REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

lundi 6 juin 2016

LA LIBERTÉ (39) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES.

Suite  de l’article précédent 

LES GÉNOCIDAIRES HUTU DU RWANDA
Voici quelques témoignages glanés au fil de mes lectures à ce propos ;  ils corroborent ma conception du  mécanisme  conduisant  un homme à devenir un génocidaire et que j’ai déterminée dans le précédent article : « machine à obéir », bref sentiment d’horreur, déshumanisation, « machine à tuer »

On retrouve d’abord chez les Hutus le formatage de la « machine à obéir » ; celui-ci n’est pas effectué comme chez les SS dans des écoles du parti mais par une propagande colportée en particulier par la radio des mille collines, c’est donc toute la population Hutu qui était  visée, on ne peut donc pas parler au Rwanda de prédispositions particulières au génocide de quelques individus égocentriques soucieux de paraitre et de reconnaissance.

Voici ci-dessous un premier témoignage qui le montre :
 «  Dans la rue, à l’école, au bar, au stade, [les Hutus] n’ont entendu et appris qu’une leçon : le Tutsi est un insecte qu’il faut piétiner. Sinon le Tutsi enlève ta femme, il viole tes enfants, il empoisonne l’eau et l’air. La Tutsie,  elle ensorcelle ton mari avec ses fesses. Quand j’étais tout petit on m’a dit que les Tutsis me tueraient si je ne le faisais pas avant. » 

Ce formatage des esprits par la propagande ne conduisait pas inéluctablement au génocide surtout que les populations Hutus et les Tutsi étaient mélangées dans les villages et qu’entre voisins, il existait des liens d’amitié. Selon les témoignages, « la machine à obéir » ne se mît en place qu’au moment où elle eut la caution des autorités :

« Tuer c’est très décourageant si tu dois prendre toi- même la décision...Mais si tu dois obéir à des consignes des autorités...si tu vois que la tuerie sera totale et sans conséquences néfastes dans l’avenir, tu te sens apaisé et rasséréné. Tu y vas sans plus de gêne. »

L’étape  suivante dans la constitution du génocidaire est le sentiment d’horreur lors du premier crime, il est extrêmement difficile de tuer un voisin avec qui on entretenait des liens d’amitié, mais une fois que c’est fait, on peut tuer n’importe qui que l’on ne connaît pas, en voici trois témoignages :

« Pendant les tueries, je ne considérais plus rien de particulier dans la personne tutsie, sauf qu’elle devait être supprimée. Je précise  qu’à partir du premier monsieur que j’ai tué jusqu’au dernier, je n’ai regretté personne. »

«L’homme qui tue une fois ne peut plus s’arrêter. Il se passe quelque chose dans sa tête. Moi je ne savait même plus quel jour on était, si c’était le matin ou le soir. Tout était dans le sombre»,

«je ne peux pas me donner une cause raisonnable pour expliquer un seul mort. Moi non plus je ne peux pas expliquer comment quelqu’un qui a été à l’école peut prendre une machette ou une massue et tuer un être humain comme lui. Mais cela a été et je l’ai fait».

Que s’est-il passé ? Simplement, ces Hutus sont devenus des « machines à tuer », ils réagissent en automates et ressemblent beaucoup à ces SS que Broad décrivait comme «  bornés, sadiques et mégalomanes » n’expliquant leurs actes que pas ces trois mots : « il le faut ». Après coup, pour expliquer leurs crimes,  les génocidaires Hutus évoquent un dédoublement de personnalité ; pour moi, cette explication ne tient pas, ils disposaient encore de leur libre-arbitre avant leur premier crime.  le choc de celui-ci conduisit à les déshumaniser, le chemin menant au « casier de l'être » fut court-circuité  et il ne leur était  donc plus possible d'accéder aux « valeurs en soi » et à la liberté de choix qui en découle. Toute valeur, en particulier la notion de bien ou de mal, avaient disparu en eux. .

L’exemple des Hutus corrobore en grande partie ce qui a été observé chez les SS : « Machine à obéir », déshumanisation et « machine à tuer » sont bien constitutives des exécutants du génocide ; chez eux, il n’existe pas de choix entre le mal et le bien puisqu’ils sont devenus incapables d'accéder à ces valeurs, ils ne sont plus que des esclaves d’eux mêmes et des croyances qu’on leur a inculquées insidieusement.

Ces caractéristiques concernent les exécutants des génocides. Qu’en est-il de leurs concepteurs ?

A suivre...

dimanche 5 juin 2016

LA LIBERTÉ (38) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES.

Suite de l'article précédent

Le journal de Kremer permet aussi de se faire une idée assez précise de ce qui se passa en lui après son retour d’Auschwitz. deuxième question connexe posée dans l'article précédent.

Ce journal  ne comporte explicitement  aucune mention clairement exprimée de son passage dans les camps ; par contre, des allégations  implicites y apparaissent souvent du fait des aléas de la vie professionnelle de cet universitaire fourvoyé dans le génocide.

Kremer dès son retour à la vie civile ( il a alors 59 ans), demande au doyen de l'université de Munster de le réintégrer et de récupérer son poste de chargé de cours. Il lui fut répondu que ce poste provisoire avait été supprimé pour être remplacé par une chaire de biologie et d’hérédité et que ce n'était pas lui qui en serait le titulaire.  Le doyen puis le recteur lui  donnèrent de faux prétextes mais Kremer comprit très vite que c’était le caractère contestable de sa thèse qui avait motivé son rejet.

Il tenta de se défendre d’abord en arguant son appartenance au NSDAP mais surtout en montrant qu’il avait acquis de précieuses connaissances lors de son séjour à Auschwitz tant au niveau du savoir-faire qu’à celui de l’expérimentation de ses conceptions théoriques. Il indiqua sans doute aussi qu’il avait diversifié ses connaissances grâce à de nouvelles expériences, il écrivit également qu’il avait ramené d’Auschwitz des organes humains qui pourraient permettre de nouvelles analyses.

Tous ces arguments ne servant à rien, Kremer s’adressa au parti qui lui proposa divers postes (direction d'hôpital, conférencier dans l’appareil de propagande du parti) qu’il refusa comme indigne de son niveau scientifique   ; désormais, on ne fit plus appel à lui que pour les quêtes pour l’Oeuvre du parti. il s’enferma dans une tour d’ivoire, convaincu d’avoir raison envers et contre tous. Voici, par exemple, ce qu’il écrit en juin 1943 à propos des universitaires : «  fi, à ces eunuques de la science qui ne comprennent que le radotage de leurs maîtres qu’ils transmettent de génération en génération, je refuse tout honneur qui me serait décerné dans la robe de ces rejetons de stupides castrats » !

Dans tout son journal, on ne trouve donc aucune trace de remords ou de repentir ; son passage à Auschwitz n’a été que l’occasion de diversifier et d’approfondir ses connaissances scientifiques mais aussi de développer en les exacerbant  ses tendances égocentriques et sa certitude d’avoir raison seul contre tous.  Dans ces conditions, Kremer ne se reconnaît aucune faute, peu importe les crimes qu’il a ordonnés puisqu’ils étaient au service de la science.

Ce type de comportement post-genocide est-il spécifique à Kremer ou s’applique t’il aux autres SS ? Il est difficile de le savoir car ils tentèrent après la guerre de se faire oublier afin d’éviter d’être traduit en justice. Les rares témoignages dont j’ai pu avoir connaissance montrent que, selon eux,  ce qu’ils ont accompli était nécessaire et qu’il fallait le faire ; en conséquence, ils ne semblent avoir aucun remords au moins extérieurement. Qu’en est-il au fond d’eux mêmes ? Il est probable qu’ils ne se posent aucune  question ; chez eux, on peut penser que le cheminement vers les valeurs de l'être en soi est définitivement fermé et que seules comptent les valeurs du paraitre et des alibis qu’ils veulent bien se donner. Ils sont donc esclaves d’eux-mêmes, des croyances qu’on leur a imposées et qu’ils ont acceptées sans jamais les passer au crible de l’outil raison, du concours de circonstances qui les amenèrent inéluctablement à la déshumanisation nécessaire pour devenir des génocidaires.... Ce mécanisme d’évolution n’implique à aucun moment un choix raisonné entre le bien et le mal,

Ainsi, peut se définir un comportement type des génocidaires en cinq  étapes :
   . L'égocentrisme qui les amène à la volonté d’échapper à leur médiocrité et de s’affirmer dans la société,
   . L’agrégation  à ce corps d’élite qu’est la SS qui les formate en « machine à obéir »´
   . Le bref sentiment d’horreur face à la réalité des camps,
   . La déshumanisation qui en fait des « machines à tuer »,
   . L’absence de remords après l’action et même la glorification des actes accomplis au service de la cause qui les a amenés à devenir des assassins.

Cette évolution type du génocidaire s’applique t’elle seulement aux SS ou est-elle une caractéristique propre aux êtres humains ? Pour moi, c’est la seconde alternative qu’il fait privilégier : dans certaines circonstances, l’homme agit exactement comme les SS, l’exemple rwandais le montre sans conteste.

samedi 4 juin 2016

LA LIBERTÉ (37)ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES.

Suite de l’article précédent 

Il reste à se poser deux questions connexes à propos de ceux qui exécutent les génocides  :
   . Etaient-ils prédisposés à devenir des génocidaires et par quel cheminement le sont-ils devenus ?
   . Que se passe-t’il en eux une fois revenus à la vie normale ?

Le journal de Kremer peut apporter quelques éléments de réponse à ces deux questions. La lecture de ce journal permet d’abord  de constater qu’on y trouve  aucune référence à l’idéologie nazi, il ne mentionne ni le concept de supériorité de la race aryenne ni celui du problème juif. Cela peut étonner quand on lit que, Kremer est devenu membre du NSDAP en 1932 puis membre des SS à partir de 1935.

Pour tenter de comprendre ce qui a conduit ce docteur en philosophie et en médecine, agrégé d’anatomie et chargé de cours à l’université de Munster à participer au génocide, il faut se reporter à son journal antérieurement au 30 août 1942 et tenter de déceler s’il existe alors des prédispositions à des actes barbares.

Auteur d’une thèse de doctorat “ hérédité ou acquis, une contribution remarquable à l’analyse de l’hérédité de mutilations traumatiques” ( peut-il exister une transmission héréditaire d’un traumatisme), la grande préoccupation de Kremer en 1941 est de la faire publier, ce qui ne semble pas aller de soi vu le caractère contestable de ses conclusions. En mai 1941, il réussit à échapper à sa mobilisation  dans la Wehrmacht en faisant valoir son affiliation à  la SS, est alors affecté dans la Waffen SS et est nommé en tant que médecin au camp de concentration de Dachau où il arrive le 20 août 1941.

Dans son journal, Kremer ne fait aucune mention de la vie des prisonniers du camp et n’a d’ailleurs aucun contact avec eux puisqu’il n’est en charge que de la polyclinique réservée aux  SS.   Dans ce cadre privilégié et clos,  Il ne se préoccupe que de lui-même ; avide de jouir de tous les plaisirs de la vie, il décrit les bons repas pris au foyer des officiers, les beuveries auxquelles il participe,  la chambre toute neuve qui lui est allouée ;  il effectue de fréquentes promenades au cours desquelles il visite la région. C’est à Dachau qu’il s’initie à la chirurgie, Il fait aussi des cours aux élèves infirmiers,

Il découvre à quel point la vie est agréable à Dachau lors de ses permissions. Il évoque alors ses difficultés à trouver la nourriture à laquelle il est habitué et à se fournir en tout ce que nécessite sa vie quotidienne. C’est au cours d’une de ses permissions qu’il a la tristesse de perdre son canari, c’est pour lui une grande douleur et il se sent très seul !

Pendant son séjour à Dachau  sa thèse est publiée, il en éprouve une grande joie. On peut penser que son appartenance à la SS a facilité bien les choses à une époque où la purification ethnique était une préoccupation primordiale.

En août 1942,  il est nommé à Auschwitz afin de remplacer un médecin malade, il y restera jusqu’au 17 novembre 1942.

Pourquoi  Kremer a-t'il pu rester à Auschwitz après les premières horreurs dont il fut le témoin ? Au vu de sa manière d'être, il me semble que l’on peut discerner trois explications :
   . Il veut continuer à mener la vie facile dont il bénéficiait à Dachau ; c’est ce qui se produisit, les «actions spéciales» deviennent vite de la routine et il retrouva  cette vie de  plaisir et de bonne chère à laquelle il aspirait.
   . Il éprouve un intense besoin de reconnaissance de sa valeur ; lorsqu’il reçoit une promotion, (Il terminera Obersturmfuhrer, équivalent de lieutenant) on le sens surtout occupé d’avoir un uniforme rutilant et de bénéficier des avantages que lui prodiguent son grade (en particulier pour son approvisionnement en nourriture) ; son paraître face aux autres devient essentiel pour lui.
   . De même, il sait que sa thèse est vivement controversée ; or à Auschwitz se trouve un grand nombre de « sujets d'expérimentation ». il peut se livrer en toute quiétude à la vérification des hypothèses qu’il a émises et continuer ses recherches scientifiques.

Je n’ai pas à dessein mentionné chez Kremer le formatage en « machine à obéir » cela a dû moins  jouer chez lui que sur les êtres frustes qui composait la majeure partie de la SS,

De tout ce qui précède, on peut formuler l’hypothèse que Kremer n’avait pas de prédisposition particulière à participer à un génocide mais que certains traits de son caractère étaient des facteurs favorables à cela : son égocentrisme, son avidité de plaisirs prodigués dans une vie facile, et surtout sa volonté de reconnaissance auprès de ses pairs.

Si on applique ces conclusions à ce qui fait l’objet de ce chapitre, celui du choix entre le bien et le mal, on peut penser que Kremer n’a pas effectué le cheminement vers la connaissance de soi et  aux valeurs de l'être, il n’a pas choisi à priori le mal comme valeur en soi devant guider sa vie, ce qui l’a conduit à faire le mal, ce sont uniquement les valeurs du paraître, celles qui rendent l’individu esclave de lui-même.

Il est très probable que beaucoup de ceux qui sont entré dans la SS ont été attiré, comme Kremer, par les avantages matériels que pouvaient leur procurer cette fonction  avec la volonté de bénéficier d’une vie plus facile matériellement parlant et surtout par  l’envie de devenir quelqu’un, de se valoriser aux yeux des autres, de s’affirmer en tant que personne, d’entrer dans un corps d’élite chez qui règne une cohésion exemplaire, de s'agréger à une société où existe un fort sentiment de camaraderie.

Asuivre...

jeudi 2 juin 2016

LA LIBERTÉ (36) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES.

Suite de l’article précédent

L’association de la «machine à obéir » et de la « machine à tuer » conduisent les génocidaires à une mutation profonde de leur « être en soi » avec apparition chez eux d’une déshumanisation profonde. On retrouve cet état de fait dans le témoignage d’un SS Perry Broad qui fut affecté en tant que garde à Auschwitz puis passa à sa section politique. Ce témoignage a  été écrit après la guerre ce qui peut le rendre suspect, il l’est cependant moins que celui de Hoess car il présente les faits bruts sans chercher à se justifier.

Un court paragraphe décrit bien les mentalités des SS en charge de l’extermination :

« Si l'on demandait à un SS, en présence de ces cadavres des deux sexes et de tous âges gisant sur le sol le visage apaisé, pourquoi on faisait  mourir tous  ces  êtres humains,on recevait généralement la même explication, qui lui paraissait parfaitement suffisante : «Il le faut ! » Ces individus d'esprit borné, disposés au sadisme et à la mégalomanie et qui ne méritaient même pas le nom d'être humain, constituaient un sol bien  fertile  pour  la  propagande.  Ils  se  croyaient  fermement les représentants d'une race supérieure qui avait le droit de refuser aux hommes tout droit de vie, et même de les exterminer  par  tous  les  moyens  disponibles. Pour eux, tout simplement, un Juif n'était pas un  être  humain. »

Dans ce texte, trois mots résument parfaitement les mentalités de ces SS : borné, sadique et mégalomane.

Ils sont bornés par le fait qu’ils agissent sans se poser de questions sur ce qu’ils accomplissent, ayant perdu tout sens critique et libre arbitre.  Quand on leur demande pourquoi ils acceptent d’exécuter de tels actes, ils ne savent répondre que « il le faut » ; ils sont devenus incapables d’analyser ce qui se passe en eux comme si leur cerveau avait été décérébré, ils ne sont même plus des esclaves car ceux-ci gardent en eux la capacité de se révolter, ils sont devenu des automates.

Broad emploie aussi le mot sadique pour qualifier ces SS. On pourrait en effet penser qu’ils réaliseraient leur tâche mécaniquement, sans manifester de sentiments particuliers ; pour beaucoup, ce n’est pas le cas, le mot sadique fait penser qu’il ressentent une grande jouissance à accomplir leur mission : on les imagine sélectionner avec délectation ceux qui dans la file d’attente pourrait manifester un semblant de résistance pour les entrainer à l'écart et les abattre, contempler le groupe d’êtres humains nus alignés devant la porte de la chambre à gaz en imaginant la surprise qui les attend ; on peut aussi les  imaginer regardant à travers la vitre blindée les suppliciés tentant d’échapper à la suffocation puis s’abattre sans vie. Il me semble évident que les SS prennent plaisir à ce qu’ils font sous couvert de la rigidité disciplinaire à laquelle ils sont astreints. D’ailleurs pourquoi avoir des scrupules puisque les autorités leur ont fourni l’alibi parfait : les juifs ne sont pas des hommes !

Le troisième  qualificatif utilisé par Broad est celui de la mégalomanie des SS en charge de la solution finale. Elle se réfère, selon moi,  à deux caractéristiques :
   . la première est le sentiment de toute puissance qu'on en eux les SS d’Auschwitz, ils peuvent décider d’un simple geste de la destinée de milliers d’êtres humains, ils peuvent tuer eux-mêmes qui bon leur semble, personne ne leur demandera de compte, ils ont droit de vie et de mort sur tous les déportés, ils n’ont pas à fournir la moindre justification , seule comptera pour eux leur efficacité dans le traitement de la solution finale.
   . Ce sentiment de toute puissance est évidemment renforcé par cette phraséologie idéologique qui fait d’eux une race supérieure comme l’indique Broad.

Ainsi, ces trois mots résument parfaitement la vision que l’on peut avoir ces « machines à tuer » que sont les exécutants des génocides. Cette description des SS par  Broad me semble beaucoup plus conforme à la réalité par rapport à celle que fait Hoess des SS et de lui-même lorsqu'il fait état de doutes et d’incomprehension à propos des ordres que leur hiérarchie leur donne.

À suivre....

mardi 31 mai 2016

LA LIBERTÉ (35) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES

Suite de l’article précédent 

Le dernier extrait du témoignage de Hoess que je citerai ici est celui qui, selon moi, concrétise de manière évidente le fonctionnement des esprits devenus des “machines à obéir” ; il concerne la mort de presque 900 prisonniers de guerre russe pour laquelle on effectua le premier essai de gazage au moyen du zyclon B dans le crématoire du camp d’Auschwitz. Ce texte mérite d'être cité dans son intégralité tant il est révélateur des mentalités des SS après leur endoctrinement :

Ce n'est qu'au bout de plusieurs  heures qu'on ouvrit  la pièce et qu'on l'aéra.  Je vis alors pour la première fois des corps des gazés en tas. J'éprouvai un sen­timent de malaise et d'horreur. Pourtant je m'étais imaginé que la mort par le gaz serait pire. J'avais pensé que  ce serait  un atroce  étouffement.  Or, les cadavres ne portaient aucune trace de crispation. Les médecins m'expliquèrent que l'acide prussique exerce une influence paralysante sur les poumons si rapide et si puissante, qu'il ne provoque pas de phénomènes d'asphyxie semblables à ceux que produit  le gaz d'éclairage  ou la suppression  totale de l'oxygène.

Je ne m'étais pas livré alors à des réflexions  au sujet  de cette extermination des prisonniers de guerre russes. C'était un ordre et je n'avais qu'à l'exécuter . Mais je  dois dire en toute franchise que ce gazage  produisit sur moi un effet   rassurant,  car  bientôt  nous devions  commencer  l'extermination  des  Juifs et ni moi ni Eichmann nous n'avions aucune idée des méthodes à employer . Cela devait bien se faire avec le gaz, mais comment et avec quel gaz? A ce moment-là nous avions  le gaz et  le mode d'emploi”

Dans ce texte, trois mots-clés apparaissent : “malaise, horreur, rassurant” : on retrouve dans  les deux premiers mots, le cheminement qui fut celui de Kremer et sans doute de la plupart des SS lorsqu’ils furent pour la première fois confronté à ce type de scène. Pourtant ces sentiments sont vite balayés par un autre pour lequel Hoess utilise le mot “rassurant” .

Dans le précédent article, j’ai montré Hoess obnubilé par les multiples charges qui lui étaient dévolues ; parmi celle-ci, il lui fallait trouver un moyen de tuer rapidement et efficacement des convois entiers de juifs : il avait enfin trouvé la solution !

Encore faut-il savoir pour qui cette méthode serait rassurante : la suite du texte nous en fourni l’explication :
J'envisageais toujours avec horreur  les  fusillades massives  surtout celles des femmes et des enfants… nous n'aurions plus à assister à ces « bains de sang »   et l'angoisse pourrait être épargnée aux victimes  jusqu 'au dernier  moment. Or, c'est cela qui m' inquiétait le plus quand je pensais aux descriptions  que m'avait faites Eichmann du massacre des Juifs par  les «Einsatzgruppen»  au moyen de mitrailleuses ou de carabines automatiques . Des scènes épouvantables se déroulaient à cette occasion : des blessés s'enfuyaient, on en achevait  d'autres,  surtout des femmes  et des enfants.

De nombreux soldats du « «Einsatzgruppen» se suicidaient ne pouvant plus supporter de se baigner ainsi dans le sang. Plusieurs d'entre eux étaient devenus fous. La majorité de ces soldats avait recours à l'alcool pour effacer le souvenir de leur effroyable besogne.” 

Ainsi, pour Hoess, le gazage était “rassurant” non pas pour les victimes mais pour les SS qui pratiquait l'extermination par les armes à feu, il n’y aurait plus de sang, plus de carnage, les cadavres ne porteraient plus de traces de violence ! Effectivement, ce serait “rassurant”

Ainsi, la “machine à obéir” était devenue, après un bref instant d’horreur,  une “machine à tuer,  c’est selon moi selon un tel cheminement que l’on “fabrique” des génocidaires.

lundi 30 mai 2016

LA LIBERTÉ (34) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GÉNOCIDAIRES

Suite de l’article précédent

L’extrait ci-dessous du témoignage de Rudolf Hoess montre de manière frappante la manière dont est appliquée la “machine à obéir” que sont devenus les SS après leur formation. Il relate la manière dont le commandant d’Auschwitz fut amené à créer un camp d’extermination jouxtant le camp de concentration primitif.

“ Conformément à la volonté du Reichsführer SS, Auschwitz devint le plus grand établissement  d’extermination   des   hommes   que   l'histoire   ait   connu.   Lorsque, en été 1941, il me  donna  personnellement  l'ordre  de  préparer  à  Auschwitz  une place  pour  l'extermination  massive  et  me  chargea  moi-même  de  cette  opération ,  je ne pouvais me faire la moindre idée de l'envergure de cette entreprise et de l' effet qu'elle produirait . Bien  que  cet  ordre  fût  quelque  chose  d'extraordinaire ,  quel­que  chose  de  monstrueux ,  l'argumentation  qui  l'accompagnait  me   fit   paraître cette ·action d'extermination  tout  à  fait  juste.  A  l'époque  je  n'y  pensais  pas ;  j'ai reçu l'ordre, je  devais  l’exécuter. Que  cette  extermination  des  Juifs  fût  nécessaire ou non, je ne pouvais pas  me  permettre  d'en juger  ; je  ne pouvais pas voir  si  loin. Du moment où le Führer 109 lui-même avait ordonné  «  la  solution  définitive  du  problème juif » un vieux membre du parti national-socialiste n'avait pas à réfléchir,  surtout  quand   il  était  un  officier  SS.  «   Führer,  ordonne,  nous  suivons  » ce  n'était pour nous en aucun cas une simple formule , un slogan. On l'entendait strictement à la lettre.”

Ce texte montre à l'évidence que Hoess avait perdu à cette époque non seulement son sens critique mais aussi son humanité : il reçoit l’ordre de mettre en œuvre une extermination massive, et obéit sans état d'âme comme il l'écrit à  deux reprises : “j’ai reçu l’ordre, je devais l'exécuter” et “ Führer, ordonne, nous suivons”.  Non seulement, il ne discute pas l’ordre mais en plus Il l’appliquera sans réfléchir, sans le comprendre et, bien entendu, sans le juger : Puisque l’ordre émane de Himmler, il ne peut être que juste même s’il n’y parait pas de prime abord : le Reichführer possède en effet une vision globale du devenir de l’Allemagne que Hoess ne peut comprendre au niveau où il est. Hoess est devenu une “machine à obéir”, il a perdu totalement sa liberté, devenant esclave de ce qu’il considère comme son devoir.

Suite à cet ordre, Hoess s’emploie à obéir servilement à l’ordre en permettant sa mise en œuvre par les travaux d'aménagements du futur camp d’extermination. Son témoignage le montre occupé, par exemple, à chercher où il pourrait trouver assez de fil barbelé pour entourer le camp, à faire obéir ses subordonnés enfermés dans la routine du camp, à demander toujours plus aux déportés pour que tout soit prêt lorsque les premières juifs arriveraient.

“Harcelé éternellement par  le  Reichsführer  SS,  par  les difficultés  que  créait la guerre, par les embarras quotidiens du camp et de tout le domaine, embarras qu'entraînait le flot ininterrompu de nouveaux internés, je  ne  pensais  plus qu'à mon travail... Harcelé  moi-même, je  ne laissais pas respirer mes subordonnés, SS ou civils, tous les services inté­ressés, les entreprises privées  et  les  détenus .  Rien ne comptait  pour moi que de faire avancer le travail… pour exécuter  les ordres qu'on m'avait  donnés”

À suivre...

dimanche 29 mai 2016

LA LIBERTÉ (33) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GENOCIDAIRES.

 suite de l'article précédent

Les mutations de Kremer d’homme possédant la conscience de ses actes en “machine à tuer” posent une question essentielle : pourquoi, aux moments où il a manifesté un sentiment d’horreur n’a-t’il pas fui en refusant de participer à l’œuvre de mort de la solution finale ?

Pour le comprendre, on peut se référer au témoignage de Rudolf Hoess ; commandant SS du camp d’Auschwitz de 1940 à 1943, il fut à l'origine de la mutation du camp de concentration en camp d’extermination et c’est pendant son commandement que l’on expérimenta l’utilisation du ziclon B dans les chambres à gaz. Ce témoignage, établi après coup en 1947, est souvent sujet à caution puisque Hoess l’écrivit en tant que plaidoyer de défense lors de son procès à Cracovie qui le condamna à la peine de mort. Dans cette perspective, Hoess avait intérêt à présenter un profil humain en faisant par exemple état de ses doutes. Je n’ai donc cité ci-dessous que les extraits qui me semblent témoigner de ses conceptions pendant la période où il était en poste à Auschwitz.

« Ce n'est pas en vain que les cours d’entraînement pour les SS nous montraient les Japonais comme un brillant exemple de sacrifice total à l'Etat et à l’Empereur qui était en même temps leur Dieu. Les cours d’instruction des SS n'étaient pas, comme les conférences universitaires, un enseignement qui ne laissait pas de traces. Ils restaient profondément gravés dans leurs esprits et le Reichsführer SS (Himmler) savait très bien ce qu’il pouvait exiger de ses «estafettes de protection ».

Un ordre du Führer, et pour nous également l'ordre du Reichsführer
SS, étaient toujours justes »

Ce premier extrait montre clairement ce qui se passe dans les écoles de formation de la SS. Un principe fondamental y apparait : l’obéissance absolue aux ordres donnés, on montre aux futurs SS que le Führer et par délégation le Reichführer Himmler ont toujours raison dans ce qu’ils exigent des SS, ceux-ci doivent accomplir ce qui leur est demandé même s’ils ne comprennent le sens des ordres qu’on leur donne. Ils n’ont pas à émettre d’objections ni même de doutes, dans l’idéal, on cherche à “court-circuiter” en eux le chemin vers la voie du tiroir de “l’être en soi”, annihiler en eux tout libre-arbitre et même toute pensée pour n’en faire que des “machines à obéir”.

Dans la perspective de cette unique finalité, Hoess ne mentionne pas l’enseignement de l’idéologie du régime, Il n’évoque ni le concept de la race supérieure, ni celui de la résolution du problème juif. Seule compte l’idée de l’obéissance à tous les ordres qu’on leur donne, peu importe qu’ils ne les comprennent pas.

" Le Reichsführer SS était « intouchable ». Les ordres essentiels qu'il donnait au nom du Führer , étaient sacrés . Nous n' avions pas à y réfléchir, à les interpréter, à en rechercher le sens. Nous devions les exécuter jusqu'au bout,  même  en  sacrifiant  sciemment  notre vie, comme  beaucoup d'officiers  SS l'ont fait  pendant  la guerre."

Les SS d’Auschwitz ont-ils conservé, malgré le formatage de leurs esprits, des sentiments humains ? Oui selon Hoess comme en témoigne l’extrait ci-dessous :

« La plupart des participants m'abordaient pendant mes tournées d’inspection sur les lieux d'exécution pour se débarrasser de leurs doutes, me faire part de leurs impressions, espérant que  je  les  rassurerais.  Au  cours  de  nos conversations  confidentielles, ils  me posaient  toujours   la  même  question   :  "  Est-ce  vraiment   nécessaire  ce  que nous sommes obligés de faire ici? Est-il absolument nécessaire d’anéantir  des  centaines de milliers de femmes et d'enfants ? Et moi, qui  m'étais  posé mille fois,  dans mon for  intérieur,  la  même question, j'ai  dû, pour  les consoler, me contenter de vaines paroles en invoquant l'ordre du Führer . J'ai dû leur dire que cette extermination de la juiverie était indispensable pour libérer une fois pour toute l'Allemagne  et  nos descendants  de nos adversaires les plus  acharnés.

Bien qu'il fût évident pour nous que  l'ordre du Führer  ne saurait  être discuté et que c'était aux SS de l’exécuter, nous étions tous rongés par des doutes secrets. Personnellement, je ne pouvais dans aucun cas avouer mes doutes. Pour renforcer la résistance psychique de tous les participants, je devais me montrer inébranlablement
convaincu de la nécessité d'exécuter cet ordre si dur, si atroce. »

Hoess ainsi que ses officiers se présentent comme profondément tourmentés par ce qu’il doit accomplir ; sans nier la véracité de ces faits, il convient de les relativiser eu égard au moment où Hoess  écrivit ses mémoires., juste avant son procès.

A suivre...

samedi 28 mai 2016

LA LIBERTÉ (32) ET LE CHOIX ENTRE LE BIEN ET LE MAL : LE CONTRE EXEMPLE DES GENOCIDAIRES.


Suite de l’article précédent

Lorsqu’on considère les abominations commises par les exécutants de génocide dont j’ai donné quelques exemples dans l’article précédent, il se pose la question fondamentale de savoir si ces individus sont libres au moment où ils commettent leurs forfaits avec ce corollaire, ont-ils choisi en toute liberté les valeurs qui les pousse à agir ainsi ?

Tenter de répondre à cette question est difficile d’autant que la plupart de ces assassins n’ont jamais tenté de se justifier sinon par de vagues excuses fournies à posteriori du type :
   . Je me suis contenté d'obéir aux ordres, d’ailleurs, si je ne l’avais pas fait, je risquais d’être fusillé comme traître.
   . Ma patrie (ou ma race ou ma religion selon les cas) était menacée par des êtres malfaisants qui tentaient de détruire tout ce qui faisait notre identité, notre spécificité et notre civilisation ; les éliminer était de notre devoir.

Ces justifications des génocidaires ne sont que des alibis qu’ils veulent bien se donner, ils tentent de rendre admissible après coup les crimes commis aux yeux du monde et surtout à leurs propres yeux. Bien que variées, ces justifications  ressortent toutes de la même approche : je ne suis pas responsable, j’ai été esclave d’une force qui me dépassait et à qui j’ai obéi aveuglement, par contre, elles ne rendent absolument pas compte de ce qui se passe véritablement dans l’esprit des exécutants au moment où ils commettent leurs crimes.

Les sources d’information concernant ce dernier propos  sont difficiles à trouver, néanmoins on peut citer quelques témoignages de ces exécutants et en particulier émanant de SS en poste à Auschwitz.

Le premier est celui d’un des médecins SS du camp appelé Johann Paul Kremer qui écrivit au jour le jour son journal et arrive à Auschwitz le 30 août 1942.  Voici quelques extraits de celui-ci :

2 septembre 1942
J’ai assisté pour la première fois à une action spéciale extérieure (dans les chambres à gaz établies à l’extérieur du camp dans deux maisons appelées bunker) à trois heures du matin, en comparaison, l’enfer de Dante m’apparaît presque que comme une comédie…
3 septembre
Je suis tombé malade pour la première fois, victime des crises de diarrhée qui affectent tout le monde au camp...cela tient très probablement au climat malsain..accompagné de masse de poussière  et de mouches.
5 septembre
Aujourd’hui, à midi, j'étais présent à une action spéciale au camp de  femmes : le comble de l'horreur. Le Hauptscharführer Thilo (médecin de garnison) avait raison de me dire aujourd'hui que nous nous trouvions ici à l’anus mundi (au rectum du monde). Le soir, vers 8 h, j'assiste de nouveau à une action spéciale concernant les gens  en  provenance de  Hollande.   A  cause  de  la ration supplémentaire distribuée à de telles occasions, consistant en 1/ 5 litre d'alcool, 5 cigarettes, 100 g de saucisse et pain, les hommes se bousculent pour participer à de telles actions. Je suis de service aujourd'hui et demain.
6 septembre
Aujourd'huidimanche, excellent déjeuner : soupe aux tomates, 1/2 poulet avec pommes de  terre  et choux rouge (20 g de matière grasse), dessert et magnifique glace à la vanille. Le soir, vers 8 heures, je suis de nouveau présent à une action  spéciale  à  l'extérieur

Il apparaît d’abord chez Kremer un sentiment d’horreur devant cette monstruosité qu’on lui faisait voir et à laquelle il participa. Le choc émotionnel fut tel que le lendemain, il fut malade (bien qu’il n’ait bu, dit-il que de l’eau en bouteilles) deux jours après, à peine rétabli, assiste à une nouvelle “action spéciale” et manifeste le même sentiment d’horreur que la première fois. Pendant ces deux jours, il réagit selon le système de valeurs qu’il avait en lui et, par la même, manifeste qu’il est encore un homme libre.

Cette situation ne dura pas au-delà de ces deux jours, le lendemain de la deuxième action, il ne parle que du bon repas qu’il a fait et assiste le même jour sans manifester un quelconque sentiment à une action spéciale.

A ce moment Kremer avait, selon moi, perdu le chemin de l’introspection menant au casier de l'être et des valeurs qu’il renfermait, on a l’impression qu’il s’est produit en lui une sorte de court-circuit qui l’avait coupé tout contact avec son “être en soi”. Désormais, Il devint totalement insensible et indifférent aux souffrances des autres, réagissant mécaniquement  comme un automate à tout ce qu’on lui demandait de faire (actions spéciales, expériences médicales sur des gens que l’on tuait pour lui…), soucieux seulement de son paraître et de son plaisir (bon repas, achat de vêtements coûteux..) acceptant sans état d’âme tout ce qu’on lui inculquait. Il n'était même pas esclave de l'idéologie nazi, il avait perdu sa conscience et sa dignité d'être humain !

A suivre