REMARQUE
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dimanche 8 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (33) : LA PREMIÈRE CROISADE ; ÉPILOGUE

LES MASSACRES

La deuxième caractéristique qui apparait tout au long de la croisade est la pratique constante des massacres avec une sauvagerie et une férocité qui laissent parfois pantois : que penser de ces bébés que l'on arrache aux seins de leur mère pour les envoyer se fracasser sur les murailles ! De ces "sarrasins" que l'on tue indistinctement même s'ils avaient payés une rançon ! De ces juifs brûlés vifs dans leur synagogue de Jérusalem....

Que penser aussi de ces actes destinés à terrifier l'adversaire ?  : envoyer les têtes des turcs morts au moyen de balistes dans la ville de Nicée ! faire rôtir des espions en faisant croire aux gens d'Antioche que ce serait la nourriture des princes ! On trouve même mention dans les chroniques d'actes de cannibalisme, d'enfants rôtis à la broche et mangés...

Ces anecdotes, si elles  émanaient de chroniques musulmanes, seraient évidemment suspectes, mais ce n'est pas le cas : toutes sont racontées par des chrétiens eux-mêmes, ce qui, évidemment, ne peut mettre en doute la véracité de ce qu'ils écrivent.

Dans cette perspective, il convient de se poser la question des  sentiments que manifestent ces chroniqueurs chrétiens lorsqu'ils décrivent ces massacres : Guillaume de Tyr parle quelquefois d'horreur face aux monceaux de cadavres que l'on voyait dans les rues, mais il ajoute très vite, comme je l'ai indiqué, que ces massacres permettent la purification des lieux profanés. C'est d'ailleurs l'idée générale qui ressort des chroniques.

Dans certains de ces chroniques apparait même une assimilation des "sarrasins" à des animaux malfaisants, c'est le cas de Robert le Moine qui écrit à propos des combattants musulmans " ils couvraient la superficie de la terre comme d'innombrables essaims de locustes et de sauterelles" : les sauterelles furent à l'origine de l'une des sept plaies d' Égypte !

Dans cette impression d'ensemble, je n'ai trouvé qu'un seul témoignage différent, celui du récit que Raoul de Caen effectua à propos du massacre du18 juillet et que j'ai cité dans le précédent article. Cet extrait éclaire, selon moi, assez bien les comportements des croisés qui "livraient leur âme à la passion du carnage".

samedi 7 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (32) : LA PREMIÈRE CROISADE ; ÉPILOGUE

Au terme de cette série d'articles sur les mentalités et comportements qui se sont développés pendant cette croisade et en guise d'épilogue, je voudrais mentionner ici les trois caractéristiques qui me semblent apparaître tout au long de cette longue expédition :
     . L'exaltation religieuse,
     . La pratique des massacres,
     . Le pillage,
A cela j'ajourerai, un paragraphe sur les  impressions que ressentit le monde musulman vis à vis des francs et de leurs comportements.

L'EXALTATION RELIGIEUSE
C'est ce qui ressort en premier lieu de tous les récits de la croisade : elle est représentée comme une expédition quasiment eschatologique, voulue par Dieu et effectuée par des "combattants de Dieu" que Dieu conduira à la victoire.

Dans cette perspective, tout événement est expliqué par référence à Dieu, c'est Dieu qui permet de l'emporter à chaque bataille, les croisés n'étant que les instruments de ses desseins. C'est aussi par référence à Dieu que l'on explique les revers et les longues souffrances dues aux famines et aux  sièges interminables : l'explication la plus courante de ces revers est que Dieu abandonne les hommes à cause de leurs trop nombreux péchés ; cependant, deux autres explications peuvent apparaître :  d'une part, Dieu peut vouloir éprouver les croisés en leur infligeant des souffrances, d'autre part,  les hommes, incapables de comprendre les desseins de Dieu dont l'impénétrabilité est totale, doivent se plier à ce qui leur advient.  Pour célébrer les victoires, il faut effectuer des actions de grâce ; pour remédier à ces phases de revers, il n'y a pas d'autres solutions que la prière et la pénitence.

Cette ambiance d'exacerbation de la religiosité pourrait être relativisée par le fait que la plupart des chroniques ont été écrites par des clercs qui, bien évidemment, ont eu tendance à analyser l'ensemble des événements à l'aune de leurs conceptions religieuses. Une autre observation peut être d'ailleurs effectuée dans le même sens : plus les récits sont postérieurs aux événements, plus ils sont effectués dans la perspective d'une vision théologique.

Il faudrait  donc tenter de démêler de ce qui ressort d'une vision eschatologique effectuée à-posteriori par des clercs réinterprétant les événements dans le sens de cette vision et les événements tels que les contemporains les ont vécus au jour le jour.

Le seul récit qui puisse être utilisé pour cela est celui de l'Anonyme dont on pense qu'il fut un chevalier ayant participé à la croisade. Selon les extraits que j'ai pu en lire, il n'apparaît certes pas une ambiance théologique globale dans sa relation des faits, par contre on y trouve la mention de pratiques religieuses constantes visant à placer la croisade sous la protection de Dieu.

Ces connotations religieuses des chroniques qu'elles soient dans la vision globale des clercs ou dans le vécu quotidien des croisés s'expliquent au moins de trois manières :
     . D'abord, parce que l'essence même de la croisade prêchée par le pape et promettant le salut à ceux qui mourraient pendant l'expédition et par antiphrase à ceux qui y participeraient, constitue l'idée de base et le concept fondamental de la croisade,
     . Ensuite, par le fait que la croisade est composée d'un grand nombre de clercs et est dirigée théoriquement par le Pape via son légat : la présence de ces clercs imprègne tous les actes quotidiens des croisés, fournit une explication religieuse à tous les événements,  rappelle le sens du combat en le recentrant si nécessaire vers l'objectif final et organise les cérémonies et processions permettant la victoire.
     . Enfin, parce que l'époque impliquait la pratique de tout un ensemble de rituels habituels et quotidiens que les chevaliers effectuaient sans état d'âme : ils étaient conscients qu'ils pouvaient mourir à chaque moment et s'y préparaient avec ferveur : ils effectuaient les processions, les jeunes décidés par les clercs, se confessaient, assistaient à la messe et communiaient avant chaque bataille décisive. De la sorte, s'ils mouraient, ils étaient en état de pureté qui leur donnait le salut.

Ainsi, ambiance eschatologique des clercs et religiosité ordinaire de la ritualisation chrétienne de chaque acte quotidien des croisés laïcs se conjuguèrent pour donner cette ambiance si particulière de la longue marche de la croisade vers les lieux saints.

Un dernier aspect concernant l'exaltation religieuse me semble aussi émerger des récits de la croisade : il y a pour moi une étroite corrélation entre eux et les récits bibliques de la conquête de la Terre Promise : les hébreux dont un des commandements était " tu ne tueras point" (les membres de ton peuple)  pratiquaient l'anathème envers leurs ennemis sans aucun scrupule.  Ces mêmes comportements s'observent chez les croisés :  quelques instants après avoir massacré des centaines de "sarrasins", ils  confessent  au saint Sépulcre " les actes qu'ils déploraient et faisaient vœu de ne plus commettre de semblable " : il va de soi que ces promesses ne concernaient pas les infidèles et n’engageaient que les croisés entre eux ! Cela conduira à une conception du combat qui se résume en deux possibilités : "ou tu es tué en luttant contre les mécréants et tu iras au paradis, ou tu tues des infidèles et tu iras aussi au paradis puisque ton combat est celui de Dieu"

Pour moi donc, et c'est un avis personnel,  les références religieuses qui sous-tendent la croisade ressortent plus de l'ancien testament que de l’Évangile. Voici un extrait significatif à ce propos de la chronique de Robert le Moine (6), c'est une prière après une victoire sous les murs d'Antioche

" les prêtres et les clercs adressèrent à Dieu leurs hymnes en ces mots « Tu es glorieux dans tes saints, ô Seigneur! et tu es admirable dans ta sainteté ; à toi appartiennent la terreur et les louanges et de toi viennent les merveilles ; ta droite, ô Seigneur, a frappé l'ennemi, et tu as écrasé tes adversaires sous le poids de ta gloire...  tu as été avec nous Seigneur; comme un guerrier courageux, et dans ta miséricorde tu t'es fait le chef et le protecteur de ton peuple, que tu as racheté; maintenant, Seigneur, nous connaissons que c'est ta force qui nous porte à ta sainte demeure, c'est-à-dire à ton saint sépulcre. »

(6) moine qui réécrivit les "Gesta Francorum" vers 1116 sans avoir été en terre sainte.

vendredi 6 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (31) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

LE MASSACRE FINAL DÉCRIT PAR RAOUL DE CAEN

Je cite le texte de ce massacre dans sa quasi-intégralité tant il paraît incroyable avant d'en faire ressortir quelques éléments particuliers et inhabituels. Ce récit s'articule en deux parties  :

La décision des princes
Les massacres du 15 juillet n'ont pas atteint tous les musulmans, certains ont été emprisonnés, d'autres ont racheté leur vie en payant une forte rançon aux croisés ou sont employés au service de leurs nouveaux maîtres .

Le conseil des princes décide d'un nouveau massacre le 18 juillet sous le prétexte qu'en cas d'attaque venue de Bagdad, les musulmans de l'intérieur de la ville prendraient les armes : afin de pallier au danger d'être pris entre deux feux, il faut donc tous les massacrer sans aucune distinction   y compris ceux qui ont payé une rançon et qui pouvait espérer ainsi avoir la vie sauve.

«  Jérusalem, comme vous savez tous, reconquise à travers de grandes difficultés et non sans que nous ayons perdu beaucoup des nôtres ... est rendue aujourd'hui à  ses véritables enfants et délivrée des mains du roi de Babylone  (le sultan de Bagdad) et du joug des Turcs. Mais prenons garde que l'avidité, la paresse ou la compassion pour nos ennemis ne nous la fasse perdre.. N'épargnons pas les prisonniers et ceux des [sarrasins ] qui se trouvent encore dans la ville . Car, si par hasard nous venions  à être attaqués par le roi de Babylone à la  tête d'une nombreuse armée, nous nous trouverions  tout-à-coup assaillis au dedans comme au dehors, [ et serions chassé de Jérusalem].  Il nous semble utile et nécessaire, dès ce moment, que tous les Sarrasins.. qui sont retenus prisonniers, qui doivent être rachetés ou sont déjà rachetés pour de l'argent, périssent sans retard par le glaive,  de peur que leurs artifices ... ne suscitent contre nous, de nouveaux malheurs » (4)

Le massacre
La proclamation des princes conduit à un nouveau massacre : les prisons sont vidées, et les prisonniers tués puis les croisés parcourent les rues et tuent tous ceux qu'ils rencontrent. Il semble que cette nouvelle tuerie  s'effectue surtout au détriment des femmes et des enfants  y compris de ceux que leur mère nourrissait encore de leur lait.

" Cet avis ayant été approuvé, le troisième jour après la victoire,  les princes publièrent leur résolution. Aussitôt, tous les chrétiens coururent aux armes et se lèvent  pour détruire misérablement toute la race des Gentils ( les sarrasins)  qui avaient survécu... ils tirèrent les uns de leurs prisons, et leur tranchèrent la tête ; les autres furent massacrés à mesure qu'on les trouvait dans les rues ou sur les places de la ville, tous après qu'ils avaient déjà obtenu grâce, soit en donnant de l'argent., soit en éveillant [chez les croisés], des sentiments d'humanité et de compassion.

Les jeunes filles, les femmes, les dames nobles et enceintes étaient mises à mort ou lapidées et les pèlerins n'étaient arrêtés par aucun respect pour l'âge, quel qu’il fût. Cependant les jeunes filles, les  femmes, les matrones, redoutant le moment de la mort, et frappées de terreur à la vue de cet horrible carnage, s'élançaient vers les Chrétiens, tandis qu'ils assouvissaient leurs fureurs...  elles les serraient dans leurs bras pour sauver leur vie, d'autres se roulaient à leurs pieds, et les suppliaient de leur faire grâce, en versant des larmes, se répandant en misérables lamentations.

Les jeunes garçons de cinq ans ou de trois ans, témoins de la déplorable fin de leurs pères et de leurs mères, ajoutaient à ces scènes de désolation en poussant des cris affreux et pleurant amèrement. Mais ils imploraient vainement la pitié et la miséricorde des Chrétiens. Ceux-ci avaient tellement livré leur âme à la passion du carnage, qu'il n'y eut pas un enfant à. la mamelle de l'un ou de l'autre sexe,  pas un enfant d'un an qui pût échapper à leurs coups ; aussi, toutes les places de la ville de Jérusalem furent, dit-on, tellement jonchées et couvertes des cadavres des hommes et des femmes et des membres déchirés des enfants qu'on en trouvait une quantité innombrable, non seulement dans les rues et dans les palais, mais même dans les lieux les plus déserts." (4)

Pour moi, ce récit possède d'importantes particularités qui tranche avec toutes les autres chroniques :
     - d'abord,  il témoigne du non-respect de la parole donnée par les croisés aux musulmans sous couvert de nécessités militaires, cela s'explique aisément par le fait qu'un serment de sauvegarde ne peut engager totalement un chrétien que s'il est prêté devant Dieu, ce qui n'est pas le cas ici.
    - ensuite, il définit trois comportement déviants des croisés : l'avidité, la paresse et la compassion pour les ennemis à laquelle  s'ajoute le sentiment d'humanité. On comprend parfaitement l'idée d'avidité : il faut laisser en vie les "sarrasins" afin de leur soutirer des rançons mais aussi pour en faire des serfs ou des domestiques astreints à des travaux continuels ; l'idée de paresse est également compréhensible, certains croisés n'ont plus qu'une envie, celle de jouir des biens qu'ils ont acquis, maintenant que le but de la croisade est atteint. Par contre, apparait chez Raoul de Caen,  une idée inhabituelle  à cette époque et parmi les croisés, celle d'humanité et de compassion, ce sentiment était-il partagé par d'autres croisés ? Sûrement pas chez les croisés qui massacraient : en effet, les sarrasins qui tentaient d'éveiller des sentiments d'humanité et de compassion chez leurs assassins furent tous tués.
    - la troisième caractéristique est une espèce d'analyse des comportements des croisés qui tuent : "ils ont livré leur âme à la passion du carnage"  : si on traduit cette idée dans un langage moderne, on dirait que ces croisés agissent sous l'emprise d'une folie délirante ; ils ont perdu tout sentiment humain, ne sont plus que des tueurs ivres de sang et de mort, qui tuent pour assouvir en eux un plaisir pervers et une volonté de puissance ; ils n'entendent rien, n'écoutent rien, ne pensent à rien, tuent pour tuer : leur âme est toute entière emplie de ce désir insatiable et irrépressible de tuer, sans qu'aucune autre considération n'intervienne.
    . Enfin, les termes employés par Raoul de Caen : "déplorable fin, scène de désolation, horrible carnage, détruire misérablement" montrent  bien que l'auteur n'est pas d'accord avec la décision des princes. Cette décision fait suite en effet au fait que Tancrède, dont Raoul de Caen raconte la croisade, avait décidé de laisser la vie sauve à un certain nombre de musulmans, ce que le conseil des chefs croisés n'accepta pas.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 5- Raoul de Caen chevalier normand écrit la "Gesta Tancredi in expeditione Hierosolymitana racontant l'histoire de Tancrede. Il vint en Terre sainte au tout début du 12ème siècle et effectue un récit à partir de témoignages.

mardi 3 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (29) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

LA JUSTIFICATION DES MASSACRES PAR LES CHRONIQUES CHRÉTIENNES.

Que peut-on penser de ces massacres décrits dans l'article précédent ? Les commentateurs actuels s'intéressent plus au nombre de morts qu'aux justifications morales et mentales  données par les croisés. En ce qui me concerne, ce sont celles-ci qui m'intéressent surtout.

Guillaume de Tyr, outre le sentiment d'horreur qu'il exprime ( il est d'ailleurs un des seuls à le faire), fait état d'une juste punition des infidèles :

" Les nôtres donc, parcourant Jérusalem l'épée nue, ne firent quartier à aucun, même de ceux qui imploraient leur pitié, et le peuple des infidèles tomba sous leurs coups comme tombent, d'une branche qu'on secoue, les fruits pourris du chêne, les glands agités par le vent. (1)

Ils accomplirent ainsi les justes décrets de Dieu, afin que ceux qui avaient profané le sanctuaire du Seigneur par leurs actes superstitieux, le rendant dès lors étranger au peuple fidèle, le purifiassent à leur tour par leur propre sang, et subissent la mort dans ce lieu même en expiation de leurs crimes.(1)

Les termes employés de "fruits pourris", de " profanation", de "purification par le sang", "d'expiation des crimes" et surtout de "juste décret de Dieu" constituent  le fonds de la pensée du chroniqueur.

Cette  profanation du "sanctuaire du Seigneur" fait référence surtout  à l'esplanade du temple de Yahvé construit par Salomon, reconstruit par Hérode,  détruit par les romains sur les ruines duquel avaient été érigés par les musulmans le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Le massacre perpétré visait non pas à punir les derniers actes antichrétiens qui avaient été accomplis par les Fatimides puis par les Turcs, il visait beaucoup plus, selon Guillaume de Tyr,  la construction par les arabes d'édifices musulmans là où se trouvait le temple de Yahvé : on purifiait par le sang des arabes présents la profanation accomplie par ceux qui avaient construit ces édifices et par ceux qui étaient venus y prier.

Raoul de Caen (histoire de Tancrède) décrit avec emphase ce combat du juste contre les scélérats, de la joie à tuer, de la sainte fureur de détruire :
" Qui aurait le temps de raconter en détail et les joies de ceux qui massacrent et les douleurs de ceux qui sont massacrés, et tous les biens qui sortent du sein de tant de maux... le glaive dévorant moissonne tout ce qu'il rencontre, l'ennemi succombe de toutes parts courage ! saintes fureurs, courage ! , glaives sacrés, courage ! , sainte destruction, ne ménagez rien ; tombez sous les coups, race dépravée, hommes scélérats, qui avez répandu le sang innocent, qui devez maintenant donner tout le vôtre. Vous qui avez tant de fois déchiré le Christ en mille pièces, recevez à votre tour les châtiments que font retomber sur vous les membres du Christ."

Enfin Foucher de Chartres indique que ce massacre efface une souillure et restera à jamais dans la mémoire des hommes comme un acte glorieux  :
" tous les sectateurs de la foi catholique aspiraient de tous leurs vœux et du fond de leur âme, à voir les lieux .. purgés.. de la présence empestée des Païens qui les habitaient et les souillaient depuis si longtemps de leurs superstitions, et rétablis dans tout l'éclat de leur ancienne gloire par des hommes croyants et se confiant au Seigneur."

 " Ce temps était le temps réellement mémorable, et digne, à bon droit, de demeurer gravé dans le souvenir des hommes. cet événement sera fameux jusqu'à la fin des siècles, et retentira célébré dans les diverses langues de .toutes les nations. "


Ainsi, le massacre des infidèles prend la forme d'une vision quasi-cosmique de la lutte du bien contre le mal, des chrétiens contre les infidèles, des combattants de Dieu contre les impies.

Il faut alors se poser la question : existe-t-il un substrat théologique à ce massacre ?

Selon moi, il ne se trouve pas dans les Évangiles, le Christ ayant toujours affirmé des aphorismes du type :
     - " Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. ( Luc 6)"
     -  " Alors Jésus lui dit: Remets ton épée dans le fourreau; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée".  (Mathieu 26)
     - " Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,"  (Mathieu 5)
Cette caractéristique peut paraitre surprenante, elle est cependant conforme aux mentalités de l’époque qui prône que la source d'inspiration de tout chrétien est non l’Évangile en tant que tel mais la vision de l’Évangile que transmet et enseigne l'Eglise.

Pour moi, la base théologique se trouve plutôt dans la Bible et en particulier dans la pratique de l'anathème.

En voici deux exemple tirés du livre de Josué
     Le premier exemple est celui de Jéricho que j'ai déjà évoqué à propos de la procession autour de Jérusalem : " Josué dit au peuple: " Poussez des cris, car Yahweh vous a livré la ville. La ville sera dévouée par anathème à Yahweh, elle et tout ce qui s'y trouve ... Tout l'argent et tout l'or, tous les objets d'airain et de fer seront consacrés à Yahweh et entreront dans le trésor de Yahweh" ...
S'étant emparés de la ville, ils livrèrent à l'anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, même les boeufs, les brebis et les ânes, par le tranchant de l'épée. Les enfants d'Israël brûlèrent la ville et tout ce qui s'y trouvait, sauf l'argent et l'or, et les objets d'airain et de fer, qu'ils déposèrent dans le trésor de la maison de Yahweh." Afin de ne pas surcharger la citation, je n'ai pas inclus les mentions de Rahab et sa famille sauvées pour avoir caché des hébreux dans leur maison.

Ce qui s'est passé à Jéricho définit bien ce qu'est l'anathème : il est décrété par Yahvé et consiste à tuer tout ce qui est vivant, à vouer à Yahvé tout ce qui est précieux et à détruire le reste.

     . Le cas de la ville de Haï correspond exactement à ce que l'on a observé à Jérusalem : "Yahweh dit à Josué: " Prends avec toi tous les hommes de guerre, lève-toi et monte contre Haï. Vois, j'ai livré entre tes mains le roi d'Haï et son peuple, sa ville et son territoire. Tu traiteras Haï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi; seulement vous pillerez pour vous son butin et son bétail. ... [ suit le détail de la bataille ] Lorsqu 'Israël eut achevé de tuer tous les habitants d'Haï dans la campagne, dans le désert, où ils l'avaient poursuivi, et que tous furent jusqu'au dernier passés au fil de l'épée, tout Israël revint dans la ville et la passa au fil de l'épée. Le nombre total de ceux qui périrent en ce jour fut de douze mille, tant hommes que femmes, tous gens d'Haï.  Les Israélites prirent seulement pour eux le bétail et le butin de cette ville, selon l'ordre de Yahweh qu'il avait prescrit à Josué. Josué brûla Haï, et en fit pour toujours un monceau de ruines, qui subsiste encore aujourd'hui. (Josué 8)

Selon moi, c'est cet anathème qui donne sa justification aux actes des croisés dans les massacres qu'ils organisèrent tout au long de leur périple.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101

lundi 2 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (28) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

Une fois Jérusalem investi par les croisés, se déroulèrent selon les chroniques relatant l'histoire de la croisade,  trois événements successifs dont l'ordre est conforme aux mentalités de l'époque telles que je les ai décrites  :
     - un massacre généralisé des musulmans mais aussi des juifs et même de chrétiens d'orient,
     - Le pillage de Jérusalem,
     - l'action de grâce au saint Sépulcre.

LES MASSACRES

Ce fut la première action qui s'effectua des l'entrée dans la ville, les croisés parcourent les rues afin de détruire les éventuelles poches de résistance et tuent tous les musulmans qu'ils rencontrent sans aucune distinction entre combattants et non-combattants.

Il est difficile pour moi de raconter ces événements  car je pourrais prendre partie et évidemment de manquer d'impartialité, je préfère laisser la parole aux textes qui sont d'ailleurs très explicites.

Apres l'entrée des francs dans la ville, " les Païens confus perdent complètement leur audace, et se mettent tous à fuir en hâte par les ruelles qui aboutissent aux carrefours de la ville. Mais s'ils fuient rapidement, ils sont poursuivis plus rapidement encore " . (2)

" Le duc [Godefroy de Bouillon] et tous ceux qui étaient entrés avec lui s'étant réunis, couverts de leurs casques et de leurs boucliers, parcouraient les rues et les places, le glaive nu, frappant indistinctement tous les ennemis qui s'offraient à leurs coups, et n'épargnant ni l'âge ni le rang. On voyait tomber de tous côtés de nouvelles victimes, les têtes détachées des corps s'amoncelaient çà et là, et déjà l'on ne pouvait passer dans les rues qu'à travers des monceaux de cadavres...(1)

« Certains de nos hommes (et c'était miséricorde) coupaient la tête de leurs ennemis; d'autres leur décochaient des flèches, les faisant tomber des tours; d'autres encore prolongeaient leurs tortures en les livrant à la flamme. On pouvait voir dans les rues de la ville des monceaux de têtes, de mains et de pieds. Il fallait se faire un chemin à travers les cadavres d'hommes et de chevaux. Mais c'était là peu de choses comparé à ce qui arriva près du temple de Salomon ... Si je dis la vérité,  elle dépassera ce qu'il vous est possible de croire. Qu'il me suffise donc de dire ... que les hommes chevauchaient dans le sang, qui leur montait aux genoux et à la bride. » (3)

Les musulmans se réfugient en effet  sur l'esplanade du temple de Yahvé entourée de rempart,  pensant sans doute que, dans ce lieu saint, ils seraient épargnés, ce ne fut pas le cas :

" Beaucoup..  sont réduits à s'enfermer dans le temple du Seigneur et dans celui de Salomon. Les nôtres les attaquent dans les cours intérieures de ces temples, avec la plus violente ardeur; nulle part ces infidèles ne trouvent d'issue pour échapper au glaive des Chrétiens. De ceux qui, en fuyant, étaient montés jusque sur le faîte du temple de Salomon, la plupart périssent percés à coups de flèches, et tombent misérablement précipités du haut du toit en bas Environ dix mille Sarrasins sont ainsi massacrés dans ce temple. Qui se fut trouvé là aurait eu les pieds teints jusqu'à la cheville du sang des hommes égorgés. Que dirai-je encore? aucun des infidèles n'eut la vie sauve; on n'épargna ni les femmes ni les petits enfants.

Une chose étonnante à voir, c'était comment nos écuyers et nos plus pauvres hommes de pied, ayant découvert l'artifice des Sarrasins pour conserver leurs richesses, fendaient le ventre de ceux d'entre eux qui déjà étaient tués, pour arracher de leurs entrailles les byzantins d'or qu'ils avaient avalés lorsqu'ils étaient encore vivants. (2)

" Les autres princes, après avoir mis à mort dans les divers quartiers de la ville tous ceux qu'ils rencontraient sous leurs pas, ayant appris qu'une grande partie du peuple s'était réfugiée derrière les remparts du Temple [de Yahvé] , y coururent tous ensemble, conduisant à leur suite une immense multitude de cavaliers et de fantassins, frappant de leurs glaives tous ceux qui se présentaient, ne faisant grâce à personne, et inondant la place du sang des infidèles. .... On ne pouvait voir cependant sans horreur cette multitude de morts, ces membres épars jonchant la terre de tous côtés, et ces flots de sang inondant la surface du sol..  On dit qu'il périt dans l'enceinte même du Temple environ dix mille ennemis sans compter tous ceux qui avaient été tués de tous côtés." (1)

" Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu'au temple de Salomon, où ils s'étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d'hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait " (3)

Ces récits d'horreurs sont corroborés par d'autres chroniques : c'est le cas par exemple de celle d'Albert d' Aix qui écrit au début du 12ème siècle à partir de récits de témoins :

" Les pèlerins s'élancèrent vers le palais de Salomon et massacrèrent sans pitié tous les Sarrasins qui s'y trouvaient. Le sang coula en si grande quantité qu'il forma des ruisseaux dans la cour royale et que les hommes y trempaient leurs pieds jusqu'aux talons. Les petits enfants augmentaient l'horreur de ces scènes par leurs cris horribles et leurs larmes amères. Mais c'était inutilement qu'on implorait la pitié des chrétiens"

Après être sorti du palais, " Les Chrétiens vainqueurs... rencontrèrent dans les rues plusieurs bandes de Gentils qui erraient ça et là, frappes de crainte, et fuyant la mort, et ils furent tous passés au fil de l'épée. Les femmes qui s'étaient réfugiées dans les tours des palais, où sur les points les plus élevés étaient frappées du glaive; on enlevait sur le sein de leurs mères on dans leurs berceaux, des enfants à la mamelle, et, saisis par les pieds, ils étaient lancés et allaient se briser la tête contre les murailles, ou sur les portes. les Sarrasins périssaient par les armes, là d'autres étaient écrasés sous les pierres. Nulle part, ni l'âge ni le rang ne pouvaient soustraire aucun d'entre eux à !a mort...

De même, les massacres sont mentionnés par les écrivains arabes  : "Les Francs massacrèrent plus de soixante-dix mille musulmans dans la mosquée al-Aqsa. Parmi eux, on remarquait un grand nombre d’imams, d’ulémas , et de personnes menant une vie pieuse et austère qui avaient quitté leur patrie pour venir prier dans ce noble lieu " (Ibn al-Athîr (1160-1233), Kâmil al Tawârikh (Somme des Histoires),

Enfin, il convient d'ajouter que les massacres ne concernèrent pas seulement que les musulmans mais aussi les juifs comme l'écrit par exemple Ibn-Al-Qalanisi " les juifs s'assemblèrent dans la synagogue et les francs les incendièrent"

Ces massacres épargnèrent cependant les soldats musulmans qui s’étaient enfermés dans la tour de David, cette puissante forteresse résista pendant trois jours au comte de Toulouse qui l'encerclait, la garnison obtint du comte la vie sauve contre sa reddition et le paiement d'une rançon et put regagner Ascalon où se trouvait l'armée égyptienne.


Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101

mercredi 25 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (23) LE SIÈGE ET LA PRISE DE JERUSALEM.

JERUSALEM A L'APPROCHE DU SIÈGE SELON GUILLAUME DE TYR

" Cependant les habitants de Jérusalem,  instruits... de la marche de nos troupes, et sachant bien que cette immense multitude de Chrétiens qui s'avançait vers eux avait principalement pour objet de s'emparer de leur ville, s'occupaient ...  du soin de la fortifier.. [de] rassembler de toutes parts et faire ensuite transporter dans la ville de nombreux approvisionnements en denrées, en armes de toutes sortes, et des divers objets qui peuvent être de quelque utilité dans une place assiégée.

Le prince égyptien, qui, dans le cours de cette même année (en fait l'année précédente), était parvenu.... , à expulser les Turcs ( de l’Émirat seldjoukide de Damas) de Jérusalem et à s'en rendre maître, ordonna de réparer les tours et les murailles , il fit entrer à Jérusalem un grand nombre d'hommes forts et adroits, parfaitement bien armés.

Puis ils se rassemblèrent tous dans le vestibule de la mosquée (Al-Aqsa)  qui était extrêmement vaste, et résolurent, pour mieux s'opposer à l'arrivée des armées chrétiennes, de mettre à mort tous les [chrétiens ]  qui habitaient dans la ville, de renverser de fond en comble l'église de la Sainte-Résurrection et le sépulcre du Seigneur, afin que les Croisés renonçassent à leur projet de s'approcher de la ville, ou même d'y entrer...

Cependant, comme ils apprirent qu'une telle conduite exciterait contre eux les haines les plus violentes, et irriterait les peuples Croisés [ au point qu'ils décideraient] l'entière destruction des habitants, ils changèrent d'avis et enlevèrent de vive force aux [chrétiens]  tout leur argent et tout ce qu'ils pouvaient posséder ;  en outre,  ils exigèrent une somme de quatorze mille pièces d'or, tant du patriarche que des habitants de la cité et des monastères."

Ce premier extrait de Guillaume de Tyr témoigne de la profonde différence des mentalités entre les musulmans de Jérusalem et les croisés : certes, dans un premier temps, les musulmans de Jérusalem assemblés décidèrent de tuer tous les chrétiens et de détruite le Saint-Sépulcre. Pourtant ils ne le firent pas, ne tuèrent personne,  ne détruisirent aucun édifice chrétien et ne les profanèrent pas, ils n'imposeront qu'une rançon à la communauté chrétienne qui est d'ailleurs moindre que celle que l'émir de Tripoli versa aux croisés.

 A cet égard, le contraste de ces musulmans avec le comportement qu'auront les croisés après la prise de Jérusalem sera total. Il convient cependant de ne pas verser dans l'angélisme : on se rappelle la destruction et lé saccage du saint sépulcre par le calife fatimide Al-Hakkim et les pillages lors de la prise de Jérusalem par les turcs Seldjoukides...


lundi 23 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (21) LE SIÈGE D'ARCHIS

LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : L'AFFAIRE DE LA SAINTE LANCE

La sainte Lance avait été découverte par un provençal dans le sol de la basilique d'Antioche. Remise au comte de Toulouse et à l'évêque du Puy, elle avait redonné confiance aux croisés assiégés par l'armée de l'atabeg de Mossoul,  ce qui leur avait permis la victoire. Depuis, elle était conservée par le comte de Toulouse. Jusqu'au siège d'Archis, il s'était certes posé des questions sur son authenticité mais sans qu'elle soit vraiment  remise en cause.

Pendant le siège d'Archis, la question fut relancée d'une manière insistante tant par le peuple que par le conseil des princes et en particulier par un clerc dépendant du duc de Normandie. Cela conduisit celui qui avait découvert la lance, un certain Pierre Barthélémy, à  demander à être livré à une ordalie, le jugement de Dieu, : "  Je veux et je supplie qu’on fasse un très grand feu ; je passerai au travers avec la lance du Seigneur. Si c’est la lance du Seigneur, je passerai sain et sauf ; si c’est une fausseté, je serai brûlé par le  feu.... On fit en branches sèches d’olivier, un bûcher qui avait quatorze pieds en longueur: il y avait deux monceaux de bois, entre lesquels on avait laissé un vide d’un pied de largeur environ [ pour permettre à Pierre Barthélémy de passer], et chacun des deux monceaux de bois avait quatre pieds de hauteur." (4)

Sur les résultats de l'ordalie, on dispose de trois textes qui donnent des résultats assez différents :

D'abord le récit de RAYMOND D'AGUILLIERS qui était le chapelain du comte de Toulouse
Lorsque le feu fut violemment allumé; moi, Raymond, je dis,  en présence de toute la multitude : « Si Dieu tout-puissant a parlé à cet homme face à face, et si le bienheureux André lui a montré la lance du Seigneur, tandis qu’il veillait lui-même, qu’il passe à travers ce feu sans être blessé: mais s’il en est autrement, et si ce n’est qu’un mensonge, qu’il soit brûlé avec la lance qu’il portera dans ses mains. » Et tous fléchissant les genoux, répondirent: « Amen ! »

Après que Pierre Barthélemy fut sorti du feu,  bien que sa tunique ne fut point brûlée, et qu’on ne put non plus découvrir aucun indice de la moindre atteinte sur la pièce d’étoffe très fine avec laquelle on avait enveloppé la lance du Seigneur, le peuple se jeta sur lui, lorsqu’il eut fait sur tout le monde le signe de la croix, avec la lance du Seigneur, et crié à haut voix: « Dieu nous aide; » (4)

FOUCHER DE CHARTRES
L'auteur précise d'abord que quand la lance avait été présentée  " à l'évêque du Puy et au comte Raymond, l'évêque croyait toute cette histoire fausse,  le comte Raymond, au contraire, se flattait qu'elle était vraie.  Cependant tout le peuple, plein de joie, glorifiait le Seigneur...  tous la tenaient en grande vénération, le comte Raymond lui prodiguait les plus signalés honneurs, et s'en était  rendu lui-même le gardien,"

Toutefois [beaucoup] doutaient que cette lance fût celle du Seigneur, et pensaient que c'en était une autre que cet homme grossier disait faussement avoir trouvée. On tint donc une grande assemblée; puis, après trois jours de prières et de jeune, le huitième mois depuis la prise d'Antioche, on mit le feu à un tas de bois au milieu même du camp... les évêques donnèrent leur bénédiction à ce feu, dont l'épreuve devait servir de jugement; et l'homme qui avait trouvé la lance passa vite et résolument au milieu du brasier enflammé. On reconnut aussitôt qu'en le traversant, cet homme, comme il arrivait à tout vrai coupable, avait eu la peau brûlée par la flamme, et l'on présuma promptement que quelque partie intérieure de son corps devait être mortellement endommagée,  cela fut bientôt clairement confirmé par la fin de ce criminel imposteur, qui mourut le douzième jour des douleurs de sa brûlure. Cédant à la force de cette preuve, tous les nôtres qui avaient vénéré cette lance, cessèrent de croire à sa sainteté, mais furent attristés  Quant au comte Raymond,  il conserva très-longtemps cette lance, et la perdit par je ne sais quel accident. (2)

GUILLAUME DE TYR
Parmi les princes,  les uns disaient que c'était bien la même lance qui avait été trempée dans le sang du Seigneur, au moment où on lui ouvrit le flanc, et qu'une inspiration divine l'avait révélée à l'armée des Croisés, pour les consoler dans leur affliction ; d'autres affirmaient que c'était une invention...  uniquement par un motif d'avidité, et qui ne faisait que mettre au jour la fourberie du comte de Toulouse.

Tandis que le peuple s'entretenait diversement sur ce sujet, l'homme qui affirmait avoir eu cette révélation, voulant ... dissiper tous les doutes, ordonna d'allumer un grand bûcher, promettant qu'avec l'aide de Dieu et en se soumettant à l'épreuve du feu, il prouverait à tous les incrédules qu'il n'y avait eu dans son récit aucune tromperie, ni aucune fausse interprétation, et tout ce qu'il avait rapporté était bien le fait d'une révélation divine.  On disposa donc un grand bûcher, et l'on y mit le feu.

l'homme qui devait subir de son plein gré une si périlleuse épreuve se nommait Pierre Barthelemi, c'était un clerc peu lettré,(precedemment, Guillaume de Tyr avait parlé d' un paysan)   et qui paraissait très simple... il prit en main la lance et traversa le feu, sans en être blessé, du moins à ce que le peuple crut voir. Cependant, loin de décider la question, cette action ne fit qu'en susciter une autre encore plus difficile. Barthelemi mourut peu de jours après, et quelques-uns affirmèrent que une mort si prompte ne pouvait provenir que de l'épreuve qu'il avait voulu tenter, et qu'il avait trouvé une occasion de mort dans le feu pour s'être porté le défenseur d'une fraude. D'autres disaient au contraire qu'il était sorti sain et sauf du bûcher, et qu'après qu'il avait échappé à l'action du feu, la foule, se précipitant sur lui dans son transport de dévotion, l'avait tellement serré et écrasé de tous côtés que c'était là la véritable et unique cause de sa mort. Ainsi cette question demeura encore complètement indécise, et fut même enveloppée d'une plus grande obscurité." (1)

Ainsi apparait trois versions différentes des résultats de l'ordalie :
     . Pour Foucher de Chartres, la lance était fausse puisque celui qui l'avait découverte a été brûlé lors de l'ordalie,
     . Pour Raymond d'Aguilliers, la lance est authentique puisque Pierre Barthélémy est sorti indemne du feu, cependant, ce témoignage est suspect puisque Raymond d'Aguillers est un partisan et un proche du comte de Toulouse.
     . Enfin Guillaume de Tyr indique que l'ordalie n'a rien révélé : Pierre Barthélémy  est-il mort des suites de ses brûlures ou de la foule qui l'a oppressé ?

Ce qui est le plus intéressant dans le texte de Guillaume de Tyr, fut l'accusation lancée en conseil des princes à l'encontre du  comte de Toulouse, qui aurait inventé la lance par avidité et  fourberie : manifestement, cette opération était destinée à déconsidérer le comte de Toulouse.

Un dernier point est à noter à propos de cette lance, la mention faite par Foucher de Chartres que le comte de Toulouse conserva la lance longtemps et la perdit en sorte que jamais on ne l'a retrouva : perdre une relique de cette importance serait assez assez surprenant si la lance avait été authentique !

Ainsi déconsidéré, ayant perdu toute influence, et abandonné des princes qui l'avaient accompagné jusque là, le comte de Toulouse fut obligé de lever le siège d'Archis et de partir avec le reste de l'armée vers Jérusalem.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1 Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3 auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 4- Raymond d'Aguilliers, chapelain de Raymond de saint Gilles dans "Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem"

dimanche 22 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (20) LE SIÈGE D'ARCHIS


LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : LES ÉVÉNEMENTS DIPLOMATIQUES

Pendant que semblait s'éterniser le siège d'Archis, se produisirent deux événements diplomatiques dont l'un compliqua encore  les relations entre les chefs croisés.

Les princes virent d'abord venir une nouvelle ambassade venue d'Égypte. Le Vizir Al-Afdal leur offrait son alliance militaire ; elle était assortie de l'engagement d'autoriser  la liberté des pèlerinages aux lieux saints et en particulier au Saint-Sépulcre. De même, les croisés aurait l'autorisation d'entrer dans Jérusalem par groupes de 200 à 300.

Cet engagement était-il une ruse du Vizir ? Probablement pas, en fait il proposait un retour au statut-quo du traité de 1027 qui avait autorisé les pèlerinages et concédé aux chrétiens un quart de la ville de Jérusalem.

Les chefs croisés refusèrent ces propositions, leur but n'était plus seulement la liberté des pèlerinages mais aussi la délivrance de Jérusalem et sa conquête.

Le deuxième  événement diplomatique fut la venue d'une ambassade de l'empereur Alexis 1er. : " Les princes avaient reçu aussi des députés de l'empereur de Constantinople, chargés de leur porter plainte contre le seigneur Bohémond qui, disaient-ils, osait retenir (pour lui) la ville d'Antioche malgré le texte des traités et le serment de fidélité qu'il avait prononcé. Ils dirent, en outre, en présence des princes, que tous ceux qui avaient passé à Constantinople s'étaient engagés ...par serment, la main sur les Saints Évangiles, à ne...retenir pour eux... aucune des villes qui auraient fait auparavant partie de l'Empire, et à les restituer au contraire à l'empereur, s'ils parvenaient à s'en rendre maîtres.. " (1)

Les chefs croisés usèrent vis à vis des députés impériaux des récriminations habituelles : ils rappelèrent que l'empereur s'était engagé " à suivre lui-même l'expédition des Chrétiens, à la tête de nombreuses troupes" et fourni l'assurance " qu'il prêterait secours aux princes dans toutes les choses dont ils auraient besoin.. il avait en outre promis d'entretenir de continuelles relations avec eux par mer et par ses vaisseaux, et de leur faire fournir en abondance, sur toute la route, toutes les denrées dont ils pourraient avoir besoin  ; cependant il avait négligé frauduleusement d'accomplir ses promesses quand il lui eût été extrêmement, facile de les faire exécuter. En conséquence..  à Antioche... (Les princes)  étaient complètement dans leur droit, .. et que celui (Bohémond)  auquel ils avaient, librement et d'un commun accord, fait la concession de cette ville, en demeurât en  possession, pour en jouir lui et ses héritiers à perpétuité. (1)

" Les députés de l'Empereur insistèrent cependant pour engager les princes à attendre avec leur armée l'arrivée de leur maître, faisant tous ses efforts pour leur persuader qu'il ne manquerait pas d'arriver au commencement de juillet, (1)

Cette dernière proposition fut suivie d'une réunion houleuse du conseil des chefs croisés : en effet,  le comte de Toulouse fut d'avis d'attendre les troupes envoyées par l'empereur., contrairement à tous les autres qui voulaient partir immédiatement pour Jérusalem,

Les raisons du comte de Toulouse étaient évidentes :
     . Le siège d'Archis s'éternisait,  les assauts des croisés n'arrivaient pas à s'en emparer de la ville ; le comte espère donc que la venue de renforts permettra enfin de la conquérir.
    . Cet avis d'attendre les armées impériales n'était pas dépourvu d'arrière-pensées :  pour le comte de Toulouse, la conquête  d'Archis était, selon moi,  le prélude à un projet personnel de conquête plus vaste, celle du petit état de Tripoli dont la richesse était grande. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'il avait incité à l'abandon du siège de Gibel : manifestement, à Archis, Raymond combattait pour lui et non pour la croisade.
     . A cela s'ajoutait une autre considération : les députés de l'empereur ne se plaignaient que de l'attitude de Bohemond, Alexis 1er avait pour but de récupérer les terres qui appartenaient à l'empire byzantin antérieurement à la bataille de Manzikert de 1071 ; dans cette perspective, Raymond de Toulouse estimait que Tripoli n'était pas concerné par le traité juré entre les croisés et le Basileus. En outre, il va de soi que Raymond ne serait sans doute pas mécontent de se débarrasser d'un rival assez redoutable.

Ainsi le comte de Toulouse avait tout avantage à attendre les armées byzantines et l'empereur : il pourrait s'emparer d'Archis, se constituer une principauté autour de Tripoli, devenir un allié d'Alexis contre Bohemond.

A l'inverse,  La majorité des chefs croisés déclarèrent vouloir " poursuivre leur route et marcher sans retard à l'accomplissement des vœux pour lesquels ils avaient déjà supporté tant de fatigues. Il leur paraissait surtout convenable d'éviter... les artifices de l'Empereur, dont ils avaient eu si souvent à se plaindre, (de se laisser) envelopper ... dans le labyrinthe de sa politique tortueuse, et d'avoir ensuite grand-peine à s'en débarrasser." (1)

Les querelles s'enveniment à tel point que l'émir de Tripoli qui avait offert beaucoup d'argent pour que les croisés lèvent le siège d'Archis crut qu'il lui serait possible de les vaincre militairement : il tenta d'attaquer mais fut facilement vaincu.

Pendant cette période, l'aura du comte de Toulouse avait singulièrement pâli :
     . D'abord à cause de ce trop long siège et des assauts contre Archis  qui  tous échouaient ; "les Chrétiens se consumaient en vains efforts ; toutes leurs fatigues, toutes leurs attaques demeuraient sans résultat-, en sorte qu'il devint évident que la faveur divine s'était retirée, en cette circonstance, de l'armée des assiégeants" (1).  beaucoup se demandaient pour quelle raison, il fallait effectuer ce siège.
    . Ensuite, il y eut la trahison supposée de Raymond qui avait amené à  l'abandon du siège de Gibel.
    . Enfin, s'ajouta le problème de la sainte Lance que Raymond possédait et dont ils se servait  pour se prétendre l'inspirateur de la croisade et son guide...

(1) Guillaume de Tyr