LE TRIPTYQUE DU « JARDIN DES DELICES » (5)
Le PANNEAU CENTRAL (5)
La partie centrale montre un carrousel d’hommes (L) tournant autour d’un bassin circulaire empli d’eau. Les montures de ces hommes sont variées : chevaux, chat tigré, ânes, dromadaire portant une balancelle, sangliers, vaches, cerfs ainsi que des animaux fantastiques (licorne) ou hybrides (cheval à tête d’oiseau). Les cavaliers utilisent toute sorte d’artifices pour se faire remarquer : certains portent des bannières ornées d’oiseaux, d’autre tiennent de gros poissons, deux autres font de l’équilibrisme sur leurs montures…
Au centre, dans le bassin circulaire (M), certaines femmes se baignent, cependant, la plupart observent le carrousel et semblent en discuter avec leurs voisines, on peut penser que le but est, pour elles, de se choisir un homme avec lequel elles pourront avoir des relations amoureuses. Plusieurs femmes portent des fruits sur la tête, il peut s’agir de pommes (symbole de la tentation et du mal) ou de cerises (symbole de luxure).
La partie basse montre, en gros plan, les ébats amoureux quasiment érotiques entre les couples, sans cependant que l’on puisse parler de pornographie, ce que d’ailleurs l’époque n’aurait pas permis. Elle est si foisonnante de détails que je me bornerai à décrire des scènes particulièrement significatives :
. (N) : deux personnages, la tête enfoncée dans une corolle de fleur dansent, ils portent des cerises à la main et sont entrelacés par des branches d’arbres portant des fruits. Au-dessus d’eux est posée une chouette (symbole au Moyen-âge du malheur et des mauvais esprits).
. (O) : un groupe de femmes et d’hommes cueillent des fruits (des pommes ou des cerises ?) tandis qu’un homme présente une fraise à une femme, comme pour l’attirer dans ses rets.
. (P) : un couple dans une forme sphérique flottant sur un petit lac attire à lui une mûre que d’autres, dans l’eau, s’apprêtent à déguster.
. (Q) : sur le même lac, s’approche un groupe de gros oiseaux, certains portent des êtres humains et en particulier un couple composé d’un homme blanc enserrant une femme à la peau noire, sur la partie basse du panneau sont représentés d’autres personnes à la peau noire.
. (R) : un couple est installé bien intimement dans un moule aux trois-quarts ouverte, portée par un homme.
. (S) : un couple s’est enfermé dans un tronc d’arbre pour se livrer à des ébats amoureux. Derrière, un oiseau monté sur l’arbre distribue des fruits (cerises) à un grand nombre d’êtres assemblés autour de lui.
. (T) : une femme émergeant d’un trou regarde tristement le comportement des humains, derrière elle se tient un homme habillé. Certains pensent qu’il pourrait s’agir d’Ève regardant tristement ce qu’est devenue l’humanité qu’elle a enfantée.
Ce panneau central pose aux historiens de l’art, une énigme : quel était le dessein de Jérôme Bosch lorsqu’il peignit ces scènes ? De nombreuses interprétations ont été émises, je n’en citerai que quatre :
Certains y ont vu une signification pornographique suggérée (les grandes compositions florales comporteraient, selon eux, des phallus et des sexes féminins). Pour moi, cette interprétation n’est pas admissible, l’époque ne l’aurait pas permis.
D’autres donnent une explication ésotérique, ce qui, vu l’époque, est tout aussi peu probable,
D’autres encore, pensent qu’il représente l’humanité avant le déluge, ce qui pourrait être vraisemblable ; pourtant cette hypothèse se heurte à de nombreuses interrogations : ainsi, il est rappelé dans la Bible, qu’après le péché originel, Adam et Ève se sont aperçus de leur nudité et l’ont couverte de feuilles, or les êtres humains du panneau central sont nus sans que cela ne les gênent.
La quatrième hypothèse découle d’une triple observation :
. D’abord la nudité assumée des êtres humains.
. Ensuite l’impression que dans cette société, il n’y a ni hiérarchie sociale ni pouvoir constitué, ni d’exploitation de l’homme par l’homme : tous les êtres humains vivent librement et en paix,
. En outre s’ajoute une autre remarque, le décor est semblable à celui de la création comme si une continuité existait entre les panneaux de gauche et du centre : grands motifs mi-architecturaux mi-floraux, campagne apaisée associant vertes prairies, lacs et forêts, lacs et bassins circulaires…
Ces caractéristiques conduisent à imaginer que Jérôme Bosch aurait voulu représenter ce qui serait advenu si Adam et Ève n’avaient pas commis le péché originel (non d’ailleurs figuré sur le panneau de gauche), le panneau central représenterait alors le jardin d’Eden peuplés des descendants des premiers êtres humains.
Dans cette perspective, on peut facilement relier les scènes représentées dans le panneau central à celles du panneau de droite. Les êtres vivants dans le jardin d’Eden, au lieu de vivre sagement dans la dévotion de Dieu, se seraient dévoyés en pratiquant l’intempérance et la lubricité. Dieu ne pouvant l’admettre aurait donc livré ces êtres au Diable et au tréfonds de l’enfer. Dans cette hypothèse, le panneau central ne serait qu’une métaphore de la société du 15e siècle dominée par le péché.
Selon cette hypothèse, les trois panneaux du JARDIN DES DÉLICES, comme ceux du JUGEMENT DERNIER racontent une histoire :
. La création d’Adam et Ève dans le jardin d’Eden
. Les êtres humains vivants dans le jardin d’Eden n’ont pas respecté les « commandements de Dieu »
. Dieu les punit en les livrant au Diable et en les vouant à l’enfer.
Il est cependant à remarquer que cette hypothèse ne cadre pas avec le panneau de droite qui représente dans sa partie supérieure la destruction œuvres humaines et en particulier de bâtiments qui n’existent pas sur le panneau central.