Le dernier extrait du témoignage de Hoess que je citerai ici est celui qui, selon moi, concrétise de manière évidente le fonctionnement des esprits devenus des “machines à obéir” ; il concerne la mort de presque 900 prisonniers de guerre russe pour laquelle on effectua le premier essai de gazage au moyen du zyclon B dans le crématoire du camp d’Auschwitz. Ce texte mérite d'être cité dans son intégralité tant il est révélateur des mentalités des SS après leur endoctrinement :
“ Ce n'est qu'au bout de plusieurs heures qu'on ouvrit la pièce et qu'on l'aéra. Je vis alors pour la première fois des corps des gazés en tas. J'éprouvai un sentiment de malaise et d'horreur. Pourtant je m'étais imaginé que la mort par le gaz serait pire. J'avais pensé que ce serait un atroce étouffement. Or, les cadavres ne portaient aucune trace de crispation. Les médecins m'expliquèrent que l'acide prussique exerce une influence paralysante sur les poumons si rapide et si puissante, qu'il ne provoque pas de phénomènes d'asphyxie semblables à ceux que produit le gaz d'éclairage ou la suppression totale de l'oxygène.
Je ne m'étais pas livré alors à des réflexions au sujet de cette extermination des prisonniers de guerre russes. C'était un ordre et je n'avais qu'à l'exécuter . Mais je dois dire en toute franchise que ce gazage produisit sur moi un effet rassurant, car bientôt nous devions commencer l'extermination des Juifs et ni moi ni Eichmann nous n'avions aucune idée des méthodes à employer . Cela devait bien se faire avec le gaz, mais comment et avec quel gaz? A ce moment-là nous avions le gaz et le mode d'emploi”
Dans ce texte, trois mots-clés apparaissent : “malaise, horreur, rassurant” : on retrouve dans les deux premiers mots, le cheminement qui fut celui de Kremer et sans doute de la plupart des SS lorsqu’ils furent pour la première fois confronté à ce type de scène. Pourtant ces sentiments sont vite balayés par un autre pour lequel Hoess utilise le mot “rassurant” .
Dans le précédent article, j’ai montré Hoess obnubilé par les multiples charges qui lui étaient dévolues ; parmi celle-ci, il lui fallait trouver un moyen de tuer rapidement et efficacement des convois entiers de juifs : il avait enfin trouvé la solution !
Encore faut-il savoir pour qui cette méthode serait rassurante : la suite du texte nous en fourni l’explication :
“ J'envisageais toujours avec horreur les fusillades massives surtout celles des femmes et des enfants… nous n'aurions plus à assister à ces « bains de sang » et l'angoisse pourrait être épargnée aux victimes jusqu 'au dernier moment. Or, c'est cela qui m' inquiétait le plus quand je pensais aux descriptions que m'avait faites Eichmann du massacre des Juifs par les «Einsatzgruppen» au moyen de mitrailleuses ou de carabines automatiques . Des scènes épouvantables se déroulaient à cette occasion : des blessés s'enfuyaient, on en achevait d'autres, surtout des femmes et des enfants.
De nombreux soldats du « «Einsatzgruppen» se suicidaient ne pouvant plus supporter de se baigner ainsi dans le sang. Plusieurs d'entre eux étaient devenus fous. La majorité de ces soldats avait recours à l'alcool pour effacer le souvenir de leur effroyable besogne.”
Ainsi, pour Hoess, le gazage était “rassurant” non pas pour les victimes mais pour les SS qui pratiquait l'extermination par les armes à feu, il n’y aurait plus de sang, plus de carnage, les cadavres ne porteraient plus de traces de violence ! Effectivement, ce serait “rassurant”
Ainsi, la “machine à obéir” était devenue, après un bref instant d’horreur, une “machine à tuer, c’est selon moi selon un tel cheminement que l’on “fabrique” des génocidaires.
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