REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

mercredi 4 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (5)

A partir du mois de septembre l'ancienne version de google site étant supprimée, j'ai créé un nouveau blog appelé UN REGARD CRITIQUE DU PASSE POUR TEMOIGNER DU PRESENT 

(adresse fabricius5@blogspot.com)

LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE. 

Pour le montrer, je me propose de décrire les structures comportementales et sociétales à trois époques : 

. L’époque de Machiavel

. L’époque de la République romaine 

        . L’époque actuelle. 

 

L’ANALYSE DE LA NATURE HUMAINE A L’ÉPOQUE DE MACHIAVEL

LES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS

 

L’époque de Machiavel est, en Italie, marquée à tous les niveaux par la violence, l’appétit de puissance, l’individualisme conduisant chacun à accroître sa domination sur les autres si nécessaire par la force et au besoin par la terreur. On trouve ces comportements d’un bout à l’autre de l’échelle sociale tant au niveau des puissants que des humbles. 

 

Pour se documenter il  suffit à Machiavel d’observer d’un œil critique et acéré les comportements humains de son époque tant au niveau des princes que des populations. A cet égard, il convient de rappeler qu'il possède une grande expérience du monde qui l’entoure et des puissants de son époque ; en tant que secrétaire de la chancellerie de Florence chargé des affaires extérieures de cette république, il rencontra nombre de puissants de son époque : le cardinal d’Amboise, ministre de Louis 12, César Borgia, le pape Jules 2.. Il vécut aussi à ses dépens les troubles qui conduisirent à la chute de Piero Soderini et le retour des Médicis. 

 

D’emblée dans « LE PRINCE », Il expose en un aphorisme particulièrement percutant la manière dont les êtres humains de son époque manifestent à tous propos une évidente perversité : 

 

« On peut, en effet, dire généralement des hommes qu’ils sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants devant les dangers, et avides de gain » (le Prince chapitre 17) 

 

L’auteur donne de nombreux exemples de ce qu’il prétend dans l’aphorisme cité ci-dessus, 

 

En ce qui concerne les qualificatifs de « ingrats, inconstants, dissimulés », Machiavel écrit : 

 

« Tant que vous leur faites du bien, ils sont à vous… ils vous offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants .. mais que, lorsque (le péril) s’approche, ils se détournent bien vite. (Le Prince chapitre 17). 

 

Ce comportement est, selon l’auteur, non seulement à prendre en considération au niveau du gouvernement du Prince, mais aussi à celui des rapports sociaux dans leur ensemble. Un puissant est l’objet de la considération de tous ; par contre, si un coup du sort ou un revers de fortune lui fait perdre de son aura, il sera très vite délaissé de la plupart de ceux qui l’encensaient et sera l’objet de l’indifférence générale. D’une manière générale, plus on est puissant, plus on risque de tomber de haut. 

 

De cette première constatation, il s’en suit un comportement que Machiavel a qualifié dans son aphorisme général  de « tremblant devant le danger » : 

 

« Les  hommes poussent souvent l’audace jusqu’à se plaindre hautement des mesures prises par leurs princes ; mais lorsqu’ils voient le châtiment en face, ils perdent la confiance qu’ils avaient l’un dans l’autre, et ils se précipitent pour obéir. (Discours livre 1 chapitre 57). 

 

L’avidité du gain est également une caractéristique fondamentale  de la perversité humaine, c’est ce que remarque Machiavel dans le « discours à propos de la première décade de Tite-Live » dans l’introduction du livre 2

 

« Rien ne peut assouvir les désirs insatiables de l’homme : la nature l’a doué de la faculté de vouloir et de pouvoir tout désirer ; mais la fortune ne lui permet que d’embrasser un petit nombre d’objets. Il en résulte dans le cœur humain un mécontentement continuel, et un dégoût des choses qu’il possède qui le porte à blâmer le temps présent, à louer le passé et à désirer l’avenir, lors même que ces désirs ne sont excités en lui par aucun motif raisonnable. »

 

« C’est que la nature a créé les hommes avec la soif de tout embrasser et l’impuissance de tout atteindre ; et le désir d’avoir l’emportant sans cesse sur la faculté d’acquérir, il en résulte un dégoût secret de ce qu’ils possèdent, auquel se joint le mécontentement d’eux-mêmes. » (Discours 1-37)

 

Ainsi, selon  l’auteur, l’homme de son époque n’est mû que par un sentiment prédominant : le désir effréné de posséder et de dominer au profit de son seul intérêt. Cette ambition est cependant le plus souvent en contradiction avec la réalité : pour assouvir ses désirs, il faut, écrit Machiavel, disposer des moyens de le faire, tant au niveau de ses capacités intellectuelles et de ses ressources financières ; à tout moment, les contraintes de la réalité se heurtent aux ambitions individuelles. 

 

Machiavel indique également dans les textes ci-dessus mentionnés que, même si on peut assouvir tous ses désirs, ce n’est pas pour cela que l’on sera heureux puisque plus on désire, plus on a envie de désirer. Il arrivera nécessairement un moment où la réalisation de ces désirs se heurtera à une impossibilité, c’est alors que l’on devient malheureux. 

 

Enfin, pour  parfaire ce tableau particulièrement sombre et foncièrement pessimiste de l’homme de son époque et  rendre compte complètement de la pensée de Machiavel à propos de la perversité de la nature humaine, il convient de citer cet aphorisme contenu dans le "discours à propos de la première décade de Tite-Live :" 


« Nous ne pouvons vaincre les penchants auxquels la nature nous entraîne » (discours.. livre 3 chapitre 9). 

 

La naturelle perversion de l’homme a, bien entendu, des conséquences sur le fonctionnement de la société 

LA DEPRAVATION DE LA SOCIÉTÉ A L’ÉPOQUE DE MACHIAVEL 

Il va de soi que la dépravation de l’être humain ne peut que rejaillir sur le fonctionnement de la société dans son ensemble : c’est le règne du « chacun pour soi », de l’âpreté au gain, de l’égoïsme forcené et, par voie de conséquence, des conflits sociaux dont l’exacerbation conduit à des troubles voire même à des révolutions. 

Dans une société où seul compte l’assouvissement de sa perversité, il se produit d’abord l’émergence de « nouveaux riches » : 

« La bonne fortune les enfle et les enivre, et ils attribuent tous les avantages qu’ils possèdent à des vertus qu’ils ne connurent jamais ; aussi deviennent-ils bientôt insupportables et odieux à tous ceux qui les entourent »  (Discours livre 3 ch 31)

Il en résulte chez eux, un comportement exécrable et hautain, ils deviennent odieux envers tous ceux qu’ils méprisent pour n’avoir pas réussi comme eux et étalent au grand jour leur perversité, 

Ce sont ces comportements qui vont les perdre :  

« La crainte de perdre fait naître dans les cœurs les mêmes passions que le désir d’acquérir ; et il est dans la nature de l’homme de ne se croire tranquille possesseur que lorsqu’il ajoute encore aux biens dont il jouit déjà. Il faut considérer, en outre, que plus ils possèdent, plus leur force s’accroît, et plus il leur est facile de remuer l’État » (Discours livre 1 chapitre 5)

Au fur et à mesure que le temps passe, ces nantis, par peur qu’un revers du sort leur fasse tout perdre, manifestent de plus en plus clairement leur volonté de puissance et leurs instincts de possession. Pour se prémunir de tous maux, ils tentent de contrôler l’Etat pour dominer l’ensemble de la société. 

 En conséquence, les inégalités s’accroissent, les plus riches deviennent encore plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres : 

La conséquence ne se fait pas attendre : ces nantis ne s’aperçoivent pas que leur richesse et leur morgue deviennent de plus en plus insupportable à ceux qu’ils méprisent. 

« Leur conduite et leur ambition sans frein allument dans le cœur de ceux qui n’ont rien la soif de la possession, soit pour se venger en dépouillant leurs ennemis, soit pour partager ces honneurs et ces richesses dont ils voient faire un si coupable usage. » (Discours livre 1 chapitre 5)

Il s’en suit des mouvements de contestations sporadiques et de révoltes pouvant déboucher sur des révolutions violentes ayant alors un double but : abaisser les puissants en les faisant ravaler leur morgue et se partager équitablement leur richesse.

Les nantis, dépouillés de ce qui faisait leur unique ambition, tombent de leur piédestal et se retrouvent seuls pour se lamenter de leur fortune perdue : 

« A peine ont-ils vu l’adversité en face, qu’ils tombent dans l’excès opposé, et deviennent vils et bas ». Ils songent plus à « se fuir eux-mêmes qu’à se défendre » (Discours livre 3 ch 31)

Cette évolution n’est cependant pas terminée : le partage équitable des richesses ne va pas durer car la perversité humaine va très vite ressortir, en particulier l’âpreté au gain va conduire les plus chanceux où les plus industrieux à s’enrichir et le cycle recommencera. 

Ces caractéristiques concernant la nature de l’homme correspondent à deux régimes politiques LA TYRANNIE et l’OLIGARCHIE, la perversion de l’homme du 16e siècle conduit à la TYRANNIE et conjointement, la tyrannie exacerbe la perversion de l’être humain. 

 

A la lecture de ce qui précède,  il se pose alors la question de savoir si la perversité de l’être humain observé par Machiavel est un comportement structurel,  inhérent à l’homme, inclus dans ses gènes ou s’il est le fruit des circonstances conjoncturelles et des époques. 

Dans le deuxième cas de figure, cela signifierait que l’être humain calque son comportement sur à l’organisation politique de son temps : 

     . Si le système politique et mental  induit la loi du plus fort comme dans les époques de tyrannie,  les conditions sont réunies pour que se développe  la perversité de l’être humain et crée une société du chacun pour soi. Cette perversité accroît à son tour l’appétit de puissance des crapules et leur aspiration au pouvoir absolu

     . Si, au contraire, le système politique et mental de l’époque sécrète une ambiance propice  à l’épanouissement du sens collectif, l’être humain est capable de donner le meilleur de lui-même au service de tous et d’empêcher toutes les dérives pouvant se produire et  rompre l’équilibre harmonieux des pouvoirs et de les réprimer. 

Ces deux  alternatives ne sont certes pas clairement exprimées dans le discours de Machiavel, cependant, on peut penser que c’est la deuxième hypothèse qui possède intuitivement son acquiescement vu ce qu’il écrit dans le « discours de la première décade de Tite-Live » à propos de la république romaine

samedi 31 juillet 2021

LA PENSÉE POLITIQUE DE MACHIAVEL (3)

 LA NOMENCLATURE DES DIVERS RÉGIMES POLITIQUES suite du précédent article 

LES PREMIERS TEMPS ET LA NAISSANCE DE LA MONARCHIE

Dans les premiers temps, selon Machiavel,  les êtres humains qui vivaient jusqu’alors dispersés, vont choisir comme chef le plus fort , c’est-à-dire celui qui est susceptible de les protéger et de bien gouverner. Cela permit aux hommes de discerner la voie  entre ce qu’il convient de faire et ce qui doit être prohibé. C’est alors qu’on vit naître le concept de justice :  

« On s’avisa d’opposer à ces maux la barrière des lois, et d’infliger des punitions à ceux qui tenteraient d’y contrevenir » (ibid) 

Puisque l’instauration de la justice devint le critère fondamental de la gouvernance, les êtres humains décidèrent alors de choisir « le plus sage, et surtout le plus juste » (ibid) pour organiser l’Etat : ainsi, se créa une MONARCHIE. 

DE LA MONARCHIE À LA TYRANNIE

La MONARCHIE vertueuse du fondateur ne sera  cependant qu’éphémère, elle ne dure le plus souvent  que pendant la vie de l’instaurateur du régime.  Machiavel constate généralement que ce Prince a, en effet, malgré sa sagesse, instauré un système héréditaire de succession, léguant à ses descendants son titre et ses fonctions ; on passa alors de la MONARCHIE à la TYRANNIE : 

« Le prince venant ensuite à régner par droit de succession et non par le suffrage du peuple, les héritiers dégénérèrent bientôt de leurs ancêtres ; négligeant tout acte de vertu, ils se persuadèrent qu’ils n’avaient autre chose à faire qu’à surpasser leurs semblables en luxe, en mollesse et en tout genre de voluptés. » (ibid)

Il en résulte des troubles et des séditions : 

« Le prince commença dès lors à exciter la haine ; la haine l’environna de terreur ; mais, passant promptement de la crainte à l’offense, la TYRANNIE ne tarda pas à naître ».(ibid). 

Cette évolution amène alors à la chute du régime : en effet, plus le tyran organise la répression, plus le nombre de ses ennemis augmente : 

« Alors, s’ourdirent contre eux les conjurations, les complots, non plus d’hommes faibles ou timides, mais où l’on vit entrer surtout ceux qui surpassaient les autres en générosité, en grandeur d’âme, en richesse, en naissance, et qui ne pouvaient supporter la vie criminelle d’un tel prince. » (ibid).

Les mouvements révolutionnaires s’organisent et se structurent recueillant l’adhésion du plus grand nombre, inéluctablement ils conduisent à la chute du Prince et de ses séides. 

DE LA TYRANNIE À L’ARISTOCRATIE

Alors apparaît la troisième étape de l’évolution historique : le régime dit de l’ARISTOCRATIE. Selon Machiavel, ce sont ceux « qui surpassaient les autres en générosité, en grandeur d’âme, en richesse, en naissance » qui prennent la direction de l’Etat

« La multitude, entraînée par l’exemple des grands, s’armait contre le souverain, et après son châtiment elle leur obéissait comme à ses libérateurs. Ces derniers, haïssant jusqu’au nom de prince, organisaient entre eux un gouvernement, et, dans les commencements, retenus par l’exemple de la précédente tyrannie, ils conformaient leur conduite aux lois qu’ils avaient données : préférant le bien public à leur propre avantage, ils gouvernaient avec justice et veillaient avec le même soin à la conservation des intérêts communs et particuliers. » (ibid

A suivre 


samedi 17 juillet 2021

LA PENSÉE POLITIQUE DE MACHIAVEL (1)

 LA PENSÉE POLITIQUE DE MACHIAVEL

    PROLOGUE 

Nicolas Machiavel (1469-1527) occupa plusieurs postes administratifs dans la chancellerie de Florence de 1498 à 1512 à l’époque des gouvernements de  Pierre 2 de Médicis (1492-1503) puis de Piero Soderini (1503-1521). 

Dans le cadre de ses diverses fonctions, il conduisit plusieurs missions officieuses dans le but de sonder les dirigeants des divers états italiens qui, à cette époque troublée des guerres d’Italie, passaient fréquemment d’une alliance à une autre, c’est ainsi qu’il rencontra Cesar Borgia dont il admira le sens politique et le Pape Jules 2. Il fut aussi à l’origine du remplacement dans l’armée de Florence du mercenariat par la conscription. 

En 1512, lors d’une nouvelle guerre, Piero Soderini fut vaincu et exilé, les Médicis reprennent le pouvoir à Florence. Ce fut le frère de Pierre II, Jean de Médicis, qui prend le pouvoir, mais en 1513, quand Jean fut élu pape sous le nom de Léon X, il délégua son autorité à son autre frère Julien (dirigeant de Florence de 1512 à 1516) mais se considéra toujours comme le véritable seigneur de Florence, ne laissant à Julien qu’un pouvoir quasiment nominal. 

Machiavel subit les conséquences de la chute de  Soderini :  Il fut d’abord chassé de son poste à la chancellerie puis emprisonné entre 1512 et 1513  et  exilé. 

C’est pendant la période qui suivit que Machiavel écrivit les deux œuvres politiques majeures que je me propose de décrire : 

. Le « DISCOURS A PROPOS DE LA PREMIÈRE DÉCADE DE TITE-LIVE» écrit entre 1512 et 1520). 

     . Le « PRINCE »  écrit en 1513-1516 dédié à Laurent 2 de Médicis, fils de Pierre 2 et duc d’Urbin, dont le but est d’énumérer divers conseils que l’on peut donner à un chef d’Etat, eu égard aux mentalités et comportements de son temps, 

Je décomposerai mon propos en 4 parties

     1 la nomenclature chronologique des divers régimes politiques répertoriés par Machiavel.    

  2 l’étroite corrélation entre les régimes politiques et les comportements humains qui leur correspondent.

    3 le meilleur régime politique

    4 les conseils donnés par Machiavel à un prince pour se maintenir au pouvoir 

Mon but final étant ensuite de se poser la question de savoir si les théories de cet ouvrage du 16e siècle peuvent encore être d’actualité aujourd’hui. 

mercredi 14 juillet 2021

QUATRE TRIPTYQUES DE JEROME BOSCH (28) : PEUT-ON TRANSPOSER LE RESSENTI DES TRIPTYQUES DE JÉRÔME BOSCH À NOTRE ÉPOQUE ?

 LE RETENTISSEMENT SUR LES COMPORTEMENTS HUMAINS 

A l’époque de Jérôme Bosch, j’ai observé qu’il existait deux comportements humains : tandis que la majorité des gens essayaient de se repentir pour que cessent leurs divers maux, d’autres ont profité à outrance des plaisirs de la vie en s’affranchissant de toutes les règles. 

Ces deux types d’attitude existent-elles aujourd’hui ? Apparemment, c’est le cas mais selon un schéma différent : tandis que la plupart par peur ou par respect des lois appliquent à la lettre les consignes des autorités, d’autres s’en affranchissent au nom de leur liberté individuelle.

En ce qui concerne la deuxième alternative, les médias stigmatisent en bloc les « jeunes » ils nous informent que, tous les jours ou presque, se tiennent des fêtes clandestines organisées par l’intermédiaire des réseaux sociaux pendant laquelle ni le port du masque, ni le respect des règles de distanciation ni même le couvre-feu ne sont respectés. Selon ces médias, les « jeunes » dans leur ensemble ont un comportement semblable à ceux des individus de la nef des fous  ; ils imaginent qu’ils proclament haut et clair des idées telles que : « on nous vole notre jeunesse, on veut en profiter tant qu’on peut car pour nous l’avenir sera sombre, on a toutes les chances, malgré nos diplômes de subir la crise économique et de rester chômeur.. »

Est-ce la réalité ? Évidemment pas, j’ai consulté divers sites sur internet et y ai trouvé de nombreux témoignages ( sur un article de la libre-Belgique et sur un forum de France-inter) et ai la sensation que la plupart de ces jeunes sont beaucoup responsables que beaucoup d’adultes.

     . Le sentiment d’angoisse de presque tous est patent, ils ont l’impression que l’on ne va pas s’en sortir et que l’avenir est, pour eux, encore plus problématique que pour les autres générations. S’ils ont peur de la Covid, c’est certes pour eux, mais beaucoup plus pour leurs proches car ils les savent plus vulnérables.

     . Le manque de rapport direct et réel avec les autres est aussi une caractéristique générale dans les témoignages des jeunes ; certes, ils essaient d’y pallier grâce aux réseaux sociaux, en particulier en  constituant des groupes d’amis pour se retrouver malgré le confinement. À cet égard, certains jeunes qui bravent le couvre-feu ne le font pas tous par provocation, ainsi l’un d’entre-eux écrit : « Au début, je condamnais ceux qui ne respectaient pas le couvre-feu. Aujourd'hui, c'est ma planche de salut. Quand on habite seul et qu'on travaille la journée, c'est le seul moyen de voir ses amis. Je ne vois pas d'autre astuce pour ne pas craquer ou sombrer dans la déprime. » un autre exprime ainsi sa détresse « Le bénéfice sur ma santé mentale est bien plus grand que le risque de finir en garde-à-vue. » 

En ce qui concerne les rapports avec la famille, ils varient selon les cas : 

     . Certains se sont rapprochés de leur famille : le chômage et le télé-travail ont crée de nouveaux liens familiaux en permettant aux familles d’être rassemblée et solidaire : « Ma mère travaille habituellement de 9 h à 19 h ; nous on part très tôt le matin pour aller à l’école ou au travail… On se disait bonjour le matin et on mangeait ensemble le soir, et voilà… Mais là, c’est hyper étrange, on se retrouve à faire des trucs hyper bizarres, par exemple à faire des baccalauréats en zoom avec toute la famille... Auparavant, on n’aurait jamais pensé à ça, avec notre rythme hyper intensif. Cette pause très violente nous a finalement conduits à dépenser notre temps autre part. »

 

     . D’autres se coupent de plus en plus avec leur famille et avec les adultes, se réfugiant dans leurs chambres pour se retrouver entre amis sur internet « Les adultes ? J’évite de parler de mes souffrances avec eux, j’élude un peu, j’édulcore parce que de toute façon, avec leur « expérience » et leur « maturité », ils te disent tout le temps : c’est normal à ton âge de réagir comme ça, tu va voir ça va passer, tout le monde vit ça en ce moment. ». Certains s’évadent de la réalité, se réfugient dans le rêve et imaginent un monde meilleur

 

     . Les jeunes ressentent aussi durement dans leur rapport avec les adultes, l’impression d’être jugé en bloc comme immatures et irresponsables : « quand on est un jeune de notre âge, on nous met tous dans le même sac marqué « ado » et on nous considère pas comme une personne unique avec ses propres souffrances, on se sent banalisés et ça c’est la pire chose. ». 

 

     . Cet état d’esprit ne possède cependant pas que des aspects négatifs, la plupart des «jeunes » se semblent plus responsabilisés et autonomes, ils ont aussi l’impression de former une classe d’âge soudée qui souffre des errements de la société et espèrent bâtir un monde meilleur : « J'espère que la folie humaine a atteint son paroxysme et que le vieux monde se meurt. J'espère que cette pandémie aura pu être un déclic pour tous, une prise de conscience. J'espère que face aux excès de notre système économique, face aux inégalités qui se confirment, nous aurons la force et le courage d'imaginer un autre monde. Il est grand temps de changer. » « quoiqu’il arrive, l’avenir reposera sur nous les jeunes » « Si la jeunesse perd espoir, à qui va-t-il en rester ? », 


     . Certains jeunes  décident aussi, sans attendre, de s’engager au service des autres : l’un d’entre eux, habitant d’une banlieue difficile, écrit «  À Pantin, on a créé un collectif, qui réunit des associations et des militants de la ville … pour soutenir les habitants de Pantin face à la crise. On sait que ce sont les classes populaires qui sont touchées, que ce sont les miens qui vont être touchés. Il y a un côté instinctif qui ressort très vite. C’était naturel pour certains d’aider, parce que ça touchait ceux avec qui on a grandi…., c’est de se dire qu’on est dans un même bateau et qu’il est en train de couler ; ça fait trente ans qu’il chavire, et là, il coule. On partage ce sentiment-là, celui de se dire qu’on va tout faire pour ne pas qu’il coule, et c’est maintenant qu’il faut agir. …On a vu que la résilience s’est surtout faite en dehors des institutions : les associations auto-organisées ont été plus réactives que les pouvoirs publics. La lenteur administrative a été très forte et au bout d’un moment, devant la réussite et l’ampleur de nos actions, les élus ont été davantage présents, mais plus pour nous contrôler, pour récupérer ce que l’on faisait. Je n’ai pas l’impression qu’on réussira à renverser la vapeur, mais il y a eu des avancées. On a tenu certains de nos maîtres en respect, des élus, des institutions. Notre mentalité, c’est de se dire que l’on y va par nous-mêmes : même si ça doit passer par le système D, même si ça doit passer par de la galère, on y va, on avance. »


Il existe néanmoins parmi les « jeunes » des brebis galeuses, mais je suis convaincu que l’immense majorité ressemble à ceux dont je viens de relater quelques réactions significatives. Dans ces conditions, qui sont alors tous ceux qui, dans notre société, ressemblent aux convives de la « nef des fous » ? Je les trouverais plutôt dans les gens des classes huppées qui organisent des repas clandestins dans les arrière-salles des restaurants de luxe et dans tous ceux qui ne respectent pas les règles au nom de leur liberté, qui ressentent l'obligation de se faire vacciner comme une atteinte à leur dignité et même, nient la maladie.

dimanche 11 juillet 2021

QUATRE TRIPTYQUES DE JEROME BOSCH (27) : PEUT-ON TRANSPOSER LE RESSENTI DES TRIPTYQUES DE JÉRÔME BOSCH À NOTRE ÉPOQUE ?

 L’INFLUENCE DE LA COVID DANS L’ART 

Selon moi, les œuvres artistiques ont, d’une manière générale, une quadruple finalité : 

      . Célébrer et magnifier la beauté et l’harmonie de la création dans toutes ses composantes, nature, éléments, corps humain …en occultant ses imperfections  ( exemple : le David de Michel-Ange).

      . Instruire les spectateurs en leur montrant d’une manière attractive et spectaculaire des événements historiques ou mythiques qu’ils ne connaissent pas (exemple : le tableau de David sur le sacre de Napoléon). 

     . Émouvoir les gens en leur faisant prendre connaissance d’événements dramatiques afin de les amener à réagir face à l’injustice, à la mort d’innocents, à la dégradation des conditions sociales des plus pauvres ou au désespoir des gens vaincus par l’oppression… (exemple, le tableau de Delacroix : la Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi) 

     . Exorciser les peurs et les angoisses en montrant leurs éphémères inanités afin de permettre de les transcender pour espérer un avenir meilleur (exemple : la mise au tombeau de Ligier-Richier)

Les triptyques de Jérôme Bosch ressortent de la quatrième finalité : en peignant les démons en action afin de susciter l’horreur du péché et en dénonçant l’attirance des êtres humains vers le mal,  il veut  amener les gens à réagir et à emprunter enfin la voie du salut. 

Peut-on trouver des œuvres d’art équivalentes à celles de Jérôme Bosch  dans l’art de notre époque malgré la profonde déculturation de notre société ? 

En regardant sur Internet, je n’en ai pas trouvé, dans les expressions artistiques  traditionnelles ; pourtant, ces œuvres existent et s’expriment dans plusieurs formes artistiques originales : bandes dessinées, affiches et peintures du STREET ART : en voici plusieurs exemples : 


Le premier dessin se veut effrayant : on y voit la terre attaquée par trois coronavirus, ceux-ci l’enserrent de leurs spicules représentées comme des ventouses qui s’y accrochent à la manière de pieuvres. La terre s’est certes protégée grâce à un masque pourtant, elle est effrayée et impuissante. 

Dans ce dessin, on retrouve la même inspiration que dans les peintures de Jérôme Bosch : coronavirus et démons se ressemblent par leur aspect hideux, terrifiant et repoussant. 



Le deuxième dessin tiré d’un journal du Guatemala est également conforme aux concepts de Jérôme Bosch, même si la manière de figurer la menace du virus est totalement différente :

Il montre le virus couronné par la mort, ses spicules ressemblent à une auréole, il regarde d’un air courroucé la terre qui s’enfuit pour échapper à la menace. 

 

Ainsi, on retrouve de grandes similitudes entre ces deux dessins modernes et ceux de Jérôme Bosch : ils ont pour but de susciter la peur et l’angoisse face à l’inéluctable progression de la maladie que l’on ne fera même pas régresser en portant le masque. 

La quatrième peinture émane du Street-Art, elle est assez différente des représentations de Jérôme Bosch puisqu’elle se veut optimiste : elle montre une infirmière masquée en tenue de travail travail détruisant le coronavirus au moyen d’une batte de base-ball. Le message est clair : la science sera capable de vaincre et d’éradiquer le virus, 




Jérôme Bosch ne représente  jamais des scènes de rédemption dans ses triptyques : les démons semblent si puissants que la damnation est inéluctable. 

mercredi 7 juillet 2021

QUATRE TRIPTYQUES DE JEROME BOSCH (26) : PEUT-ON TRANSPOSER LE RESSENTI DES TRIPTYQUES DE JÉRÔME BOSCH À NOTRE ÉPOQUE ?

 UNE SIMILITUDE CONJONCTURELLE 

 Les quatre triptyques décrits de Jérôme Bosch témoignent, comme j’ai tenté de le montrer, de son sens aigu de la morbidité et, surtout, de cette attirance de certains vers le péché et le mal, au nom du principe : « puisqu’on est voué à une mort prochaine, autant en profiter ! », tandis que d’autres tentent de se repentir pour mériter le salut. 

 Notre époque a subi et subit encore de multiples maux évoquant l’ambiance des 15e et 16e siècles : la pandémie due au coronavirus, l’insécurité ambiante, le chômage et la crise économique annoncée, la montée des extrémismes, les guerres et le terrorisme, la destruction progressive des ressources naturelles de la planète, le réchauffement climatique, les catastrophes naturelles, la disparition des civilisations et de la morale traditionnelle, le racisme et la haine de l’autre, l’inculture croissante, le mauvais fonctionnement de la démocratie … tout cela crée une atmosphère  ressemblant à celle de l’époque de Jérôme Bosch. En outre ces maux sont colportés et amplifiés par les médias d’information qui créent et amplifie un climat  d’inquiétude et de catastrophisme et contribue au pessimisme ambiant. 

 Dans des conditions, il peut paraître intéressant de comparer les comportements des contemporains avec ceux des gens de l’époque de Jérôme Bosch, d’abord en ce qui concerne les causes de nos maux, ensuite, en montrant comment cette angoisse permanente rejaillit dans l’art et dans la vie quotidienne et enfin, en recherchant s’il existe à notre époque des comportements ressemblant à ceux des passagers de la « nef des fous ».

 LA MANIÈRE DONT NOTRE ÉPOQUE ANALYSE LES CAUSES DE NOS MAUX.

 Pour le 15e siècle, tout était simple : Dieu a abandonné les hommes du fait de leurs péchés et livré l’humanité au Diable et à la mort. Cette explication n’est plus de mise à notre époque du double fait que règne dans l’Occident européen, une déchristianisation patente  et que l’église privilégie la bonté et la mansuétude de Dieu au détriment de son implacable justice. 

 Nos contemporains ont substitué l’explication d’une origine divine de nos maux à une interprétation laïque que l’on qualifie généralement de conspirationnisme.

 Le conspirationnisme part de l’idée simple, souvent paranoïaque, que rien n’arrive par accident, tout est planifié de manière occulte par une camarilla secrète, capable d’influer de manière larvée sur les événements dans le sens qui leur est favorable tant politique, économique que religieux. 

 Le but des complotistes est de déceler tous les faits vrais ou supposés ou même imaginaires, leur  semblant  si étranges et inhabituels qu’ils ne peuvent provenir que de  ce groupe de puissants étendant ses tentacules sur toute la surface du globe. Ensuite, ils relient ces faits entre eux de manière artificielle afin de leur donner une apparence logique et élaborent une théorie globale qu’ils colportent en assurant que leur théorie est intangible et vraie.

 Ainsi, à propos de la Covid-19, ils relient deux faits tous les deux contestables et même improuvés :

     . Le coronavirus est né d’une fuite en laboratoire.

     . Les entreprises pharmaceutiques se sont indûment enrichies.

Corréler ces deux informations peut sous-entendre que l’on a crée artificiellement ce virus pour enrichir les laboratoires pharmaceutiques. 

 Une fois leurs théories fumeuses élaborées sous un semblant de démarche raisonnée, les complotistes vont tenter de convaincre le plus grand nombre de gens possibles, le plus souvent par l’intermédiaire des réseaux sociaux : Ils relèvent tous les faits qui pourraient corroborer leurs spéculations et leur donnant raison puis ils s’en servent pour influencer les autres. 

Ainsi, lorsqu’ils ont appris que certaines personnes, pourtant vaccinées, sont mortes de la Covid, ils triomphent immédiatement et disent à ceux qui veulent les entendre : « Vous voyez, j’avais raison, les vaccins ne protègent pas de la maladie, leur but n’est uniquement que d’enrichir les firmes pharmaceutiques, inutile donc de se faire vacciner ! ». Nombre de gens se laissent convaincre par ces allégations et se disent « ces preuves semblent pertinentes, si ça se trouve, ils ont raison ! »

 Le conspirationnisme ne sévit pas seulement à propos de la covid. On trouve, dans les médias à leur botte, des idées aussi saugrenue du type : le réchauffement climatique n’existe pas, les élections sont systématiquement truquées, les vaccins introduisent subrepticement des puces électroniques dans le cerveau humain pour amener les hommes à devenir des robots, le confinement est utilisé par le gouvernement pour restreindre les libertés…

 Apparemment, il ne semble y avoir aucun rapport entre les forces démoniaques représentées par Jérôme Bosch et la camarilla de puissants supposés voulant asservir le monde.

Pourtant, il existe de larges similitudes entre elles : 

     . Toutes les deux sont des forces occultes que l’on ne discerne pas clairement mais qui, pourtant, seraient présentes partout propageant en tout lieu leurs agissements malfaisants.

     . Leur but n’est pas seulement de provoquer directement les catastrophes mais aussi d’influencer les individus à amplifier les incitations qui leur sont suggérées pour les conduire à de nouvelles calamités : les démons amènent les gens à commettre des péchés pour les damner, les forces occultes en niant, par exemple, le réchauffement climatique, espèrent amplifier les comportements destructifs qui aboutiront inéluctablement au cataclysme planétaire et à leur domination sur le monde. 

    . La société, tant contemporaine que médiévale, est attirée immanquablement par les forces diaboliques et, à notre époque par les théories conspirationnistes, 

 Il existe cependant une différence fondamentale entre les triptyques de Jérôme Bosch et la propagande complotiste : alors que Jérôme Bosch tente, par les outrances de ses dessins, à faire réagir les gens face à leur attirance vers le mal, les thèses conspirationnistes ont plutôt pour but de nier l’évidence scientifique en incitant ceux qui croient à leurs élucubrations à agir comme bon leur semble sans réflexion morale ou logique à ce propos.

 

vendredi 2 juillet 2021

QUATRE TRIPTYQUES DE JEROME BOSCH (25)

LE TRIPTYQUE DU VAGABOND, DE LA MORT DE L’AVARE ET DE LA NEF DES FOUS (5)



La PARTIE BASSE DU PANNEAU DE DROITE, conservée à la galerie du musée de l’université de Yale, permet de compléter la description de la partie haute. Il comporte trois scènes différentes :

     . (S) Un gros homme ventripotent, à califourchon sur un tonneau empli de vin appelle ceux qui veulent boire en soufflant dans une  longue trompette à bout recourbé. Le tonneau flotte sur une étendue d’eau assez peu profonde laissant voir la végétation qui couvre le sol, un homme est en train de se servir, il a placé une écuelle pour recueillir le liquide sortant du tonneau Trois autres individus se trouvent derrière le tonneau et attendent probablement d’en profiter aussi. 

     . (T) Sous une tente, et autour d’une table, un homme portant une coupe de vin à la main s’approche du visage d’une femme afin de l’embrasser.

     . (U) Un homme est à demi immergé dans l’eau et dans les hautes herbes qui tapissent le sol. On peut imaginer que les habits se trouvant au premier plan, soit posés par terre, soit suspendus  aux  branches d’un arbre, lui appartiennent.

CONCLUSION

Les parties subsistant actuellement du triptyque présentent une grande unité en décrivant trois péchés mortels, la gourmandise, la luxure et l’avarice et peut-être aussi l’orgueil. Le triptyque dans son ensemble représente une humanité qui choisit délibérément le mal pour profiter de la vie en sachant qu’ils risquent la damnation. Certes le vagabond du triptyque fermé est figuré  fuyant le mal mais c’est, selon moi, contraint et forcé puisque l’on a chassé de l’auberge. 

 Ce dualisme et cette attirance vers le mal  est une caractéristique fondamentale de l’œuvre de Jérôme Bosch, elle correspond à l’ambiance de son époque marquée, comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, par les épidémies, les guerres, les famines et les pillages qui ont fait penser que Dieu avait abandonné l’humanité à cause de ses péchés et l’avait livrée au diable et à son acolyte, la Mort.

 A suivre… 

 

mercredi 30 juin 2021

QUATRE TRIPTYQUES DE JEROME BOSCH (24)

 LE TRIPTYQUE DU VAGABOND, DE LA MORT DE L’AVARE ET DE LA NEF DES FOUS (4)

Suite de l’article précédent 

Les occupants de la barque semblent, en effet, avoir décidé de ne plus se soucier de l’avenir inexorable et effrayant qui les attend, marqué par la mort et par la damnation ; désormais, pour eux, seul compte le fait de profiter de la vie pendant le peu de temps qui leur reste à vivre en suivant leur bon plaisir et en s’affranchissant de toutes les règles, de toutes les autorités et de tous les tabous qui régissaient la société.


 
Dans ce bateau se trouvent dix individus qui constituent une sorte de microcosme symbolisant l'ensemble de la société : trois religieux et sept laïcs dont un "fou». Ce microcosme social est cependant incomplet puisqu'il se caractérise par une absence totale de structure d'autorité.
 
Parmi ces dix personnages, l'un doit être mis à part, le "fou" (J) que l'on pourrait plutôt qualifier de "bouffon". La signification du terme de "fou" est en effet très différente de celle de notre notion contemporaine : la folie n'est pas une maladie mentale, mais, beaucoup plus, une dépravation de l'âme sous l'emprise du mal. En ces temps difficiles, s'adonner à tous les interdits au lieu de penser à son salut, est folie. Dans cette conception, le "fou" a pour rôle de rire et se moquer de tout, de dire tout haut ce que les autres pensent sans oser l’exprimer, de tout tourner en dérision  et, par la même, de cautionner les comportements déviants, d'exacerber les penchants de ses spectateurs vers toutes les vanités : le "fou", sous l'emprise du mal, pervertit la société et est ressenti comme un séide de Satan.
 
Le fou de la NEF DES FOUS se trouve à l'écart du bateau, assis sur une branche, il porte le costume caractéristique de sa profession : un capuchon à grelots, un vêtement à franges ornées également de grelots, il tient d'une main une sorte de gobelet conique et de l'autre son attribut, la marotte. Il détourne son regard de la scène de beuverie qui se déroule en dessous, semblant dire : " la tâche est accomplie, voici des gens que j'ai conduits à la débauche !"
 
La partie centrale du tableau, en forme de triangle dont la pointe correspond à la volaille attachée au mat,  comporte la barque et ses passagers.
 
Au centre de ce triangle, se trouvent trois religieux dont un franciscain reconnaissable à la couleur grise de son habit (K). Les deux autres religieux sont des nonnes (L et M). Ce sont ces trois individus qui semblent être les animateurs des scènes de débauche :
   . Le franciscain (K)  et la nonne (L)  sont assis de part et d'autre d'une planche figurant une table, sur cette table se trouvent un gobelet et un plat de cerises. La nonne joue du luth. Ces deux personnages ont la bouche ouverte comme s'ils chantaient, il est cependant plus probable qu'ils essaient de manger une crêpe qui pend devant eux par une corde accrochée au filin tenant le mat.
   . L'autre nonne (M) lève une cruche et s'adresse à un homme étendu (N) dans le fond de la barque, cet homme, sans doute ivre,  tient une outre à demi immergée dans l'eau, la nonne semble dire à l'homme : " lève-toi et emplit la cruche de vin, tu vois bien qu'elle est vide! " on dirait même qu'elle s'apprête à le frapper.
 
Tous les autres personnages sont des laïcs, ils se ressemblent beaucoup avec leurs habits de couleur rouge et leur visage rond :
   . Deux d'entre eux semblent participer au jeu de la crêpe à manger sans utiliser les mains,  (O)
   . Un autre (P) ayant un gobelet sur la tête,   lève le bras pour montrer le personnage (Q) qui monte au mat et coupe le lien attachant la volaille à ce mat,
   . Un autre (R) vomit dans l'eau, il est le seul laïc à ne pas porter un habit rouge.

Tous ces laïcs participent avec délectation aux débauches initiées par les religieux sans en être les moteurs ;  ils semblent se borner à les imiter ; cette dépravation du clergé est aussi une caractéristique des mentalités de l'époque : c'est parce que le clergé est perverti et n'a plus le sens de son devoir que l'humanité, tel un " bateau ivre", se livre au règne du mal. Il convient cependant de ne pas exagérer l'angélisme des laïcs puisque ceux-ci sont également attirés par la perversité comme en témoignent les deux personnages nus dans l'eau aspirant à entrer dans la barque : la débauche exhibée par les religieux semble se propager dans toute la société.

A suivre…