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jeudi 3 février 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (18)

 LE SYSTÈME BUGEAUD, GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE DE 1841 À 1847

Dès son arrivée en Algérie, le général Bugeaud fait rédiger deux proclamations destinées aux habitants de la colonie et à l’armée.

LA PROCLAMATION DE BUGEAUD AUX HABITANTS DE L’ALGERIE :

En voici les idées essentielles :

Bugeaud annonce d’abord son revirement total face à la politique menée en Algérie (nom désormais utilisé depuis 1839 pour qualifier la colonie) : Après avoir tenté, en vain, de convaincre les français de l’inanité de l’occupation du pays, il appliquera désormais la politique décidée par le gouvernement, celle de la conquête globale du pays. C’est désormais la seule option existante puisqu’il est impossible de faire confiance aux « arabes » en ce qui concerne le respect des traités.

La conquête sera cependant inutile si on ne met pas en place une colonisation du pays.

Cette colonisation ne devra pas être basée sur le développement des villes et sur la création de grandes fermes isolées. Celles-ci obligent le commandement militaire à créer, à leur proximité, des postes fortifiés pour les protéger et donc à fractionner les effectifs en rendant difficiles les opérations militaires d’envergure.

 Bugeaud prône la mise en place de villages défensifs dont les habitants seront aptes à cultiver le sol et à se défendre jusqu’à l’arrivée, si nécessaire, d’une colonne militaire de secours. Ce système est conçu à l’image des colonies romaines peuplées de vétérans de l’antique Mauritanie.

Pour créer ces villages et les rendre attirants aux futurs colons, il convient de faire appel aux investisseurs privés, tant de la colonie que de la métropole, afin de bonifier les terres pour les rendre cultivables et aussi de construire des maisons.

LA RAZZIA : MÉTHODE DE GUERRE IDÉALE CONTRE LES TRIBUS ARABES.

Bugeaud, dès son arrivée au poste de gouverneur militaire, met en application les méthodes qui lui avaient valu une des rares victoires contre les troupes d’Abd-El-Khader.

La tactique des razzias existe depuis toujours, en particulier en Algérie, mais elle fut systématisée par Bugeaud, comme on le constate dans un extrait d’une lettre envoyée par le capitaine Montaugnac à sa famille :

« le général Bugeaud, la veille de notre départ, réunit tous les officiers de la division et nous dit : la guerre que nous allons faire n'est plus une guerre à coups de fusil. C'est en enlevant aux arabes les ressources que leur sol leur procure, que nous pourrons en finir avec eux. Ainsi, partez donc, aller couper du blé et de l'orge »

Le message est clair : il semble quasiment impossible de pouvoir lutter avec les moyens conventionnels contre les tribus qui, rappelons-le, utilisent deux formes de guerre complémentaires :

     .   Les incursions et les coups de main là où on ne les attend pas suivis de retraite dès qu’apparaît un début de réaction de l’ennemi,

     . Les embuscades au moment où les français s’aventurent dans les étroites vallées montagnardes qu’ils contrôlent.

En conséquence, selon Bugeaud, il faut adapter les méthodes de guerre aux caractéristiques locales et généraliser la razzia qui est, selon lui, la seule forme de guerre qui convienne. Certes les razzias étaient déjà utilisées précédemment mais ce n’était qu’un moyen parmi d’autre de combattre les tribus,

Bugeaud va théoriser cette forme de guerre ; c’est, en particulier, ce que Tocqueville mentionne dans son rapport à la chambre de 1847 :

 « Aujourd’hui, on peut dire que la guerre d’Afrique est une science dont tout le monde connaît les lois et dont chacun peut faire l’application à coup sûr. Un des plus grands services que M le Maréchal Bugeaud ait rendu à son pays, c’est d’avoir étendu, perfectionné et rendu sensible à tous cette science nouvelle. …

Il s’agissait moins de vaincre un gouvernement que de comprimer un peuple…. Il ne s’agissait plus, comme en Europe, de rassembler de grandes armées mais de couvrir le pays de petits corps légers qui puisse atteindre la population à la course. »

Selon Bugeaud, l’intérêt de la razzia est double :

     . En prenant par surprise une tribu, on peut à la fois faire le maximum de victimes et surtout détruire ses approvisionnements afin d’affamer toute sa population, y compris femmes et enfants.

     . La razzia amènera les tribus voisines, effrayés par la violence et la sauvagerie des français, à faire leur soumission en livrant par exemple des otages.

LA TECHNIQUE DE LA RAZZIA 

Elle a été parfaitement décrite dans un livre écrit par Philippe DUCUING (1817-1875) et paru en 1868, appelé la « guerre de montagne », dont un chapitre concerne les guerres en Kabylie et où on voit mis en œuvre la technique Bugeaud :

Le long texte qui suit permet de se faire une idée du déroulement d'une razzia:

LA CONSTITUTION D'UNE COLONNE ET LA MARCHE VERS L'ENNEMI

« Le système des colonnes mobiles, inauguré par le général Bugeaud, avait plus fait pour la conquête dans une seule campagne que toutes nos expéditions depuis dix ans.

« Vous devez aller soumettre ou punir une tribu lointaine, et vous n’emportez avec vous que dix jours de vivres, parcimonieusement calculés. Impossible d’ailleurs de bivouaquer la nuit, car il faut cacher sa marche à l’ennemi. Au risque donc de s’égarer dans les ténèbres et de doubler les fatigues par l’insomnie, il faut marcher, car on ne peut espérer atteindre l’Arabe que par surprise.

Les éléments constitutifs de ces colonnes mobiles avaient été choisis avec un soin extrême.. Les chasseurs d’Afrique (1) marchaient toujours en tête : lorsque la tribu poursuivie était en vue, ils prenaient le galop et la forçaient à s’arrêter pour combattre ; cela donnait aux zouaves (2) qui les suivaient le temps d’arriver pour achever le combat. Si les Arabes fuyaient, les spahis (3), qui se tenaient à portée sur les flancs de la colonne, se mettaient à leur poursuite pendant que le train des équipages recueillait les dépouilles abandonnées par les fugitifs. Lorsque les cavaliers allaient en reconnaissance, les fantassins préparaient le repas ou le bivouac. »

A « l’arrière-garde, marche un escadron, soit pour ramasser les traînards, soit pour éloigner les Arabes, car ceux-ci ont pour habitude constante de se porter sur la queue de nos colonnes, afin d’enlever les éclopés et de s’en faire un trophée, afin aussi de retarder la marche en forçant l’arrière-garde à s’arrêter pour faire face. Si on avance résolument, ils se cachent ; mais, sitôt qu’on hésite ou qu’on recule, ils fondent sur vous comme un orage subitement formé. »

Les éclaireurs indigènes se mettent en campagne ; habillés absolument comme les Arabes, ils vont à la chasse des prisonniers. Ils se mêlent aux nomades ; s’ils en trouvent quelqu’un d’écarté, ils le ramassent et le rapportent pour l’interroger.

Ainsi, apparaît clairement, dans ce texte, l’organisation d’une colonne :

     . En tête, les éclaireurs indigènes sont chargés de faire des prisonniers parmi les arabes afin de connaître l’endroit où campent les tribus.

     . Derrière, la cavalerie des chasseurs d’Afrique a pour mission de barrer la route des guerriers tribaux et de les rabattre vers l’infanterie pour les amener à combattre.

      . Derrière, se trouvent les zouaves à pied, ils sont encadrés par la cavalerie des spahis qui poursuivront ceux qui pourraient s’échapper.

      . Enfin, un escadron à cheval ferme la marche, il est chargé, entre-autre, de réprimer les attaques qui pourraient se produire du fait de petits groupes ennemis isolés.

 LA MÉTHODE DE COMBAT utilisée par la colonne :

  .  L’attaque se produit à l’aube au moment où les musulmans se préparent à la prière afin que la surprise soit totale,

  . Il faut immédiatement agir et s’emparer du camp sans se laisser intimider par les tirs des combattants de la tribu : en effet, ceux-ci font mine d’attaquer la colonne puis font retraite immédiatement, si la colonne commet l’erreur de les suivre, cela laisse le temps aux membres de la tribu de prendre leurs tentes et tous leurs biens et de disparaître.

 C’est ce qu’explique M Ducuin dans le texte ci-dessous :.

« Enfin, après bien des fatigues, bien des privations, bien des dangers de toute nature, nous atteignons au but de l’expédition. Voici le foyer de l’insurrection. Nous sommes sur le terrain où la tribu rebelle a planté ses tentes. Nos soldats pénètrent dans le camp ennemi une demi-heure avant le jour, au moment même où les Arabes vont faire leurs ablutions. Y pénétrer plus tôt, ce serait donner le temps à l’ennemi de s’échapper à la faveur de la confusion et des ténèbres ; plus tard, ce serait se découvrir et par conséquent leur donner le temps de nous éviter. Il faut enlever le camp à la baïonnette et sans répondre au feu de l’ennemi,

 En effet, les réguliers de la tribu surprise, portent nos efforts d’un seul côté ; ils s’exposent bravement à nos coups, résistent quelque temps à notre attaque et nous attirent enfin avec grand bruit à leur poursuite. Le jour venu, on s’aperçoit que le douar ou la smala, la tribu enfin, a disparu d’un autre côté, et il nous est impossible de retrouver ses traces. Quand, à défaut des tentes, le territoire abandonné par les tribus nous reste, on court aux silos, car l’orge manque aux mulets et aux chevaux ; l’orge, la providence de cette guerre ! …

Il arrive bien des fois aussi que ces coups de main lointains ne réussissent pas. Les tribus, averties à temps de notre approche, se sont enfuies au désert, détruisant tout ce qu’elles n’ont pu emporter. Les vivres manquent, les munitions sont épuisées, les ambulances sont remplies. Il faut retourner en arrière. »

LA RETRAITE

Vient ensuite la retraite, elle est source de nombreux dangers car les membres de la tribu ayant échappé au massacre harcèlent le convoi et tuent les fuyards :

« Dans la retraite, c’était l’infanterie qui formait l’arrière-garde ; elle soutenait le choc des Arabes, qui attaquent toujours une colonne en retraite. Au lieu de faire un retour offensif, l’infanterie se massait autour du convoi. Les Arabes alors s’engageaient de plus près ; lorsqu’ils étaient bien engagés, les chasseurs d’Afrique quittaient subitement la tête de la colonne, et tombaient au galop sur le flanc des ennemis. …Les corps égarés tombent presque inévitablement dans les embuscades des Arabes toujours en éveil et partout cachés comme des bêtes fauves, guettant la proie attendue. »

LA RAZZIA VUE PAR LE LIEUTENANT-COLONEL MONTAUGNAC

Dans ses lettres, le capitaine de Montaugnac, devenu depuis peu lieutenant-colonel, raconte des scènes semblables. La description d’une razzia est contenue, entre autres, dans une lettre de décembre 1841. Cette razzia réussit au vu du nombre de prises effectuées :

« Le 21 nous recevons l’ordre de filer à minuit sans tambour ni trompette. À la pointe du jour, nous tombons sur une tribu qui se croit parfaitement à l’abri dans ses excavations et ses ravins escarpés. Le régiment de spahis est lancé, nos deux bataillons d'élite qui font tête de la colonne, se précipitent dans toutes ces anfractuosités presque infranchissables ; deux heures après nous ramenons 614 bœufs, 684 moutons 400 ânes, 60 chevaux et 120 prisonniers hommes, femmes et enfants. Vous voyez que la Providence nous protège ! Nous avons tué une cinquantaine d'individus.  

Ce genre d’expédition a quelque chose de très bizarre et offre, en même temps, des scènes bien pénibles. Aussitôt l'emplacement de la tribu connu, chacun se lance, se disperse dans une direction quelconque ; on arrive sur les tentes dont les habitants réveillés par l'approche des soldats, sortent pêle-mêle avec leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants ; tout ce monde se sauve dans tous les sens ; les coups de fusil partent de tous les côtés sur les misérables. Surpris, sans défense, hommes, femmes, enfants, poursuivis, sont bientôt enveloppés et réunis par quelques soldats qui les conduisent.

Les bœufs, les moutons, les chèvres, les chevaux, tous les bestiaux enfin qui fuient, sont vite ramassés. Celui-ci attrape un mouton, le tue, le dépèce, c’est l’affaire d’une minute…   Les autres se jettent sous les tentes où ils se chargent de butin et chacun sort de là, affublé, couvert de tapis, de paquets de laine, d'armes et d'une foule d'autres choses que l'on trouve souvent en très grande quantité dans ces douars souvent très riches. Le feu est ensuite mis partout à ce que l'on ne peut emporter, bêtes et gens sont conduits au convoi.

On quitte alors la position, fier de son succès ; alors commence la fusillade : les cavaliers qui d'abord avaient pris la fuite, reviennent lorsqu'ils voient la colonne leur tourner le dos ; ils harcèlent les arrière-gardes, on leur riposte, on les éloigne et on rentre avec des prises, glorieux trophées d’une brillante journée. »

Deux termes, dans ce récit, nous éclairent sur les sentiments profonds de Montagnac : « la Providence nous protège » et « brillante journée » : ils expriment selon moi, l'exaltation de la victoire. 

Dans d’autres lettres dont je citerai ci-dessous quelques extraits que je trouve significatifs et que j’ai classé chronologiquement, le colonel témoigne de son évolution mentale au fur et à mesure que le temps passe.

D’abord, on trouve, dans les deux premiers extraits mentionnés ci-dessous, la conscience que ce qu’il commet est abominable mais nécessaire, il exprime même parfois de la compassion envers ceux que la razzia condamne à la mort par la famine :

« Nous sommes dans les bois épais, pêle-mêle avec les arabes qui fuient, les chevaux qui renversent leurs charges, les chameaux qui se sauvent. Les femmes, les enfants accrochées dans les épaisses broussailles qu’ils sont obligés de traverser, se rendent à nous. On tue, on égorge, les cris épouvantés des mourants se mêlent au bruit des bestiaux qui mugissent, bêlent de tous les côtés. C'était un enfer ! chaque soldat arrive avec quelques pauvres femmes ou enfants qu’il chasse comme des bêtes devant lui ou tient par le cou un homme qui veut encore résister.. »   (mars 1842)

« Il est impossible de se figurer à quelle extrémité nous avons réduit ces malheureuses populations, nous leur avons enlevé pendant quatre mois, toutes leurs ressources en blé ou en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs habits, tout leur objet de ménage, en un mot, toute leur fortune … il fallait couper les ailes à l'oiseau farouche pour le garder » (Avril 1842)

Les extraits suivants expriment une nette évolution mentale, sans doute due à la résistance des tribus qui oblige à recommencer sans cesse les razzia : pour les réduire, il faut tout saccager, faire place nette, tuer tous les arabes pris en combattant et déporter les autres, homme, femmes et enfants.  Ces deux extraits témoignent encore de quelques sentiments humains, il ne s’agit que de faire des exemples qui serviront à terrifier les autres tribus afin qu’elles se soumettent.

« Qui veut la fin veut les moyens. Selon moi toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d'âge ni de sexe ; l'herbe ne doit plus pousser là où l'armée française a mis le pied. Si vos tendres cœurs saignent d'anéantir tous ceux qui résistent, entassez hommes, femmes et enfants sur des bâtiments de l'État, expédiez-les-moi tout cela aux îles Marquises ou ailleurs..(janvier 1843)

Chaque fois qu'un chef de tribu a trahi ou n'a pas agi avec vigueur, tous les hommes de la tribu doivent être tué et le reste exporté (pour déporté). Les tribus doivent nourrir l'armée lorsqu'elle voyage et, si des vivres n'arrivent pas à point donné, razzia pour la première fois, mort et exportation en cas de récidive (janvier 1843) »

Les deux derniers extraits des lettres du colonel Montagnac ajoutent encore à l’impression d’horreur, avec, d'abord, la scène de la décapitation d’un chef de tribu que le colonel voulut faire effectuer par un spahi arabe « afin de les compromettre complètement vis-à-vis des autres arabes du pays »,

Le colonel montre alors qu’il en est arrivé à un degré total de déshumanisation à la fois en voulant exterminer tous les hommes et déporter tous les autres et en comparant les arabes à des chiens :

« Je lui fis couper la tête et le poignet gauche et j’arrivai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïonnette et son poignet accroché à la baguette d’un fusil.

On ne se fait pas d'idée de l'effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens : il se figure qu'un arabe, qu'un musulman décapité par les chrétiens ne peut aller au ciel ; aussi, une tête de coupée produit une terreur plus forte que la mort de 50 individus.

Voilà mon brave ami comment il faut faire la guerre aux arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes, les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot,  anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens » (mars 1843)

« Nous battons la campagne, nous tuerons, nous brûlons, nous coupons, nous taillons, pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Mai1843)

Cette dernière phrase se passe de tout commentaire ! 

NOTE 1

   .1 : Cavalerie autochtone puis mixte incorporée en 1831 dans deux régiments de chasseurs à cheval provenant des escadrons débarqués en 1830.

   . 2 : les zouaves ont été créés par l’incorporation des soldats kabyles employés par le Dey, ils seront ensuite composés d’autochtones et français avant d’être composé uniquement de français en 1841

  . 3 : cavalerie autochtone à l’origine employée par le Dey et incorporés dans l'armée d’Afrique.

Rappelons que l’ensemble de ces forces fut autorisé par la loi du 9 mars 1831 permettant aux généraux commandant les pays occupés à former des corps militaires composés d’indigènes et d’étrangers. C'est la première mention des tirailleurs, zouaves, chasseurs indigènes, spahis…  

jeudi 27 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (17)

 

LA SITUATION DE L’ALGÉRIE SELON LOUIS VEUILLOT DANS

« Les français en Algérie » 1841

Avant de décrire la période allant de 1841 à 1847 que j’ai qualifiée d’ERE BUGEAUD, je voudrais citer quelques extraits d’un livre de Louis VEUILLOT (1813-1883), journaliste et écrivain français, catholique ardent et défenseur de l’ultramontanisme qui se rendit en Algérie et publia en 1841 un livre polémique appelé « LES FRANÇAIS EN ALGÉRIE » dans lequel il expose la situation réelle de la colonie.  

Dans le premier extrait, l’auteur décrit d’abord la ville d’Alger et son impression apparente de prospérité : 

 « Alger sort de son enceinte et se répand des deux côtés en faubourgs neufs, traversés par une belle route, et habités par une population qui leur donne un caractère exclusivement français. Les cabarets s'y épanouissent sous des enseignes réjouissantes, des soldats chantent, des cavaliers caracolent, des voitures vont et viennent à grand bruit ; on scie, on maçonne, on charpente, le soleil est éblouissant, la mer est douce, beaucoup de jolies maisons blanches émaillent la verdure vigoureuse des collines. Voilà le premier coup d'œil. Si vous questionnez les propriétaires de ces agréables bastides, ils vous diront que le sol est d'une fertilité merveilleuse et que toutes leurs denrées se vendent bien. En effet, l'immense consommation de l'armée et de la capitale donne à leurs terres un prix qu'elle n'aurait pas même aux portes des grandes villes d'Europe. Voilà donc un aspect heureux.  

Mais tout cela ne va pas plus loin que le versant nord du Sahel et la ceinture de postes militaires qu'on lui a donnée. Si l'armée cessait un moment de couvrir ces enclos de son ombre, ils n'existeraient plus. Tous ces producteurs de salades et de primeurs, dispersés comme en pleine paix, seraient hors d'état de défendre un seul jour leurs jardinets et leurs villas. »

Dans le deuxième extrait, il décrit la situation d’une des premières colonies appelée Dely-Ibrahim et le dialogue qui s’est instauré entre les colons et le gouverneur (peut-être Bugeaud)


« 
A deux lieues d'Alger on trouve la colonisation vantée de Dely-Ibrahim. C'est un village composé de deux rangées de mesquines maisons bordant la route, semblable à tous les villages qu'on voit aux abords des villes.. Aucune trace de culture n'apparaît autour des maisons, et j'y ai vu une pauvre femme qui pleure son enfant, enlevé par les Arabes. Le maire et la garde nationale, composée d'une cinquantaine d'hommes, sous des armes rouillées, attendaient le gouverneur à l'entrée de l'unique rue. …il demanda de quoi vivait la population, puisqu'il ne voyait que de l'herbe dans les champs. On lui répondit que le village se rendait fort utile à l'armée en aidant à ses transports sur Douera, Boufarik et Blida. 

   -Je comprends, dit le gouverneur, par quel secret vous existez et j'apprécie les services que l'armée reçoit de vous. Cependant remarquez qu'il n'y a pas de colonisation sans culture. L'armée n'aura pas toujours besoin de vos transports. Il faut que vous appreniez à produire vos aliments. 
 - Mais, firent observer les habitants, nous ne pouvons pas sortir que nous ne courions le risque d'être enlevés ou tués … (en outre) il y a un M*** qui se dit propriétaire de toutes les terres qui nous environnent, jusqu'à présent nous n'avons pu disposer que d'un petit jardinet, qui encore nous est contesté. 

Le gouverneur n'eut plus rien à dire. Il faudrait d'abord retirer à ce propriétaire l'immense concession qu'on lui a faite, ou l'obliger à travailler le sol qu'il garde improductif jusqu'au moment où les chances de la guerre lui permettront de le revendre à haut prix. En attendant, Dely-Ibrahim est un village de charretiers et de cabaretiers. Que l'armée se retire ou soit seulement forcée de s'éloigner durant quelques jours, tout est anéanti. »

Ces villages « ne sont en réalité qu'un embarras pour l'armée, qui est forcée de les garder quand l'ennemi l'appelle ailleurs. L'effectif de nos forces, déjà diminué par les maladies, se trouve ainsi réduit d'un quart au moins. »

Louis Veuillot montre également que le problème de la possession des terres se pose partout dans la colonie : 

« Comme à Dely-Ibrahim, certains propriétaires qu'on n'a jamais vus, et qui prétendent avoir acheté le terrain avant qu'on ne l'eût conquis, jettent l'administration dans des embarras inextricables. Il n'est pas facile de repousser leurs prétentions : ils ont des amis dans les bureaux, dans les journaux, dans les Chambres. On ne peut se faire une idée des difficultés sans nombre que soulève la question de savoir à qui appartient ce sol. »

L’extrait suivant montre la situation catastrophique des garnisons dispersées dans les territoires que l’on dit conquis :

« Vous possédez la surface qu'ils occupent et les alentours jusqu'à portée de fusil, mais à condition de n'y rien semer, de n'y rien bâtir ; à condition d'avoir derrière vos fossés suffisamment de vivres et de munitions pour attendre la colonne de ravitaillement. Lorsqu'il n'y a pas d'eau dans l'intérieur du camp, les soldats ne vont à la fontaine qu'en force suffisante ; ils sont dévorés de vermine, excédés de fatigue et d'ennui, décimés par la fièvre, par le soleil, par les exhalaisons pestilentielles des marécages. Heureux ceux qui peuvent lire quelques lambeaux d'un vieux journal ! J'ai entendu des officiers enfermés dans ces prisons brûlantes, dire que l'esprit le mieux trempé ne peut résister à trois ou quatre mois d'un pareil supplice. Beaucoup s'adonnent aux liqueurs fortes, demandant à l'abrutissement de les sauver de la folie. Vous entretenez dans chacun de ces endroits un certain nombre de troupes et quelques cabaretiers qui empoisonnent ce que la fièvre et l'Arabe ont laissé vivre. Voilà votre province d'Alger ! »

Cette situation quasiment invivable décrite par Louis VEUILLOT n’est qu’un des volets de la vie quotidienne des soldats. Il ne décrit en effet que les contingences matérielles ; en réalité, il faut ajouter les harcèlements continuels des combattants arabes, c’est en particulier ce que mentionne le capitaine de Saint Arnaud dans une de ses lettres datée de 1838 :

« On nous tient en haleine par des bruits d'attaque qui ne se réalisent jamais. Toutes les nuits, nous sommes sur pied, nous patrouillons. Il y a, dit-on, un camp de 5000 Arabes réunis à cinq lieux de nous et qui n'attend que le moment favorable pour venir nous chasser de notre camp. Je crois, en vérité, que nos espions se moquent de nous »

 « Les bédouins continue à couper des têtes. On attribue ce passe-temps à des coupables isolés, étrangers à la plaine, descendus des montagnes pour aider aux moissons et que leur fanatisme a poussé contre nous. »

 « Des alertes continuelles et toujours insignifiantes (nous obligent à) nous mettre sur pied à toute heure du jour et de la nuit, nous sommes toujours à nous en demander les causes. Dès qu'on aperçoit quelques cavaliers arabes, du plus loin que la plus forte de lunettes peut découvrir, vite en campagne et, après cinq heures de promenade, on revient sans avoir rien vu. »

Louis VEUILLOT exprime en une phrase la conclusion de ce qu’il a observé : 

« En définitive, il semble que nous n'avons su faire jusqu'à présent ni la guerre ni la paix. L'armée, malgré le chiffre effrayant de son effectif, n'est pas assez nombreuse, parce que la moitié est ou malade ou réduite à garder soit des légumes, soit des fossés, soit des murs. »


dimanche 16 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (16)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LA SITUATION INTÉRIEURE DE L’ALGÉRIE : LES TÉMOIGNAGES DES CAPITAINES MONTAUGNAC ET SAINT-ARNAUD


Lors du vote du budget pour la colonie pour 1835, les députés avaient stigmatisé les ravages, les spoliations et les atteintes effectuées à l’encontre des coutumes locales par l’armée et les premiers colons tant au niveau de la ville d’Alger qu’à celui de la campagne environnante. 

 

Si on considère la situation pendant la période qui suit la mise en place des pouvoirs en Algérie, on constate que rien n’a véritablement changé : deux témoignages en sont l’expression : ils émanent de deux militaires affectés en « Algérie » en 1937,  le capitaine de Montaugnac et le capitaine de Saint-Arnaud, ils rendent compte, dans les lettres qu’ils adressent à leur famille, de ce qu’ils ont constaté  en prenant leur poste dans la colonie. Je citerai, ci-dessous,  trois extraits de celles-ci car ils témoignent bien de l’ambiance régnant à ce moment dans l’Algérois. 

 

Le premier extrait fut rédigé par le capitaine de Montaugnac qui deviendra ensuite colonel et sera tué à la bataille de Sidi-Ibrahim en 1845 : 

 

«  On n’a  pas la moindre idée du désordre, du gaspillage, de la gabegie qui règnent ici dans toutes les administrations. Chacun tire à soi, spécule sur tout, exploite avec l’impudeur la plus manifeste le pays, l'armée. Les fonds du gouvernement ..sont enfouis, détournés, dilapidés » ….. la colonie n'est peuplée que d’une «  foule de banqueroutiers de tous les pays, des libérés et échappés du bagne : épicier marchand de liqueurs, cafetiers..  cumulant, en outre, tous les genres de spéculations possibles,  contrebandiers exploitant toutes les branches de commerce imaginables, race infernale qui nous gruge et nous saigne à blanc voilà les colons qui fourmillent  dans cette pauvre Afrique. » 

 

Gaspillage, gabegie, désordre, contrebande, spéculation, vol, règne des repris de justice … Montaugnac utilise des mots très forts pour  qualifier la situation à Alger au moment de sa prise de fonction. Rien n’a changé depuis l’arrivée des français en 1830 : les colons, venus en Algérie dans le sillage de l’armée, sont toujours des aigrefins, ne songeant qu’à s’enrichir en particulier en profitant des besoins de l’armée, achetant à bas prix et, souvent, grâce à la contrebande, les produits dont l’armée a besoin et les revendant à un prix prohibitifs ; boutiques, tavernes se développent partout dans la ville et autour des camps. Cette population interlope n’est venue là que pour profiter financièrement de la conquête. 

 

Parallèlement à ce peuplement des villes, il existe toujours la même forme de colonisation basée sur la spoliation des autochtones ; certes, une réglementation a été établie en 1832 afin de supprimer les ventes sauvages ou effectuées sous la menace d’un risque d’expropriation future sous le  prétexte qu’il n’existe pas de titres écrits de propriété ni de bornage des sols: désormais, toute transaction entre un européen et un musulman devra être inscrite au greffe du tribunal. Pour contourner cette injonction, les spéculateurs utilisèrent désormais un système apparenté à la rente foncière.

 

On en trouve mention dans une lettre écrite par un autre militaire, le capitaine de Saint-Arnaud arrivé également en 1837 dans la colonie et qui deviendra plus tard maréchal de France : 

 

«  Il y a, à 300 pas de mon camp, un petit bien à louer ou à vendre ; on n'en demande 270 fr. par an ; avec la culture qui se ferait par deux kabyles fort aisément, , on se ferait un revenu de plus de  1500 fr. en orange, vin, fruits, légumes, orange, citron, figues…  Il y a de tout et en quantité, beaucoup d'arabes ne veulent pas vendre pour le capital, ils ne veulent qu'une rente à vie. Le marché a lieu devant le cadi , cette rente  est minime et jamais de  la valeur de la propriété. On peut très facilement la payer avec une fraction du rapport. Pour 12 fr. par mois et le pain, on a un kabyle qui travaille tant que le jour dure ».

 

Cette lettre clairement la méthode employée : les spéculateurs  négocient avec les autochtones, non la vente de leurs terres, mais la signature d’un bail à rente perpétuelle appelée rente à « ana » ce système est, selon la lettre de Saint Arnaud,  particulièrement avantageux pour l’européen : 

     . La rente est modique, elle est sans risque puisque perpétuelle et donc non modifiable, ce coût minime permet aux européens d’acquérir de vastes domaines et de faire d’importants bénéfices en un court laps de temps, dans l’exemple donné par Saint-Arnaud, on peut estimer à 550 francs le bénéfice annuel de la terre. 

     . Elle permet de contourner les règles du droit musulman, en particulier au niveau des terres habou puisque le régime de la propriété n’est pas modifié, 

 

Il va de soi, comme l’indique le texte ci-dessus,  que les nouveaux possédants ne cultivent pas eux-mêmes le sol, ils emploient, pour cela, des ouvriers agricoles kabyles sous-payés et astreints à un dur travail durant tout le jour. 


Ainsi, naît une société nouvelle basée sur la richesse foncière rappelant fâcheusement les structures serviles des Antilles en associant des travailleurs indigènes exploités et des colons européens oisifs recueillant les fruits du travail de leurs ouvriers. Bugeaud qualifiera ces derniers du sobriquet de «  colons aux gants jaunes ».

 

L’ETAT DE LA COLONISATION


LA COLONISATION DE LA MITIDJA ET L’ECHEC DE BOUFARIK

 En 1836, alors que Blida n’est pas conquise, que les forts de protection de la Mitidja ne sont pas construits et que l’assèchement de la plaine n’est par réalisée,  le maréchal Clauzel, ne tenant pas compte ni des conseils de prudence de la commission ni du vote de la chambre des députés,  publia,  par l’ARRETE DU 27 SEPTEMBRE 1836, sa décision de créer un  centre de colonisation au cœur de la Mitidja à Boufarik, à proximité du camp militaire d’Arlon. 

 

L’arrêté de Clauzel reproduisait le  projet qu’il avait élaboré pour Kouba dans le Sahel où avait été créé un village ayant un plan en damier avec une place centrale et un fossé défensif, Il fit dresser, pour Boufarik, un plan en damier dessiné par le service des bâtiments civils et prévit l’installation immédiate d’une trentaine de familles. Chacun devait bâtir sa maison dans l’alignement des rues. 

 

Les terres à distribuer étaient des terres présumées autrefois  beylicales, elles furent divisées en lots de 4ha. Selon leur apport financier, en matériel et en main d’œuvre, il était possible à un colon de recevoir  trois lots, soit 12ha. La concession n’était cependant que provisoire, elle ne devenait définitive que trois ans plus tard à condition que les prescriptions suivantes aient été respectées : le  colon devait bonifier, assainir et défricher les terres qui lui étaient allouées dans un délai de trois ans (chaque année par tiers), il devait aussi planter 50 arbres fruitiers ou sylvicoles par hectare. Enfin, il devait payer une redevance de deux francs pour tous les travaux que l’Etat avait effectués sur le site avant son arrivée. 

 

Dans les conditions où elle fut pensée et organisée, l’expérience ne pouvait qu’être un échec, Boufarik était établie, en effet, sur un site marécageux non asséché et en pleine zone d’insécurité, les maladies (paludisme, malaria… ) et les incursions arabes décimèrent une grande partie de la population, il faudra attendre que l’armée assainisse l’endroit en le drainant  pour que la colonie puisse  survivre. 

 

L’ORDONNANCE DE 1838

Assez paradoxalement, alors que l’échec de l’expérience de Boufarik était patent, le gouvernement décida d’élargir le champ de l’ordonnance de 1831 afin de rendre possible l’émigration vers la colonie à un plus grand nombre de candidats. 

 

Désormais,  la compétence de délivrance de passeports pour la colonie fut  étendue aux sous-préfets et aux maires. Il était seulement  exigé des candidats à l’émigration un certificat de bonne santé et de moralité, l’Etat prenait en change le passage des travailleurs qualifiés des secteurs industriels et agricoles ainsi que les agriculteurs ayant droit à des concessions agricoles. 

 

Il convient d’expliquer les raisons de cet étonnant paradoxe : 

 

     . D’abord, les restrictions sur la délivrance des passeports en métropole conjuguée à l’immigration clandestine des « Mahonnais » (habitants de la capitale de Minorque, nom donné à tous les espagnols venus s’installer dans la colonie)  ont conduit à une inversion des nationalités dans la colonie. Ainsi, M René Ricoux («  la démographie figurée de l’Algérie, éléments statistiques. » 1880), basant son analyse sur les résultats des premières recensements, indique qu’en 1836, la colonie comporte  plus d’européens étrangers ( 9036 h) que de colons de souche française ( 6485 h soit 44%). 

 

     . Ensuite, la création de grands domaines employant une main d’œuvre d’autochtones ou de Mahonnais, n’a guère d’impact sur le peuplement de l’Algérie par les colons ; or, selon les mentalités de l’époque, on ne peut conserver une conquête que si on l’occupe effectivement et si les colons, eux-mêmes, sont capables d’organiser leur défense.

 

     . La raison principale de la décision gouvernementale réside cependant dans l’intensification de la propagande pour la colonisation de la colonie, organisée par les groupes de pression et relayée par la presse : en dépit de son échec, Boufarik devint une parfaite illustration du mythe colonial, on vantait partout la sollicitude et l’implication de l’Etat ainsi que le courage, la persévérance  et l’opiniâtreté du colon transformant une  terre malsaine, déserte et stérile, en un village prospère et bien cultivé. 

 

Cet état d’esprit est ce que signale, en particulier, Montaugnac : 

 

«  En France écrit-il, on voit la colonie florissante, des établissements s’élevant de toute part  des bulletins mensongers, rédigés par des intrigants,  reproduits avec amplification dans les journaux emphatiques,  vous font un tableau admirable de cette colonie en friche : les colons y abondent,  des terrains immenses sont en plein rapport..  Les  superbes projets des autorités font présager pour l'avenir les plus brillants résultats. En attendant, conclut-il, rien de tout cela,  rien, pas un seul colon. »

 

C’est dans la  perspective de l’application de l’ordonnance  de 1838 que le gouvernement demanda à Clauzel de faire dresser un état des terres disponibles et de rechercher des emplacements pour créer des villages. Il  fut prévu, à cette fin, de lotir six grands haouch domaniaux ; ce projet ne fut cependant pas réalisé à cause de l’insécurité due aux incursions continuelles des Hadjoutes, un ensemble de tribus luttant sans relâche depuis 1830 contre la présence française et réduisant celle-ci à quelques points isolés autour des camps de la Mitidja.

 

Cet assouplissement fut  critiqué par le gouvernement d’Alger qui argua que les candidats au départ seraient certes qualifiés mais, venant des villes, ils ne seraient pas adaptés au marché du travail de la colonie. 

 

Pour pallier à cette critique justifiée, le maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre élabora en 1839/40 une synthèse cohérente de la politique d’émigration permettant de dépasser les antagonismes entre Paris et Alger : 

     . Le nombre de passages pris en charge par l’Etat sera fixé par rapport aux besoins du marché de l’emploi en Algérie.

     . Les sous-préfets et les maires pourront refuser des passeports à ceux qui n’auront pas obtenu du ministère un passage gratuit.

     . Les familles reconnus capables de se livrer à la culture et disposant de ressources pour tenir jusqu’à leur première récolte, pourront obtenir des concessions, au maximum de douze hectares. 

 

Ainsi se définit le portrait de l’émigrant idéal : bonne santé, bonne moralité,  apte à s’insérer dans la nouvelle colonie. 20.000 passages gratuits seront délivrés entre 1841 et 1845, la plus grande partie de ces migrants provient du milieu urbain, 19% seulement  sont issus du monde rural.  

mercredi 12 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (15)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LES OPÉRATIONS MILITAIRES DE LA PAIX DE TAFNA (Mai 1837) À LA NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD AU POSTE DE GOUVERNEUR GÉNÉRAL. (Décembre 1840) 


La paix entre Abd-El-khader fut rompue par les français ; en effet, ceux-ci décidèrent d’ouvrir une route intérieure menant de Constantine à Alger, ils avaient, rappelons-le, déjà conquis les deux premières  étapes du parcours (Djamila et Setif), il leur restait à reconnaître la portion de route de Setif à Alger passant par les « Portes de Fer », un défilé étroit ne mesurant par endroits que 2m, contrôlé à cette époque par des tribus hostiles. 

Selon le commandement militaire, l’ouverture de cette route intérieure était devenue nécessaire depuis la prise de Constantine qui initiait ipso-facto la conquête de l’intérieur. Désormais, les français ne pouvaient plus se contenter, comme précédemment, des seules liaisons maritimes pour relier leurs possessions entre elles. 

Une armée commandée par le duc d’Orleans, fils du roi, réussit à relier Setif à Alger, ne subissant que quelques harcèlements. Cette intrusion des français par les Portes de Fer causa la reprise des hostilités avec l’Emir qui considérait que cette contrée faisait partie de sa zone d’influence du fait du traité de Tafna. 

Pendant toute cette période, la guerre fut menée selon les méthodes habituelles :

     . Les tribus des montagnes et des hauts plateaux fondaient sur les plaines françaises, pillaient et massacraient. Ces raids rendaient problématique la colonisation de la Mitidja qui n’en était qu’à ses prémices.

     . Les français organisaient des expéditions militaires afin de s’emparer des points forts de l’ennemi, 

          . Tout le long du trajet, ils étaient constamment harcelés  lors d’embuscades par les «arabes» dont la cible favorite était l’arrière-garde. 

         . Lorsqu’ils arrivaient au niveau d’une ville tenue par l’ennemi, les français pouvaient la conquérir sans coup férir car l’Emir l’avait évacuée avec tous les habitants. C’est ainsi que les français s’emparèrent de Mila et Miliana vers l’ouest et de Medea vers le sud de Blida.

         . Quand l’armée française quittait la ville pour d’autres théâtres d’opérations, elle y laissait   quelques vivres et  une petite garnison, capable seulement de contrôler la zone étant à portée de ses fusils. Alors, les troupes de l’Emir revenaient pour encercler la cité et surtout pour bloquer ses routes d’accès afin empêcher les convois d’approvisionnement de ravitailler la garnison.  

Cette situation dura jusqu’en décembre 1840, date de la nomination du général Bugeaud au poste de gouverneur général. 

Celui-ci, rappelons-le,  s’était déjà illustré dans l'Oranais lorsqu’il vint commander le camp de Tafna : il avait signé la paix avec ABD-EL-KHADER et avaient modifié les méthodes de guerre en s’adaptant aux techniques de harcèlement de l’adversaire, ce qui lui avait permis de remporter la victoire de l’Oued Sisak.

vendredi 7 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (14)

  L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LE TRAITE DE LA TAFNA (MAI 1837) ENTRE BUGEAUD ET ABD-EL-KHADER ET LA PRISE DE CONSTANTINE

En voici les principales dispositions :

1: L'Émir Abd el Kader reconnaît la souveraineté de la France en Afrique.

 2 : La France se réserve,

     . dans la province d'OranMostaganemMazagran, et leurs territoires, Oran, Arzew, et un territoire limité mentionné sur la carte à l'Est par la rivière Macta (3) et les marais dont elle sort ; au Sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives sud du lac (2)  et se prolongeant jusqu'à l'oued Maleh (1) dans la direction de Sidi Saïd (Tlemcen)  de cette rivière jusqu'à la mer, appartiendra aux Français.


    
. Dans la province d'Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja ainsi que la zone limitée par la carte et indiqué en note ci-dessous limitée à l'Est par l'oued Khuddra (chez les Aïth Aïcha) (1) , en aval ; au Sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas blidéen, jusqu'à la Chiffa jusqu'au saillant de Mazafran, et de là par une ligne directe jusqu'à la mer,(3)  y compris Koléa et son territoire – seront français.

L’émir voit son territoire agrandi avec annexion du Titteri qui avait sollicité sa venue en 1836 pour y établir la paix. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence

 9 : Les français rendront à l’Emir Tlemcen,  il s'engage à convoyer jusqu'à Oran tous les bagages, aussi bien que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen. En outre, les français laisseront Abd-El-Khader s’installer à Cherchell, ce qui lui donnera un accès à la mer.

7 : L'Émir aura la faculté d'acheter en France, la poudre, le soufre, et les armes qu'il demandera.

10 : Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s'établir sur chacun de leurs territoires.

11 : Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les Français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire arabe, leur seront garanties : ils en jouiront librement, et l'Émir s'engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.

15 : La France maintiendra des agents auprès de l'Émir, et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d'intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu'ils pourront avoir avec les Arabes. L'Émir jouira de la même faculté dans les villes et ports français.

Tafna, le 30 mai 1837

La lecture de ce traité présente deux caractéristiques :

     . Il consacre l’abandon des visées expansionnistes des gouverneurs précédents et en particulier celle du maréchal Clauzel ainsi les français durent évacuer Tlemcen et le camp de la Tafna. En contrepartie, l’émir reconnaît la possession par la France de zones déjà conquises par les Français et y ajoute Blida, localité permettant à la fois de contrôler la Mitidja ainsi que la route menant vers l’arrière-pays. Désormais, les limites des terres françaises sont clairement définies pour éviter toute contestation ultérieure. 

     . Le traité augmente à nouveau les territoires mis sous le contrôle de l’émir puisque celui-ci étend sa domination sur l’arrière-pays algérois ainsi que sur Cherchell, ce qui donne une ouverture sur la mer. En  contrepartie, Abd-El-khader  reconnaît la « souveraineté de la France en Afrique » : ce terme est particulièrement ambigu en ce qui concerne la définition de la zone sur laquelle est reconnue la souveraineté de la France : correspond-elle aux territoires reconnus à la France où s’étend-elle aux territoires occupés par Abd-El-Khader ? Cette imprécision servira de prétexte aux opérations militaires futures.

     . Le traité ne concerne que la partie occidentale des possessions françaises, ni Bougie, ni Bône ne sont concernés.

Ainsi, avec ce traité, on en revient à la politique du général Desmichels et de la paix qu’il signa avec l’émir. Comme la précédente,  cette paix ne sera cependant qu’éphémère, elle permit néanmoins de prélever des troupes des régions d’Alger et d’Oran pour effectuer la conquête de Setif et de Constantine en 1837 puis de Djemila et de Skidda (rebaptisée Philippeville) en 1838. L’acquis de ces deux sites permettait de désenclaver Constantine en lui donnant le contrôle d’une partie de la route de l’intérieur menant à Alger et de relier la ville à la mer. Abd-El-Khader laissa faire, l’est de l’ex-Régence n’ayant pas été placé sous sa domination.

Rentré en France, Bugeaud déconseille la conquête de l’Algérie « possession trop onéreuse dont la nation serait bien aise d’être débarrassée », il préconise cependant le maintien de la présence française mais sous le seul statut militaire afin d’éviter toute colonisation de peuplement

samedi 1 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (13)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

Cette époque se caractérise principalement par trois spécificités : 
     . La poursuite des opérations militaires, à la fois pour étendre la colonisation et pour tenter de limiter le pouvoir d’Abd-El-Khader.
     . La situation intérieure des terres conquises.
     . Les tentatives d’extension de la colonisation.

 LES OPÉRATIONS MILITAIRES ET LA LUTTE CONTRE ABD-El-KHADER JUSQU’AU TRAITÉ DE TAFNA (mai 1837)

Le premier gouverneur général des possessions françaises d’Afrique du Nord, fut le général Drouet d’Erlon ( du 28 juillet 1834-au 8 juillet 1835). Tout en désirant préserver la paix obtenue entre le Général Desmichels et Abd-El-Khader, il craignait, comme d’ailleurs la majorité des commandants militaires, que l’émir étende sa domination au-delà du fleuve  Chelif (voir carte ci-dessous) que le traité avait fixé comme limite de ses possessions et qu’il envisage de se créer un royaume allant du Maroc à la Tunisie, ce qui pourrait être le prélude à une attaque généralisée des territoires français et à la défaite finale de la France.

Prenant le prétexte d’un voyage au-delà du Chelif d’Abd-El-Khader dans le Titteri au sud d’Alger, à l’appel de tribus qui lui était favorables, les français reprirent les hostilités.

La période 1835-1837 fut placée sous le signe du nouveau gouverneur, le maréchal Clauzel, il avait déjà été en poste en Algérie en 1831 en tant que commandant de l’armée d’Afrique et était, comme je l’ai déjà indiqué, un ardent partisan de la colonisation et propagandiste de celle-ci lorsqu’il avait été élu député.

Son second séjour en Algérie fut placé sous un triple échec :

     . Il voulut, dès son arrivée, organiser la colonisation de la Mitidja sans qu’elle soit ni sécurisée ni viabilisée comme l’avait demandé la chambre des députés, ce fut un échec.

    . Ses opérations militaires contre l’Emir furent très coûteuses en hommes sans succès autres qu’éphémères.

   . Il échoua à convaincre le gouvernement et les chambres de sa proposition d’étendre la conquête : « il faut, disait-il, occuper toutes les villes importantes du pays, y placer des garnisons, établir des camps et postes retranchés au centre de chaque province ainsi qu'aux divers points militaires qui doivent être occupés d'une manière permanente; masser sur un point central dans chaque province des troupes destinées à former une colonne mobile qui pourra toujours et instantanément se porter d'un point à un autre, en deux ou trois marches au plus, sans bagages considérables et par conséquent avec une grande célérité. » 

L’échec des opérations militaires entreprises par Clauzel est dû essentiellement à  persistance de l’inadaptation de l’armée française aux conditions topographiques du secteur d’intervention.

En effet, le théâtre des opérations, surtout montagneux, n’est accessible, rappelons-le,  que par les vallées des fleuves dont le cours comporte de nombreuses gorges taillées dans la montagne. Or, les corps expéditionnaires français se déplacent en territoire inconnu, même s’ils comprennent des éclaireurs autochtones pour les guider ; ils sont accompagnés de lourdes pièces d’artillerie et, de ce fait, ne peuvent qu’avancer à vitesse réduite, ce qui laissait tout le temps à l’armée d’Abd-El-Khader d’organiser des embuscades aux endroits où les français seront vulnérables. À cet égard, l’armée de l’émir dispose de deux avantages essentiels : sa parfaite connaissance de la topographie de la région et le fait qu’elle soit composée d’unités légères et très mobiles. Les mouvements des français sont donc émaillés de ces embuscades surprises qui leur occasionnent de lourdes pertes.

Par contre, en terrain plus favorable et, en particulier, là où sont construites les villes, l’armée française, grâce à sa puissance de feu, peut retrouver sa supériorité. Abd-El-Khader en est conscient si bien qu’il ne livre pas le combat et fait évacuer la ville menacée avec tous ses habitants. Par contre, dès que le corps expéditionnaire français quitte la ville pratiquement conquise sans combat et n’y laisse qu’une petite garnison, les troupes de l’émir en profitent pour revenir l’encercler. Elles empêchent les convois d’approvisionnement d’arriver afin d’affamer la garnison française prise au piège et de l’amener à capituler.


En décembre 1835, Clauzel réussit à s’emparer de Mascara, la capitale de l’émir mais il juge préférable de l’évacuer. Puis, en janvier 1836,  il prend Tlemcen, y laisse une garnison et crée, dans la vallée de  l’oued Tafna, un camp retranché pour protéger la ville.

En novembre 1836, en application de sa volonté de conquête de l’arrière-pays, Clauzel improvisa une expédition militaire comportant 7000 hommes  contre le bey de Constantine jusqu’alors indépendant. Cette ville est stratégiquement importante : elle est située sur la route directe ouest-est Alger-Setif-Bone par les GORGES DE FER et sur la route nord-sud reliant le littoral (site de la future Philippeville, actuelle Skidda) et les hauts plateaux jusqu’à Biskra. La prise de Constantine permettrait donc d’ouvrir une voie de pénétration directe allant de la Méditerranée jusqu’au Sahara. 

Cette attaque fut un échec, ce qui conduisit le gouvernement à désavouer le maréchal Clauzel qui fut révoqué le 12 février 1837.

De nouvelles techniques de combat apparurent cependant en 1836 du fait de l’arrivée du général Bugeaud en Algérie pour commander le camp de l’oued Tafna. Il comprit tout de suite que, si elle voulait vaincre, l’armée devait être organisée de la même manière que les troupes d’Abd-El-Khader. Dans cette perspective, Bugeaud créa des corps mobiles et abandonna l’idée de les renforcer par de l’artillerie. Cette innovation lui permit de remporter une victoire dans la vallée de l’oued Sisak, un affluent de l’oued Tafna.

 Après le départ de Clauzel, la politique gouvernementale fut uniquement   de consolider les seules  possessions du littoral, de faire la paix avec l’Emir et  de venger l’affront fait à la France par le bey de Constantine

Le premier objectif, faire la paix avec l’Emir, fut atteint le 10 mai 1837 par le traité de la Tafna entre le général Bugeaud, commandant du camp du même nom et Abd-El-Khader. Cette paix permit le réussite du second objectif, prendre Constantine.