suite de l'article précédent
Les mutations de Kremer d’homme possédant la conscience de ses actes en “machine à tuer” posent une question essentielle : pourquoi, aux moments où il a manifesté un sentiment d’horreur n’a-t’il pas fui en refusant de participer à l’œuvre de mort de la solution finale ?
Pour le comprendre, on peut se référer au témoignage de Rudolf Hoess ; commandant SS du camp d’Auschwitz de 1940 à 1943, il fut à l'origine de la mutation du camp de concentration en camp d’extermination et c’est pendant son commandement que l’on expérimenta l’utilisation du ziclon B dans les chambres à gaz. Ce témoignage, établi après coup en 1947, est souvent sujet à caution puisque Hoess l’écrivit en tant que plaidoyer de défense lors de son procès à Cracovie qui le condamna à la peine de mort. Dans cette perspective, Hoess avait intérêt à présenter un profil humain en faisant par exemple état de ses doutes. Je n’ai donc cité ci-dessous que les extraits qui me semblent témoigner de ses conceptions pendant la période où il était en poste à Auschwitz.
« Ce n'est pas en vain que les cours d’entraînement pour les SS nous montraient les Japonais comme un brillant exemple de sacrifice total à l'Etat et à l’Empereur qui était en même temps leur Dieu. Les cours d’instruction des SS n'étaient pas, comme les conférences universitaires, un enseignement qui ne laissait pas de traces. Ils restaient profondément gravés dans leurs esprits et le Reichsführer SS (Himmler) savait très bien ce qu’il pouvait exiger de ses «estafettes de protection ».
Un ordre du Führer, et pour nous également l'ordre du Reichsführer SS, étaient toujours justes »
Un ordre du Führer, et pour nous également l'ordre du Reichsführer SS, étaient toujours justes »
Ce premier extrait montre clairement ce qui se passe dans les écoles de formation de la SS. Un principe fondamental y apparait : l’obéissance absolue aux ordres donnés, on montre aux futurs SS que le Führer et par délégation le Reichführer Himmler ont toujours raison dans ce qu’ils exigent des SS, ceux-ci doivent accomplir ce qui leur est demandé même s’ils ne comprennent le sens des ordres qu’on leur donne. Ils n’ont pas à émettre d’objections ni même de doutes, dans l’idéal, on cherche à “court-circuiter” en eux le chemin vers la voie du tiroir de “l’être en soi”, annihiler en eux tout libre-arbitre et même toute pensée pour n’en faire que des “machines à obéir”.
Dans la perspective de cette unique finalité, Hoess ne mentionne pas l’enseignement de l’idéologie du régime, Il n’évoque ni le concept de la race supérieure, ni celui de la résolution du problème juif. Seule compte l’idée de l’obéissance à tous les ordres qu’on leur donne, peu importe qu’ils ne les comprennent pas.
" Le Reichsführer SS était « intouchable ». Les ordres essentiels qu'il donnait au nom du Führer , étaient sacrés . Nous n' avions pas à y réfléchir, à les interpréter, à en rechercher le sens. Nous devions les exécuter jusqu'au bout, même en sacrifiant sciemment notre vie, comme beaucoup d'officiers SS l'ont fait pendant la guerre."
" Le Reichsführer SS était « intouchable ». Les ordres essentiels qu'il donnait au nom du Führer , étaient sacrés . Nous n' avions pas à y réfléchir, à les interpréter, à en rechercher le sens. Nous devions les exécuter jusqu'au bout, même en sacrifiant sciemment notre vie, comme beaucoup d'officiers SS l'ont fait pendant la guerre."
Les SS d’Auschwitz ont-ils conservé, malgré le formatage de leurs esprits, des sentiments humains ? Oui selon Hoess comme en témoigne l’extrait ci-dessous :
« La plupart des participants m'abordaient pendant mes tournées d’inspection sur les lieux d'exécution pour se débarrasser de leurs doutes, me faire part de leurs impressions, espérant que je les rassurerais. Au cours de nos conversations confidentielles, ils me posaient toujours la même question : " Est-ce vraiment nécessaire ce que nous sommes obligés de faire ici? Est-il absolument nécessaire d’anéantir des centaines de milliers de femmes et d'enfants ? Et moi, qui m'étais posé mille fois, dans mon for intérieur, la même question, j'ai dû, pour les consoler, me contenter de vaines paroles en invoquant l'ordre du Führer . J'ai dû leur dire que cette extermination de la juiverie était indispensable pour libérer une fois pour toute l'Allemagne et nos descendants de nos adversaires les plus acharnés.
Bien qu'il fût évident pour nous que l'ordre du Führer ne saurait être discuté et que c'était aux SS de l’exécuter, nous étions tous rongés par des doutes secrets. Personnellement, je ne pouvais dans aucun cas avouer mes doutes. Pour renforcer la résistance psychique de tous les participants, je devais me montrer inébranlablement convaincu de la nécessité d'exécuter cet ordre si dur, si atroce. »
Bien qu'il fût évident pour nous que l'ordre du Führer ne saurait être discuté et que c'était aux SS de l’exécuter, nous étions tous rongés par des doutes secrets. Personnellement, je ne pouvais dans aucun cas avouer mes doutes. Pour renforcer la résistance psychique de tous les participants, je devais me montrer inébranlablement convaincu de la nécessité d'exécuter cet ordre si dur, si atroce. »
Hoess ainsi que ses officiers se présentent comme profondément tourmentés par ce qu’il doit accomplir ; sans nier la véracité de ces faits, il convient de les relativiser eu égard au moment où Hoess écrivit ses mémoires., juste avant son procès.
A suivre...
A suivre...
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