UNE SIMILITUDE CONJONCTURELLE
Les quatre triptyques décrits de Jérôme Bosch témoignent, comme j’ai tenté de le montrer, de son sens aigu de la morbidité et, surtout, de cette attirance de certains vers le péché et le mal, au nom du principe : « puisqu’on est voué à une mort prochaine, autant en profiter ! », tandis que d’autres tentent de se repentir pour mériter le salut.
Notre époque a subi et subit encore de multiples maux évoquant l’ambiance des 15e et 16e siècles : la pandémie due au coronavirus, l’insécurité ambiante, le chômage et la crise économique annoncée, la montée des extrémismes, les guerres et le terrorisme, la destruction progressive des ressources naturelles de la planète, le réchauffement climatique, les catastrophes naturelles, la disparition des civilisations et de la morale traditionnelle, le racisme et la haine de l’autre, l’inculture croissante, le mauvais fonctionnement de la démocratie … tout cela crée une atmosphère ressemblant à celle de l’époque de Jérôme Bosch. En outre ces maux sont colportés et amplifiés par les médias d’information qui créent et amplifie un climat d’inquiétude et de catastrophisme et contribue au pessimisme ambiant.
Dans des conditions, il peut paraître intéressant de comparer les comportements des contemporains avec ceux des gens de l’époque de Jérôme Bosch, d’abord en ce qui concerne les causes de nos maux, ensuite, en montrant comment cette angoisse permanente rejaillit dans l’art et dans la vie quotidienne et enfin, en recherchant s’il existe à notre époque des comportements ressemblant à ceux des passagers de la « nef des fous ».
LA MANIÈRE DONT NOTRE ÉPOQUE ANALYSE LES CAUSES DE NOS MAUX.
Pour le 15e siècle, tout était simple : Dieu a abandonné les hommes du fait de leurs péchés et livré l’humanité au Diable et à la mort. Cette explication n’est plus de mise à notre époque du double fait que règne dans l’Occident européen, une déchristianisation patente et que l’église privilégie la bonté et la mansuétude de Dieu au détriment de son implacable justice.
Nos contemporains ont substitué l’explication d’une origine divine de nos maux à une interprétation laïque que l’on qualifie généralement de conspirationnisme.
Le conspirationnisme part de l’idée simple, souvent paranoïaque, que rien n’arrive par accident, tout est planifié de manière occulte par une camarilla secrète, capable d’influer de manière larvée sur les événements dans le sens qui leur est favorable tant politique, économique que religieux.
Le but des complotistes est de déceler tous les faits vrais ou supposés ou même imaginaires, leur semblant si étranges et inhabituels qu’ils ne peuvent provenir que de ce groupe de puissants étendant ses tentacules sur toute la surface du globe. Ensuite, ils relient ces faits entre eux de manière artificielle afin de leur donner une apparence logique et élaborent une théorie globale qu’ils colportent en assurant que leur théorie est intangible et vraie.
Ainsi, à propos de la Covid-19, ils relient deux faits tous les deux contestables et même improuvés :
. Le coronavirus est né d’une fuite en laboratoire.
. Les entreprises pharmaceutiques se sont indûment enrichies.
Corréler ces deux informations peut sous-entendre que l’on a crée artificiellement ce virus pour enrichir les laboratoires pharmaceutiques.
Une fois leurs théories fumeuses élaborées sous un semblant de démarche raisonnée, les complotistes vont tenter de convaincre le plus grand nombre de gens possibles, le plus souvent par l’intermédiaire des réseaux sociaux : Ils relèvent tous les faits qui pourraient corroborer leurs spéculations et leur donnant raison puis ils s’en servent pour influencer les autres.
Ainsi, lorsqu’ils ont appris que certaines personnes, pourtant vaccinées, sont mortes de la Covid, ils triomphent immédiatement et disent à ceux qui veulent les entendre : « Vous voyez, j’avais raison, les vaccins ne protègent pas de la maladie, leur but n’est uniquement que d’enrichir les firmes pharmaceutiques, inutile donc de se faire vacciner ! ». Nombre de gens se laissent convaincre par ces allégations et se disent « ces preuves semblent pertinentes, si ça se trouve, ils ont raison ! »
Le conspirationnisme ne sévit pas seulement à propos de la covid. On trouve, dans les médias à leur botte, des idées aussi saugrenue du type : le réchauffement climatique n’existe pas, les élections sont systématiquement truquées, les vaccins introduisent subrepticement des puces électroniques dans le cerveau humain pour amener les hommes à devenir des robots, le confinement est utilisé par le gouvernement pour restreindre les libertés…
Apparemment, il ne semble y avoir aucun rapport entre les forces démoniaques représentées par Jérôme Bosch et la camarilla de puissants supposés voulant asservir le monde.
Pourtant, il existe de larges similitudes entre elles :
. Toutes les deux sont des forces occultes que l’on ne discerne pas clairement mais qui, pourtant, seraient présentes partout propageant en tout lieu leurs agissements malfaisants.
. Leur but n’est pas seulement de provoquer directement les catastrophes mais aussi d’influencer les individus à amplifier les incitations qui leur sont suggérées pour les conduire à de nouvelles calamités : les démons amènent les gens à commettre des péchés pour les damner, les forces occultes en niant, par exemple, le réchauffement climatique, espèrent amplifier les comportements destructifs qui aboutiront inéluctablement au cataclysme planétaire et à leur domination sur le monde.
. La société, tant contemporaine que médiévale, est attirée immanquablement par les forces diaboliques et, à notre époque par les théories conspirationnistes,
Il existe cependant une différence fondamentale entre les triptyques de Jérôme Bosch et la propagande complotiste : alors que Jérôme Bosch tente, par les outrances de ses dessins, à faire réagir les gens face à leur attirance vers le mal, les thèses conspirationnistes ont plutôt pour but de nier l’évidence scientifique en incitant ceux qui croient à leurs élucubrations à agir comme bon leur semble sans réflexion morale ou logique à ce propos.