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lundi 30 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (8)

  LE MEILLEUR RÉGIME POLITIQUE 

La réponse à cette question peut paraître, à première vue, surprenante eu égard à ce qui a précédé dans les précédents articles : pour lui, le moins  précaire des régimes politiques parmi les six précédemment cités, est celui de la DÉMOCRATIE. 

Cette allégation est évidemment à mettre en rapport avec son étude  de la République romaine effectuée dans le « Discours à propos de la première décade de Tite-Live ». Machiavel admire la république romaine tant dans les comportements de ses concitoyens que pour sa destinée grandiose  qu’il compare à tout propos avec la médiocrité des êtres humains et des princes de son époque. Il est peut-être de parti-pris et ne possède qu’une connaissance livresque des républiques du passé mais les arguments qu’il défend sont, à mon avis, tout à fait pertinents et défendables. 

Machiavel donne de nombreux exemples de la supériorité du pouvoir du peuple sur celui du Prince, je les ai classés en quatre items : 

. Le respect de la pluralité des voix et la liberté d’émettre une opinion.

. Le règne des lois. 

. La stabilité des institutions préservant la République de la tyrannie.

. L’égalité des chances. 

 

LE RESPECT DE LA PLURALITÉ DES VOIX ET LA LIBERTÉ DES OPINIONS

En premier lieu, la République est, par essence même, le garant de la liberté des citoyens avec son corollaire, la liberté d’expression ; chacun peut exprimer son avis, cela est essentiel dans une démocratie directe puisque le pouvoir appartient à l’assemblée du peuple. Certes, cette liberté peut dégénérer en querelles mais, selon Machiavel, le peuple réussit toujours à prendre la décision la plus sage et la plus conforme aux intérêts des citoyens ; il suffit, en cas de débat passionné, qu’un orateur dont la sagesse  et la vertu est connue de tous s’exprime à la fois pour établir une synthèse des opinions opposées et montrer que cette synthèse est la plus avantageuse pour la cité. Il en est de même quand deux orateurs défendent des projets opposés, le peuple saura toujours choisi la meilleure des alternatives. Machiavel en est foncièrement convaincu, c’est pour cela qu’il écrit : « ce n’est pas sans raison que l’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu » (discours, livre 1 chapitre 58) 

Dans le même chapitre, il écrit : 

« Quant au jugement que porte le peuple sur les affaires, il est rare, lorsqu’il entend deux orateurs qui soutiennent des opinions opposées, mais dont le talent est égal, qu’il n’embrasse pas soudain la meilleure, et ne prouve point ainsi qu’il est capable de discerner la vérité qu’il entend. » 

Certes, il peut en résulter des désaccords  et même des conflits entre les citoyens mais s’ils sont vertueux, « les harangues publiques sont là pour redresser leurs idées ; il suffit qu’un homme de bien se lève et leur démontre par ses discours qu’elles s’égarent. Car les peuples, comme l’a dit Cicéron, quoique plongés dans l’ignorance, sont susceptibles de comprendre la vérité, et ils cèdent facilement lorsqu’un homme digne de confiance la leur dévoile » (livre 1 chapitre 2) 

A l’inverse, dans un régime princier à tendance tyrannique, la liberté d’expression n’existe pas, au contraire, elle est combattue et qualifiée de tentative de rébellion contre le régime. Seuls compte l’avis du Prince et son opinion, c’est en fonction de ceux-ci qu’il agit sans que le peuple soit consulté. Celui-ci n’a d’autre solution que de manifester sa colère par des manifestations, souvent sauvagement réprimées. 

Combien souvent, « un prince n’est-il pas entraîné par ses propres passions, qui sont bien plus nombreuses et plus irrésistibles que celles du peuple » (discours livre 1 chapitre 58) 

« Les discours d’un homme sage peuvent ramener facilement dans la bonne voie un peuple égaré et livré à tous les désordres ; tandis qu’aucune voix n’ose s’élever pour éclairer un méchant prince ; il n’existe qu’un seul remède, le fer. » (Ibid). 

Ainsi apparaît une différence fondamentale entre la république et le régime princier : dans une république démocratique, les querelles et les invectives se produisent avant la prise d’une décision, par contre, dans un régime de tyrannie princière, elles se produisent après. 

« L'pinion défavorable que l’on a du peuple ne prend sa source que dans la liberté avec laquelle on en dit du mal sans crainte, même lorsque c’est lui qui gouverne ; au lieu qu’on ne peut parler des princes sans mille dangers et sans s’environner de mille précautions ». (ibid)

 LE RÈGNE DE LA LOI

La deuxième différence entre la République et le régime tyrannique des princes concerne le règne de la loi. Le Prince gouverne selon son bon plaisir, créant des lois quand il le veut et ainsi cumulant les trois pouvoirs définis par Montesquieu : il fait la loi, la fait exécuter et punit ceux qui y contreviennent. Dans une république démocratique, c’est le peuple lui-même qui décide de la loi et la fait appliquer. Il en résulte de nombreuses conséquences :

. Le respect des lois dans une république est plus important que dans un régime tyrannique ; les lois d’une république, du fait qu’elles sont votées par les citoyens à la majorité des suffrages, sont axées uniquement sur la recherche du bien commun, les lois du Prince sont le plus souvent établies au bénéfice de lui seul ; en conséquence, à la moindre faille de l’Etat, le peuple s’empresse de désobéir. 

. L’utilisation de la cruauté est moins importante dans une république que dans une principauté tyrannique : dans une république, lorsqu’on punit, on le fait selon la loi ; dans une principauté, la punition est effectuée de manière arbitraire et souvent disproportionnée par rapport aux faits réels. En effet, pour durer, faute d’obtenir l’assentiment de ses sujets, le Prince ne peut compter que sur la violence de sa répression.

Ainsi écrit Machiavel « La cruauté de la multitude s’exerce sur ceux qu’elle soupçonne de vouloir usurper le bien de tous ; celle du prince poursuit tous ceux qu’il regarde comme ennemis de son bien particulier ».

. Du fait que tous les actes du gouvernement doivent passer par un long cheminement allant des magistrats au peuple, la politique des républiques est plus réfléchie et plus prudente que celle des princes agissant souvent de manière impulsive selon leur humeur du moment sans toujours réfléchir aux conséquences de décisions trop hâtives. 

« Je  soutiens qu’un peuple est plus prudent, moins volage et d’un sens plus droit qu’un prince. »

Machiavel cependant nuance largement son avis à ce propos, il montre en particulier que les républiques et en particulier la république romaine prend en compte, dans son analyse, le fait qu’en cas de danger immédiat mettant en péril la République, il existe un mécanisme temporaire de gouvernement sous forme de l’élection d’un dictateur cumulant tous les pouvoirs, à charge pour lui d’en rendre compte. 

LA STABILITÉ DES INSTITUTIONS PRÉSERVE LA REPUBLIQUE DE LA TYRANNIE COMME DE LA DÉMAGOGIE 

La troisième supériorité des républiques est la plus grande stabilité du régime par rapport à celui institué par un prince : il est en effet quasiment impossible à un citoyen aspirant à instaurer une tyrannie de mener à bien son projet du double fait que c’est du peuple que procède tous les pouvoirs et que la quasi-totalité des magistratures est  temporaire : il est évident que le peuple n’a aucun intérêt à élire un citoyen qui le privera de toutes ses libertés ; par contre, dans les principautés, l’instabilité du régime politique est patent, le Prince est, en effet, entouré de jaloux, prêts à prendre sa place dès qu’ils perçoivent la moindre faiblesse de sa part. 

Cette caractéristique est rappelée à de nombreuses reprises par Machiavel : 

« Pour qu’un citoyen puisse nuire à l’État et usurper un pouvoir extraordinaire, il faut d’abord le concours d’une foule de circonstances qui ne se rencontrent jamais dans une république qui a conservé la pureté de ses mœurs. Il a besoin d’être extrêmement riche et d’avoir un grand nombre de clients et d’amis, ce qui ne peut avoir lieu là où règnent les lois ; et en supposant qu’un pareil citoyen existât, il parait tellement redoutable qu’il ne peut obtenir les suffrages libres du peuple. (Livre 1 chapitre 34) 

 

« Jamais on ne persuadera au peuple d’élever à une dignité un homme corrompu et signalé par l’infamie de ses mœurs, tandis qu’il y a mille moyens de le persuader à un prince. Lorsqu’un peuple a pris quelque institution en horreur, on le voit persister des siècles dans sa haine : cette constance est inconnue chez les princes (livre 1 chapitre 58)


« Un peuple qui commande, sous l’empire d’une bonne constitution, sera aussi stable, aussi prudent, aussi reconnaissant qu’un prince ; que dis-je ? Il le sera plus encore que le prince le plus estimé pour sa sagesse. D’un autre côté, un prince qui a su se délivrer du joug des lois sera plus ingrat, plus mobile, plus imprudent que le peuple. La différence qu’on peut remarquer dans leur conduite ne provient pas du caractère, qui est semblable dans tous les hommes, et qui sera même meilleur dans le peuple ; mais de ce que le respect pour les lois sous lesquelles ils vivent réciproquement est plus ou moins profond ». (Livre 1 chapitre 58) 

 

L’ÉGALITÉ DES CHANCES

 

Le quatrième avantage du système démocratique est que la république est capable de donner ses chances à tous qui se sont distingués par de hauts faits : un jeune homme qui a manifesté de grandes qualités tant de  courage que de ténacité peut, dans une république, suivre rapidement le cursus honorum et aspirer à de hautes fonctions, normalement réservées aux personnes plus âgées.

 

Par  contre, dans une principauté tyrannique, un homme valeureux et capable risque très vite d’être jalousé par le Prince qui se méfiera de lui et de sa popularité et pourra même l’accuser de comploter contre lui afin de le déconsidérer. 

 

« celui qui veut obtenir les mêmes succès que Rome ne doit point établir dans son sein de distinction. Si cela est vrai pour la naissance, la question de l’âge est résolue ; elle en est la suite nécessaire. En élevant un jeune homme à une dignité qui exige la prudence d’un vieillard, il est clair, puisque la multitude le choisit, que quelque action éclatante l’a rendu digne d’être porté à ce rang élevé. Et, quand le mérite d’un jeune homme brille de tout l’éclat que répandent sur lui ses belles actions, il serait dangereux que l’État ne pût dès lors en tirer avantage, et qu’il fallût attendre que la vieillesse eût glacé cette force d’âme et cette activité qu’on aurait pu employer au service de la patrie. (Livre 1 chapitre 60) 

 

Qu’on parcoure tous les excès commis par les peuples, et ceux où les princes se sont plongés, toutes les actions glorieuses exécutées par les peuples, et celles qui sont dues à des princes, et l’on verra combien la vertu et la gloire des peuples l’emportent sur celles des princes. Si les derniers se montrent supérieurs aux peuples pour former un code de lois, créer les règles de la vie civile, établir des institutions ou des ordonnances nouvelles, les peuples à leur tour sont tellement supérieurs dans leur constance à maintenir les constitutions qui leur sont données, qu’ils ajoutent même à la gloire de leurs législateurs.»


Il est regrettable que les tenants de notre pseudo démocratie ne lisent pas Machiavel ; ils comprendraient alors peut-être  qu'il serait vital pour leur survie de transformer en profondeur nos institutions en faisant, entre autre, voter les lois par le peuple, en ne proposant aux citoyens que des lois au vocabulaire compréhensif pour tous et en généralisant à tous les niveaux une justice effectuée par le peuple afin de préserver les libertés collectives.

 

samedi 28 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (7)

LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE.  

LES CONCEPTIONS DE MACHIAVEL SONT ELLES TRANSPOSABLES À NOTRE ÉPOQUE ?

En ce qui concerne la nature de l’homme, beaucoup de caractéristiques relevées par Machiavel à propos de son époque  restent encore d’actualité actuellement. Cependant, ces caractères (ingrats, inconstants, dissimulés, tremblant devant les dangers, avides au gain) sont soigneusement camouflés par un concept général que l’on peut énoncer par une seule locution : « je suis libre, je fais ce que je veux » : grâce à elle, on peut cacher ses instincts sociaux pervers par une affirmation moralement admissible aux yeux de tous. Cependant, cette liberté à tous prix n’a rien à voir avec le concept de liberté tel que le prônaient les républiques antiques : pour celles-ci, la notion de liberté était d’abord conçue comme la liberté collective d’un peuple assemblé pour proposer des lois permettant la liberté individuelle tout en la canalisant afin de garantir la liberté publique. A notre époque, c’est uniquement la liberté de l’individu qui est revendiquée et magnifiée au détriment des libertés collectives. Notre monde a rejeté tout ce qui pouvait entraver sa liberté : la morale chrétienne tout comme les idéaux de la République, sont oubliés ou ne sont plus que des vains mots, seuls comptent l’individualisme forcené et l’égocentrisme, 

Certes, il  existe   une majorité silencieuse  de « braves gens » capables de compassion, de dévouement envers les autres, capables de donner de leur temps pour aider les exclus de la société à  trouver un peu de bonheur Certains sont même prêts à sacrifier leurs propres vies pour les autres. Les esprits tordus peuvent certes objecter qu’un acte altruiste est effectué plus pour la satisfaction de son propre ego que pour aider réellement les autres, mais même cette observation réductrice, n’oblitère pas le fait que ces « braves gens », issus le plus souvent des classes populaires, constituent le fonds réel de notre société. 

 

Pourtant, malheureusement, leurs comportements exemplaires subissent l’influence pernicieuse et perverse des tenants de la liberté individuelle absolue et de l’égocentrisme.

 

 Les exemples abondent de cette propagation du chancre de l’individualisme forcené qui a tendance à polluer toutes les strates sociales : en voici deux exemples qui correspondent exactement aux théories élaborées par Machiavel à propos des errements de son temps et de sa description d’une société corrompue :   

     . L’ingratitude est souvent manifeste dans les rapports sociaux : ainsi, tant que l’on rend service à quelqu’un, on est bien vu de lui, il nous rend de fréquentes visites et n’hésite pas à nous inviter, on pense alors avoir affaire à un vrai ami. Pourtant, si pour une bonne raison, on cesse de rendre le service, ceux qu’on croyait ses amis se détournent et n’hésitent pas à critiquer ceux qui les ont aidés. 

     . La rapacité et l’âpreté au gain sont également patents dans notre société, elle touche la quasi-totalité des gens : il faut toujours gagner plus pour posséder plus, la plupart des individus se livrent à de véritables compétitions pour exhiber la plus belle voiture, le robot ménager le plus sophistiqué, la plus grande maison,… même si on risque d’être lourdement endetté par ces achats souvent inconsidérés. 

 

Le concept de société duale avait également été évoqué par Machiavel dans le « discours… à propos de Tite-Live » comme je l’ai montré lorsque j’ai décrit les raisons qui ont conduit au passage de la gouvernance de la république romaine à celle du Moyen-Age et de la Renaissance italienne du fait de la christianisation de l’occident. Machiavel avait alors divisé la société en deux corps : 

     . Les humbles qui subissaient passivement leur sort afin de mériter le salut, je les assimile aux « braves gens que j’ai évoqués ci-dessus 

     . Ceux que j’ai appelé les crapules qui profitaient de cette passivité pour imposer leur dictature et à inciter les humbles à se pervertir à leur image. 

 

Notre époque possède également le second type de société : elle comporte une minorité de gens sans scrupules et  avides de pouvoir, ils savent manipuler le corps social pour assouvir leurs instincts de possession, ils profitent de la passivité des « braves gens » pour imposer leur système politique et économique et pour pervertir de plus en plus largement l’ensemble du corps social. 

 

Cette dualité est si évidente que l’on parle communément de « France d’en haut » et de « France d’en bas ». Il va de soi que ce ne sont plus les conceptions chrétiennes qui structurent la société en deux catégories même s’il subsiste dans le fonds mental de notre civilisation de larges réminiscences du passé chrétien et de sa morale.

 

En ce qui concerne, ceux de la pseudo « France d’en haut » et à la différence des notables des États italiens, de l’époque de Machiavel, ils n’étalent pas au grand jour leur appétit de conquête et leur volonté exacerbée de puissance  et utilisent des méthodes plus subtiles et mieux camouflées. C’est en toute discrétion qu’ils étendent leur emprise à la manière des araignées  tissant inlassablement leurs toiles sans que les sociétés humaines ne s’en rendent clairement compte. 

 

Selon moi, il existe  aujourd’hui principalement trois moyens qui asservissent l’individu aux normes des plus puissants.

 

Le premier est la généralisation insidieuse du capitalisme sous sa double forme de la société par actions et des cotations boursières permettant de faire toujours plus de profits, (« il est dans la nature de l’homme de ne se croire tranquille possesseur que lorsqu’il ajoute encore aux biens dont il jouit déjà » écrit Machiavel). Ces formes économiques, nées de la révolution industrielle,  se développent sans entrave pour sécréter des crapuleries coupables : Les exemples abondent d’individus qui se sont enrichis frauduleusement à coup de spéculations, sans égard pour tous ceux qui travaillaient pour eux et qu’ils livrent au chômage sans aucun scrupule et en toute impunité. De même, ils réussissent à dissimuler une grande partie de leurs scandaleux revenus dans des paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôts à l’Etat qui les a vu naître et a permis leur ascension sociale. 

 

Né en Europe occidentale, le capitalisme étend ses filets sur toute la terre : le colonialisme et le néocolonialisme en sont les marques les plus évidentes, il est navrant, à cet égard, de voir de grandes sociétés capitalistes piller sans vergogne les ressources du sous-sol des pays pauvres à leurs seuls avantages, il est criminel de constater l’extension indéfinie des grandes plantations industrielles au détriment des petites exploitations vivrières assurant la subsistance des autochtones. Le but est de gagner toujours plus et de s’enrichir aux dépens des plus humbles, cela conduit à aggraver les inégalités sociales entre riches et pauvres. 

 

La deuxième méthode utilisée par les puissants est le développement de la société de consommation qui utilise à son avantage l’ « âpreté au gain » en tentant de la développer par des incitations tout aussi constantes qu’insidieuses et artificielles  (publicité, obsolescence, forum de recherche…) afin d’habituer les consommateurs à acheter toujours plus afin de faire plus de profit. 

 

La troisième méthode découle des deux précédentes, elle est déjà exprimée par Machiavel qui écrivait « plus ils possèdent, plus leur force s’accroît, et plus il leur est facile de remuer l’État » : pour que ces individus puissent développer leurs ambitions malsaines,  il est nécessaire qu’ils contrôlent le système politique, pour cela, ils s’organisent en groupes de pressions qui amènent les gouvernements à se convertir à leurs idées et à détruire, au nom d’un fallacieux progrès, les acquis et garanties sociales que les travailleurs avaient acquis au prix de luttes acharnées. 

 

En outre, contrôler l’Etat permet aussi de mater toutes les tentatives de révolte de ceux qui veulent une plus juste répartition des richesses : en domptant l’état, ils se donnent les moyens de réprimer toutes les révoltes et de punir de plus en plus sévèrement les fauteurs de troubles. 

 

Ainsi, dans le fonctionnement de la société, on retrouve trait pour trait la description que faisait Machiavel  de son époque. Si on tente d’utiliser sa terminologie à propos des différentes formes d’Etat, on pourrait qualifier le régime politique qui nous régit, officiellement démocratique,  d’OLIGARCHIE or l’oligarchie se classe, selon lui, dans les régimes corrompus. 

mercredi 18 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (6)

 

LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE. 

LE COMPORTEMENT DES ETRES HUMAINS A L’ÉPOQUE ROMAINE

 Machiavel utilise, pour le décrire, les informations qu’il a acquises après avoir étudié avec une grande érudition les œuvres de Tite-Live et des historiens romains et grecs. Certes, comme il l’écrit lui-même, il se peut que ces ouvrages aient tendance à magnifier l’époque romaine par le fait que les historiens antiques, ayant écrit l’histoire après-coup, n’ont utilisé que les informations souvent sélectives  qui leur ont été transmises.

 Armé de ses connaissances de l’antiquité romaine et de ses observations sur le système politique de son temps, Machiavel nous livre cet aphorisme particulièrement percutant :

« Dans les temps passés, les peuples étaient libres, et aujourd’hui ils vivent dans l’esclavage » (discours  livre 3 chapitre 2)

 L’auteur va ensuite en tirer de surprenantes conséquences, eu égard à son époque, en différenciant les deux styles politiques qui correspondent à l’affirmation donnée ci-dessus :

     . La liberté est associée à la République et aux démocraties antiques qui appliquent le postulat de la loi du plus grand nombre,

     . A l’inverse, l’esclavage est la conséquence du régime des principautés et de la loi d’un seul.

Cette double allégation est dans la droite ligne de ce que j’ai relevé de la pensée de Machiavel lors de mon étude des systèmes politiques et de mes hypothèses concernant la nature de l’homme.

 Dans le premier style, celui des républiques antiques, l’idéal de liberté est prôné par les peuples eux-mêmes car il est associé à leur prospérité et à la grandeur de l’Etat :

  « On  sent aisément d’où naît chez les peuples l’amour de la liberté, parce que l’expérience nous prouve que les cités ont accru leur puissance et leurs richesses » ; ainsi,  « ce qui est… admirable.., c’est la hauteur à laquelle parvint la république romaine, dès qu’elle se fut délivrée de ses rois. » (discours.. livre 2 chapitre 2)

 Une fois établit le lien entre prospérité, liberté et république, Machiavel montre ce que ce système politique et social permet, lorsqu’il se met au service du plus grand nombre :

 « Chacun cherche avec empressement à augmenter et à posséder les biens dont il croit pouvoir jouir après les avoir acquis. Il en résulte que les citoyens se livrent à l’envie à tout ce qui peut tourner à l’avantage de chacun en particulier et de tous en général, et que la prospérité publique s’accroît de jour en jour d’une manière merveilleuse…. » (ibid)

 On comprend alors que, dans ces conditions, les peuples antiques ne puissent supporter longtemps l’avènement d’un état tyrannique ; ils saisissent la première occasion pour se révolter et chasser le tyran : Ainsi écrit Machiavel :

 « Quand Hiéronyme, petit-fils d’Hiéron, mourut à Syracuse, la nouvelle de son trépas ne se fut pas plutôt répandue parmi les troupes qui se trouvaient dans les environs de la ville, que l’armée commença à se soulever et à prendre les armes contre les meurtriers ; mais, lorsqu’elle entendit tout Syracuse retentir du cri de liberté, fléchie par ce nom seul, elle s’apaisa, étouffa le courroux qu’elle nourrissait contre les tyrannicides, et ne songea qu’à créer dans la ville un gouvernement libre. » (ibid)

 Au vu de ce qui précède, Machiavel se pose alors la question de savoir pourquoi cette conquête de la liberté des peuples antiques et cette mise en avant du bien commun ont disparu à son époque ; selon lui, c’est la religion chrétienne qui porte une grande part de responsabilité dans cette évolution. En effet, la religion chrétienne a complètement obéré l’héritage antique et ses critères fondamentaux d’organisation sociale et politique qui se caractérisaient par la quête de la liberté, le refus de l’asservissement et la reconnaissance des mérites et des vertus de chacun :

 « Notre religion  ne sanctifie que les humbles et les hommes livrés à la contemplation plutôt qu’à une vie active ; elle a, de plus, placé le souverain bien dans l’humilité, dans le mépris des choses de ce monde, dans l’abjection même ; tandis que les païens le faisaient consister dans la grandeur d’âme, dans la force du corps, et dans tout ce qui pouvait contribuer à rendre les hommes courageux et robustes.

 «  En effet, notre religion, nous ayant montré la vérité et l’unique chemin du salut, a diminué à nos yeux le prix des honneurs de ce monde. (Ibid)

 «  Si notre religion exige que nous ayons de la force, c’est plutôt celle qui fait supporter les maux, que celle qui porte aux grandes actions. » (Discours.. livre 2 chapitre 2)

 C’est un fait évident que l’enseignement évangélique prône l’humilité et le renoncement aux biens de ce monde pour mériter le salut ; une des phrases les plus significatives de cet état d’esprit est contenue dans l’Évangile de Mathieu (19-21) : « si tu veux être parfait, vend tout ce que tu possèdes, donne le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis moi »

 Il en résulte des conséquences funestes pour les contemporains de Machiavel. En effet, si la majorité des êtres humains tente de suivre les préceptes évangéliques, il existe cependant des mécréants qui profitent de cette situation pour asservir les autres et leur imposer leur perversité et leur tyrannie. C’est ce que précise Machiavel dans la phrase suivante :

 « Il semble que cette morale nouvelle a rendu les hommes plus faibles, et a livré le monde aux scélérats audacieux. Ils ont senti qu’ils pouvaient sans crainte exercer leur tyrannie, en voyant l’universalité des hommes disposés, dans l’espoir du paradis, à souffrir tous leurs outrages plutôt qu’à s’en venger. » (Livre 2 chapitre 2)

Cet état d’esprit né de l’enseignement christologique a, pour conséquence, une transformation radicale des rapports humains : les contemporains de Machiavel « vivent dans l’esclavage » en subissant passivement les dictatures au nom de leur foi  sans se rebeller contre ceux qui s’imposent indûment à eux.

 Si on suit le raisonnement de Machiavel contenu dans le livre 2, la prégnance de la religion chrétienne n’explique cependant pas tout : la transformation de l’homme antique, épris de liberté et prêt à la défendre, en un pleutre asservi aux tyrans est due aussi « à la lâcheté des hommes qui ont interprété la religion selon la paresse et non selon la vertu » (livre 2, chapitre 2)

 Cette idée est pour moi tout à fait pertinente : les hommes ont préféré écouter ceux qui prêchaient l’humilité et le respect de l’ordre établi afin de gagner un trésor au ciel plutôt que ceux, comme le demandaient les prédicateurs des croisades, qui prêchaient que de se sacrifier au nom de Dieu conduisait directement au paradis. La première alternative n’imposait aucun effort sinon celui d’obéir, ce n’était pas le cas de la seconde.

 Ainsi, l’époque de Machiavel, à la différence de l'époque de la République romaine,  se caractérise par une conjugaison de l’humilité chrétienne et de la lâcheté et de la paresse des hommes qui permet à des crapules sans scrupules de s’emparer du pouvoir en usant de la loi du plus fort, d’étaler au grand jour leurs instincts pervers, de leur permettre de donner libre cours  à toutes les outrances et d’exploiter en toute impunité ceux qu’ils dominent.

 Ces textes montrent  clairement que, pour Machiavel, les comportements de l’homme fluctuent selon  les époques et sont le fruit de l’évolution des régimes politiques.

 Dans cette perspective, on peut se poser la question de savoir s’il est possible de transposer ses conceptions aux modes de vie de notre époque.

A suivre

mercredi 4 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (5)

A partir du mois de septembre l'ancienne version de google site étant supprimée, j'ai créé un nouveau blog appelé UN REGARD CRITIQUE DU PASSE POUR TEMOIGNER DU PRESENT 

(adresse fabricius5@blogspot.com)

LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE. 

Pour le montrer, je me propose de décrire les structures comportementales et sociétales à trois époques : 

. L’époque de Machiavel

. L’époque de la République romaine 

        . L’époque actuelle. 

 

L’ANALYSE DE LA NATURE HUMAINE A L’ÉPOQUE DE MACHIAVEL

LES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS

 

L’époque de Machiavel est, en Italie, marquée à tous les niveaux par la violence, l’appétit de puissance, l’individualisme conduisant chacun à accroître sa domination sur les autres si nécessaire par la force et au besoin par la terreur. On trouve ces comportements d’un bout à l’autre de l’échelle sociale tant au niveau des puissants que des humbles. 

 

Pour se documenter il  suffit à Machiavel d’observer d’un œil critique et acéré les comportements humains de son époque tant au niveau des princes que des populations. A cet égard, il convient de rappeler qu'il possède une grande expérience du monde qui l’entoure et des puissants de son époque ; en tant que secrétaire de la chancellerie de Florence chargé des affaires extérieures de cette république, il rencontra nombre de puissants de son époque : le cardinal d’Amboise, ministre de Louis 12, César Borgia, le pape Jules 2.. Il vécut aussi à ses dépens les troubles qui conduisirent à la chute de Piero Soderini et le retour des Médicis. 

 

D’emblée dans « LE PRINCE », Il expose en un aphorisme particulièrement percutant la manière dont les êtres humains de son époque manifestent à tous propos une évidente perversité : 

 

« On peut, en effet, dire généralement des hommes qu’ils sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants devant les dangers, et avides de gain » (le Prince chapitre 17) 

 

L’auteur donne de nombreux exemples de ce qu’il prétend dans l’aphorisme cité ci-dessus, 

 

En ce qui concerne les qualificatifs de « ingrats, inconstants, dissimulés », Machiavel écrit : 

 

« Tant que vous leur faites du bien, ils sont à vous… ils vous offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants .. mais que, lorsque (le péril) s’approche, ils se détournent bien vite. (Le Prince chapitre 17). 

 

Ce comportement est, selon l’auteur, non seulement à prendre en considération au niveau du gouvernement du Prince, mais aussi à celui des rapports sociaux dans leur ensemble. Un puissant est l’objet de la considération de tous ; par contre, si un coup du sort ou un revers de fortune lui fait perdre de son aura, il sera très vite délaissé de la plupart de ceux qui l’encensaient et sera l’objet de l’indifférence générale. D’une manière générale, plus on est puissant, plus on risque de tomber de haut. 

 

De cette première constatation, il s’en suit un comportement que Machiavel a qualifié dans son aphorisme général  de « tremblant devant le danger » : 

 

« Les  hommes poussent souvent l’audace jusqu’à se plaindre hautement des mesures prises par leurs princes ; mais lorsqu’ils voient le châtiment en face, ils perdent la confiance qu’ils avaient l’un dans l’autre, et ils se précipitent pour obéir. (Discours livre 1 chapitre 57). 

 

L’avidité du gain est également une caractéristique fondamentale  de la perversité humaine, c’est ce que remarque Machiavel dans le « discours à propos de la première décade de Tite-Live » dans l’introduction du livre 2

 

« Rien ne peut assouvir les désirs insatiables de l’homme : la nature l’a doué de la faculté de vouloir et de pouvoir tout désirer ; mais la fortune ne lui permet que d’embrasser un petit nombre d’objets. Il en résulte dans le cœur humain un mécontentement continuel, et un dégoût des choses qu’il possède qui le porte à blâmer le temps présent, à louer le passé et à désirer l’avenir, lors même que ces désirs ne sont excités en lui par aucun motif raisonnable. »

 

« C’est que la nature a créé les hommes avec la soif de tout embrasser et l’impuissance de tout atteindre ; et le désir d’avoir l’emportant sans cesse sur la faculté d’acquérir, il en résulte un dégoût secret de ce qu’ils possèdent, auquel se joint le mécontentement d’eux-mêmes. » (Discours 1-37)

 

Ainsi, selon  l’auteur, l’homme de son époque n’est mû que par un sentiment prédominant : le désir effréné de posséder et de dominer au profit de son seul intérêt. Cette ambition est cependant le plus souvent en contradiction avec la réalité : pour assouvir ses désirs, il faut, écrit Machiavel, disposer des moyens de le faire, tant au niveau de ses capacités intellectuelles et de ses ressources financières ; à tout moment, les contraintes de la réalité se heurtent aux ambitions individuelles. 

 

Machiavel indique également dans les textes ci-dessus mentionnés que, même si on peut assouvir tous ses désirs, ce n’est pas pour cela que l’on sera heureux puisque plus on désire, plus on a envie de désirer. Il arrivera nécessairement un moment où la réalisation de ces désirs se heurtera à une impossibilité, c’est alors que l’on devient malheureux. 

 

Enfin, pour  parfaire ce tableau particulièrement sombre et foncièrement pessimiste de l’homme de son époque et  rendre compte complètement de la pensée de Machiavel à propos de la perversité de la nature humaine, il convient de citer cet aphorisme contenu dans le "discours à propos de la première décade de Tite-Live :" 


« Nous ne pouvons vaincre les penchants auxquels la nature nous entraîne » (discours.. livre 3 chapitre 9). 

 

La naturelle perversion de l’homme a, bien entendu, des conséquences sur le fonctionnement de la société 

LA DEPRAVATION DE LA SOCIÉTÉ A L’ÉPOQUE DE MACHIAVEL 

Il va de soi que la dépravation de l’être humain ne peut que rejaillir sur le fonctionnement de la société dans son ensemble : c’est le règne du « chacun pour soi », de l’âpreté au gain, de l’égoïsme forcené et, par voie de conséquence, des conflits sociaux dont l’exacerbation conduit à des troubles voire même à des révolutions. 

Dans une société où seul compte l’assouvissement de sa perversité, il se produit d’abord l’émergence de « nouveaux riches » : 

« La bonne fortune les enfle et les enivre, et ils attribuent tous les avantages qu’ils possèdent à des vertus qu’ils ne connurent jamais ; aussi deviennent-ils bientôt insupportables et odieux à tous ceux qui les entourent »  (Discours livre 3 ch 31)

Il en résulte chez eux, un comportement exécrable et hautain, ils deviennent odieux envers tous ceux qu’ils méprisent pour n’avoir pas réussi comme eux et étalent au grand jour leur perversité, 

Ce sont ces comportements qui vont les perdre :  

« La crainte de perdre fait naître dans les cœurs les mêmes passions que le désir d’acquérir ; et il est dans la nature de l’homme de ne se croire tranquille possesseur que lorsqu’il ajoute encore aux biens dont il jouit déjà. Il faut considérer, en outre, que plus ils possèdent, plus leur force s’accroît, et plus il leur est facile de remuer l’État » (Discours livre 1 chapitre 5)

Au fur et à mesure que le temps passe, ces nantis, par peur qu’un revers du sort leur fasse tout perdre, manifestent de plus en plus clairement leur volonté de puissance et leurs instincts de possession. Pour se prémunir de tous maux, ils tentent de contrôler l’Etat pour dominer l’ensemble de la société. 

 En conséquence, les inégalités s’accroissent, les plus riches deviennent encore plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres : 

La conséquence ne se fait pas attendre : ces nantis ne s’aperçoivent pas que leur richesse et leur morgue deviennent de plus en plus insupportable à ceux qu’ils méprisent. 

« Leur conduite et leur ambition sans frein allument dans le cœur de ceux qui n’ont rien la soif de la possession, soit pour se venger en dépouillant leurs ennemis, soit pour partager ces honneurs et ces richesses dont ils voient faire un si coupable usage. » (Discours livre 1 chapitre 5)

Il s’en suit des mouvements de contestations sporadiques et de révoltes pouvant déboucher sur des révolutions violentes ayant alors un double but : abaisser les puissants en les faisant ravaler leur morgue et se partager équitablement leur richesse.

Les nantis, dépouillés de ce qui faisait leur unique ambition, tombent de leur piédestal et se retrouvent seuls pour se lamenter de leur fortune perdue : 

« A peine ont-ils vu l’adversité en face, qu’ils tombent dans l’excès opposé, et deviennent vils et bas ». Ils songent plus à « se fuir eux-mêmes qu’à se défendre » (Discours livre 3 ch 31)

Cette évolution n’est cependant pas terminée : le partage équitable des richesses ne va pas durer car la perversité humaine va très vite ressortir, en particulier l’âpreté au gain va conduire les plus chanceux où les plus industrieux à s’enrichir et le cycle recommencera. 

Ces caractéristiques concernant la nature de l’homme correspondent à deux régimes politiques LA TYRANNIE et l’OLIGARCHIE, la perversion de l’homme du 16e siècle conduit à la TYRANNIE et conjointement, la tyrannie exacerbe la perversion de l’être humain. 

 

A la lecture de ce qui précède,  il se pose alors la question de savoir si la perversité de l’être humain observé par Machiavel est un comportement structurel,  inhérent à l’homme, inclus dans ses gènes ou s’il est le fruit des circonstances conjoncturelles et des époques. 

Dans le deuxième cas de figure, cela signifierait que l’être humain calque son comportement sur à l’organisation politique de son temps : 

     . Si le système politique et mental  induit la loi du plus fort comme dans les époques de tyrannie,  les conditions sont réunies pour que se développe  la perversité de l’être humain et crée une société du chacun pour soi. Cette perversité accroît à son tour l’appétit de puissance des crapules et leur aspiration au pouvoir absolu

     . Si, au contraire, le système politique et mental de l’époque sécrète une ambiance propice  à l’épanouissement du sens collectif, l’être humain est capable de donner le meilleur de lui-même au service de tous et d’empêcher toutes les dérives pouvant se produire et  rompre l’équilibre harmonieux des pouvoirs et de les réprimer. 

Ces deux  alternatives ne sont certes pas clairement exprimées dans le discours de Machiavel, cependant, on peut penser que c’est la deuxième hypothèse qui possède intuitivement son acquiescement vu ce qu’il écrit dans le « discours de la première décade de Tite-Live » à propos de la république romaine

samedi 31 juillet 2021

LA PENSÉE POLITIQUE DE MACHIAVEL (3)

 LA NOMENCLATURE DES DIVERS RÉGIMES POLITIQUES suite du précédent article 

LES PREMIERS TEMPS ET LA NAISSANCE DE LA MONARCHIE

Dans les premiers temps, selon Machiavel,  les êtres humains qui vivaient jusqu’alors dispersés, vont choisir comme chef le plus fort , c’est-à-dire celui qui est susceptible de les protéger et de bien gouverner. Cela permit aux hommes de discerner la voie  entre ce qu’il convient de faire et ce qui doit être prohibé. C’est alors qu’on vit naître le concept de justice :  

« On s’avisa d’opposer à ces maux la barrière des lois, et d’infliger des punitions à ceux qui tenteraient d’y contrevenir » (ibid) 

Puisque l’instauration de la justice devint le critère fondamental de la gouvernance, les êtres humains décidèrent alors de choisir « le plus sage, et surtout le plus juste » (ibid) pour organiser l’Etat : ainsi, se créa une MONARCHIE. 

DE LA MONARCHIE À LA TYRANNIE

La MONARCHIE vertueuse du fondateur ne sera  cependant qu’éphémère, elle ne dure le plus souvent  que pendant la vie de l’instaurateur du régime.  Machiavel constate généralement que ce Prince a, en effet, malgré sa sagesse, instauré un système héréditaire de succession, léguant à ses descendants son titre et ses fonctions ; on passa alors de la MONARCHIE à la TYRANNIE : 

« Le prince venant ensuite à régner par droit de succession et non par le suffrage du peuple, les héritiers dégénérèrent bientôt de leurs ancêtres ; négligeant tout acte de vertu, ils se persuadèrent qu’ils n’avaient autre chose à faire qu’à surpasser leurs semblables en luxe, en mollesse et en tout genre de voluptés. » (ibid)

Il en résulte des troubles et des séditions : 

« Le prince commença dès lors à exciter la haine ; la haine l’environna de terreur ; mais, passant promptement de la crainte à l’offense, la TYRANNIE ne tarda pas à naître ».(ibid). 

Cette évolution amène alors à la chute du régime : en effet, plus le tyran organise la répression, plus le nombre de ses ennemis augmente : 

« Alors, s’ourdirent contre eux les conjurations, les complots, non plus d’hommes faibles ou timides, mais où l’on vit entrer surtout ceux qui surpassaient les autres en générosité, en grandeur d’âme, en richesse, en naissance, et qui ne pouvaient supporter la vie criminelle d’un tel prince. » (ibid).

Les mouvements révolutionnaires s’organisent et se structurent recueillant l’adhésion du plus grand nombre, inéluctablement ils conduisent à la chute du Prince et de ses séides. 

DE LA TYRANNIE À L’ARISTOCRATIE

Alors apparaît la troisième étape de l’évolution historique : le régime dit de l’ARISTOCRATIE. Selon Machiavel, ce sont ceux « qui surpassaient les autres en générosité, en grandeur d’âme, en richesse, en naissance » qui prennent la direction de l’Etat

« La multitude, entraînée par l’exemple des grands, s’armait contre le souverain, et après son châtiment elle leur obéissait comme à ses libérateurs. Ces derniers, haïssant jusqu’au nom de prince, organisaient entre eux un gouvernement, et, dans les commencements, retenus par l’exemple de la précédente tyrannie, ils conformaient leur conduite aux lois qu’ils avaient données : préférant le bien public à leur propre avantage, ils gouvernaient avec justice et veillaient avec le même soin à la conservation des intérêts communs et particuliers. » (ibid

A suivre