicolas  fit que le futur saint Nicolas devint le patron des marins,

Il convient  de remarquer que ce miracle fut accompli du vivant de l’évêque de Myre ce qui donnait au futur Saint  un curieux don d'ubiquité, il fut en effet, durant sa vie terrestre, capable d’apparition en tant que personne réelle à des marins qu’il aida,comme une personne réelle en tirant sur les cordages. Une telle ubiquité apparaîtra aussi dans le miracle suivant qui permit de sauver trois condamnés à mort.

mardi 6 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (2)

NICOLAS DEVIENT ÉVÊQUE DE MYRE

La désignation puis l'ordination épiscopale de Nicolas sont représentées à la fois à la cathédrale de Chartres (5 panneaux du vitrail 14) et sur le retable de Tallinn (deux panneaux peints). Entre les deux figurations, il apparaît quelques différences qui sont dues à la chronologie de leurs élaborations : en effet, le vitrail de Chartres date d’une époque antérieure à la rédaction de la légende dorée, il a été inspiré par un texte plus ancien, écrit par Honorius d’Autun (1080-1151)

Les deux sources diffèrent légèrement au niveau de la désignation de Nicolas, par contre elles semblable à celui de son ordination

LES PANNEAUX DU VITRAIL DE CHARTRES


Selon moi, ces quatre panneaux possèdent non seulement  une signification religieuse mais aussi une connotation politique : celle de la manière dont sont désignés les évêques : les textes canoniques prévoient que le choix d’un évêque doit s’effectuer selon   l’ « electio cleri et populi », par le peuple et par les clercs (en fait par les chanoines de la cathédrale) ;  il ne doit jamais être  nommé par une quelconque autorité ecclésiastique ou laïque. La désignation des évêques par les princes et les empereurs sera l’objet de nombreuses querelles entre le pape et le pouvoir temporel dont la plus célèbre est la querelle des investitures qui opposa l’empereur Henri IV et le pape Grégoire VII entre 1075 et 1122 et qui se termina par la victoire de la papauté.

Sur le vitrail de Chartres, est réaffirmé le principe du choix de l’évêque par les clercs sans interférence de la puissance temporelle. Le miracle n’est signalé que par le fait que c’est la « main de Dieu » qui désigne Nicolas comme évêque. Ce type de pratique existait dans des cas exceptionnel où l’un des participants se déclarait inspiré par Dieu pour le choix du nouvel évêque.

LE TEXTE DE JACQUES DE VORAGINE ET LE PREMIER PANNEAU DU RETABLE DE TALLINN
La correspondance entre le récit de la légende dorée et la représentation du retable de Tallinn est par contre beaucoup plus évidente :

L'évêque de Myre vint à mourir sur ces entrefaites ; les évêques s'assemblèrent pour pourvoir à cette église. Parmi eux se trouvait un évêque de grande autorité, et l’élection dépendait de lui ...cette nuit-là même il entendit une voix qui lui disait de rester le matin en observation à la porte; celui qu'il verrait entrer le premier, dans l’église, et qui s'appellerait Nicolas, serait l’évêque qu'il devait sacrer. Il communiqua cette révélation à ses autres collègues, et leur recommanda de prier, tandis que lui veillerait à la porte.

 O prodige! à l’heure de matines, comme s'il était conduit par la main de Dieu, le premier qui se présente à l’église, c'est Nicolas. L'évêque l’arrêtant : « Comment t'appelles-tu, lui dit-il? » Et lui; qui avait la simplicité d'une colombe, le salue et lui dit : « Nicolas, le serviteur de votre sainteté. » On le conduit dans l’église, et malgré toutes ses résistances, on le place sur le siège épiscopal.

L’ORDINATION DE NICOLAS
Les deux scènes sont semblables : Nicolas est figuré  de face, assis sur la cathèdre épiscopale. Il est entouré d’évêques ( dont un cardinal) comme le veulent les canons ecclésiastiques qui prescrivent que l’ordination doit s’effectuer en présence des évêques de la région.

Sur le retable, les deux prélats le coiffe de la mitre.

Sur le vitrail, Nicolas porte la mitre et le pallium ; un des deux évêques le bénit avant de lui remettre la crosse qui symbolise son pouvoir spirituel.

dimanche 4 décembre 2016

..La légende de Saint Nicolas (1)

Établir une comparaison entre les œuvres littéraires et les représentations artistiques est d’un grand intérêt dans la perspective de comprendre quelle correspondance il existe entre ces deux moyens d’expression ; c’est ce que je me propose de faire à propos de saint Nicolas dont on célèbre la fête le 6 décembre en Lorraine, en Alsace,  dans le Nord de la France, mais aussi en Belgique, en Allemagne et plus généralement dans toute l’aire de civilisation germanique et slave.

Pour le faire, j’utiliserai diverses sources :
     . La légende dorée (1298) de Jacques de Voragine, dont je me bornerai à citer quelques extraits de la vie de Saint Nicolas,  un sermon attribué à saint Bonaventure (1217-1274) et des extraits d’un poème de Robert Wace.
     . Pour l’iconographie, le retable de l’église saint Nicolas de Tallinn ( élaboré de 1478 à 1481 à Lübeck dans l’atelier d’Hermen Rhode), trois vitraux consacrés à saint Nicolas de la cathédrale de Chartres (début du 13e siècle),  la prédelle d'un grand triptyque que Fra Angelico exécuta en 1437 pour la Chapelle de Saint Nicolas  de l'église Saint Dominique à Pérouse. (1), un vitrail de l’église de Vézelise ( Meurthe et Moselle) et une sculpture de la basilique de saint Nicolas de Port.

SAINT NICOLAS VIENT EN AIDE À TROIS JEUNES FILLES PAUVRES 

Texte de Jacques de Voragine
Après la mort (des parents de Nicolas), il commença à penser quel emploi il ferait de ses grandes richesses, pour procurer la gloire de Dieu, sans avoir en vue la louange qu'il en retirerait de la part des hommes. Un de ses voisins avait trois filles vierges, et que son indigence, malgré sa noblesse, força à prostituer, afin que ce commerce infâme lui procurât de quoi vivre. Dès que le saint eut découvert ce crime, il l’eut en horreur, mit dans un linge une somme d'or qu'il jeta, en cachette, la nuit par une fenêtre dans la maison du voisin et se retira. Cet homme à son lever trouva cet or, remercia Dieu et maria son aînée. Quelque temps après, ce serviteur de Dieu en fit encore autant. Le voisin, qui trouvait toujours de l’or, était extasié du fait; alors il prit le parti de veiller pour découvrir quel était celui qui venait ainsi à son aide. Peu de jours après, Nicolas doubla la somme d'or et la jeta chez son voisin. Le bruit fait lever celui-ci, et poursuivre Nicolas qui s'enfuyait : alors il lui cria : « Arrêtez, ne vous dérobez pas à mes regards. » Et en courant le plus vite possible, il reconnut Nicolas; de suite il se jette à terre, veut embrasser ses pieds. Nicolas l’en empêche et exige de lui qu'il taira son action tant qu'il vivrait.
                
   les scènes représentées ci contre ; 


Nicolas jetant l'argent par la fenêtre : 
   - vitrail 14 de Chartres à gauche,
   - prédelle de Fra Angelico     

le pere remercie Nicolas :       
   - vitrail 14 de Chartres à droite     
   - retable de Tallinn                             
Il va de soi que la légende ne pouvait être intégralement représentée picturalement, vitraux et peintures ont choisi de figurer les deux moments les plus significatifs, l’acte de charité que représente le  don anonyme de l’argent et celui d’humilité au moment où Nicolas essaie de ne pas de faire reconnaître et refuse tout remerciement.





.1 :  deux panneaux se trouvent au musée du Vatican, Les autres parties du retable, démembré au XIXe siècle, sont conservés à la Galleria Nazionale dell'Umbria de Pérouse.