REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

jeudi 7 avril 2016

LIBERTÉ (22) ET CROYANCE

Suite de l’article précédent

Ainsi, selon Kant, il existe deux domaines distincts qui vont largement influer sur notre liberté :

   - Celui qui émane de la raison et  mène au raisonnement scientifique ; dans ce domaine, on ne dispose que d'une marge étroite de liberté, encore que les sciences sont souvent composées de faits avérés, démontrés et indéniables ( par exemple, la terre tourne autour du soleil), d'hypothèses invérifiables ou en cours de vérification (par exemple, le big-bang), de conceptions qui dépassent l'intellect humain (la notion d'expansion infinie de l'univers ), de constats inexpliqués, de controverses ... Ces trois dernières caractéristiques peuvent permettre à l'homme de prendre position en toute liberté, c’est ainsi le cas en ce qui concerne le réchauffement climatique : pour les uns, il s'agit d'un phénomène naturel pour lequel l'homme a peu de part, pour les autres, il a une cause en grande partie humaine. Ainsi, la liberté de choix ne s'applique que dans les secteurs hypothétiques quasiment métaphysiques dans laquelle la raison s'égare sans fondements réels.

   - A l'inverse, au niveau du domaine de la croyance, on jouit d'une liberté totale avec un choix qui s'effectue à partir du niveau des acquis dont on a conservé le souvenir. certains vont inclure in-extenso ces acquis dans les valeurs à laquelle on adhère ; les uns affirment par exemple la conception suivante :  " je suis chrétien parce que mes parents m'ont donné une éducation chrétienne, j'ai suivi les cours de catéchisme et allais à la messe tous les dimanches, je crois en Dieu et en Jésus Christ en tant que fils de Dieu," ; d'autres diront de la même manière  : " je suis musulman parce que mes parents m'ont donné une éducation musulmane, j'ai suivi les cours de l'école coranique, je vais à la mosquée tous les vendredis, je crois qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que Mahomet est son prophète"

D’autres encore vont également tenter d'appliquer à leurs acquis la méthodologie de la raison même si, selon Kant, ils ne reposent pas sur des fondements solides, Ainsi apparaissent diverses interprétations souvent antinomiques qui correspondent à la liberté de chacun. En voici quelques exemples :
   . "Dieu existe au nom du principe de causalité : tout effet ayant une cause, il faut bien qu'il y ait à un moment donné un démiurge qui a créé le monde, (1)
   . " Je ne crois pas en Dieu parce que le principe de causalité tout comme celui de finitude sont des concepts humains et non des postulats applicables à l'univers. Je crois que l'univers est régi par d'autres règles que l'homme ne peut pas appréhender dans le monde clos qui est le sien. D'ailleurs comme l'écrit Schopenhauer, le principe de causalité conduit à un non-sens d'abord parce que l'on ne pourra jamais accéder à la cause primitive, ensuite, parce si on trouve une cause première, on remet en cause le principe même de causalité,
   . Je suis émerveillé par la beauté et l'harmonie de l'univers, il ne peut y avoir qu'un Dieu pour avoir créé une telle splendeur,
   . Nous ressentons la beauté du monde sans être sûr que cette beauté existe en soi, nous ne disposons que des moyens de nos sens pour en juger, notre vue est limitée par le fait que nous ne percevons que trois couleurs fondamentales, notre perception des sons est également limitée. Notre émerveillement face au monde n'est que le fait de nos propres limitations et n'a rien à voir avec une création faite pour nous et à notre mesure par un Dieu.
   . Ce monde que certains ressentent comme merveilleux n'est que le fruit de la sélection naturelle et de la loi du plus fort"

De toutes ces assertions contradictoires qu'il est impossible de vérifier puisque dépassant toute rationalité objective, chacun choisit celles qui lui semblent le plus adapté à  son " ego", sa conscience qui pense. C'est en ce sens que l'homme jouit de la totale liberté quand il décide de privilégier telle ou telle croyance convenant le mieux à la constitution de son « casier de l'être ».

A suivre…

(1) c'est en particulier le cas par exemple de Voltaire qui justifie son déisme par l'emploi de sa raison seule

" Quand je vois une montre dont l’aiguille marque les heures, je conclus qu’un être intelligent a arrangé les ressorts de cette machine, afin que l’aiguille marquât les heures. Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus et nourris neuf mois dans la matrice; que les yeux sont donnés pour voir, les mains pour prendre, etc. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose, sinon qu’il est probable qu’un être intelligent et supérieur a préparé et façonné la matière avec habileté; mais je ne peux conclure de cela seul que cet être ait fait la matière avec rien, et qu’il soit infini en tous sens. J’ai beau chercher dans mon esprit la connexion de ces idées: « Il est probable que je suis l’ouvrage d’un être plus puissant que moi, donc cet être existe de toute éternité, donc il a créé tout, donc il est infini, etc. » Je ne vois pas la chaîne qui mène droit à cette conclusion; je vois seulement qu’il y a quelque chose de plus puissant que moi, et rien de plus."

mardi 5 avril 2016

LIBERTÉ (21) ET CROYANCE

Il s'agit du deuxième volet de mon étude sur la liberté : tout ce que j'ai écrit dans les articles à propos du thème "liberté et connaissance de soi" se réfère au choix de valeurs effectué par le crible de l'outil-raison ; il se pose alors la question de savoir si cette méthode peut s'appliquer au système des croyances ? 

Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'abord de distinguer entre raison et croyance : Emmanuel Kant traite, entre autre, de ce thème dans la " critique de la raison pure", il est possible de donner un résumé simplifié de ses grandes théories :

   - La méthodologie de la raison est utilisable pour la connaissance d'un phénomène objectivement décelable par l'expérimentation pour qui il est possible d'appliquer les "concepts à priori" (causalité, quantité, qualité...) afin d'élaborer une loi générale ; par contre, la croyance ne repose sur aucun objet physique, elle dépasse ce stade pour accéder à ce qui est au-delà de la physique, la métaphysique transcendantale qui comporte, selon Kant, Dieu, le monde et l'âme. cette différenciation  fait qu'il  existe une barrière infranchissable entre raison et croyance.

     - la raison humaine tend à dépasser cette barrière en établissant des théories métaphysiques d'autant plus générales qu'elles sont sans fondement objectifs. La démarche métaphysique s'effectue à l'inverse de celle que l'on peut appliquer au niveau du monde sensible par l'outil-raison. Dans celui-ci, on part de l'expérience pour établir des lois générales ;  par contre dans la métaphysique, on crée ex-nihilo  une théorie générale et on tente ensuite de rechercher si elle pourrait posséder des fondements. (Dialectique transcendantale)  En ce sens, Kant est aux antipodes de la pensée de Descartes qui part de la notion d'idées claires, distinctes et universelles pour conclure à l'existence de Dieu en tant que démiurge de ces idées claires.

     - la philosophie transcendantale ne porte donc pas sur des objets de connaissance, elle n'est pas une science, ne produit pas de connaissances objectives et n'accroît pas notre savoir.

     - pour adhérer à de tels systèmes transcendantaux, il faut accomplir une double démarche, celle de la foi qui permet de croire à ces systèmes sans fondements objectifs et celle de la liberté qui permet de choisir entre ces systèmes celui qui parait le mieux correspondre à soi.

dimanche 3 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (21)

CONCLUSION SUR LA LIBERTÉ PAR LA CONNAISSANCE DE SOI

De ce qui précède, on peut conclure que la liberté ontologique ne peut s'obtenir que par la connaissance de soi et par l'introspection qui permet seule cette connaissance afin d'accéder aux "  bons casiers " selon la métaphore qui m'a servi de fil conducteur. La voie royale est celle qui mène au "casier de l'être" mais pour y accéder, un long chemin est nécessaire car il faut d'abord de détourner du "casier du paraître " en évitant les divers embranchements qui conduisent aux " casiers des alibis et faux-semblants". Une fois que ce tri est terminé, l'être humain est libre puisqu'il sait pourquoi il agit.

Pour accomplir ce voyage en soi, il n'est besoin que d'un véhicule : la raison et le raisonnement logique seront au volant,  le courage  servira de carburant et la volonté de pilote. Dans notre société, c'est le carburant qui manque : peu de gens ont le courage d'aller jusqu'au bout d'eux-mêmes, ils préfèrent tirer à eux le manteau des apparences, ce qui leur permet de refuser cette évidence de leur esclavage de fait.

La  connaissance de soi ne mène pas nécessairement à la sagesse comme l'indique Platon : l'être en soi constituant ses valeurs indépendamment des notions de bien et de mal ; par contre elle mène à la liberté en soi.

Enfin, chaque événement extérieur modifie l'être et même peut le remettre totalement en cause, la démarche est donc sans cesse à renouveler Cependant, quand on est habitué, on retrouve facilement le chemin.

samedi 2 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (20)

LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

CHOIX DES VALEURS DE L'ÊTRE ET CIRCONSTANCES.(suite)

Un autre exemple dramatique est celui qui a été révélé il y a quelques années  par des témoignages concernant une guerre récente : un jeune appelé du contingent affecté à une zone de guérilla se voit intimer l'ordre de faire faire à un prisonnier rebelle la "corvée de bois", cela veut dire qu'il doit emmener le prisonnier dans la périphérie du camp pour le tuer. Ce jeune appelé qui n'a jamais tué personne, se trouve face à un terrible cas de conscience quant-au choix qu'il devra faire.

Plusieurs solutions peuvent s'offrir à lui, toutes aussi dramatiques les unes que les autres :
     . Il peut d'abord tuer l'homme pour accomplir l'ordre donné en sachant que les remords le poursuivront  toute sa vie.
     . Il peut aussi refuser d'obéir l'ordre en risquant de sévères sanctions et même la mort de la part de la hiérarchie militaire,
     . Il peut également laisser échapper le rebelle au risque de le voir revenir et tuer ses compagnons d'armes ou des innocents.
     . Il peut enfin décider de déserter pour témoigner de l'inhumanité de la guerre.

Cette situation inédite pour ce soldat va créer une véritable "TEMPETE SOUS UN CRÂNE", il n'a que quelques minutes pour se décider : doit-il choisir le respect absolu de la vie des autres ? L'obéissance aveugle aux ordres qui établit son irresponsabilité ? La mise en pratique de la loi du plus fort et du talion avec un raisonnement du type :  " tu es mon ennemi, je suis le plus fort, donc je te tue" ? Il peut être aussi si choqué par l'ordre reçu que s'annihilent en lui toutes les valeurs qui constituent son "être en soi" et qu'il va agir en automate sans être conscient de ce qu'il fait.

Quelle que soit sa décision immédiate, elle aura des répercussions sur son être avec un bouleversement complet des "valeurs en soi"  qui le caractérisaient ; il fera le tri de celles-ci en mettant en avant des valeurs qui n'étaient peut-être pas celles qui existaient en lui ;  pour reprendre la métaphore de la bifurcation du chemin,  deux voies s'offriront à lui : deviendra-t-il colombe pour qui la compassion envers l'autre, la paix et la compréhension seront les valeurs dominantes ou sera-t-il faucon uniquement préoccupé d'appétit de puissance et d'esprit de domination ? Les deux cas ont existé dans la réalité. 

Le dernier exemple est celui d'une personne qui apprend qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre, une telle situation conduira à un autre type de cas de conscience :
     - doit-elle décider de profiter intensément du temps qui reste en faisant ce qui lui plait sans absolument aucune entrave y compris, si nécessaire,  en faisant sciemment le mal au risque de faire souffrir les autres ?
     - doit-elle au contraire faire la paix avec elle-même en se réconciliant avec ses ennemis , en détachant peu à peu de tous les liens qui l'asservissaient à une civilisation matérialiste et en vivant le plus intensément possible les derniers moments qui restent ?

Comme pour le cas précédent, ce cas de conscience implique une remise en ordre des "valeurs en soi" qui constituent l'être.

Heureusement, le chemin de la vie ne conduit que rarement à de tels cas de conscience : la plupart du temps à chaque bifurcation, on se contente de suivre le chemin qui est conforme aux "valeurs en soi" si, toutefois, on est capable de dépasser les casiers du paraître et des faux-semblants pour accéder aux valeurs de l'être.

vendredi 1 avril 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (19)


LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

CHOIX DES VALEURS DE L'ÊTRE ET CIRCONSTANCES.

Dans la perspective que je viens de définir dans les articles précédents, si la liberté en soi de l'homme est totale et qu'il nait sans aucun a-priori (ce que pensent aussi les théoriciens chrétiens), il convient de se poser la question de la méthode par laquelle le choix et le tri des valeurs s'opère.

Pour moi,  ce choix s'opère toute la vie en fonction des circonstances et de l'impact des événements sur "l'être en soi"  Pour employer une métaphore, le cours de la vie ressemble au cheminement sur un long d'une route semée d'une multitude de bifurcations ; que l'on prenne à ces bifurcations une route ou une autre relève de la liberté de l'être et du libre choix en sachant au bout du compte que ces routes ne mènent nulle part sinon à la mort.

La plupart du temps, prendre une route plutôt qu'une autre peut s'effectuer sans dommages particuliers ni conséquence sur "l'être en soi" car il ne remet pas en cause les valeurs qu'il a choisi comme règle de vie. Cependant il existe des bifurcations qui bouleversent complètement l’ordre de se valeurs et je voudrais en donner trois exemples :

Le premier exemple, la TEMPETE SOUS UN CRÂNE est littéraire et provient des "Misérables" de Victor Hugo " première  partie, VII, 3) :  Jean Valjean, ancien forçat évadé est devenu monsieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer, un homme respectable et apprécié de tous. Il apprend que le policier Javert vient d'arrêter un certain Champmathieu  qu'il prend pour Jean Valjean. Le véritable Jean Valjean se trouve face à une dramatique remise en cause de l'ordre de ses valeurs que Victor Hugo décrit en ces termes :

" Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m'avoir deviné, qui m'avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté  ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean !

 Et tout cela s'est fait sans moi ! Et je n'y suis pour rien ! Ah çà, mais ! qu'est-ce qu'il y a de malheureux dans ceci ? ...C'est la providence qui a tout fait! ... Ai-je le droit de déranger ce qu'elle arrange ?..  De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas.

Comment ! Je ne suis pas content ! Mais qu'est-ce qu'il me faut donc ? Le but auquel j'aspire depuis tant d'années, le songe de mes nuits, l'objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l'atteins ! C'est Dieu qui le veut. Je n'ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j'ai commencé, pour que je fasse le bien,... C'est décidé, laissons aller les choses ! Laissons faire le bon Dieu ! ... Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu'on pourrait appeler son propre abîme. – Allons, dit-il, n'y pensons plus. Voilà une résolution prise ! – Mais il ne sentit aucune joie.

… Au bout de peu d'instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c'était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu'il eût voulu taire, écoutant ce qu'il n'eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense !

Il se confessa à lui-même que tout ce qu'il venait d'arranger dans son esprit était monstrueux, que "laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu", c'était tout simplement horrible... c'était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

... Être un juste ! est-ce que ce n'était... ce qu'il avait toujours voulu, Fermer la porte à son passé ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! Mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu'on appelle le bagne !

... Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! C’était là. le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n'entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s'il rentrait dans l'infamie aux yeux des hommes !

– Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! Faisons notre devoir ! Sauvons cet homme !
Il prononça ces paroles à haute voix, sans s'apercevoir qu'il parlait tout haut."

Dans ce cas de conscience, deux chemins possibles se présentent devant Jean Valjean :
     - celui de l'injustice et de l'égoïsme qui consiste à ne rien faire en laissant condamner un innocent.
     - celui de la justice qui sacrifie tout à la vérité avec tous les risques que cela comporte.
Jean Valjean choisira la seconde solution.

jeudi 31 mars 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (18)

LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

RAISON ET LIBERTÉ (suite de l’article précédent)

Cette méthodologie des valeurs classées par l'outil-raison va permettre d'accéder à la liberté ontologique. Pour le montrer, je reprendrai ici mon anecdote du lépreux citée précédemment,  pour lequel ma réaction primaire fut l'horreur quand il me prit par l'épaule avec ses moignons afin de m'apitoyer.

Devant une telle situation, on peut avoir trois types de réactions :
     . Une réaction instinctive qui peut s'assimiler à un réflexe : de la même manière que l'on retire sa main d'un fourneau brûlant, on peut s'écarter du lépreux afin de préserver son corps d'une menace immédiate.
     . Une réaction émanant du  « tiroir du paraître » du type : " il a touché mon habit, il va falloir que je me change"
     . Une réaction émanant du « tiroir de l'être », cette réaction est propre à chaque individu puisqu'elle dépend uniquement du système de valeur qu'il a établi :
            - On peut avoir une réaction de compassion qui conduit à considérer que ces lépreux sont des êtres humains comme les autres  ayant leur dignité, que ce sont des êtres qui souffrent et qu'il faut les respecter en tant que tels en tentant de les aider à survivre par une obole,
            - ce ne fut cependant pas la réaction de tout le monde, d'autres ouvrirent dans leurs « casiers de l'être » un autre dossier, celui de la haine de l'autre, de la détestation de la différence, du mépris de ceux qu'ils considèrent comme des "sous-hommes" et à qui ils dénient une quelconque humanité.

J'ai constaté cette dernière réaction, non vis à vis des lépreux, mais à l'encontre d’enfants mendiants d'un bidonville des Indes : un touriste se débarrassa, en les repoussant avec rudesse,  de petits mendiants qui étaient autour de lui, il remonta dans le bus et, de la fenêtre ouverte, il leur jeta des bonbons ; le fait de voir ses enfants se battre pour ramasser les bonbons dût lui procurer une grande jouissance !

Je fus profondément choqué de cette réaction de l’individu, ce comportement me parut socialement exécrable, pourtant il ne l'était pas au niveau de sa liberté ontologique : au moment de cet acte que je ressentais comme vil,  il était, selon moi, pleinement en accord avec lui-même et avec les valeurs qui constituaient son être, c'est d'ailleurs ce qu'il nous expliqua ensuite. En effet, le tri des valeurs se fait indépendamment de la notion de bien et de mal,

De tout ce qui précède, on peut, selon moi, à nouveau, tirer la conséquence que chaque être humain est unique et possède son propre système de valeurs pour peu toutefois qu'il soit capable de dépasser son paraître pour rechercher ce qui constitue son être.  Chacun peut donc accéder à sa liberté ontologique s'il pousse son introspection au niveau du « tiroir de son être »; cette liberté ontologique lui est propre et correspond au système de valeurs qu'il façonne peu à peu.

Ainsi, l'aphorisme qui crée, selon moi, la liberté : " je fais quelque chose et je sais pourquoi je le fais" peut être complété en y incluant le niveau du système des valeurs : " je sais ce que je fais puisque je me réfère au système des valeurs constitutives de mon être que j'ai moi-même établi en toute liberté à partir des acquis qui sont en moi". C'est par la mise en pratique cet aphorisme que l'on dispose de la liberté absolue et totale.

On pourrait certes me rétorquer que cette liberté n'est pas absolue puisqu'elle est conditionnée par ses acquis : comment peut-on être libre si on reste esclave de ceux-ci et secondairement de ses instincts ?

La réponse à cet argument peut être effectuée par trois idées :
     . D'abord, la liberté ex-nihilo ne peut exister puisque l'inné se limite aux seuls instincts primordiaux ;  l'esprit à la naissance est une terre vierge de toute influence, c'est peu à peu que se constituent les acquis, la liberté ne peut apparaitre que dans le cadre de choix  effectués entre ces acquis.
     . Chaque homme dispose d'une panoplie si large d'acquis qu'il est possible de choisir les uns en les hiérarchisant et de rejeter totalement les autres. Il est aussi possible de reprendre tous ses acquis, de les analyser au moyen de la raison et d'établir son propre système de valeurs philosophiques.
     . Enfin, il est possible à chaque homme de transcender ses instincts pour en devenir le maître à condition toutefois que le minimum vital soit préservé. 

dimanche 27 mars 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (17)

LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

RAISON ET LIBERTÉ

Selon la métaphore du tiroir, l'émergence de l'"outil raison" va permettre à chacun d'élaborer son système de valeurs à partir du moment où  commencent à s'accumuler les dossiers dans le tiroir de l'être.

Pour qui décide d'aller jusque-là dans son introspection, il va ouvrir un casier bien rempli car il s’y trouve un amas de valeurs antinomiques, fruits  d'expériences contradictoires, d'imprégnations diverses et de ressentis effectués dans ses rapports avec les autres, avec la nature, avec son corps, avec ses maladies et avec les divers interdits rencontrés, subis ou acceptés... Tout est mélangé, empilé sans aucun ordre. Ce sont ces dossiers qu'il convient de classer si l'on veut acquérir la connaissance de soi et par la même, la liberté : sans ce tri, on ne peut se connaître soi-même puisque on ne sait pas à quelle valeur on se réfère quand on agit, c'est dans cette pratique du tri que l'on va ressentir sa liberté, le libre choix étant, par définition, l'émanation principale de la liberté. " Je suis libre de moi-même comme de mon univers" pourrait-on dire en paraphrasant Corneille.

 Dans ces dossiers en effet coexistent de multiples valeurs : la compassion mais aussi la haine de l'autre, l'ascétisme jouxte le dossier de la jouissance exacerbée, le détachement des choses matérielles se conjugue avec l'envie forcenée de posséder, à l'instinct bestial correspond dans un autre dossier l'élévation de l'esprit vers les sphères éthérées de l'intellect, la volonté de puissance et l'esprit de sacrifice sont voisins...

Ce tiroir ne comporte pas, selon moi  de hiérarchisation morale. Tant qu'on ne prend pas la peine de trier les critères en tant que moteur d'action, on ne peut que suivre ces critères sans discernement ce qui nous ôté toute liberté. 

Le classement des dossiers-valeurs dans le tiroir de l'être se produit tout au long de la vie, il est étroitement dépendant des événements extérieurs et des enseignements que l'on peut en tirer. Il se peut aussi que l'on retire des dossiers afin de rester en cohérence avec soi-même.  Il paraît, par exemple, évident que les valeurs mises au premier rang par un jeune idéaliste qui croit en son destin sont très différentes que celles d'un vieillard qui souffre et n'attend que la mort.

A suivre …

samedi 26 mars 2016

LA LIBERTÉ, FRUIT DE LA CONNAISSANCE DE SOI (16)

LA CONSTITUTION DES VALEURS DE L'ÊTRE EN SOI (suite)

ACQUIS ET EMERGENCE DE LA RAISON

Les acquis de l'enfant, comme je l'ai écrit précédemment se constituent peu à peu et comportent différentes composantes :
     - acquis comportementaux à vocation plutôt sociale (politesse, respect de l'autre...),
     - acquis au niveau des connaissances qui émanent de la découverte progressive du monde environnant,
     - acquis de croyances provenant du cadre culturel dans lequel l'enfant se trouve (éthique, religieuses, républicaines...)
     - acquis méthodologiques qui permettent à l'enfant une première approche des outils de la raison (mathématiques, physique, sciences humaines... )

Tous ces acquis concourent à constituer peu à peu les outils de la raison. Suivant en cela Kant, ils prennent la forme de concepts variés qui, chacun, apportent leur pierre à la constitution de la raison.

Parmi ces concepts, on trouve entre autre :
     . Le phénomène de causalité : l'enfant qui vient de toucher le feu retire sa main à cause de la douleur ; il en tire la conclusion qu'il existe une relation de cause à effet entre la chaleur du feu et la brûlure,
     . La notion de quantité à partir de l'observation du plus ou du moins, du trop ou du trop peu,
     . Le concept d'espace-temps  à partir de la notion de finitude puisque, dans notre monde clos, tout à un début et tout à une fin.
     . L'assimilation intellectuelle des lois mathématiques et scientifique qui peuvent servir à la compréhension de l'univers.

Toutes ces notions qu’Emmanuel Kant qualifie de " concept à priori"  vont peu à peu se synthétiser pour créer "l'outil raison".

Pour moi, ces "concepts à priori" ne sont pas innés, il me semble en effet qu'ils proviennent essentiellement des acquis, je m'en suis souvent rendu compte en voyageant à l'étranger ; ainsi, alors que notre conception du temps est linéaire, celles d'autres civilisations sont cycliques. Selon moi aussi, il n'y a pas de concept universel de raison, même dans le cadre d'une civilisation spécifique, mais beaucoup  plus une juxtaposition de systèmes de raison élaborés selon ses acquis. Chaque individu est capable, en théorie au moins, d'élaborer son "outil raison" individuel. Chacun acquiert un système de valeurs qui est inhérent à sa personne seule et est le fruit de son propre intellect et donc de sa liberté.