REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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dimanche 27 septembre 2020

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (38)

  CHRONOLOGIE DE LA SUITE ET DE LA FIN DE LA BATAILLE D’HASTINGS

Épisode 4 (voir tableau article 35) : les normands entament une contre-attaque qui isole l’avant-garde de l’armée anglaise  et la décime.

Cet épisode est mentionné à la fois dans nos deux sources d’inspiration mais à des places différentes :
    . . Guillaume de Poitiers montre que la contre-offensive se produit quand le duc réussit à stopper la retraite de ses troupes.
   . Sur la tapisserie de Bayeux, elle est représentée immédiatement après l’épisode de l’attaque du camp retranché d’Harold, faisant ainsi croire que les anglais ont été vaincus sur la colline et qu’ils ont dû fuir.
 
Selon Guillaume de Poitiers les paroles du duc  ranimèrent le courage de ses troupes, Guillaume se mit alors à la tête de ses troupes et se prépare à  résister menant  une contre-offensive.

 A la tête de ses troupes, le duc lance sa cavalerie à l’assaut de  l’avant-garde de l’armée anglaise. Les normands réussissent à encercler une petite partie des soldats ennemis qui, rappelons-le, sont à pieds :   « Les Normands, enflammés d'ardeur, enveloppèrent plusieurs milliers hommes qui les avaient poursuivis, et les taillèrent en pièces en un moment, en sorte que pas un n'échappa »

 La figuration de cet épisode sur la tapisserie de Bayeux concorde avec le récit du chroniqueur et montre bien la manière dont s’est produite cette partie du combat : par des charges d’encerclement, les normands ont réussi à scinder l’avant-garde anglaise en petits groupes plus vulnérables que lorsque les fantassins forment un front uni.

On aperçoit les soldats anglais divisés en petits groupes (B) encerclés par les cavaliers qui les chargent en lançant leurs javelots (C) où en s’en servant comme une arme d’estoc, au moment des combats rapprochés ils utilisent aussi l’épée (D). Les anglais usent  de haches qu’ils manient à deux mains (E) ainsi que d’épées (F). L’un de ces anglais (G) s’attaque au cheval d’un normand , ce qui est un moyen efficace pour faire tomber son cavalier ; juste derrière lui, un homme tient un bâton dont le fer de la hache s’est détaché, il est évidemment complètement désarmé et sans bouclier pour se protéger.

 Ce premier épisode victorieux s’explique sans peine : autant ils sont dans une position défavorable lors de l’attaque d’une colline fortifiée ; autant en terrain plat, les cavaliers ne pouvaient que prendre l’avantage : étant juchés sur leurs chevaux, les normands dominaient de leur hauteur les fantassins anglais, ils profitaient aussi de la mobilité de leurs chevaux pour charger inlassablement. Les  soldats anglais  en position défavorable, ne pouvaient se défendre qu’avec les armes qu’ils avaient emportées au cours de leur poursuite.

 La bande inférieure du panneau montre les morts qui jonchent le terrain, certains ont la tête coupée (H), un autre a reçu un javelot dans le visage (J) le sol est parsemé de boucliers et d’épées cassées (K)

 Parmi les victimes anglaises  de la charge normande se trouvaient, selon la tapisserie de Bayeux, deux frères du roi : HIC CECIDERUM LEWIN ET GYRD FRATREAS HAROLD REGIS (ici succombèrent Lewin et Gyrd, frères du roi) . Selon Guillaume de Poitiers, la mort des deux frères du roi n’est pas rapportée à ce moment du récit mais beaucoup plus tard puisque, comme je l’ai mentionné sur le tableau comparatif des deux récits,  leurs corps ont été retrouvés à proximité de celui du roi Harold qui meurt à la fin de la bataille.

A suivre...

jeudi 24 septembre 2020

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (37)

 CHRONOLOGIE DE LA SUITE ET DE LA FIN DE LA BATAILLE D’HASTINGS

Épisode 3 (voir tableau article précédent) : Guillaume se fait reconnaître et redonne courage à ses troupes

 Il se produit au moment de la retraite éperdue des armées de Guillaume et de ses alliés, racontée à la page 54. Le duc, à ce moment du récit, ôta son casque et se fit reconnaître. Il  arrêta les normands dans leur fuite et leur tint ce discours : « Voyez-moi tous. Je vis et je vaincrai, Dieu aidant. Quelle démence vous pousse à la fuite? Quel chemin s'ouvrira à votre retraite? Vous vous laissez repousser et tuer par ceux que vous pouvez égorger comme des troupeaux. Vous abandonnez la victoire et une gloire éternelle, pour courir à votre perte, et à une perpétuelle infamie. Si vous fuyez, aucun de vous n'échappera à la mort.»

 Cet épisode (entouré ci-dessous en rouge) est mentionné dans la tapisserie de Bayeux (voir tableau comparatif) avec la mention HIC EST DUX WILE.. (ici est le duc Guillaume).
 

On y aperçoit Guillaume (4) levant son casque pour se faire reconnaître alors que son porte-étendard (A) le désigne du doigt pour que tous puissent le voir. Le duc ne tient à la main qu’un bâton de commandement, il n’est ni armé d’une épée ni protégé par un bouclier, son porte-étendard ne porte pas d’armes non plus. Cette représentation de Guillaume n’est pas corroborée par le chroniqueur qui écrit que le duc combattait vaillamment avec son épée et son bouclier.

 Il convient aussi de remarquer que sur la tapisserie de Bayeux la scène se produit au moment où Guillaume est engagé dans la bataille finale qui lui donnera la victoire et non lors de la retraite de ses troupes découragées par leur échec comme l’écrit le narrateur

A suivre

dimanche 20 septembre 2020

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (36)

 

CHRONOLOGIE DE LA SUITE ET DE LA FIN DE LA BATAILLE D’HASTINGS


Récit de Guillaume de Poitiers

Phylactère de la tapisserie de Bayeux

1 l’armée de Guillaume entame sa retraite, les normands croient que le duc a été tué.

 

2L’infanterie anglaise la poursuit croyant la victoire proche

 

3 Guillaume se fait reconnaître et redonne courage à ses troupes

 

4 les normands entament une contre-attaque qui isole l’avant-garde de l’armée anglaise  et la décime.

4 les normands attaquent les anglais, les isolent en petits groupes et les déciment

 

10  au cours de cette attaquent les deux frères du roi sont tués

5 cette  victoire partielle conduit les normands à utiliser la stratégie de l’attaque frontale contre d’autres contingents de l’armée anglaise,  c’est un échec.

 5 les anglais se ressaisissent et réussissent à stopper les attaques frontales des normands

6 Les normands usent d’une retraite stratégique pour isoler de nouveaux corps anglais lancés à leur poursuite afin de les attaquer par des mouvements d’encerclement. Cela réussit

 

7 les normands usent de la même stratégie d’enveloppement pour attaquer le corps principal de l’armée anglaise.

 

8 l’infanterie anglaise ploie sous les attaques incessantes des normands

 

9 le roi Harold est tué

 

10  les frères du roi sont également tués

 

11 les anglais fuient dans toutes les directions poursuivis par la cavalerie ducale

 

12 certains fuyards réussirent à se regrouper sur une colline entourée de marécages

12 les anglais se rassemblent sur une colline pour continuer la lutte

13 les normands les attaquent,  les premières charges échouent, les anglais disposant de l’avantage topographique

13 les normands les attaquent, leurs charges échouent

14 les attaques successives des normands réussissent, la colline est reprise

 

 

15 les anglais commettent une nouvelle fois l’erreur de descendre de la colline

 

16 par des charges successives,  les normands réussissent à isoler de petits groupes qu’ils peuvent plus facilement tuer

 

1 les normands croient que le duc a été tué, Guillaume lève son casque pour montrer qu’il est vivant.

 

9 le roi Harold est tué

 

11 les anglais fuient dans toutes les directions poursuivis par la cavalerie ducale


Sur quelle chronologie doit-on se baser pour raconter la fin de l’histoire de la bataille d’Hastings ?

Deux raisons me font penser que le récit de Guillaume de Poitiers est le plus vraisemblable.

   1 : Il est d’abord le plus complet, montrant l’alternance des déboires de l’armée de Guillaume et de ses réussites. La Tapisserie de Bayeux n’évoque que les réussites en occultant les moments pendant lesquels la défaite de l’armée ducale devenait vraisemblable.

On a l’impression que le récit de la bataille sur la tapisserie de Bayeux se réduit à deux phases : les difficultés passagères des armées ducales lorsque les anglais s’établissent sur des positions fortifiées et les victoires de la cavalerie normande sur l’infanterie anglaise dès que le combat se déroule en terrain plat. Comme lors de la guerre de Bretagne, délibérément, les phases d’échecs ont été largement occultées.

Cette manière de raconter la bataille, selon moi, se justifie par le fait que la tapisserie de Bayeux n’a pas pour but de raconter une conquête du duc mais beaucoup plus de montrer que Guillaume effectuait une guerre juste cautionnée par Dieu contre les impies ayant renié leur serment prêté sur les reliques 

2 : La deuxième raison qui me fait douter de la véracité de l’histoire racontée par la Tapisserie de Bayeux concerne les contradictions chronologiques relevées, la plus évidente concerne la mort du roi et de ses frères : la Tapisserie de Bayeux la place lors de deux phases différentes d’encerclement et de scission en petits groupes de l’infanterie anglaise. Guillaume de Poitiers nous indique simplement qu’après la bataille, les corps du roi et de ses frères ont été retrouvés sur le lieu de affrontement principal (§ 8,9 et 10 du tableau ci-dessus) ce qui l’a amené à penser que c’est là qu’ils avaient été tués.

 En conséquence de ce qui précède, même si cela peut paraître une position iconoclaste, je me propose de suivre la chronologie mentionnée par Guillaume de Poitiers en l’illustrant lorsque c’est possible, par l’image de la tapisserie de Bayeux  correspondant à l’épisode décrit dans la chronique.


lundi 27 janvier 2020

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (35)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA BATAILLE D’HASTINGS (14 octobre 1066) ;

LA STRATÉGIE DES NORMANDS

Guillaume de Poitiers nous apprend que le duc  Guillaume, pour attaquer la colline et l’encercler,  avait divisé son armée en plusieurs corps : les normands formaient le corps principal et le fer de lance de l’assaut ; le reste, composé d’auxiliaires et d’alliés,  était constitué en deux corps latéraux (le chroniqueur mentionne une aile gauche ce qui permet de penser qu’il existait une aile droite).

Dans un premier temps, le chroniqueur montre que « le duc et les siens, nullement effrayés par la difficulté du lieu, montèrent peu à peu la colline escarpée. Le terrible son des clairons fit entendre le signal du combat, et de toutes parts l'ardente audace des Normands entama la bataille ».

Guillaume envoya alors au front les gens de pied, d’abord les archers puis l’infanterie aux soldats armés de cotte de mailles. Combattant en contrebas de la colline contre un ennemi qui les dominait en altitude, il était évident qu’ils étaient dans une position défavorable et ils se firent massacrer. 

Guillaume de Poitiers le reconnaît : 
« Les gens de pied des Normands, s'approchant donc, provoquèrent les Anglais, et leur envoyèrent des traits et avec eux les blessures et la mort. Ceux-ci leur résistent vaillamment, chacun selon son pouvoir. Ils leur lancent des épieux et des traits de diverses sortes, des haches terribles et des pierres appliquées à des morceaux de bois. Vous auriez cru voir aussitôt les nôtres écrasés, comme sous un poids mortel. »

Le duc alors envoya alors la cavalerie à l’assaut de la colline, l’attaque se produisit de tous les côtés afin de l'encercler et d’obliger les anglais à combattre sur tous les fronts. 

C’est  cette second phase que l’on montre sur la tapisserie de BAYEUX : On y voit les cavaliers s’avancer ; ceux du premier rang (A) utilisent la lance comme arme d’estoc tandis que les suivants se préparent à lancer le javelot (B).   


Cette charge fut évidemment un nouvel échec : 
   . Pour attaquer à la lance d’estoc, il fallait gravir la colline et subir de contrebas les attaques des anglais.
   . Pour lancer le javelot avec force, il était nécessaire de dégarnir la poitrine afin de ne pas être gêné par le bouclier lors du lancer ; cette technique, bien visible sur la tapisserie de BAYEUX (cavalier B), laissait, pendant un temps, le cavalier vulnérable, elle fut évidemment utilisée par les anglais pour décimer les premiers rangs. 

Les cavaliers dans de telles conditions, tentèrent le corps à corps : « Honteux de combattre de loin, le courage de ces guerriers les anime à se servir de l'épée, c’est un nouvel échec. Les cris perçant que poussent les Normands et les barbares sont étouffés par le bruit des armes et les gémissements des mourants. On combat ainsi des deux côtés pendant quelque temps avec la plus grande force; mais les Anglais sont favorisés par l'avantage d'un lieu élevé, qu'ils occupent serrés, sans être obligés de se débander pour y arriver, par leur grand nombre et la masse inébranlable qu'ils présentent, et de plus par leurs armes, qui trouvaient facilement chemin à travers les boucliers et les autres armes défensives. Ils soutiennent donc et repoussent avec la plus grande vigueur ceux qui osent les attaquer l'épée à la main. Ils blessent aussi ceux qui leur lancent des traits de loin »

La tapisserie de Bayeux témoigne que cette phase fit de nombreuses victimes, ils sont représentés à deux niveaux : 
   .  En bas de la scène principale : Au vu de leurs position. L’un (C) est anglais, les autres (D) sont normands.
   . Au niveau de la bande inférieure (E) : De nombreux morts jonchent le sol. Ils sont tous représentés au pied de la colline comme si l’on voulait montrer que c’étaient des anglais. Cela n’est guère vraisemblable vu le déroulement des premières phases de la bataille.

Dans de tels conditions, il n’y avait pour les assaillants qu’une solution, la retraite : « Voilà qu'effrayés par cette férocité, les gens de pied et les chevaliers bretons tournent le dos, ainsi que tous les auxiliaires qui étaient à l'aile gauche; presque toute l'armée du duc recule ». 

Les Normands font de même  « à la nouvelle, vraie ou fausse, du trépas de (leur) chef. Les Normands crurent que leur duc et seigneur avait succombé »  

Cette retraite fut ressentie par les anglais comme une grande victoire, ils commettent alors l’erreur de descendre de la colline pour poursuivre l’armée de Guillaume en déroute. 

A suivre

jeudi 9 janvier 2020

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (34)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA BATAILLE D’HASTINGS (14 octobre 1066)

La description de la bataille d'Hastings sur la tapisserie de Bayeux témoigne d’une simplification considérable de son déroulement afin de faire penser à ceux qui la regarde, que cette bataille s’est déroulée sans aucune difficulté de la part des armées normandes. Ce n’est évidemment pas le cas, même Guillaume de Poitiers témoigne du fait que l'issue du combat fut, à un moment, problématique : à cet égard, il montre bien que la bataille s’est déroulée en deux phases séparées par une déroute provisoire des armées de Guillaume. 

De la chronique de Guillaume de Poitiers, je ne mentionnerai que les phrases ayant trait au combat lui-même sans toujours citer les détails hyperboliques destinés à montrer à la fois le courage des Normands et la couardise des anglais.

La première partie de la bataille représentée sur la tapisserie de Bayeux correspond, à quelques détails,  près à la relation du chroniqueur.


LA STRATÉGIE ANGLAISE 

Au début de la bataille, les armées d’Harold s’étaient établies sur une colline et non dans la plaine comme la tapisserie de Bayeux le laisse à penser. Cette position était la mieux adaptée pour combattre une armée composée d’une grande majorité de cavaliers. Ce choix stratégique ne correspondait évidemment pas, comme le prétend Guillaume de Poitiers, au fait qu’Harold «  n’osant pas combattre Guillaume sur un terrain égal », décida que les anglais se posteraient « sur un lieu plus élevé, sur une montagne voisine de la forêt par laquelle ils étaient venus. Alors les chevaux ne pouvant plus servir à rien, tous les gens de pied se tinrent fortement serrés. » 
La tapisserie de Bayeux montre bien la manière dont sont répartis les anglais :
   . Au centre se trouvaient les archers, (un seul est représenté (A), là aussi étaient entreposées les réserves et en particulier les javelots de lancée, deux soldats (B) les portent jusqu’au front.
   . Face aux attaquants, les combattants anglais forment une ligne serrée protégée par un rempart de boucliers, constituant ainsi une ligne continue. Les soldats d’Harold sont munis de javelots de lancée (C) mais aussi d’armes de combats rapprochés ; les épées sont encore dans leur fourreau, par contre, les haches (D) sont déjà sorties. 
Les anglais possédaient donc de sérieux atouts au début de la bataille, ils étaient établis sur une position quasiment impossible à vaincre par une armée ne disposant que d’une cavalerie. 
A suivre

samedi 28 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (33)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LA BATAILLE D’HASTINGS

Les grandes batailles sont rares à l’époque médiévale, elles sont, en effet, particulièrement coûteuses en hommes. C’est ainsi que les trois grandes batailles de la guerre de cent ans, Crécy, Poitiers et Azincourt ont décimé l’ost français. Tout est plutôt fait pour éviter les batailles rangées, la stratégie dominante à cette époque, était d’assiéger les forteresses ennemies afin de les détruire ou de les réutiliser comme base d’appui pour de futurs coups de main. 

La tapisserie de Bayeux, même si elle décrit de manière imparfaite et partisane la bataille d’Hastings, est un témoignage intéressant de la manière dont les hommes de la première partie du Moyen-âge  concevaient leur stratégie de combat. 

Pour connaître l’ordre de bataille mise en place par Guillaume, il convient de se référer au texte de Guillaume de Poitiers : 

Le duc « s'avança dans un ordre avantageux, faisant porter en avant la bannière que lui avait envoyée (le pape), il plaça en tête des gens de pied armés de flèches…, et au second rang d'autres gens de pied, dont il était plus sûr, et qui portaient des cuirasses: le dernier rang fut composé des bataillons de chevaliers, au milieu desquels il se plaça avec son inébranlable force, pour donner de là ses ordres de tous côtés, de la voix et du geste. »


Cette phase préliminaire de la bataille n’est pas mentionnée sur la tapisserie de Bayeux. Les vignettes ci-dessus ne montrent que la phase initiale de la bataille, on aperçoit les cavaliers normands s’avançant vers l’armée anglaise, les uns brandissent déjà leurs javelots tandis qu’en avant, les archers commencent lancer des salves de flèches sur les soldats d’Harold. Les deux premiers archers (A)  sont vêtus comme de simples paysans sans protection particulière ; les deux suivants, par contre, sont mieux protégés l’un est revêtu d’une cotte de mailles (B),  tandis que l’autre semble porter une armure faite de plaques recouvrant ses jambes (C). A l’exception de ce dernier dont le carquois est tenu par une lanière entourant le cou, les autres portent leurs carquois à la taille, position qui ne favorisait guère la rapidité des tirs. 

Cette partie de la tapisserie explicite clairement la stratégie de Guillaume : 
   . Dans un premier temps, les archers s’avancent en maintenant toutefois une bonne distance entre eux et l’ennemi et  ils le harcèlent par des bordées de flèches. 
   . Ensuite, la cavalerie s’élancera, lançant d’abord leurs javelots puis combattant au corps à corps. 
A suivre 

dimanche 22 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (32)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE. 

ISTE NUNTIAT HAROLDUM REGE DE EXERCITU WILELMI DUCIS (celui-ci renseigne le roi Harold sur l’armée du duc Guillaume)

Comme Guillaume, Harold a besoin de connaître la position de l’armée normande pour préparer sa stratégie. C’est pourquoi, lui aussi, envoie des éclaireurs qui, sur cette scène, viennent lui rendre compte de leur mission. Harold (2) tend la main vers son messager, indiquant, par ce geste, qu’il le questionne. L’un des deux éclaireurs (A)  tend le bras vers l’arrière montrant la direction par laquelle l’armée normande s’avance ; l’autre (B), observe l’horizon afin de renseigner le roi le plus précisément possible sur les mouvements d’approche des normands.  Les deux hommes sont situés sur une butte comme le montre les formes sinueuses représentant le sol.

La technique de découpage des scènes est bien visible ici, chacune d'entre elles est individualisée par le dessin d'arbres stylisés (E).


La scène suivante montre la harangue de Guillaume à ses troupes avant le combat alors que les deux armées sont, à ce moment, face à face.

 HIC WILLELM DUX ALLOQVITUR SUIS MILITIBUS UT PREPARARENT SE VI RILITER ET SAPIENTER AD PRELIUM CONTRA ANGLORUM EXERCITU (ici, le duc Guillaume exhorte ses soldats à se préparer courageusement et sagement au combat contre l’armée anglaise)

Cette scène est, à première vue, assez curieuse puisqu’elle représente Guillaume (4) semblant parler dans le vide alors que les cavaliers (C) lui tournent le dos et s’apprêtent à avancer. Un seul d'entre eux (D) tourne son regard vers le duc. En fait, le dessin ne montre pas Guillaume effectuant son discours mais plutôt la fin de celui-ci : le duc lève la main, semblant dire : c’est le moment d’attaquer ! Guillaume porte un casque et une cotte de mailles mais ne possède pas d’armes offensives, à l’exception de son bâton de commandement qui peut, d'ailleurs aussi, servir de moyen de défense. 

Pour connaître la teneur du discours de Guillaume, il faut se référer à la chronique de Guillaume de Poitiers  qui n’en cite toutefois que la partie qui lui fut rapportée : 

«  C'est maintenant, leur dit-il, que vos bras doivent prouver de quelle force vous êtes doués, quel courage vous anime. Il ne s'agit plus seulement de vivre en maîtres, mais d'échapper vivants d'un péril imminent. Si vous combattez comme des hommes, vous obtiendrez la victoire, de l'honneur et des richesses. Autrement vous serez égorgés promptement, ou captifs, vous servirez de jouets aux plus cruels ennemis. 

De plus, vous serez couverts d'une ignominie éternelle. Aucun chemin ne s'ouvre à la retraite; d'un côté, des armes et un pays ennemi et inconnu ferment le passage ; de l'autre, la mer et des armes encore s'opposent à la fuite. 

Il ne convient pas à des hommes de se laisser effrayer par le grand nombre. Les Anglais ont souvent succombé sous le fer ennemi; souvent vaincus, ils sont tombés sous le joug étranger, et jamais ils ne se sont illustrés par de glorieux faits d'armes. Le courage d'un petit nombre de guerriers peut facilement abattre un grand nombre d'hommes inhabiles dans les combats, surtout lorsque la cause de la justice est protégée par le secours du Ciel. Osez seulement, que rien ne puisse vous faire reculer, et bientôt le triomphe réjouira vos cœurs.»

Ce discours s’articule selon quatre grandes idées : 
   .  En premier lieu, Guillaume montre que, pour ses hommes, le choix est simple ou vaincre ou être tués ou captifs. 
   . Selon lui, il n’y a aucune autre échappatoire, l’armée normande est établie en pays ennemi et est environnée de deux dangers, tous les deux aussi périlleux l’un que l’autre : d’un côté, l’armée anglaise et de l’autre côté, la mer et la flotte d’Harold. 
   . Pourtant, proclame-t-il, la victoire est probable à la fois à cause de la supposée faiblesse militaire des anglais et, surtout, par le fait que Dieu bénit leur combat. 
   . Enfin, le duc promet à ses hommes, s’ils sont vainqueurs,  de grandes richesses puisqu’ils se partageront le pays. 

Selon moi, ce texte montre clairement que l’expédition normande en Angleterre fut essentiellement une guerre de conquête sous le prétexte avoué de la revendication du droit de Guillaume à régner sur le pays. 

Prochains articles : LA BATAILLE D’HASTINGS

vendredi 13 décembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (31)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX. 

L’ARMÉE DE GUILLAUME SE MET EN MARCHE

HIC MILITES EXIERUNT  DE HENSTENGA ET VENERUNT AD PRELIUM CONTRA HAROLDUM REX : (ici, les soldats sortirent d’Hastings et allèrent au combat contre le roi Harold.)

Le départ de l’armée de Guillaume n’est représenté que par une courte scène où l’on voit un soldat à pied d’œuvre (A) s’apprêtant à monter sur le cheval que lui a amené un serviteur (B). Ce soldat vient de sortir de la forteresse de Hastings comme le montre la porte ouverte de la tour-porche du château. Il est vêtu d’un haubert lui couvrant le corps ainsi que les avant-bras. Cette cotte de mailles s’arrête à ses genoux,  ses jambes sont protégées par des chausses de mailles. Il porte un camail sur la tête ainsi qu’un casque à nasal. 

Son armement se compose d’une épée et d’un javelot à oriflamme, il est sans doute complété par un bouclier. 

Une longue bande de la tapisserie de Bayeux montre le départ de l’armée et sa mise en ordre de marche. Pour des nécessités de place, j’ai dû scinder cette longue bande en deux parties.


Les premiers cavaliers constituant l’arrière garde (C) sont encore à l’arrêt, attendant que ceux qui les précèdent se soient ébranlés. En avant du corps principal, se trouve Guillaume (D) et son demi-frère Odon (E). Ils sont reconnaissables au fait qu’ils portent des massues et  ne disposent ni d’épée ni de boucliers. En ce qui concerne Guillaume, cette massue doit lui servir autant d’arme que de bâton de commandement. Odon, en tant qu’évêque, n’a pas le droit de porter une épée et de faire couler le sang, par contre, il peut toujours assommer un éventuel adversaire ; hormis cette particularité, Odon est habillé en combattant, portant cotte de mailles et casque à nasal. 

Guillaume et Odon sont suivis de deux cavaliers portant les oriflammes : l’un tient l’étendard ducal (F)  portant la croix que le pape avait envoyé au duc, l’autre brandit une bannière (G) représentant un oiseau (colombe ?) entouré d’un demi-cercle de flammes (armes de Robert de Mortain ?). 

Le corps d’armée principal est précédé d’une avant-garde représentée sur la tapisserie de Bayeux par deux cavaliers. (H)

 Afin de préparer sa stratégie d’approche, le duc a envoyé un certain nombre d’éclaireurs battre la campagne afin d’obtenir des informations sur les mouvements de l’ennemi ; l’un d’entre eux, appelé Vital (J), vient justement au rapport et, interrogé par Guillaume, lui donne la position de l’armée d’Harold. 

HIC WVILLELM DUX INTERROGAT VITAL SIVIDISSET HAROLDI EXERCITU ici le duc Guillaume demande à Vital s’il a vu l’armée  d’Harold

En regardant la tapisserie de Bayeux, on a l’impression  que l’armée normande se déploie sans encombre dans un ordre parfait ; ce n’est probablement pas le cas, comme le montre Guillaume de Poitiers dans sa chronique. 

En premier lieu, l’armée qui s’ébranle d’Hastings ne représente qu’une faible partie des effectifs totaux dont dispose Guillaume, en effet, « ce jour-là la plus grande partie de ses compagnons étaient allés fourrager » et étaient donc dispersés dans la campagne,  « Le duc aussitôt ordonna à tous ceux qui se trouvaient dans le camp de prendre les armes. » 

Ensuite et surtout, l’initiative de l’offensive n’est pas le fait de Guillaume ; c’est, en effet, Harold qui, le premier, met en branle son armée : « Le roi furieux se hâtait d'autant plus qu'il avait appris que les Normands avaient dévasté les environs de leur camp. Il voulait tâcher de les surprendre au dépourvu, en fondant sur eux pendant la nuit ou à l'improviste ».  Guillaume de Poitiers nous indique aussi comment le duc fut prévenu de l’attaque imminente de l’armée anglaise : ce  sont, écrit le chroniqueur,  « des chevaliers très-éprouvés, envoyés à la découverte par le duc, qui revinrent promptement annoncer l'arrivée de l'ennemi. », il est probable que ces chevaliers normands sont ceux qui avaient dévasté les alentours du camp d’Harold.

Ainsi Guillaume de POITIERS nous livre une version bien différente que celle suggérée par la tapisserie de Bayeux : selon son récit,  le départ de l’armée normande se fit précipitamment, dans l’improvisation et avec de faibles effectifs. On peut d’ailleurs remarquer l’absence dans cette armée en mouvement,  des hommes à pieds et des archers qui participeront à la bataille. 

Selon moi, la réalité se situe probablement entre les deux versions : le duc en effet ne se mit pas immédiatement en mouvement ; comme l’indique le chroniqueur, il prit le temps d’assister à la messe et ne semble guère inquiet, sûr de disposer de la bienveillance de Dieu : « assistant avec la plus grande dévotion au mystère de la -messe, (il) fortifia son corps et son âme de la communion du corps et du sang du Seigneur. Il suspendit humblement à son cou des reliques.. Le duc avait avec lui deux évêques, qui l'avaient accompagné de Normandie, Eudes, évêque de Bayeux, et Geoffroi Constantin, un nombreux clergé, et plusieurs moines. Cette assemblée se disposa à combattre par ses prières. Tout autre que le duc eût été épouvanté en voyant sa cuirasse se retourner à gauche pendant qu'il la mettait; mais il en rit comme d'un hasard, et ne s'en effraya pas comme d'un funeste pronostic. »

Prochain article : LES PRÉPARATIFS DE LA BATAILLE.