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vendredi 13 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (38) : MUSULMANS ET CROISÉS

LE JUGEMENT DES MUSULMANS SUR LES "FRANCS"
Je me baserai pour cette partie sur les informations contenues dans les mémoires d'Osama Ibn Munqidh (1095-1188) qui eut l'occasion de côtoyer les francs dans sa jeunesse.
 
Les commentaires d'Osama Ibn Munqidh (1) sont évidemment très peu flatteurs envers les francs : en voici d'abord quelques citations générales  :
" Quiconque est au courant des qualités des francs est porté à glorifier et à sanctifier Allah le tout puissant [de ne pas leur ressembler ] car il a vu en eux des bêtes qui ont la supériorité du courage et de l'ardeur au combat mais aucune autre [qualité], de même que les animaux ont la supériorité de la force et de l'agression" .

"Les francs ne possèdent aucune des hautes qualités qui font la supériorité des autres hommes à l'exception de la bravoure" .

Ravaler  les croisés au niveau des animaux féroces en leur déniant presque le statut d'être humain est d'une grande sévérité. Pourtant, Osama Ibn Munqidh va légèrement tempérer son propos en faisant la distinction entre :
   . les croisés de la première heure possédant des fiefs et d'importants revenus et aspirant plutôt au calme et à la tranquillité.
   . les nouveaux arrivants attirés par l'appât du gain, désireux de faire fortune rapidement, impatients d'agir,  en quête de combats et d'aventure,  plein d'ambition ; ils critiquent les premiers croisés devenus des nantis, leurs aspirations à la paix sont assimilées à de la lâcheté et à la pactisation avec l'ennemi.

Une seconde série d'observations a trait au caractère guerrier de la société :" il n'y a chez eux de prééminence et de préséance que pour les cavaliers ; les cavaliers sont vraiment les seuls hommes, aussi leur demande-t'on de donner des conseils, de rendre la justice et de porter des jugements" ; cette caractéristique est évidemment étonnante pour un musulman à la fois parce que, dans la culture islamique, le prince est conseillé par les docteurs de la loi et non par des guerriers et aussi par le fait que la justice est rendue par des chevaliers au moyen de décisions orales et non par des juges rendant leurs arrêts au moyen de code.

Ainsi apparait dans les écrits d'Osama Ibn Munqidh une société organisée autour des chevaliers formant une caste militaire,  les uns à peu près policés au contact des orientaux, les autres, récemment arrivés ne manifestant aucune qualité humaine et ressemblant plus à des bêtes féroces qu'à des hommes.

Cette impression d'ensemble est renforcé par quelques anecdotes :

La première a trait à ce dualisme des croisés exprimée ci dessus : elle concerne un ami d'Osama Ibn Munqidh qui témoigne à la fois de l'attirance de quelques-uns pour l'orient et de la haine que suscite un musulman chez la plupart des francs ; cet ami est reçu d'abord par un croisé de la première génération :

« Il y a des Francs qui se sont établis dans le pays et se sont mis à vivre dans la familiarité des musulmans ; ils sont bien meilleurs que ceux qui viennent d’arriver fraîchement de leur pays d’origine, mais ils ne sont qu’une exception qui ne constitue pas la règle. A ce propos, j’envoyai un jour un ami régler une affaire à Antioche, dont le chef était Tudrus ibn as-Sâfi. Ce dépositaire de l’autorité, qui était mon ami, dit à celui que j’envoyais : « J’ai été invité par un Franc, viens avec moi pour voir comment ils vivent. »

Je l’accompagnai, raconte mon ami, et nous arrivâmes à la maison d’un chevalier, un de ceux, installés depuis longtemps.il avait été rayé des rôles... et dispensé de toute service militaire, de plus, avait été doté à Antioche d'un fief d'où il tirait sa subsistance.. Il vivait du revenu d’une propriété qu’il possédait à Antioche. Il fit installer une belle table avec des mets forts propres et très appetissants . En voyant que je m’abstenais de manger, il me dit : « Tu peux manger de bon appétit, car je ne mange pas la nourriture des Francs ; j’ai des cuisinières égyptiennes et je mange seulement ce qu’elles préparent ; du porc, il n’en entre pas chez moi. » 

Quelques jours après, je passais sur la place du marché lorsqu'une femme s'attacha à moi, proférant des cris barbares dans leur langue, je ne comprenais pas un mot de ce qu'elle me disait. Un rassemblement se forma autour de moi et j'eus la conviction que ma mort était proche, mais voici que ce même chevalier s'était avancé, il me vit, s'approcha et dit a la femme : qu'as-tu à faire avec ce musulman ?"," il est, répondit-elle, le meurtrier de mon frère Hurso"' or, Hurso était un chevalier d'Apamée qui avait été tué par un soldat de l'armée de Hama

Il va de soi que le musulman en question n'était pour rien dans la mort du frère de cette femme, mais il était musulman, cela suffisait pour qu'on l'insulte et qu'on le menace de mort !

La deuxième anecdote a trait à la pratique d'un médecin franc :

"  Le maître d’Al-Mounaytira, une forteresse qui relevait de Tripoli.. me demanda un jour, à Chayzar, (1) de lui envoyer un médecin pour quelques-uns de ses malades. Nous lui dépêchâmes le nôtre, Thâbit, un chrétien (de rite oriental) . Il revint si vite que nous lui fîmes compliment pour des soins si rapides, mais lui d’expliquer « On m’a montré un chevalier dont la jambe avait un abcès, ainsi qu’une femme atteinte de consomption (affaiblissement et amaigrissement) . Pour le premier, j’ai préparé un petit emplâtre, l’abcès a crevé et pris bonne tournure. Pour la seconde, j’ai pensé à une diète assortie d’un traitement approprié. 
[Avant même que le traitement prescrit fasse son effet, ]... survient un médecin franc, qui décide que je n’y connais rien. Il s’adresse au chevalier : « Que préfères-tu, vivre avec une jambe ou mourir avec deux ? » L’autre répond qu’il aime mieux vivre. Le médecin dit alors qu’il a besoin d’un chevalier robuste et d’une hache tranchante à souhait. J’assistais à la scène : notre homme installe la jambe de son patient sur un billot et ordonne au chevalier de la trancher, d’un seul coup. Mais au premier, la jambe résiste encore ; au second, la moelle se répand un peu partout et le malade meurt, là, tout de suite. Pas déconfit pour un sou, le médecin se rabat sur la femme, règle son cas : c’est un démon qu’elle a dans la tête. Il lui fait raser les cheveux. La femme ne s’en porte ni mieux ni plus mal, mais se met, contre mes indications, à manger, ainsi qu’on le fait chez les Francs, de l’ail et de la moutarde. Son état empire. L’autre déclare, péremptoire, que le démon ne gîtait pas à la surface de la tête, mais plus profondément qu’il ne l’avait cru d’abord. Il vous prend un rasoir, fait, sur le crâne, une incision en forme de croix, si terrible que l’os apparaît. Puis il frotte le tout avec du sel… et voilà, presque aussitôt, son second mort. »

Osama Ibn Munqidh est cependant objectif dans ses jugements : quand un médecin franc réussit à guérir, il le cite aussi !

La troisième anecdote témoigne de la bonne conscience des chrétiens qui ne se mettent jamais en doute sur leurs pratiques, sont convaincus de la supériorité de leur mode de vie et en témoignent sans retenue face aux musulmans qu'ils ressentent de culture inférieure.

" Ces mêmes Francs, pétris de courage et d’ardeur guerrière, manquent parfois du plus élémentaire jugement. Je m’en réfère à l’attitude d’un très honorable chevalier de chez eux,... qui, venu faire le pèlerinage de Jérusalem, allait s’en retourner chez lui, ...Quelques jours avant son départ, il m’entreprit ainsi, devant l’un de mes fils, âgé de quatorze ans, qui m’accompagnait : « Je m’en vais chez moi, comme tu le sais. Ce fils que tu as là, confie-le moi : dans mon pays, il observera les chevaliers, apprendra leur sagesse et leurs usages, et quand il reviendra chez lui, il sera un homme accompli. » Je fus choqué de pareils propos, qui me paraissaient, pour le coup, sortir d’une tête sans cervelle. ." .

on peut imaginer la stupéfaction d'Osama Ibn Munqidh quand il entendit de tels propos, lui qui possdait une culture de lettré ! "


(1) Ousâma Ibn Munqidh est le fils cadet de la famille qui tient la ville de Shayzar, fief arabe situé sur l’Oronte établi entre les émirats turcs de la région et les possessions chrétiennes.  Il est exilé par son oncle, l’émir de Shayzar  en 1131 et  devient un courtisan au service de Zengi, (atabeg de Mossoul et Alep, +1146 qui reconquiert Edesse) Nur ad-Din  (atabeg d'Alep et Mossoul +1147) et Saladin.

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