REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

vendredi 8 mai 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (62) : LES FORTERESSES DES TEMPLIERS et le système de défense des états francs

LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES (suite de l'article précédent)

La localisation des forteresses franques était étroitement dépendante des contingences géographiques.

En premier lieu, il convenait de protéger le littoral et les ports permettant de relier les états de Terre Sainte à l'Occident et en particulier de recevoir les croisés venus en pèlerinage. Les ports furent dotés, pour la plupart, de forteresses établies dans la ville elle-même ou sur les hauteurs la dominant.

Ensuite, il convenait de protéger les trouées principales mais aussi les cols qui permettaient de traverser la montagne. Ces forteresses se trouvaient sur des éminences ou des éperons situées au niveau des premières pentes des montagnes avec un double objectif :
     . Empêcher la réussite des invasions venues de l'est : il suffisait aux garnisons qui s' y trouvaient de descendre de leurs citadelles pour prendre l'ennemi latéralement ou à revers.
     . Servir de poste avancé pour une éventuelle attaque vers le fossé d'effondrement aux fins de conquête.

Un troisième type de forteresse était construit en vue de la colonisation des espaces orientaux lorsque, lors dans premiers temps de la conquête,  les armées franques s'avancèrent vers l'est au delà même du  fossé d'effondrement. Cette conquête s'accompagnait  de la création de fiefs centrés autour de châteaux fortifiés. A l'époque  juste antérieure à Hattin, ces fiefs et ces châteaux n'étaient plus du domaine des francs et avaient été reconquis par les turcs.

Il convient aussi d'ajouter que des grandes forteresses dépendaient des forts plus petits  et des fortins de surveillance, ils prenaient souvent la forme de tours carrées évoquant un donjon.

Une quatrième caractéristique générale concerne plus spécifiquement les templiers : il avait été clairement spécifié dans l'acte initial de création de la Milice des pauvres chevaliers du Christ que le rôle des chevaliers de l'ordre était de protéger les pèlerins et de sécuriser les routes de pèlerinage vers les lieux saints. Ils construisirent le long de ces routes des structures  défensives qui se muèrent vite en puissances forteresses.

A cela s'ajoutèrent des forteresses installées à des endroits dépourvus de sites de pèlerinage dans un but purement militaire, en particulier dans la principauté d'Antioche et dans le comté de Tripoli ; l'explication en est simple : au début de la création des états francs, ils n'intervenaient pas dans leur défense ; les forteresses furent construites par les croisés qui avaient constitué des fiefs dans les pays conquis ; peu à peu, ces derniers devinrent incapables de les gérer de les entretenir ; beaucoup les remirent aux ordres militaires et en particulier aux templiers qui constituaient les seules forces franques  structurées en Terre sainte.  C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la présence de châteaux templiers dans les deux états francs septentrionaux.

Les templiers associent donc deux types de forteresses :
   . Les unes sont établies sur les routes de pèlerinage, elles se trouvent essentiellement dans le royaume de Jerusalem,
   . Les autres n'ont qu'un rôle militaire et s'établissent aux marches frontières des états francs.

jeudi 7 mai 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (61) : LES FORTERESSES DES TEMPLIERS et le système de défense des états francs.

LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

La description que je me propose d'entreprendre des forteresses templières et plus généralement des forteresses franques correspondra à la période comprise entre 1144, date de la prise d'Edesse et 1087, date de la désastreuse bataille de Hattin qui fit disparaître une grande partie des États Francs de Terre Sainte surtout au niveau du royaume de Jérusalem.

Cette bataille et la reconquête effectuée ensuite par Saladin conduisirent à un changement de cap des comportements :
     . avant 1187, les princes francs pouvaient encore mener des offensives victorieuses vers l'est dans la perspective de conquête, c'était en particulier le cas quand l'ost franc était renforcé par la venue de croisés occidentaux.
     . après Hattin, ce ne sera plus le cas,  les états francs seront obligés de se cantonner à une politique presque uniquement défensive.

La période 1144-1187 est pour moi celle de l'épanouissement des états francs en ce qui concerne la politique de fortification après la phase de conquête et d'installation. C'est à ce moment que l'on discerne le mieux les objectifs qui conduisent à la localisation des forteresses.  Cette organisation stratégique sera laminée et disparaîtra après la bataille de Hattin.


La construction de ces forteresses témoigne d'un art très élaboré tant au niveau de leur réalisation que de leur localisation. Cet art était bien plus perfectionné que celui que l'on trouvait à la même époque en Occident, il ne fut cependant pas inventé de toutes pièces par les francs :
   - d'abord, parce qu'ils imitèrent ce qu'ils vont trouver sur place et qui témoignait d'une architecture plus avancée que la leur,
   - ensuite par le fait qu'ils réoccupèrent de nombreux points stratégiques déjà fortifiés par les byzantins ou par les princes musulmans.
Il n'eurent donc qu'à imiter et à perfectionner ce qu'ils voyaient. Cet art sera ensuite exporté par les croisés en Occident et conduira à un renouvellement conséquent des anciens châteaux-forts.

Si on considère la localisation de ces forteresses, on constate qu'elle est étroitement dépendante de la topographie des états francs. Celle ci se caractérise par deux éléments d'ensemble que j'ai reproduit ci-contre sur la carte correspondant à  la géographie de la principauté d'Antioche et du comté de Tripoli :


La structure générale du relief s'organise en bandes parallèles de direction Nord-Sud. Ainsi, de l'ouest à l'est apparaissent cinq ensembles :

     . Une succession d'étroites plaines littorales aux sols fertiles et comportant des abris littoraux favorables à l'installation des ports.

     . Puis se développent un ensemble montagneux découpé en massifs par des trouées transversales : DJEBEL AMANUS (1), DJEBEL EL AKRA (2), DJEBEL ANSARIEH (3), MONT LIBAN (4). Ces montagnes créent une barrière entre le littoral et l'arrière-pays. Parmi ces massifs, le moins pénétrable est le Djebel Ansarieh qui se compose d'un ensemble de croupes calcaires séparées par d'étroites vallées. Ce djebel a toujours été une zone de refuge mais elle a servi aussi de base d'attaque ; à l'époque des croisades, sa partie sud était occupé par la secte dit des Assassins, des musulmans ismaéliens, qui menèrent une politique d'attentats contre les princes francs. Cette zone formait alors un dangereux tampon entre le principauté d'Antioche et le comté de Tripoli.

    . A l'est de cette ligne, se trouve un ensemble de fossé d'effondrement (10) correspondant à cette profonde cassure qui se poursuit vers le sud par la vallée du Jourdain, la mer Morte, la mer Rouge puis par le Rift africain. Cette zone longue et étroite est favorable à l'homme tant au niveau agricole qu'à celui des routes commerciales et des voies musulmanes de pèlerinage vers les lieux saints de l'Islam.

    . A l'est encore apparaissent des reliefs moins élevés que les montagnes (5) au sud bordant le littoral ; ces reliefs forment transition avec les plaines et plateau du Moyen-Orient et en particulier avec la Mésopotamie.

A ces structures longitudinales s'ajoutent des éléments transversaux, les trouées parcourues par les rivières  :
     . Au nord, se trouve la trouée d'Antioche (6) parcourue par l'Oronte (9) (qui jusqu'alors coulait selon la direction Sud-Nord dans le fossé d'effondrement et bifurque par cette trouée vers l'ouest )  Au débouché de cette trouée, il était possible de gagner Alep mais aussi d'emprunter les voies Nord-Sud du fossé d'effondrement.
     . La deuxième trouée est celle qui part du port de Lattaquié (5) et remonte vers le nord-est par la vallée du Djisr El Shoghr, rejoint l'Oronte puis la vallée du moyen Euphrate.
     . La troisième trouée (8)  se développe en en triangle entre Tartous (Tortose) et Tripoli et permet de gagner Homs. Cette trouée est l'axe central ouest-est du comté de Tripoli, encadré de part et d'autre part le Djebel Ansarieh et la montagne du Liban.

Ces trouées qui compartimentent le relief possèdent un triple rôle à l'époque médiévale  :
    . Elles peuvent servir de voies d'invasion pour les princes turcs.
    . Elles peuvent aussi servir de base aux ambitions de conquête des francs.
    . Elles constituent des voies de communications et commerciales importantes et permettent de gagner la grande voie Nord-Sud qui mène vers l'Arabie.

C'est en fonction de ces caractéristiques topographiques que seront établies le réseau de forteresses franques.

à suivre

mardi 5 mai 2015

La GNOSE (2) : les exemples de BASILIDES et MARCION

Suite de l'article précédent

LE SALUT
Il apparait une double caractéristique explicitement mentionnée par MARCION selon les écrits de saint Irenée, mais que  BASILIDE indique aussi :
    . Le salut ne concerne que l'âme.
    . Le salut ne peut être obtenu par la mise en application dans sa vie de l'enseignement des prophètes hébreux ni par le respect de la Loi car l'un et l'autre proviennent des anges pervertis et malfaisants qui ont créé le monde et dont le chef est le démiurge, le Dieu des juifs.

MARCION va même jusqu'à effectuer une inversion de ceux qui seront sauvés : pour lui, le salut s'appliquera à tous les peuples païens car ils ont reconnu le Christ lors de sa descente aux Enfers, par contre ce ne sera pas le cas des prophètes et des hébreux qui l'ont rejeté.

" il n'y aura de salut que pour les âmes seulement, pour celles du moins qui auront appris son enseignement  ( du Christ) ; quant au corps, du fait qu'il a été tiré de la terre, il ne peut avoir part au salut. 

Caïn et ses pareils, les gens de Sodome, les Égyptiens et ceux qui leur ressemblent, les peuples païens qui se sont vautrés dans toute espèce de mal, tous ceux-là ont été sauvés par le Seigneur lors de sa descente aux enfers, car ils sont accourus vers lui et il les a pris dans son royaume ; au contraire, Abel, Hénoch, Noé et les autres «justes», Abraham et les patriarches issus de lui, ainsi que tous les prophètes et tous ceux qui ont plu à Dieu, tous ceux-là n'ont point eu part au salut"
 ( IRENÉE DE LYON A PROPOS DE MARCION)

Il n'y a de salut que pour l'âme seule, car le corps est corruptible par nature. Les prophéties proviennent elles aussi des Archontes auteurs du monde, mais la Loi provient à titre propre de leur chef, c'est-à-dire de celui qui a fait sortir le peuple de la terre d'Egypte. ( IRENÉE DE LYON A PROPOS DE BASILIDE)

à suivre..

lundi 4 mai 2015

La GNOSE : les exemples de BASILIDES et MARCION

les deux articles qui vont suivre constituent une parenthèse dans l'étude des mentalités de la croisade, ils visent à aller plus loin dans la pensée gnostique évoquée lors de la description du sceau à l'abraxas 

On ne connaît pas directement la pensée de ces deux philosophes gnostiques, mais on connaît leur doctrine par la réfutation qu'en a fait saint Irénée de Lyon évêque de Lyon (177-205) auteur de la "Réfutation de la prétendue gnose au nom menteur". Irénée, dans cet ouvrage, commence à décrire les différentes théories gnostiques puis, dans une seconde partie, il rédige la réfutation de celles-ci. Afin de ne pas travestir la pensée de Basilide et de Marcion, je citerai ici les extraits significatifs du texte de saint Irénée en le faisant précéder de mon commentaire.

Dans un premier temps Saint Irénée décrit la conception de Basilide concernant la HIÉRARCHISATION DU COSMOS  avec :
     . Le père inengendré,
     . De ce Dieu suprême naît l'intellect qui sera le Christ,
     . De l'intellect naît le Logos, la connaissance,
     . Du logos naît la prudence,
     . De la prudence naît la sagesse et la puissance,
     . De la sagesse et de la puissance naissent les vertus, les anges et les archontes qui créent le premier ciel,
     . Par réplique des précédents naissent d'autres anges, qui créent un deuxième ciel,
     . Puis apparaissent ainsi un troisième puis un quatrième ciel et ainsi de suite jusqu'à que se créent 365 ciels. Au fur et à mesure que se sécrètent les ciels, ils se dégradent, passant du bien au mal.

" du Père inengendré est né d'abord l'Intellect, puis de l'Intellect le Logos ; puis du Logos la Prudence ; puis de la Prudence la Sagesse et la Puissance ; puis de la Puissance et de la Sagesse, les Vertus, les Archontes et les Anges qu'il appelle premiers et par qui a été fait le premier ciel. Puis, par émanation à partir de ceux-ci, d'autres Anges sont venus à l'existence et ont fait un second ciel semblable au premier. De la même manière, d'autres Anges encore sont venus à l'existence par émanation à partir des précédents, comme réplique de ceux qui sont au-dessus d'eux, et ont fabriqué un troisième ciel. Puis, de cette troisième série d'Anges, une quatrième est sortie par dégradation, et ainsi de suite. De cette manière, assurent-ils, sont venues à l'existence des séries successives d'Archontes et d'Anges, et jusqu'à 365 cieux. Et c'est pour cette raison qu'il y a ce même nombre de jours dans l'année, conformément au nombre des cieux. (IRÉNÉE DE LYON A PROPOS DE BASILIDE)

LA CRÉATION DE L'UNIVERS SENSIBLE a été le fait des anges du dernier monde créé, le plus dégradé ; une fois la création effectuée, ils se sont partagés les nations en devenant leurs dieux. L'un d'entre eux, leur chef, le Dieu des juifs, a voulu faire en sorte que son peuple puisse l'emporter sur toutes les autres, ce qui occasionna les guerres et la désolation. Selon MARCION, ce Dieu est un être malfaisant, aimant les guerres, inconstant dans ses résolutions et se contredisant lui-même. Un autre gnostique CERDON, en tire, selon Irenée de Lyon, une autre conséquence et enseigne "que le Dieu annoncé par la Loi et les prophètes n'est pas le Père de notre Seigneur Jésus-Christ : car le premier a été connu et le second est inconnaissable, l'un est juste et l'autre est bon."

" Les Anges qui occupent le ciel inférieur, celui que nous voyons, ont fait tout ce que renferme le monde et se sont partagé entre eux la terre et les nations qui s'y trouvent. Leur chef est celui qui passe pour être le Dieu des Juifs. Celui-ci ayant voulu soumettre les autres nations à ses hommes à lui, c'est-à-dire aux Juifs, les autres Archontes se dressèrent contre lui et le combattirent. Pour ce motif aussi les autres nations se dressèrent contre la sienne."  . (IRÉNÉE DE LYON A PROPOS DE BASILIDE)

LA PLACE DE JÉSUS DANS LES SYSTÈMES GNOSTIQUES
Dans la pensée gnostique, le Christ est le propre fils du dieu suprême," l'intellect du père inengendré"   qui prit la forme de Jésus. Il ne fut pas crucifié, car il y eut substitution  de personne : Simon de Cyrène prenant la place de Jésus et inversement, le Christ remonta auprès de celui qui l'avait envoyé. La conséquence de cette substitution est qu'il  n'y a aucune raison de prétendre que la crucifixion fut le sacrifice par lequel le Christ apporta la rédemption au monde

" Alors le Père inengendré et innommable, voyant la perversité des Archontes, envoya l'Intellect, son Fils premier-né — c'est lui qu'on appelle le Christ — pour libérer de la domination des Auteurs du monde ceux qui croiraient en lui. Celui-ci apparut aux nations de ces Archontes, sur terre, sous la forme d'un homme, et il accomplit des prodiges. Par conséquent, il ne souffrit pas lui-même la Passion, mais un certain Simon de Cyrène fut réquisitionné et porta sa croix à sa place. Et c'est ce Simon qui, par ignorance et erreur, fut crucifié, après avoir été métamorphosé par lui pour qu'on le prît pour Jésus ; quant à Jésus lui-même, il prit les traits de Simon et, se tenant là, se moqua des Archontes. Etant en effet une Puissance incorporelle et l'Intellect du Père inengendré, il se métamorphosa comme il voulut, et c'est ainsi qu'il remonta vers Celui qui l'avait envoyé, en se moquant d'eux, parce qu'il ne pouvait être retenu et qu'il était invisible à tous.

Ceux donc qui « savent » cela ont été délivrés des Archontes auteurs du monde. Et l'on ne doit pas confesser celui qui a été crucifié, mais celui qui est venu sous une forme humaine, a paru crucifié, a été appelé Jésus et a été envoyé par le Père pour détruire, par cette « économie », les œuvres des Auteurs du monde. Si quelqu'un confesse le crucifié, dit Basilide, il est encore esclave et sous la domination de ceux qui ont fait les corps ; mais celui qui le renie est libéré de leur emprise et connaît l'« économie» du Père inengendré. (IRÉNÉE DE LYON A PROPOS DE BASILIDE)

MARCION reprend les mêmes idées en effectuant une lecture critique de l'Ancien Testament en condamnant trois types d'assertions :
     . L'enseignement des prophètes et la Loi car ils ne sont, selon lui, que l'émanation du Dieu des Juifs.
     . L'idée que la venue de Jésus  ait été annoncée par les prophètes. .
     . Les parties relatant les éléments historiques de la vie de Jésus ainsi que celles où celui-ci fait état de sa filiation avec le créateur de ce monde.

" Quant à Jésus, envoyé par le Père qui est au-dessus du Dieu Auteur du monde, il est venu en Judée au temps du gouverneur Ponce Pilate, procurateur de Tibère César ; il s'est manifesté sous la forme d'un homme aux habitants de la Judée, abolissant les prophètes, la Loi et toutes les œuvres du Dieu qui a fait le monde et que Marcion appelle aussi le Cosmocrator. En plus de cela, Marcion mutile l'Évangile selon Luc, éliminant de celui-ci tout ce qui est relatif à la naissance du Seigneur, retranchant aussi nombre de passages des enseignements du Seigneur, ceux précisément où celui-ci confesse de la façon la plus claire que le Créateur de ce monde est son Père. Par là, Marcion a fait croire à ses disciples qu'il est plus véridique que les apôtres qui ont transmis l'Évangile, alors qu'il met entre leurs mains, non pas l'Évangile, mais une simple parcelle de cet Évangile. Il mutile de même les épîtres de l'apôtre Paul, supprimant tous les textes où l'Apôtre affirme de façon manifeste que le Dieu qui a fait le monde est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi que tous les passages où l'Apôtre fait mention de prophéties annonçant par avance la venue du Seigneur."
(IRÉNÉE DE LYON A PROPOS DE MARCION)

vendredi 13 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (38) : MUSULMANS ET CROISÉS

LE JUGEMENT DES MUSULMANS SUR LES "FRANCS"
Je me baserai pour cette partie sur les informations contenues dans les mémoires d'Osama Ibn Munqidh (1095-1188) qui eut l'occasion de côtoyer les francs dans sa jeunesse.
 
Les commentaires d'Osama Ibn Munqidh (1) sont évidemment très peu flatteurs envers les francs : en voici d'abord quelques citations générales  :
" Quiconque est au courant des qualités des francs est porté à glorifier et à sanctifier Allah le tout puissant [de ne pas leur ressembler ] car il a vu en eux des bêtes qui ont la supériorité du courage et de l'ardeur au combat mais aucune autre [qualité], de même que les animaux ont la supériorité de la force et de l'agression" .

"Les francs ne possèdent aucune des hautes qualités qui font la supériorité des autres hommes à l'exception de la bravoure" .

Ravaler  les croisés au niveau des animaux féroces en leur déniant presque le statut d'être humain est d'une grande sévérité. Pourtant, Osama Ibn Munqidh va légèrement tempérer son propos en faisant la distinction entre :
   . les croisés de la première heure possédant des fiefs et d'importants revenus et aspirant plutôt au calme et à la tranquillité.
   . les nouveaux arrivants attirés par l'appât du gain, désireux de faire fortune rapidement, impatients d'agir,  en quête de combats et d'aventure,  plein d'ambition ; ils critiquent les premiers croisés devenus des nantis, leurs aspirations à la paix sont assimilées à de la lâcheté et à la pactisation avec l'ennemi.

Une seconde série d'observations a trait au caractère guerrier de la société :" il n'y a chez eux de prééminence et de préséance que pour les cavaliers ; les cavaliers sont vraiment les seuls hommes, aussi leur demande-t'on de donner des conseils, de rendre la justice et de porter des jugements" ; cette caractéristique est évidemment étonnante pour un musulman à la fois parce que, dans la culture islamique, le prince est conseillé par les docteurs de la loi et non par des guerriers et aussi par le fait que la justice est rendue par des chevaliers au moyen de décisions orales et non par des juges rendant leurs arrêts au moyen de code.

Ainsi apparait dans les écrits d'Osama Ibn Munqidh une société organisée autour des chevaliers formant une caste militaire,  les uns à peu près policés au contact des orientaux, les autres, récemment arrivés ne manifestant aucune qualité humaine et ressemblant plus à des bêtes féroces qu'à des hommes.

Cette impression d'ensemble est renforcé par quelques anecdotes :

La première a trait à ce dualisme des croisés exprimée ci dessus : elle concerne un ami d'Osama Ibn Munqidh qui témoigne à la fois de l'attirance de quelques-uns pour l'orient et de la haine que suscite un musulman chez la plupart des francs ; cet ami est reçu d'abord par un croisé de la première génération :

« Il y a des Francs qui se sont établis dans le pays et se sont mis à vivre dans la familiarité des musulmans ; ils sont bien meilleurs que ceux qui viennent d’arriver fraîchement de leur pays d’origine, mais ils ne sont qu’une exception qui ne constitue pas la règle. A ce propos, j’envoyai un jour un ami régler une affaire à Antioche, dont le chef était Tudrus ibn as-Sâfi. Ce dépositaire de l’autorité, qui était mon ami, dit à celui que j’envoyais : « J’ai été invité par un Franc, viens avec moi pour voir comment ils vivent. »

Je l’accompagnai, raconte mon ami, et nous arrivâmes à la maison d’un chevalier, un de ceux, installés depuis longtemps.il avait été rayé des rôles... et dispensé de toute service militaire, de plus, avait été doté à Antioche d'un fief d'où il tirait sa subsistance.. Il vivait du revenu d’une propriété qu’il possédait à Antioche. Il fit installer une belle table avec des mets forts propres et très appetissants . En voyant que je m’abstenais de manger, il me dit : « Tu peux manger de bon appétit, car je ne mange pas la nourriture des Francs ; j’ai des cuisinières égyptiennes et je mange seulement ce qu’elles préparent ; du porc, il n’en entre pas chez moi. » 

Quelques jours après, je passais sur la place du marché lorsqu'une femme s'attacha à moi, proférant des cris barbares dans leur langue, je ne comprenais pas un mot de ce qu'elle me disait. Un rassemblement se forma autour de moi et j'eus la conviction que ma mort était proche, mais voici que ce même chevalier s'était avancé, il me vit, s'approcha et dit a la femme : qu'as-tu à faire avec ce musulman ?"," il est, répondit-elle, le meurtrier de mon frère Hurso"' or, Hurso était un chevalier d'Apamée qui avait été tué par un soldat de l'armée de Hama

Il va de soi que le musulman en question n'était pour rien dans la mort du frère de cette femme, mais il était musulman, cela suffisait pour qu'on l'insulte et qu'on le menace de mort !

La deuxième anecdote a trait à la pratique d'un médecin franc :

"  Le maître d’Al-Mounaytira, une forteresse qui relevait de Tripoli.. me demanda un jour, à Chayzar, (1) de lui envoyer un médecin pour quelques-uns de ses malades. Nous lui dépêchâmes le nôtre, Thâbit, un chrétien (de rite oriental) . Il revint si vite que nous lui fîmes compliment pour des soins si rapides, mais lui d’expliquer « On m’a montré un chevalier dont la jambe avait un abcès, ainsi qu’une femme atteinte de consomption (affaiblissement et amaigrissement) . Pour le premier, j’ai préparé un petit emplâtre, l’abcès a crevé et pris bonne tournure. Pour la seconde, j’ai pensé à une diète assortie d’un traitement approprié. 
[Avant même que le traitement prescrit fasse son effet, ]... survient un médecin franc, qui décide que je n’y connais rien. Il s’adresse au chevalier : « Que préfères-tu, vivre avec une jambe ou mourir avec deux ? » L’autre répond qu’il aime mieux vivre. Le médecin dit alors qu’il a besoin d’un chevalier robuste et d’une hache tranchante à souhait. J’assistais à la scène : notre homme installe la jambe de son patient sur un billot et ordonne au chevalier de la trancher, d’un seul coup. Mais au premier, la jambe résiste encore ; au second, la moelle se répand un peu partout et le malade meurt, là, tout de suite. Pas déconfit pour un sou, le médecin se rabat sur la femme, règle son cas : c’est un démon qu’elle a dans la tête. Il lui fait raser les cheveux. La femme ne s’en porte ni mieux ni plus mal, mais se met, contre mes indications, à manger, ainsi qu’on le fait chez les Francs, de l’ail et de la moutarde. Son état empire. L’autre déclare, péremptoire, que le démon ne gîtait pas à la surface de la tête, mais plus profondément qu’il ne l’avait cru d’abord. Il vous prend un rasoir, fait, sur le crâne, une incision en forme de croix, si terrible que l’os apparaît. Puis il frotte le tout avec du sel… et voilà, presque aussitôt, son second mort. »

Osama Ibn Munqidh est cependant objectif dans ses jugements : quand un médecin franc réussit à guérir, il le cite aussi !

La troisième anecdote témoigne de la bonne conscience des chrétiens qui ne se mettent jamais en doute sur leurs pratiques, sont convaincus de la supériorité de leur mode de vie et en témoignent sans retenue face aux musulmans qu'ils ressentent de culture inférieure.

" Ces mêmes Francs, pétris de courage et d’ardeur guerrière, manquent parfois du plus élémentaire jugement. Je m’en réfère à l’attitude d’un très honorable chevalier de chez eux,... qui, venu faire le pèlerinage de Jérusalem, allait s’en retourner chez lui, ...Quelques jours avant son départ, il m’entreprit ainsi, devant l’un de mes fils, âgé de quatorze ans, qui m’accompagnait : « Je m’en vais chez moi, comme tu le sais. Ce fils que tu as là, confie-le moi : dans mon pays, il observera les chevaliers, apprendra leur sagesse et leurs usages, et quand il reviendra chez lui, il sera un homme accompli. » Je fus choqué de pareils propos, qui me paraissaient, pour le coup, sortir d’une tête sans cervelle. ." .

on peut imaginer la stupéfaction d'Osama Ibn Munqidh quand il entendit de tels propos, lui qui possdait une culture de lettré ! "


(1) Ousâma Ibn Munqidh est le fils cadet de la famille qui tient la ville de Shayzar, fief arabe situé sur l’Oronte établi entre les émirats turcs de la région et les possessions chrétiennes.  Il est exilé par son oncle, l’émir de Shayzar  en 1131 et  devient un courtisan au service de Zengi, (atabeg de Mossoul et Alep, +1146 qui reconquiert Edesse) Nur ad-Din  (atabeg d'Alep et Mossoul +1147) et Saladin.

jeudi 12 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (37) : MUSULMANS ET CROISÉS

LES RÉACTIONS DES MUSULMANS FACE AUX CROISÉS 

Les réactions des musulmans de terre sainte face aux croisés furent, selon moi,  de cinq types :
     . Un sentiment mêlé d'horreur et d'incompréhension,
     . Un jugement sévère et négatif sur ce que les musulmans  appellent du terme générique de francs,
     . Un fossé vertigineux entre le raffinement et l'ouverture d'esprit des uns et l'inculture intolérante des autres,
     . L'importance croissante de Jérusalem dans la théologie musulmane,
     . L'analyse des raisons de la défaite et, consécutivement, la reviviscence de la guerre sainte.

HORREUR ET INCOMPRÉHENSION
Le sentiment d'horreur et d'incompréhension découle de l'antinomie que les musulmans constatèrent entre les pratiques guerrières des francs et la codification dans le monde musulman des règles établies depuis l'origine de l'islam jusqu'à l'âge d'or abbasside  et qui constituait leur univers mental habituel. Les exemples abondent :

     . Les règles codifiées de l'Islam interdisaient de tuer les non-combattants, les croisés massacraient indistinctement tous ceux qu'ils rencontraient, femmes, enfants, vieillards, pèlerins, bébés..

     . Les règles codifiées de l'Islam n'autorisaient que les prises de guerre sur les lieux de la bataille et interdisaient le pillage,  les francs pratiquaient le pillage de manière constante, s'emparant de tout ce qu'ils estiment avoir besoin et de tout ce qui leur faisait envie.

     . Les règles codifiées de l'Islam prévoyaient que la guerre s'arrête dès que l'adversaire avait fait sa soumission ; chez les croisés, l'appétit de conquête ne connaissait pas de fin, ils voulaiient se constituer des fiefs et ensuite les étendre pour posséder le maximum de terres et de villages

     . Les règles codifiées de l'Islam impliquaient le respect des églises et des lieux de culte des gens du livre une fois qu'ils s'étaient soumis, les chrétiens purifièrent par le sang de leurs victimes musulmanes des endroits qui n'avaient même pas été des églises autrefois, (mosquée Al-Aqsa), ils transformèrent les mosquées en église sans considération pour le culte musulman, y compris le Dôme du Rocher.

Il convient cependant de ne pas verser dans l'angélisme : les musulmans ont aussi effectué des persécutions à l'égard des chrétiens : j'ai cité celle du calife Fatimide Al-Hakim (voir mon article sur Jérusalem) et celles des turcs Seldjoukides lorsqu'ils conquirent la ville, pourtant, la situation s'était à chaque fois assez vite améliorée. De même, j'ai indiqué aussi qu'en 1099, les musulmans avaient émis l'idée de tuer tous les chrétiens et de détruire le saint Sépulcre mais qu'ils ne l'avaient pas fait.

à suivre

mardi 10 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (35) : LA PREMIÈRE CROISADE ; ÉPILOGUE

L'AVIDITÉ TERRITORIALE
Elle est une forme de pillage comme les autres puisqu'elle conduit à s'approprier des biens possédés par autrui. Ces tentatives d'appropriations sont constantes et apparaissent à chaque instant tant l'avidité des princes est grande : de nombreux exemples en ont été cités :
   . La concurrence entre Tancrède et Baudouin pour la possession des villes de Cilicie arménienne pourtant chrétiennes,
   . Le fait que Baudouin se détourne de la croisade pour aller s'emparer d'Edesse également aux mains de chrétiens,
   . Les querelles entre Raymond de saint Gilles et Bohemond pour la domination d'Antioche
   . Les fausses informations données au siège d'Archis afin de permettre au même Raymond de s'emparer de la ville.
   . Le fait que Baudouin tout comme Bohemond aient préféré se consacrer à l'extension de leur principauté plutôt que de participer à la délivrance du saint Sépulcre...

A cela s'ajouta la querelle entre les princes pour le partage de Jérusalem : Raymond prétendant garder la citadelle de David dont il a obtenu la reddition au détriment de Godefroy de Bouillon qui venait d'être élu roi de Jérusalem et qui n'avait consenti à son élévation qu'en prenant le titre d'Avoué du saint Sépulcre. ( le duc de Lorraine étant selon les chroniques un des seuls princes qui n'ait pas manifesté d'ambitions territoriales).

Ces querelles verbales furent parfois si violentes qu'elle auraient pu déboucher sur des batailles rangées si deux types de modérations ne s'étaient pas effectuées :
     . l'une par la présence des clercs qui s'employaient à modérer les esprits,
     . l'autre par le fait que les ambitions des uns contrebalançaient celles des autres et que s'établissait une sorte d'équilibre entre les appétits de fiefs de chacun,  assortis d'alliances temporaires et fluctuantes.

Voici, ci-dessous, rapportés par Raoul de Caen, un exemple des joutes verbales et des insultes que l'on pouvait entendre au conseil des princes et des tentatives d'assassinat que l'on pouvait organiser :

Bohemond qui revendique Antioche, craint que Raymond, grâce à victoire obtenue par la lance, se fasse attribuer la cité ; plutôt que d'attaquer directement le comte de Toulouse, il préfère s'en prendre à la lance :  
 "Maintenant que dirai-je en retour de ce grand  outrage, par lequel les Provençaux veulent attribuer à leur fer  ( la sainte lance) notre victoire, qui vient du ciel... ? que le comte plein de cupidité, que le vulgaire imbécile attribuent, s'ils le veulent, leur victoire à ce fer ; quant à nous, nous n'avons vaincu que par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ."

Une partie du conseil des princes se rallie à Bohemond:
"Il dit, et l'on voit. s'unir à lui ceux dont l'esprit plus pénétrant découvrait mieux le fond des choses, les comtes de Normandie et de Flandre, Arnoul, qui remplissait les fonctions de légat, et Tancrède"

Raymond de Toulouse fâché par les insultes de Bohemond, menace celui-ci de mort. Il possède une grande partie d'Antioche, s'il tue Bohemond, il pourra s'emparer de toute la ville :  "blessé par les traits acérés des raisonnements de Bohémond, cherche aussitôt mille manières, mille voies propres à servir sa vengeance : Ou je mourrai, s'écrie t-il, ou je me vengerai d'un tel affront. Si je ne puis en trouver l'occasion ouvertement, je chercherai une occasion en secret ; si la lance ne.peut me servir, le poignard me servira."

La ville est sous ma protection; la citadelle de la montagne, le palais royal, la place, le pont, la porte, sont sous mes ordres; la lance aussi et un  peuple nombreux sont à ma disposition. Que me reste-t-il donc à désirer, si ce n'est d'obtenir la  principauté d'Antioche après la mort de Bohémond ?"

Cette menace n'est pas une simple argutie verbale : Raymond tente d'organiser une rébellion contre Bohemond afin qu'il soit tué : il fomente le " projet d'aller exciter une sédition, de produire un soulèvement universel, afin qu'il en résulte des querelles sur la place publique, qu'il s'élève un cri général que les peuples sont agités, que chaque chef porte secours aux siens, et que tous les arcs, tous les traits soient dirigés contre Bohemond."

"Mais tandis que Raymond, tel qu'un lion enfermé dans sa caverne, méditait ainsi ses artifices, Dieu ne voulut pas permettre que l'iniquité demeurât cachée; et la faisant connaître à Arnoul, il se servit de lui pour la découvrir aussi à Bohemond " . La tentative d'assassinat fut donc déjouée !

Ce texte en dit long sur les pratiques des princes !

CONCLUSION
Ainsi, il apparait à propos des mentalités et comportements que la croisade a suscité un ensemble de constatations bien négatives : massacres, pillage et exactions sont le lot quotidien sans que l'on mette jamais en doute l'amoralité de ces actes : le combat pour Dieu justifie tout et d'ailleurs la caution des clercs présent suffit à cette justification.

Peu à peu au fil du temps , les tensions devinrent moindres entre chrétiens et musulmans, une certaine cohabitation par la force des choses se mît en place. Cela est dû à plusieurs facteurs :

    . Après la prise de Jérusalem, beaucoup de chrétiens rentrèrent en Occident, les francs qui s'installèrent furent assez peu nombreux, ils pouvaient certes défendre leurs possessions mais sûrement pas les mettre en valeur, il fallut s'entendre avec les autochtones pour les exploiter.

    . Une deuxième raison et que les chrétiens constatèrent à quel point ils avaient à apprendre des civilisations islamiques tant au niveau pratique qu'à celui de la pensée. Cette cohabitation conduisit-elle à une interpénétration sociale ? Probablement pas même si les occidentaux, comme le rapporte Foucher de Chartres s'adaptèrent très vite à cette nouvelle vie orientale avec par exemple des mariages mixtes mais uniquement entre chrétiens. En fait, deux sociétés vécurent juxtaposées l'une à l'autre sans se mélanger. Voici par exemple,  ce qu'écrit Usama Ibn Munqidh 1095-1188 qui eut l'occasion de côtoyer les croisés : "Je me suis demandé, dans les débuts, s’ils allaient vraiment ressembler à nous, avec le temps. J’ai pu croire, à travers certains d’entre eux, au miracle : sinon qu’ils embrassent notre foi, du moins que, restés chrétiens, ils apprennent, en masse, notre langue et partagent, comme les chrétiens de chez nous, une même vie avec leurs frères musulmans. Mais les Francs, dans leur ensemble, n’ont voulu ni l’un ni l’autre. »

    . Il va de soi que les conquérants importèrent leur mode de vie féodale en Terre-sainte : on vit se créer des fiefs, ainsi qu'une hiérarchie de vassalité menant aux souverains ; de même, le servage et ses impositions furent instaurés sur la masse des paysans musulmans. Enfin, bien entendu, cette importation des modes de vie occidentales en terre sainte vit aussi la continuation de la conquête afin d'agrandir les fiefs et de donner aux seigneurs toujours plus de puissance.

lundi 9 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (34) : LA PREMIÈRE CROISADE ; ÉPILOGUE

LES PILLAGES
C'est la troisième caractéristique générale ressortant des comportements des croisés et qui, selon moi, est largement ancré dans leurs mentalités. Cet appétit de pillage prend trois formes :
   . Les razzias de subsistance,
   . Le partage des dépouilles,
   . L'avidité territoriale,

Les razzias de subsistance.
Les croisés battent la campagne pour s'emparer de tout ce dont ils ont besoin, ils tuent le bétail, mettent leurs chevaux sur les pâturages, s'emparent dans les champs des moissons sur pied, et pillent les maisons à  la recherche de tout ce qui peut leur être utile. Leur passage conduit sans nul doute à très court terme à des famines. Ces pillages sont continuellement cités dans les chroniques : la marche des croisés vers Jérusalem est ainsi organisée au printemps afin que l'armée puisse vivre sur le pays, comme d'ailleurs cela se produisait en Europe ; de même en cas de siège, les détachements de croisés effectuent des incursions partout dans la campagne en sorte que celle-ci est dévastée sur des kilomètres à la ronde.

Quand une troupe croisée est signalée, il n'y a pour les villageois d'autres solutions que de prendre tout ce qu'ils peuvent emmener ainsi que leur bétail pour se réfugier dans la montagne et dans les grottes. Ils trouveront certes au retour leur village dévasté mais ils auront sauvegardé leur vie et celle de leurs troupeaux. Cette fuite est souvent spontanée mais elle peut aussi être commandée par les chefs turcs afin de faire le vide devant les croisés en les empêchant de trouver de l'approvisionnement : les chroniques mentionnent souvent ce fait en indiquant que les croisés reviennent de leurs incursions sans rien avoir trouvé dans la campagne désertée par les habitants. Certes, les ravages ne sont pas seulement le fait des croisés puisque les armées adverses usent des mêmes procédés, pourtant, on peut penser que les razzias des croisés sont beaucoup plus sévères que celles des princes locaux puisque les croisés agissent en territoire ennemi.

On peut certes expliquer ces ravages sur la campagne par le fait, souvent rappelé par les chroniques, que les approvisionnements aurait dû être fournis par les byzantins, cela ne s'est pas produit et a donc obligé les croisés à vivre sur le pays : ce non-respect des traités par le Basileus n'est cependant pas utilisé pour expliquer et justifier les ravages occasionnés à la campagne  mais pour ne pas lui rendre les territoires que la croisade avait conquis en son nom. On ne trouve dans les chroniques aucune compassion envers la campagne qu'on affame.

Le ravage des campagnes est si important partout où passent les croisés que, lors de la marche des croisés vers Jérusalem, les émirs locaux vont préférer fournir aux croisés des approvisionnements plutôt que de les voir ravager les villages.

Le partage des dépouilles
Cette deuxième forme de pillage est effectuée uniquement dans le but de s'enrichir : ce qui s'est passé à Jérusalem est révélateur des comportement des croisés : ils entrent dans les maisons, prennent ce dont ils ont besoin ou ce qui leur fait envie, puis ils choisissent les demeures qui leur plaise, s'y installent et en font leur résidence : cette forme de prise de possession par la violence n'est pas indue puisqu'elle a été décidée avant la prise de la ville par le conseil des princes, c'est ce qu'indique Guillaume de Tyr sans le commenter comme s'il s'agissait d'une évidence : les croisés ont tant souffert pour la gloire de Dieu qu'il leur faut bien une compensation !   Dans cette perspective, il est probable, comme je l'ai mentionné, que nombre de massacres ont dû être perpétré tout autant pour tuer des musulmans que pour s'emparer de leurs biens !

Ces pillages fournissent aux croisés un enrichissement rapide mais probablement éphémère car les produits de ces exactions sont vite dépensés, ce qui nécessite d'autres pillages afin de maintenir le train de vie que l'on revendique.

Parmi les actes les plus abominables des croisés figurent, selon moi,  les profanations de cadavres : Foucher de Chartres mentionne les éventrations de cadavres pour y rechercher les objets précieux que pourrait contenir les viscères mais il y a encore pire dans la chronique de Robert le Moine comme on peut le remarquer à la lecture du texte qui suit et qui a trait aux événements survenus lors du siège d'Antioche.

" Les ennemis rentrèrent dans la ville et fermèrent leurs portes. Le lendemain, dès les premiers rayons du jour, ils rassemblèrent ce qu'ils purent trouver des cadavres de leurs morts et leur donnèrent la sépulture; ce qu'ayant appris, les valets de l'armée chrétienne coururent en grand nombre au cimetière, et ceux que les Turcs avaient ensevelis avec de grands honneurs, ils les en jetèrent dehors avec beaucoup d'ignominie; car les Turcs les avaient enterrés au-delà du pont, à la Mahomerie placée devant la porte de la ville [ d'Antioche], les avaient enveloppés de plusieurs étoffes, et avaient mis en terre avec eux des byzantins d'or, des arcs, des flèches et beaucoup d'autres choses; car leur coutume est d'enterrer ainsi leurs morts: celle des nôtres est de leur enlever joyeusement toutes ces choses. Lorsqu'ils eurent déterré tous les cadavres, ils leur coupèrent la tête,... portèrent au camp toutes ces têtes (pour comptabiliser le nombre d'ennemis tués )  et laissèrent les cadavres aux oiseaux et aux bêtes sauvages. Les Turcs, témoins de ce spectacle du haut de leurs murs et du sommet de leurs tours, en conçurent une violente douleur, et se déchirant le visage, s'arrachant les cheveux, commencèrent à implorer l'assistance de leur docteur Mahomet mais Mahomet ne pouvait réparer ce qu'il avait plu au Christ de détruire par la main de ses guerriers"

 À suivre...