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vendredi 6 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (31) LES MASSACRES ET LE PILLAGE DE JERUSALEM

LE MASSACRE FINAL DÉCRIT PAR RAOUL DE CAEN

Je cite le texte de ce massacre dans sa quasi-intégralité tant il paraît incroyable avant d'en faire ressortir quelques éléments particuliers et inhabituels. Ce récit s'articule en deux parties  :

La décision des princes
Les massacres du 15 juillet n'ont pas atteint tous les musulmans, certains ont été emprisonnés, d'autres ont racheté leur vie en payant une forte rançon aux croisés ou sont employés au service de leurs nouveaux maîtres .

Le conseil des princes décide d'un nouveau massacre le 18 juillet sous le prétexte qu'en cas d'attaque venue de Bagdad, les musulmans de l'intérieur de la ville prendraient les armes : afin de pallier au danger d'être pris entre deux feux, il faut donc tous les massacrer sans aucune distinction   y compris ceux qui ont payé une rançon et qui pouvait espérer ainsi avoir la vie sauve.

«  Jérusalem, comme vous savez tous, reconquise à travers de grandes difficultés et non sans que nous ayons perdu beaucoup des nôtres ... est rendue aujourd'hui à  ses véritables enfants et délivrée des mains du roi de Babylone  (le sultan de Bagdad) et du joug des Turcs. Mais prenons garde que l'avidité, la paresse ou la compassion pour nos ennemis ne nous la fasse perdre.. N'épargnons pas les prisonniers et ceux des [sarrasins ] qui se trouvent encore dans la ville . Car, si par hasard nous venions  à être attaqués par le roi de Babylone à la  tête d'une nombreuse armée, nous nous trouverions  tout-à-coup assaillis au dedans comme au dehors, [ et serions chassé de Jérusalem].  Il nous semble utile et nécessaire, dès ce moment, que tous les Sarrasins.. qui sont retenus prisonniers, qui doivent être rachetés ou sont déjà rachetés pour de l'argent, périssent sans retard par le glaive,  de peur que leurs artifices ... ne suscitent contre nous, de nouveaux malheurs » (4)

Le massacre
La proclamation des princes conduit à un nouveau massacre : les prisons sont vidées, et les prisonniers tués puis les croisés parcourent les rues et tuent tous ceux qu'ils rencontrent. Il semble que cette nouvelle tuerie  s'effectue surtout au détriment des femmes et des enfants  y compris de ceux que leur mère nourrissait encore de leur lait.

" Cet avis ayant été approuvé, le troisième jour après la victoire,  les princes publièrent leur résolution. Aussitôt, tous les chrétiens coururent aux armes et se lèvent  pour détruire misérablement toute la race des Gentils ( les sarrasins)  qui avaient survécu... ils tirèrent les uns de leurs prisons, et leur tranchèrent la tête ; les autres furent massacrés à mesure qu'on les trouvait dans les rues ou sur les places de la ville, tous après qu'ils avaient déjà obtenu grâce, soit en donnant de l'argent., soit en éveillant [chez les croisés], des sentiments d'humanité et de compassion.

Les jeunes filles, les femmes, les dames nobles et enceintes étaient mises à mort ou lapidées et les pèlerins n'étaient arrêtés par aucun respect pour l'âge, quel qu’il fût. Cependant les jeunes filles, les  femmes, les matrones, redoutant le moment de la mort, et frappées de terreur à la vue de cet horrible carnage, s'élançaient vers les Chrétiens, tandis qu'ils assouvissaient leurs fureurs...  elles les serraient dans leurs bras pour sauver leur vie, d'autres se roulaient à leurs pieds, et les suppliaient de leur faire grâce, en versant des larmes, se répandant en misérables lamentations.

Les jeunes garçons de cinq ans ou de trois ans, témoins de la déplorable fin de leurs pères et de leurs mères, ajoutaient à ces scènes de désolation en poussant des cris affreux et pleurant amèrement. Mais ils imploraient vainement la pitié et la miséricorde des Chrétiens. Ceux-ci avaient tellement livré leur âme à la passion du carnage, qu'il n'y eut pas un enfant à. la mamelle de l'un ou de l'autre sexe,  pas un enfant d'un an qui pût échapper à leurs coups ; aussi, toutes les places de la ville de Jérusalem furent, dit-on, tellement jonchées et couvertes des cadavres des hommes et des femmes et des membres déchirés des enfants qu'on en trouvait une quantité innombrable, non seulement dans les rues et dans les palais, mais même dans les lieux les plus déserts." (4)

Pour moi, ce récit possède d'importantes particularités qui tranche avec toutes les autres chroniques :
     - d'abord,  il témoigne du non-respect de la parole donnée par les croisés aux musulmans sous couvert de nécessités militaires, cela s'explique aisément par le fait qu'un serment de sauvegarde ne peut engager totalement un chrétien que s'il est prêté devant Dieu, ce qui n'est pas le cas ici.
    - ensuite, il définit trois comportement déviants des croisés : l'avidité, la paresse et la compassion pour les ennemis à laquelle  s'ajoute le sentiment d'humanité. On comprend parfaitement l'idée d'avidité : il faut laisser en vie les "sarrasins" afin de leur soutirer des rançons mais aussi pour en faire des serfs ou des domestiques astreints à des travaux continuels ; l'idée de paresse est également compréhensible, certains croisés n'ont plus qu'une envie, celle de jouir des biens qu'ils ont acquis, maintenant que le but de la croisade est atteint. Par contre, apparait chez Raoul de Caen,  une idée inhabituelle  à cette époque et parmi les croisés, celle d'humanité et de compassion, ce sentiment était-il partagé par d'autres croisés ? Sûrement pas chez les croisés qui massacraient : en effet, les sarrasins qui tentaient d'éveiller des sentiments d'humanité et de compassion chez leurs assassins furent tous tués.
    - la troisième caractéristique est une espèce d'analyse des comportements des croisés qui tuent : "ils ont livré leur âme à la passion du carnage"  : si on traduit cette idée dans un langage moderne, on dirait que ces croisés agissent sous l'emprise d'une folie délirante ; ils ont perdu tout sentiment humain, ne sont plus que des tueurs ivres de sang et de mort, qui tuent pour assouvir en eux un plaisir pervers et une volonté de puissance ; ils n'entendent rien, n'écoutent rien, ne pensent à rien, tuent pour tuer : leur âme est toute entière emplie de ce désir insatiable et irrépressible de tuer, sans qu'aucune autre considération n'intervienne.
    . Enfin, les termes employés par Raoul de Caen : "déplorable fin, scène de désolation, horrible carnage, détruire misérablement" montrent  bien que l'auteur n'est pas d'accord avec la décision des princes. Cette décision fait suite en effet au fait que Tancrède, dont Raoul de Caen raconte la croisade, avait décidé de laisser la vie sauve à un certain nombre de musulmans, ce que le conseil des chefs croisés n'accepta pas.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1- Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3- auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 5- Raoul de Caen chevalier normand écrit la "Gesta Tancredi in expeditione Hierosolymitana racontant l'histoire de Tancrede. Il vint en Terre sainte au tout début du 12ème siècle et effectue un récit à partir de témoignages.

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