HATTIN ET LA CAMPAGNE MILITAIRE DE 1187
Suite de l'article précédent
Pour comprendre ce qui s'est passé à la bataille de Hattin, (ou plutôt des Cornes de Hattin du nom de la colline basaltique où s'est déroulée la bataille), il convient de souligner ici la différence des méthodes de combat entre francs et turcs. Pour les francs, l'essentiel du combat réside dans une charge massive de la cavalerie, les piétons étant plutôt au service de cette charge, elle constitue une attaque frontale puissante mais qui est limitée dans l'espace du fait du fait que les chevaux sont incapables de tenir longtemps au rythme que leur imposent les chevaliers. Cela explique par exemple, que les templiers disposent chacun de trois chevaux qu'ils utilisent à tour de rôle lors des combats.
Les turcs au contraire privilégient la mobilité, adaptant leur stratégie aux mouvements de l'ennemi, le harcelant et reculant faisant le vide devant lui dès qu'il fait mine d'attaquer pour revenir ensuite attaquant les flancs ou l'arrière de l'armée adverse. La stratégie turque à la bataille de Hattin sera cependant légèrement différente car Saladin semble penser qu'il pourra vaincre la quasi totalité de l'armée franque en l'encerclant et en effectuant sans relâche des charges contre l'ennemi.
Le 3 juillet, l'armée franque lève le camp de Sephorie et s'avance vers Tiberias sous un soleil torride. Le soir, elle se trouve à hauteur du village de Hattin et décide de s'y rendre car ce village dispose de sources. En avant du village se trouve l'armée turque qui barre le passage. Les francs décident alors de se replier sur une hauteur voisine appelée Cornes de Hattin.
C'est sur cette hauteur qu'ils dressent leur camp. Celle-ci serait certes une zone favorable au niveau de la sécurité du campement si elle disposait de sources, ce qui n'est pas le cas, les cavaliers francs après avoir cheminé toute la journée sous un soleil ardent, se trouvent dépourvus d'eau tant pour les chevaux que pour eux-mêmes.
Nous disposons, entre autre, de trois récits de la bataille, ceux du continuateur de Guillaume de Tyr, Bernard le Trésorier et de Jacques de Vitry et surtout celui de al-Afdal, le propre fils de Saladin qui fut un témoin oculaire de celle-ci.
Voici ce qu'écrit Jacques de Vitry à ce propos
: "tandis que notre armée poursuivait sa marche vers la ville assiégée, de nombreux essaims de cavaliers armés à la légère, détachés de l'armée ennemie, ne cessèrent de voltiger insolemment sur la droite et la gauche de nos troupes, les inquiétant sans relâche, leur lançant des flèches et des traits qui blessaient les chevaux et les cavaliers, et les forçant enfin à faire halte et à dresser leurs tentes dans une position aride, où l'on ne trouvait point d'eau."
Dans la nuit, Saladin commanda d'abord de réaliser l'encerclement de la butte sur trois côtés par un rapide mouvement tournant de ses armées, ensuite, constatant que le vent soufflait vers la colline, il fit allumer des feux de broussailles qui enfumèrent le camp franc.
PREMIÈRE PHASE.
Le 4 juillet au matin, les armées franques n'eurent d'autre solution que d'attaquer immédiatement. Elles étaient réparties en trois groupes
. Une avant garde commandée par Raymond III de Tripoli,
. L'armée principale sous le commandement du roi Guy de Lusignan,
. L'arrière garde commandée par Balian d'Ibelin.
Chacune de ses trois composantes devaient attaquer dans les trois directions de l'encerclement partiel réalisé par Saladin
. Raymond de Tripoli (R.T du plan) attaque la partie de l'armée turque qui se trouve face à lui
. Guy de Lusignan ( G.L) et Balian d'Ibelin (B.I) mènent deux attaques par leurs flancs sur les deux armées turques qui se trouvent en contrebas.
DEUXIÈME PHASE
L'armée de Raymond de Tripoli lance comme prévu la charge vers les Turcs qui lui font face. Il ne livre qu'un simulacre de combat car les troupes turques s'ouvrent devant lui et le laissent passer : cette phase du combat paraît étonnante ; elle peut s'expliquer de deux manières :
. Permettre d'affaiblir les effectifs des armées franques afin de mieux vaincre les forces restées sur le plateau ?
. Faire renaître la suspicion envers Raymond III en lui permettant de fuir et ainsi d'attiser à nouveau les divisions entre les francs ?
TROISIÈME PHASE ET QUATRIÈME PHASE
Elle est bien décrite dans le témoignage d'Al-Afdal
" Après le départ du comte, les Franj faillirent capituler. Les musulmans avaient mis le feu à l'herbe sèche, et le vent soufflait la fumée dans les yeux des chevaliers. Assaillis par la soif, les flammes, la fumée , la chaleur de l'été et le feu du combat, les Franj n'en pouvaient plus. Mais ils se dirent qu'ils ne pourraient échapper à la mort qu'en l'affrontant.
Ils lancèrent alors des attaques si violentes que les musulmans faillirent cédés. Cependant à chaque assaut, les Franj subissaient des pertes et leur nombre diminuait. Les musulmans s'emparèrent alors de la Vraie Croix. Ce fut pour les Franj, la plus lourde des pertes, car c'est sur elle, prétendirent-ils, que le Messie, la paix soit sur lui, aurait été crucifié.
Il ne resta alors plus que 150 chevaliers pour barrer l’accès de la tente écarlate du roi.
J'étais aux cotés de mon père à la bataille de Hittin, la première à laquelle j'ai assisté. Lorsque le roi des Franj se retrouva sur la colline, il lança avec ses gens une farouche attaque qui fit reculer nos propres troupes jusqu'à l'endroit où se tenait mon père. Je le regardais alors. Il était triste, crispé, et tirait nerveusement sur sa barbe. Il s'avança en criant: « Satan ne doit pas gagner! » Les musulmans partirent de nouveau à l'assaut de la colline. Quand je vis les Franj reculer sous la pression de nos troupes, je hurlai de joie: «Nous les avons battus!» Mais les Franj attaquèrent de plus belle, et les nôtres se retrouvèrent à nouveau auprès de mon père. Il les poussa cette fois encore à l'assaut, et ils les forcèrent l'ennemi à se retirer vers la colline. Je hurlai à nouveau: «Nous les avons battus!»Mais mon père se tourna vers moi et me dit : «Tais-toi ! Nous ne les aurons écrasés que lorsque cette tente là-haut sera tombée! » Avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, la tente du roi s'écroula. Le sultan descendit alors de cheval, se prosterna et remercia Dieu en pleurant de joie.
Ce texte, montre bien les phases de la fin de la bataille : les francs lancent la charge contre les turcs, ceux-ci repoussent ces assauts puis tentent d'attaquer la colline. Ils sont repoussés par les francs. Peu à peu, l'épuisement gagne peu à peu les francs qui combattent avec leur lourdes armures sous une chaleur torride, leurs assauts sont de moins en moins efficaces tandis que ceux des turcs le sont de plus en plus.
il ne restera plus à Saladin de réaliser l'encerclement par l'ouest de la colline : l'arrière-garde de Balian d'Ibelin réussit seule à échapper à la tenaille et à faire retraite, Attaquée de tous les côtés, l'armée principale n'eut d'autre choix que de capituler.
Tous ces renseignements sont tirés du récit du continuateur de Guillaume de Tyr, Bernard le Trésorier
" Quand les Sarrasins virent nos Chrétiens demeurer [sur la colline des Cornes de Hattin], ils en furent très-joyeux; ils s'hébergèrent si près d'eux qu'ils pouvaient se parler les uns aux autres, et qu'un chat ne pouvait sortir du camp des Chrétiens qu'on ne le vît dans celui des Sarrasins. Cette nuit fut très-fâcheuse au camp, car il n'y eut homme ni bête qui pût boire pendant la nuit.
Les Chrétiens passèrent cette nuit armés, et le malaise de la soif s'accrut beaucoup.... Il y avait une grande bruyère là où étaient nos Chrétiens. Les Sarrasins y mirent le feu, afin que les nôtres eussent plus grande souffrance, tant du feu que du soleil... Les hommes d'armes à pied jetaient tout ouvertement leurs armes et se rendaient aux Sarrasins, sans coup férir, par détresse de soif. Quand le roi vit l'angoisse et la détresse des hommes d'armes qui se rendaient aux Sarrasins, il manda au comte de Tripoli qu'il attaquât le premier... .
Le comte attaqua les Sarrasins en descendant le long d'une colline; sitôt que les Sarrasins le virent venir et pousser contre eux, ils s'ouvrirent et lui firent passage; en sorte que le comte passa outre. Quand il fut passé, les Sarrasins se refermèrent, et coururent sur le roi et le prirent avec tous les barons de sa compagnie, hors seulement ceux de l'arrière-garde qui s'en échappèrent.
Quand le comte de Tripoli, qui avait passé à travers les Sarrasins, ouït dire que le roi était pris, il s'en fut et s'en alla à Tyr. ... avec lui s'enfuirent aussi le fils du prince d'Antioche et les chevaliers qui l'avaient accompagné .. Balian d'Ibelin, qui était à l'arrière-garde, s'échappa et s'enfuit à Tyr, et ainsi fit Renaud le sire de Sidon.
En cette bataille fut perdue la sainte croix;
Après que le roi et les francs se soient rendus, Saladin fit entrer dans sa tente le roi et les barons qui avaient été faits prisonnier
" Quand Saladin vit devant lui le roi et les barons qui étaient à sa merci, il en fut très-joyeux. Il vit que le roi avait chaud et sut bien qu'il boirait volontiers. Il fit apporter une pleine coupe de sirop à boire pour le rafraîchir. ( ce qui signifie que le sultan faisait gràce de la vie) Quand le roi eut bu, il tendit la coupe au prince Renaud pour boire. Quand Saladin vit que le roi avait donné à boire au prince Renaud, l'homme du monde qu'il haïssait le plus, il en fut très-irrité, et dit au roi qu'il lui fâchait beaucoup qu'il le lui eût donné; que puisqu'il en était ainsi il pouvait bien le boire, mais à condition qu'il ne boirait jamais plus. Alors il demanda une épée, et lui-même coupa de sa main la tête au prince Renaud, parce que jamais ledit prince n'avait tenu ni foi ni serment dans les trêves qu'il lui avait données; puis il fit prendre sa tête et commanda qu'elle fût traînée par toutes les cités et tous les châteaux du pays; et ainsi fut. Après Saladin fit prendre le roi et tous les prisonniers, les fit mener en prison à Damas, et s'alla loger devant Tibériade.
Jacques de Vitry ajoute une précision quant au sort des prisonniers :
"Saladin, espérant détruire entièrement dans les contrées de l'Orient les Ordres des Templiers et des Hospitaliers, fit trancher la tête à tous ceux dont il put se saisir."
Il va également tirer la leçon de la défaite en en donnant un explication morale et religieuse : si les chrétiens ont été vaincus, c'est que Dieu les avait abandonnés à cause de leurs péchés :
Ce fut le 3 de juillet, jour de la fête de la translation de saint Martin, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1187, que le Seigneur livra le peuple chrétien aux mains des impies, en punition de ses innombrables péchés... Le Seigneur les humilia et les frappa de crainte et de lâcheté, à tel point que, par un changement complet de fortune, un seul des ennemis en poursuivait cent des nôtres; quelques-uns même jetaient honteusement les armes, et se remettaient sans la moindre résistance entre les mains de leurs ennemis.
Et afin qu'ils pussent reconnaître à des signes certains et évidents la terrible colère du Seigneur, et ne plus douter que le bouclier de la faveur divine s'était retiré d'eux, ils perdirent en outre par une déplorable catastrophe le bois de la croix du salut, qu'ils avaient porté avec eux au combat dans cette malheureuse journée.
Ainsi, c'est la plus grande partie des forces combattante des Etats francs qui est tuée ou fait prisonnier. Désormais, pour Saladin, la reconquête du royaume de Jérusalem peut commencer...